Maçoudi (xxx-956)
Textes sur la Chine extraits de : LES PRAIRIES D'OR
Traduction de Casimir Barbier de Maynard (1826-1908) et Abel Pavet de Courteille (1821-1889).
Imprimerie impériale, Paris, 1861. Tomes : I, pages 286-395 ; II, 200-203 ; III, 8-9 ; IV, 52-54, 69-71.
- L'auteur dit : "Dans l'introduction de notre ouvrage intitulé Annales historiques, nous avons décrit la forme de la terre, ses villes et ses merveilles ; les mers, les vallées, les montagnes et les fleuves qu'elle renferme ; le produit des mines, les différents cours d'eau, les marais, les îles situées dans les mers ou les lacs ; les grands monuments et les édifices vénérés. Nous y avons exposé l'origine des êtres et le principe des générations, la différence des pays entre eux... À cette introduction succèdent l'histoire des anciens rois, des peuples tombés dans l'oubli, des nations et des tribus qui ont disparu de la scène du monde ; les variétés de races et d'espèces, les différences de culte qui les distinguaient ; leurs sages maximes, les opinions de leurs philosophes, l'histoire de leurs rois et de leurs empereurs, telles que le temps nous les a transmises... À la suite de ce premier ouvrage, nous avons écrit notre Histoire moyenne, où sont racontés, en suivant l'ordre chronologique, les événements du passé, depuis la création du monde..."
- "Nous croyons utile aujourd'hui de donner le résumé et l'abrégé de ces développements dans un livre moins considérable, qui ne renfermera que l'esquisse des matières contenues dans les deux compositions précédentes, mais où nous ajouterons un certain nombre de faits scientifiques ou de renseignements relatifs à l'histoire omis dans ces deux ouvrages."
- "Nous réclamons l'indulgence du lecteur en faveur des erreurs ou des négligences qui peuvent se présenter dans ce livre; car notre mémoire s'est affaiblie et nos forces se sont épuisées par suite des fatigues résultant de longs et pénibles voyages à travers les mers et le continent. Avide de connaître par nous-même ce qu'il y a de remarquable chez tous les peuples, et d'étudier de nos propres yeux les particularités de chaque pays, nous avons visité dans ce but le Sind, le Zanguebar, le Sinf (sud de la Cochinchine), la Chine et le Zabedj (Java) ; passant de l'Orient à l'Occident, nous avons couru des dernières limites du Khoraçan au centre de l'Arménie, de l'Aderbaïdjan, de l'Erran, de Beïlakan, et exploré tour à tour l'Irak et la Syrie. Nous pouvons comparer celle course à travers le monde à la marche que le soleil décrit dans les cieux, et nous appliquer ces vers du poète :
Nous parcourons le monde
en tous sens ; aujourd'hui nous sommes dans l'Extrême-Orient et demain dans l'Occident.
Tel le soleil, dans sa marche infatigable, s'avance vers des contrées où jamais caravane n'osa pénétrer."
Cinq ouvrages de la Bibliothèque Chineancienne se rapportent à la relation des voyageurs arabes et persans du neuvième siècle : celle-ci ; la traduction d'Eusèbe Renaudot : Anciennes relations des Indes et de la Chine de deux voyageurs mahométans ; la traduction de J.-T. Reinaud : Relation des voyages faits par les Arabes et les Persans dans l'Inde et à la Chine ; la traduction de G. Ferrand : Voyage du marchand arabe Sulaymân en Inde et en Chine ; l'Examen de la route que suivaient les Arabes et les Persans pour aller en Chine, par Alfred Maury.
