Sung Yü (vers 280 avant J.-C.)
KIU PIÉN
Les neuf tableaux
traduit par Charles de HARLEZ (1832-1899)
Revue Le Muséon, Louvain, tome XII n° 3, juin 1893, pages 197-212.
- Introduction : "Song-Yü, la perle des Songs, vivait au IIIe siècle avant notre ère, dans la petite principauté de Tsou que les imprudences politiques de son prince entraînait à sa ruine. L'oncle et le maître de notre poète, le célèbre ministre Kiu-Yuen, disgracié pour son dévouement et des remontrances trop sincères, vivait dans l'exil et finit par se donner la mort après avoir exhalé sa douleur dans la célèbre élégie qui porte le nom de Li-sao (ou « écarte-douleur »), l'un des plus beaux monuments de la littérature chinoise, l'ode la plus grandiose qu'elle possède."
- "Song-Yü qui avait occupé une haute charge à la cour, l'abandonna pour suivre son oncle dans son exil et comme lui exprima, dans ses vers, ses angoisses patriotiques et ses cuisantes douleurs. D'un caractère plus ferme que Kiu-Yuen, il ne se laissait point aller au désespoir mais pensait plutôt à retourner la cour pour essayer par de nouveaux efforts de ramener son roi dans la voie de la sagesse."
- "La plus célèbre de ses compositions, et celle dont nous donnons ici la traduction, est intitulée Kiu pién, c'est-à-dire les 9 tableaux. Elle se compose en effet de neuf morceaux dont chacun forme une description spéciale, allégorique et figurant ce que le poète veut faire entendre à ses lecteurs."
Ce système d'allégorie est, comme nous l'avons dit précédemment, familier aux poètes chinois. Conformément à leur méthode qui se plaît à faire
travailler l'esprit des lecteurs et à leur proposer des sortes d'énigmes, ces figures sont développées de manière à sembler l'être pour elles-mêmes. Ainsi les allusions doivent être devinées,
l'application de l'allégorie est abandonnée à la perspicacité de chacun. Il est vrai que pour qui connaît ce genre, cette application n'est pas bien difficile. L'objet du tableau, par cela même
qu'il est apparemment étranger au sujet de la pièce, avertit déjà qu'il faut chercher son explication dans une métaphore, une comparaison.
Cette élégie nous a été conservée par Liu-hiang le célèbre commentateur de l'époque des Han qui l'a insérée dans la collection des Élégies de Tsou. Elle a reçu son principal commentaire de
Wang-Yi.
La versification y est des plus irrégulières. Elle procède par distiques dont le premier membre termine par la particule exclamative ordinaire hi, et les seconds riment deux par deux.
Les strophes ou tableaux sont de longueurs très inégales, allant de 8 jusqu'à 23 distiques. Les vers eux-mêmes ont des nombres de pieds variant de 5 à 9 pieds.
Le mérite littéraire de ce recueil n'est pas non plus identique en toutes ses parties. Il a certainement des endroits faibles, mais il contient aussi, sans contredit, de vraies beautés poétiques,
des morceaux qui ne seraient pas déplacés dans nos meilleures anthologies si l'on pouvait rendre l'original exactement dans une forme métrique. Malheureusement ce que le Chinois dit en un mot
nous ne pouvons l'exprimer qu'en plusieurs et en en décolorant toute la vivacité et l'énergie. En outre le français, par sa précision et ses lois inflexibles, comme par l'absence de composés et
son horreur du néologisme, est une des langues les moins appropriées à rendre un texte chinois. Aussi l'on ne comprend que trop cette plainte du regretté sinologue Marquis d'Hervey-Saint-Denys,
dans la préface de son ouvrage sur la poésie des Tangs : La tache du traducteur est bien pénible quand on aperçoit des beautés qu'aucun langage européen ne saurait retenir.