Extraits : Histoire résumée de la Chine, et autres détails relatifs à ce sujet
Abou-Zeïd, sel ammoniac, Thibet - Le présent du roi de la Chine à Anouchirwân - Un temple de forme circulaire
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On n'est pas d'accord sur la généalogie et l'origine des habitants de la Chine. Plusieurs disent qu'à l'époque où Phaleg, fils d'Abir, fils d'Arfakhchad, fils de Sam, fils de Noé,
partagea la terre entre les descendants de Noé, les enfants d'Amour, fils de Soubil, fils de Jafet, fils de Noé, prirent la direction du nord-est. De là une partie d'entre eux, les descendants
d'Arou, s'avancèrent vers le nord, où ils se répandirent au loin et fondèrent plusieurs royaumes, tels que le Deilem, le Djil (Guilan), le Teileçan, le Teber, le Moukan, sans compter ceux fondés
par les peuplades du Caucase, telles que les Lakz, les Alains, les Khazars, les Abkhazes, les Serirs, les Kosaks, et par les autres nations dispersées dans ces contrées, jusqu'à Tarrazzobdeh
(Trebizonde), les mers Mayotis et Nitas d'un côté, et celle des Khazars de l'autre côté, jusqu'aux Bulgares, et aux peuples qui se sont réunis à eux. D'autres descendants d'Amour traversèrent le
fleuve de Balkh (Djeïhoun), et se dirigèrent pour la plupart vers la Chine. Là ils se répartirent entre plusieurs États, et s'établirent dans ces diverses contrées, comme les Khottals, qui
habitent Khottolan, Rouçan, el-Ochrousneh et le Sogd, entre Bokhara et Samarkand ; les Ferganides, les habitants de Chach, d'Istidjab et du territoire d'Alfarab. Ceux-ci fondèrent des villes et
des bourgs ; d'autres se séparèrent d'eux pour habiter les plaines, comme les Turcs, les Kozlodjs, les Tagazgaz, qui occupent la ville de Kouchan (Kao-tchang), située entre le Khoraçan et la
Chine, et qui sont aujourd'hui, en 332 [de l'hégire], de toutes les races et tribus turques, la plus valeureuse, la plus puissante et la mieux gouvernée. Leurs rois portent le titre d'Irkhan, et
seuls entre tous ces peuples ils professent la doctrine de Manès. Parmi les Turcs il y a les Keimaks, les Varsaks, les Bediyehs, les Djariyehs, les Gouzes (Ouzes), qui sont les plus braves de
lous, et les Khozlodjs, qui se distinguent par leur beauté, leur haute stature et la perfection de leurs traits. Ces derniers sont répandus sur le territoire de Ferganah, de Chach et des
environs. Ils dominaient autrefois sur toutes les autres tribus ; de leur race descendait le Khakan des khakans, qui réunissait sous son empire tous les royaumes des Turcs, et commandait à tous
leurs rois.
Parmi ces khakans se trouvèrent Afrasiab le Turc, le conquérant de la Perse, et Chaneh. Aujourd'hui les Turcs n'ont plus de khakan auquel leurs autres rois obéissent, depuis la ruine de la ville
d'Amat, dans les déserts de Samarkand. Nous avons raconté dans notre Histoire moyenne dans quelles circonstances cette ville perdit la souveraineté.
Une fraction des descendants d'Amour atteignit les frontières de l'Inde, dont le climat exerça une telle influence sur eux qu'ils n'ont plus la couleur des Turcs, mais plutôt celle des Indiens.
Ils habitent soit dans les villes, soit sous la tente. Une autre portion encore alla se fixer dans le Thibet et se donna un roi qui était soumis à l'autorité du khakan ; mais depuis que la
suprématie de ce souverain a cessé, comme nous venons de le dire, les habitants du Thibet donnent à leur chef le titre de khakan, en mémoire des anciens rois turcs, qui portaient le titre de
Khakan des khakans.