I. L'hiver
Ce tableau figure l'état de désolation dans lequel se trouvait l'État de Tsou. Presque chaque détail s'y rapporte, bien qu'il y en ait qui n'ont d'autre but que de compléter la description.Le
vent, la chute des feuilles figurent cette désolation ; on va contempler les ravages de la guerre, les champs déserts et vides, dont les armées, comme les inondations, ont détruit les récoltes.
Le lettré pauvre est le ministre fidèle disgracié ; les animaux fuyant représentent les serviteurs dévoués forcés de s'exiler, le poète lui-même.
O ! douleur, c'en est fait du souffle de l'automne !
Le vent siffle avec violence.
Les plantes et les arbres laissent tomber leurs feuilles.
Tout change, le deuil règne,
Partout appréhension ! comme au cœur de celui qui part pour une terre inconnue.
On monte les rochers pour contempler les fleuves (grossissant)
On se porte au devant de ceux qui reviennent à l'endroit natal.
Tout est vide et silence. Dans les hauteurs du ciel, l'éther brille pur.
Les eaux amassées tombent en grandes pluies d'une eau pure.
L'émotion, la tristesse fait couler les larmes ;
Le visage pâli par l'hiver, l'homme sent son cœur blessé.
Déçu, il renonce au passé et tourne ses regards vers l'avenir.
Angoissé, menacé en ses biens, le lettré pauvre n'a plus qu'à se défendre des voleurs, son cœur est perpétuellement inquiet.
Perdu dans le désert, le voyageur n'a plus d'ami chez qui il s'abrite.
Les cœurs pleins de tristesse réfléchissent à leurs propres maux, se torturent eux-mêmes.
L'hirondelle vole çà et là ne pensant plus qu'au départ.
La cigale se cache dans l'ombre et reste sans voix.
L'oie sauvage fait retentir ses cris et part pour le midi.
Le chant du coq, du faisan prend un accent plaintif.
Le singe se dresse attendant l'aurore et ne se livre point au sommeil.
Le grillon au bruit lugubre rentre dans ses habitations.
Le temps marche jamais fatigué, il a dépassé déjà la moitié de l'an.
Mais qu'il tarde dans la vie ! le malheureux n'accomplit pas son destin.
Affligé (des malheurs du temps), épuisé, le cœur plein de tristesse,
Seul en sa retraite dans l'espace immense, est un homme d'une vertu assurée ; son cœur ne connaît point le relâchement.
Il a abandonné son pays, il a quitté sa famille, il s'en va au loin, étranger, exilé ;
Il s'en va errant à pas précipités fuyant le sol natal.
Oh temps malheureux !
Il n'a de pensée que pour son prince, mais sa voix est impuissante à le changer ;
Le prince le méconnaît : que peut-il en espérer ?
Il entretient en lui-même sa colère, il accumule les pensées funestes en son cœur.
Le cœur affligé, anxieux (de son sujet) lui fait oublier sa nourriture.
Si je pouvais le voir une fois et lui retracer mes pensées !
Mais son cœur hélas ! m'est hostile.
Mon char à ses chevaux attelés ; puissé-je partir et retourner à ma patrie.
Mais il ne m'est pas donné de me trouver près de lui, mon cœur est rougi d'affliction.
J'ai incliné mon char, j'ai replié ses étais, je ne sais que prolonger mes pensées de douleur.
Les larmes coulent de mes yeux : elles mouillent mon siège.
Mes aspirations généreuses sont brisées, je ne sais plus les retenir.
En moi tout est confusion et trouble, je m'égare en ma route.
Quel terme à la pitié que je m'inspire à moi-même !
Cependant mon âme est ardente pour le bien : en elle rien que loyauté et droiture.
III. L'hiver. Image du royaume désolé
Le troisième pién reprend et réunit les deux sujets : la peinture de l'hiver, image du royaume de Tsou désolé par la guerre et l'injustice, et le ministre fidèle banni, plongé dans la
douleur.