La majorité des descendants d'Amour suivit le littoral de la mer et arriva ainsi jusqu'aux extrémités de la Chine. Là ils se répandirent dans ces contrées, y fondèrent des habitations,
cultivèrent la terre, établirent des districts, des chefs-lieux et des villes, et y prirent pour capitale une grande ville qu'ils nommèrent Anmou. De cette capitale à la mer d'Abyssinie ou mer de
Chine, sur un parcours de trois mois de distance, on rencontre une suite non interrompue de villes et de pays cultivés. Le premier roi de ce pays qui ait résidé à Anmou fut Nostartas, fils de
Baour, fils de Modtedj, fils d'Amour, fils de Jafet, fils de Noé. Durant un règne de plus de trois cents ans, il répartit la population dans ces contrées, creusa des canaux, extermina les bêtes
féroces, planta des arbres et rendit général l'usage de se nourrir de fruits. Il eut pour successeur son fils Aoun. Ce prince, voulant témoigner de sa douleur, et rendre hommage à la mémoire de
son père, fit placer le corps dans une statue d'or rouge, qu'on posa sur un trône d'or incrusté de pierreries, et qui dominait son propre siège ; lui-même et ses sujets se prosternaient
respectueusement matin et soir devant cette image qui renfermait la dépouille mortelle du roi. Après un règne de deux cent cinquante ans, il mourut et laissa l'empire à son fils Aitdoun. Celui-ci
enferma aussi le corps de son père dans une statue d'or qu'il plaça sur un trône de même métal, au-dessous du rang qu'occupait son grand-père ; puis il avait coutume de se prosterner d'abord
devant ce dernier et ensuite devant son père, et ses sujets l'imitaient. Ce roi gouverna ses sujets avec sagesse, les traita en toutes choses sur le pied de l'égalité, et se montra juste envers
tous. Par ses soins la population et la fertilité du pays s'accrurent dans une large proportion. Son règne dura près de deux cents ans ; puis son fils Aitnan lui succéda. Ce prince, se conformant
à l'exemple de ses prédécesseurs, enferma le corps de son père dans une statue d'or, et rendit toutes sortes d'hommages à sa mémoire. Pendant son règne, qui fut d'une longue durée, il recula les
frontières de son pays jusqu'à celui des Turcs ses cousins. Il vécut quatre cents ans, et ce fut sous lui que les Chinois trouvèrent plusieurs de ces procédés ingénieux qui donnent tant de
délicatesse à leurs ouvrages. Son fils Haratan, qui monta sur le trône après lui, fit construire des vaisseaux sur lesquels il embarqua des hommes chargés d'exporter les produits les plus
précieux de la Chine dans le Sind, l'Hindostan, la Babylonie et tous les pays plus ou moins éloignés du littoral de la mer. Ils devaient offrir de sa part aux souverains de ces contrées des
présents merveilleux et de la plus grande valeur, et lui rapporter, à leur retour, ce que chaque province renfermerait de plus délicat et de plus rare même, en fait de comestibles, de boissons,
d'étoffes et de végétaux. Ils avaient en outre pour commission de s'appliquer à connaître le gouvernement de chaque roi, la religion, les lois et les coutumes de toutes les nations qu'ils
visiteraient, et d'inspirer aux étrangers le goût des pierreries, des parfums et des instruments de leur patrie. Les vaisseaux se dispersèrent dans toutes les directions, parcoururent les pays
étrangers, et exécutèrent les ordres qui leur avaient été donnés. Partout où ils abordaient, ces envoyés excitaient l'admiration des habitants par la beauté des échantillons qu'ils avaient
apportés avec eux. Les princes dont les États étaient baignés par la mer firent aussi construire des vaisseaux qu'ils expédièrent en Chine avec des produits étrangers à ce pays, entrèrent en
correspondance avec son roi, et lui adressèrent des cadeaux en retour de ceux qu'ils avaient reçus de lui. C'est ainsi que la Chine devint florissante et que le sceptre se consolida dans les
mains de ce souverain. Il mourut après un règne d'environ deux cents ans. Ses sujets, inconsolables de sa perte, portèrent le deuil pendant un mois ; puis ils confièrent leur sort à son fils
aîné, qu'ils prirent pour roi. Celui-ci, qui s'appelait Toutal, renferma le corps de son père dans une statue d'or, et suivit, en fidèle imitateur, l'exemple de ses ancêtres. Durant son règne,
qui fut prospère, il introduisit dans l'État de sages coutumes, ignorées des premiers rois. Il disait que la seule base de l'empire était l'équité, parce qu'elle est la balance du Créateur, et
que l'application à faire le bien ainsi que l'activité incessante faisaient partie de l'équité. Il donna à ses sujets des distinctions, créa des degrés de noblesse et leur décerna des couronnes
d'honneur. Il les classa ainsi suivant leur rang, et leur ouvrit à tous une carrière bien distincte. Comme il se fut mis à la recherche d'un emplacement propre à la construction d'un temple, il
trouva un lieu fertile, émaillé de fleurs et bien arrosé, où il jeta les fondements de cet édifice. Il y fit apporter toutes sortes de pierres de différentes couleurs, dont on bâtit le temple au
sommet duquel on éleva une coupole garnie de ventilateurs ménagés avec symétrie. On pratiqua des cellules dans la coupole, pour ceux qui voudraient se consacrer entièrement au service de Dieu.