L'auguste ciel a divisé les saisons avec un ordre parfait
Mais dans le secret de mon âme je déplore la chute de l'automne.
Voilà déjà que la rosée givreuse couvre les fleurs. Depuis longtemps elle a dépouillé de sa parure l'éléococca et le catalpa.
Et assombri l'éclat brillant du soleil d'été.
Et le sombre vêtement de la nuit s'étend de plus en plus.
L'hiver a jeté au loin la force, la beauté des plantes odorantes.
En enlevant les fleurs desséchées, mon cœur est pris de tristesse et de dépit.
L'automne par sa rosée de glace les a frappées d'abord ; l'hiver étend leur destruction par ses rigoureuses gelées,
Ces fleurs que la fin de l'été avait prodiguées par sa chaleur généreuse.
Plus de travaux ! plus d'action ! on vit enfermé, dans les rochers même.
Un feuillage noirci, sans couleur, recouvre la terre. Les branches s'entremêlent brisées.
Couvertes toujours comme d'une humidité.
Entassées comme des troncs, elles gisent jaunies par le dessèchement.
Tandis que troncs, rameaux et branches restent dépouillés de tout,
Sans forme comme un métal fondu, comme frappés au cœur par la maladie,
Comme des objets confusément mêlés et prêts à tomber par terre.
Mais le dépit manque l'occasion et ne connaît pas l'opportunité.
Prenons les rênes de notre quadrige et allons avec mesure.
Circulons à loisir, en tout sens, mais avec dignité.
Les années fuient inaperçues et s'épuisent complètement pour nous.
Craignons de ne point atteindre le terme de nos années ;
Prenons garde que notre vie n'ait point son temps.
En proie à la méchanceté, rejeté des hommes,
Je m'en vais exilé placide, sans autre appui que moi.
La cigale fait retentir de son cri le palais de l'ouest ;
Le cœur plein de crainte tremble et se trouble :
Partout ce ne sont que des sujets de douleur ;
Les yeux se portent vers la lune au doux éclat et la mélancolie s'empare du cœur.
On erre sans repos à la lueur des étoiles brillant de leur plus vif éclat.
IV. Le palais du prince ; ses flatteurs : soupirs de l'exilé
Cette quatrième partie présente un tableau complexe. Le poète voit en imagination ce qui se passe au palais de son prince, les fêtes données, les témoignages d'une loyauté qui n'est point dans
les cœurs, la manière dont lui-même y est traité ; il se livre à de nouvelles lamentations et rappelle la comparaison précédemment développée. Cette strophe se prêtant exceptionnellement à une
traduction rimée, nous la donnons à tout risque et péril.
De ce triste désert je vois des immortelles ,
Et des bouquets d'iris apportés en présents.
Partout sont des drapeaux flottant au gré des vents.
Pourquoi cueillir ces fleurs de vos mains criminelles ?
Suivre les temps, du vent emporté sur les ailes,
Pour obéir au roi, voilà les vrais bouquets ;
Et ne point contraster aux roses, aux muguets.
Je ne puis pénétrer ce douloureux mystère.
Je veux quitter mon prince et fuir sous d'autres cieux ;
Exhalant sa douleur en une plainte amère,
Mon cœur voudrait le voir et sage et glorieux.
Pur, fidèle, et je dois m'exiler en ces lieux !
Mon cœur serré d'angoisse augmente mes tortures,
Puis-je n'en point brûler et penser à mon roi !
De son brillant palais la porte à neuf doublures,
Un chien féroce y veille et hurle contre moi.
Des fers, d'épais barreaux interdisent l'entrée
(D'une amère douleur mon cœur est pénétré)
Le ciel auguste et saint, en son immensité
Inonde nos guérets ; la terre vénérée
Attend en vain l'arrêt des flots toujours croissant.
Quelque hauteur à peine échappe aux eaux montantes.
Les yeux toujours fixés sur les nues flottantes
Je gémis ; mes soupirs augmentent mes tourments.