Lorsque le tout fut achevé, le roi fit placer au faîte du monument les statues qui renfermaient les corps de ses ancêtres, et dit :
— Si je n'agissais pas ainsi, j'enfreindrais les règles de la sagesse, et le temple ne serait d'aucune utilité.
Il ordonna donc de vénérer ces corps placés au sommet de la coupole.
Ayant appelé auprès de lui les principaux personnages de l'État, il leur dit qu'il jugeait indispensable de réunir tous les peuples sous le joug d'une seule et unique croyance qui leur servirait de lien, et garantirait parmi eux l'ordre et la sécurité ; qu'un empire où ne régnaient ni l'ordre
ni les lois était exposé à toutes sortes de dommages et menacé d'une ruine prochaine. Il institua donc un code destiné à régir ses sujets, et leur prescrivit comme obligatoires des règles de
conduite fondées sur la raison. Il mit en vigueur la peine du talion pour les meurtres, les blessures, et il promulgua des règlements qui déterminaient la légitimité des alliances et fixaient les
droits des enfants qui en étaient issus. Parmi les lois qu'il créa, les unes étaient obligatoires, absolues ; on ne pouvait les transgresser sans crime ; les autres étaient surérogatoires et
facultatives. Il prescrivit comme un devoir à ses sujets de se mettre en relation avec leur Créateur par des prières qu'ils lui adresseraient à certaines heures du jour et de la nuit, sans
toutefois s'incliner ni se prosterner. Il y avait d'autres prières annuelles ou mensuelles, dans lesquelles les inclinations et les prosternations étaient de rigueur. En outre il institua des
fêtes solennelles. Il fit des règlements sur la prostitution, et astreignit à payer une taxe les femmes qui vivaient dans le désordre, en leur permettant toutefois de se racheter par le mariage
ou par le retour à des mœurs plus régulières. Leurs enfants mâles appartenaient au roi comme soldats ou esclaves, et les filles restaient auprès de leurs mères et se consacraient au même métier.
Il ordonna aussi qu'on offrirait des sacrifices dans les temples, et qu'on brûlerait de l'encens en l'honneur des étoiles, en déterminant d'avance à quelles époques, et avec quels parfums et
quelles plantes aromatiques on rendrait le culte à chacun des astres. Le règne de ce prince fut heureux ; il mourut, entouré d'une nombreuse postérité, à l'âge d'environ cent cinquante ans. Ses
sujets, très affligés de sa perte, placèrent ses restes dans une statue d'or incrustée de pierreries, et bâtirent en son honneur un temple magnifique, au sommet duquel ils mirent sept pierres
précieuses différentes, qui représentaient la couleur et la forme du soleil, de la lune et des cinq autres planètes. Le jour de sa mort devint un jour de prières et un anniversaire où l'on se
réunissait dans ce temple. Au sommet, en vue de tout le monde, fut fixée une table d'or sur laquelle étaient gravés l'image du défunt et le récit de ses plus belles actions, pour servir de modèle
à tous ceux qui, après lui, se chargeraient de gouverner les peuples et de les policer. On grava aussi son image sur les portes de la ville, sur les pièces d'or, sur la menue monnaie de cuivre et
de bronze, qui était très abondante, et on l'imprima sur des étoffes.
Le siège du gouvernement chinois fut définitivement fixé à Anmou, grande ville située, comme nous l'avons
déjà dit, à plus de trois mois de marche de la mer. Il y a vers le couchant, dans la direction du Thibet, une autre grande ville appelée Med. Ses habitants sont continuellement en guerre avec les
Thibétains. Les rois qui succédèrent à Toutal se virent sans cesse dans l'état le plus prospère ; l'abondance et la justice régnèrent dans leur empire, dont la violence était bannie, car ces
princes observèrent fidèlement les lois que leur prédécesseur avait prescrites. Dans la guerre ils furent victorieux de leurs ennemis ; la sécurité régna sur leurs frontières, la solde fut
régulièrement payée à leurs troupes, et les négociants de tous les pays affluèrent par terre et par mer avec toutes sortes de marchandises.