V. Les coursiers généreux. Le phénix
Cette strophe présente deux images principales indiquées dans le titre et figurant le ministre fidèle, c.-à-d. le poète lui-même. D'autres pensées accessoires y sont entremêlées, comme on le
verra.
Jusques à quand l'art, l'habileté des âmes basses
Se riront-ils de l'équerre (de la justice) et falsifieront-ils la pierre de touche ?
On repousse les coursiers forts et généraux , on ne veut point les atteler à son char.
Fouettant de mauvais et chétifs chevaux on se met en chemin.
Et quel temps peut se passer de coursiers vaillants et rapides ?
Et qui pourrait sans eux conduire habilement son char ?
Voyez celui qui tient la bride, ce n'est point l'homme.
Aussi les chevaux bondissent et fuient au loin indomptés.
L'Eider et l'oie sauvage coassant, se plaisent à manger des algues ,
Le Phénix planant triomphe des vents et s'élève dans les hauteurs célestes.
Le ciseau est arrondi, son manche est de forme carrée ;
Je sais bien la différence de leurs formes et combien il est difficile de les adapter.
Tous les oiseaux aiment à s'élever et à se poser haut :
Seul le phénix a de modestes appréhensions et ne cherche point de compagnons.
Puissé-je avoir la bouche bâillonnée et ne pouvoir parler !
C'est ainsi que l'on goûte la faveur du prince.
Que de grands princes se sont illustrés jadis ! Non, on n'en rencontre plus qui les égale.
Les coursiers ardents et forts cherchent un refuge.
Les phénix, les argus perchent au loin sans souci de nous.
Les vertus, les mœurs antiques et simples ont été transformées.
Les ministres du jour ont élevé sans cesse leur opulence.
Les nobles coursiers se sont réfugiés, en se traînant, dans des antres, et ne se montrent plus.
Les phénix volent au sommet des airs et ne descendent plus.
Les oiseaux, les quadrupèdes eux-mêmes savent chérir la vertu.
Comment donc les prétendus sages ne la distinguent-ils plus ?
Les coursiers ont perdu leur célérité et ne cherchent plus à sauver.
Les phénix insensibles à la faim oublient leur nourriture.
Le roi les a rejetés, chassés au loin et ne considère point (sa faute).
Nos cœurs aspirent à la fidélité, mais que gagnent-ils ?
Ce qu'on veut c'est le silence de mort (sur les fautes) et saper les principes.
Quoiqu'on lutte contre son cœur, on ne peut oublier la vertu, cette source originaire de ses actes.
Isolé, abandonné on déplore ces maux dont ils accablent les hommes ;
Les membres brisés, le cœur déchiré. Quel en sera le terme suprême ?
Le givre, les frimas se répandent et remplissent les cœurs d'anxiété ; leur action funeste s'exerce en bas.
Nos cœurs se portent vers celui dont la présence rend heureux , mais ils ne parviennent pas à franchir les obstacles.
La neige, le givre s'accumulent et se grossissent en se mêlant,
Et l'on sait que leur approche, amènera la mort.
Oh ! si l'on pouvait ramener la source de bonheur et s'y attacher encore ;
On jetterait l'ancre dans les jongles, on mourrait comme les fleurs du désert.
Mais maintenant on n'aspire qu'à partir et s'en aller errant dans les sentiers déserts.
Car la voie du retour est obstruée ou coupée , on ne peut y pénétrer.
En vain voudrait-on la parcourir, y pousser son quadrige.
Et le pût-on qui oserait-on suivre ? Au milieu de la route
L'émotion, le doute saisirait. Mais alors se faisant violence,
On saurait retrouver sa sérénité (chanter).
Les hommes vulgaires et bas par nature sont étroits d'esprit et superficiels.
Vraiment le roi n'a point su pénétrer ces cœurs grossiers que rien ne trouble.
Le souffle généreux des ministres intègres est éteint. Je hais l'infidélité de ces temps.
Quand ne règne point l'habileté, l'artifice des gens vulgaires ?
Il détruit l'équerre et falsifie la pierre de touche.
Seul ministre dévoué je ne flatterai pas ; mes vœux aspirent après les doctrines laissées par les anciens sages ;
Et vivant dans ce monde impur, à briller d'un vif éclat.
Plus de joie pour mon cœur, près de l'homme illustre sans justice.
Mieux vaut vivre épuisé et garder les hauteurs,
Et de se rassasier sans recherche ni délicatesse,
De demander la chaleur à des habits simples et convenables.
Puissé-je revoir les mœurs des anciennes poésies !
Et fixer mes désirs dans la simplicité de la vie.
Malheureux obstinés dans le mal, sans foi, qui cherchez le port dans le désert où le sol vous manque,
Qui voulez résister au froid sans fourrure.
Vous craignez la mort qui frappe inopinée, et vous ne verrez point le printemps, la vie renaissante.
Belle, transparente est la lueur étendue des dernières nuits d'automne.
Le cœur vinculé par elle s'émeut et se sent percé de douleur.
Le printemps passe, l'automne succède et fuit, le soleil s'est élevé, éloigné.
Affligé on se plaît à accroître soi-même ses regrets.
Les saisons viennent et se succèdent, entraînant avec elles l'année.
Les deux principes de l'être ne procèdent point de concert.
Le plus brillant soleil a son déclin, il se dérobe sous terre.
La lune voit sa lumière s'affaiblir, s'épuiser : elle diminue, elle s'efface.
Ainsi les années tombent dans l'oubli lorsque leurs jours sont épuisés.
La vieillesse arrive avançant imperceptible et dissout la vie.
Le cœur s'agite, se resserre, le soleil semble s'obscurcir, les regrets du passé ne laissent plus d'espoir.
Les désirs, la pitié déchirent son cœur, et grossissent les anxiétés ; ils font gonfler les soupirs.
L'année passe comme les flots et le soleil s'éloigne.
La vieillesse se jette sur nous et nous envahit de plus en plus nous laissant sans asile.
Que la chose publique soit gérée sans fatigue et procède avec bonheur.
Pour nous, notre affliction n'a point de terme, tout est anxiété, indécision.
Pourquoi ces nuages flottant qui nous inondent de toutes parts
Et dans leurs tourbillons dominent, recouvrent la lune en son éclat ?
Où est cet éclat de la fidélité du cœur ? Que je voudrais le voir !
Mais ces nuées dérobent le soleil , nul ne peut les pénétrer,
Que ne puis-je contempler cet astre brillant en sa marche glorieuse !
Mais ces voiles aériens forment un brouillard et le recouvrent.
Infortuné je ne puis soutenir la vie ; mon amour de la droiture,
Les méchants accumulent les souillures pour le flétrir.
La sagesse de Yao et de Shun illumina les ténèbres et s'éleva jusqu'au ciel.
Pourquoi l'envie jalouse la mit-elle en péril, voulut-elle l'écraser ?
Et entacha leur nom d'une réputation imméritée de manque de piété !
Ainsi l'éclat des grands astres vient parfois à être voilé.
Bien plus encore l'art gouvernemental a ses lois multiples et sa corruption s'accroît malgré tout.
Les branches étendues du nénuphar couvrant les eaux, sont d'un aspect ravissant.
Le lac les fait flotter, onduler et ne peut s'en faire une ceinture.
Les cœurs fiers et vertueux savent aussi user des armes ; mais ils soutiennent les ministres généreux et sincères.
L'agriculteur suspend ses travaux, cédant à la violence, craignant la désolation de ses champs, de ses guérets.
L'égoïsme est en tout suscitant les difficultés.
Ces maux secrets qui déchirent les cœurs seront la perte, un péril menaçant pour la postérité.
Les tonnerres de ce monde se font écho et brillent d'un vif éclat.
Comment le blâme et la louange se sont-ils obscurcis et confondus ?
Maintenant on multiplie les apprêts extérieurs, un regard furtif pénètre seul l'intérieur. L'intérieur se reflète sous un regard furtif.
La gloire future est réservée intérieurement comme un trésor.
Puissé-je transmettre mes paroles à la postérité, qu'elles flottent jusqu'aux astres !
La violence et la force s'épuisent et se soutiennent difficilement.
Les ministres pervers cachent, ces nuages menaçants ; les serviteurs fidèles restent dans l'obscurité et sans gloire.
Yao et Shun savaient tous deux honorer la droiture fidèle.
Aussi ils avaient élevé haut l'appui de leur trône et savaient réussir par eux-mêmes.
En eux on se confiait et le monde n'avait pour eux que de l'amour.
Tout cœur craignait de les offenser.
Le quadrige que mènent des coursiers rapides comme le vent, conduit avec sûreté, n'a pas besoin de violence, et de fouet.
Mais loyauté, confiance, ne peuvent assurer la cité contre les périls.
Leur appui le plus ferme était impuissant à la sauver (Quand le prince les repousse).
Vinculés, les efforts généreux n'atteignent point leur fin.
Étroitement enserré par la douleur, l'esprit n'a plus qu'à déplorer ses liens.
Que l'on fait au monde la voie pour échapper à ses maux
(C'est bien) mais si la vertu n'est pas parfaite elle ne sera pas imitée.
Que je périsse dans les flots , que je disparaisse et ne voie point (ces maux).
Je désirais illustrer mon nom dans le monde entier, je lui voulais un courant pur et n'ai pu le rencontrer.
Abattu, comme frappé de stupeur, je me déchire le cœur à moi-même et ne voit point de terme.
Je vais errant comme l'oiseau sans domicile, réduit à la misère.
Mon pays a de vaillants coursiers, mais ne sait pas les mettre au frein (les employer).
Qu'ils sont nobles sans doute, et les vrais modèles des hommes !
Tsi chantait sous le char ; le prince Huan l'entendit et apprit ainsi qu'il avait su sans maître cultiver l'art musical.
Maintenant qui saurait encore l'apprécier ?
C'est en méditant, considérant ces maux, arrêtant les armes,
Que l'intelligence éclairée seule atteindra son but.
Troublant les cœurs fidèles en leur sincérité, la jalousie prépare les dissensions et les manifeste.
Conclusion. Désir du poète de s'élever au ciel
La conclusion de la pièce entière est amenée, annoncée par l'avant dernier distique. Le ministre poète après avoir exhalé ses plaintes, pensant aux services qu'il pourrait encore rendre à sa patrie, ranime son courage, bannit de son cœur les pensées qui l'affligent. Il voudrait s'élever au ciel pour fuir cette terre ou règnent l'hypocrisie et l'injustice. Mais il ne peut oublier que son but est de faire régner la vertu et il prend la résolution d'y travailler encore.
Puissé-je avoir un corps merveilleux détaché de cette terre et m'élever,
Errant au sein des nuages, porté sur l'éther pur des cieux,
D'un vol rapide, sur la brise des esprits ; flottant sur un iris brillant.
Traversant les séjours fortunés des esprits, les bocages de l'oiseau rouge, à ma gauche ; l'antre du dragon azuré à ma droite.
Près des foudres du Maître du tonnerre, je pénétrerais dans le palais du Génie au vol rapide (le vent).
Avec mon char, retentissant par devant du tintement des cloches, par derrière du fracas des roues répondant au tonnerre ;
Et ma bannière à nuées portée par un dragon et mes coursiers majestueux disposés en bel ordre.
Mon but est unique, j'y suis tout entier et ne pourrais changer.
Je veux suivre le bien et le thésauriser en moi, je veux m'attacher à la vertu, source céleste.
Oui je retournerai vers mon roi, je le verrai sans me plaindre.