Le culte des Chinois, c'est-à-dire le culte ancien, n'était autre que le culte samanéen ; il avait beaucoup
d'analogie avec les pratiques religieuses des Koreïchites avant l'islamisme, lesquels adoraient les idoles et leur adressaient des prières. Ces prières, il est vrai, étaient adressées d'intention
au Créateur lui-même ; les images et les idoles servaient seulement de Kiblah, ou de point vers lequel on se tourne en priant. Mais les ignorants et les gens sans intelligence associaient les
idoles à la divinité du Créateur, et les adoraient également. Le culte des idoles était une manière de s'approcher insensiblement de Dieu, et, bien que cette manière de le servir fût une
dérogation à la majesté, à la grandeur et à la puissance du Créateur, le culte rendu à ces idoles n'était cependant qu'une marque de soumission et un intermédiaire pour s'élever jusqu'à la
divinité. Il en était ainsi en Chine, jusqu'à ce que les théories, les systèmes des sectes dualistes et des innovateurs se fissent jour. Avant cette époque, les croyances et les opinions des
Chinois, ainsi que le culte qu'ils rendaient aux idoles, étaient conformes aux idées et aux pratiques religieuses de toutes les classes de la population dans l'Inde. Quelque considérables que
fussent les changements qui s'opérèrent dans leur état social, quelque nombreuses que fussent chez eux les discussions soulevées par l'esprit d'investigation, ils se conformèrent toujours dans
leurs décisions juridiques aux anciennes lois qu'ils tenaient de la tradition. Leur royaume est contigu à celui des Tagazgaz, qui, comme nous l'avons dit plus haut, sont manichéens et proclament
l'existence simultanée des deux principes de la lumière et des ténèbres. Ces peuples vivaient dans la simplicité et dans une foi semblable à celle des races turques, lorsque vint à tomber parmi
eux un démon de la secte dualiste, qui, dans un langage plein de séduction, leur fit voir deux principes contraires dans tout ce qui existe au monde : comme la vie et la mort, la santé et la
maladie, la richesse et la pauvreté, la lumière et l'obscurité, l'union et la séparation, la jonction et la scission, le levant et le couchant, l'être et le néant, la nuit et le jour, etc. Puis
il leur parla des incommodités diverses qui atteignent les êtres raisonnables, les animaux, les enfants, les idiots, les fous, et il ajouta que Dieu ne pouvait pas être responsable de ce mal,
qu'il y avait là une contradiction choquante avec le bien qui distingue ses œuvres, et qu'il était au-dessus d'une pareille imputation. Par ces subtilités et d'autres semblables, il entraîna les
esprits et leur fit adopter ses erreurs. Aussi longtemps que le prince régnant en Chine était samanéen et sacrifiait des animaux, il était en guerre continuelle avec l'Irkhan, roi des Turcs ;
mais depuis qu'il est dualiste, ils vivent en bonne intelligence. Malgré la diversité de leurs opinions et de leurs croyances, les rois de la Chine ne cessaient de se conformer aux jugements de
la saine raison dans le choix qu'ils faisaient des juges et des gouverneurs, et les grands comme les petits se réglaient d'après les principes de la sagesse.
Les Chinois se divisent en tribus et en branches, comme les Arabes, et leurs généalogies présentent autant
de ramifications. Ils en font grand cas et les conservent précieusement dans leur mémoire, au point que quelques-uns remontent par près de cinquante générations jusqu'à Amour. Les gens d'une
tribu ne se marient pas entre eux. C'est ainsi qu'un homme de Modar épouserait une femme de Rebiah, ou un homme de Rebiah une femme de Modar, qu'un descendant de Kahlan s'unirait à une femme de
Himiar, et un homme de Himiar à une femme de Kahlan. Les Chinois prétendent que le croisement des races donne une progéniture plus saine, un corps plus solide, une vie plus longue, une santé plus
robuste et d'autres avantages encore.
La situation de la Chine resta dans un état de prospérité continuelle, grâce aux sages institutions des
anciens rois, jusqu'à l'année 264. Depuis cette époque jusqu'à nos jours (331), il y est survenu des événements qui ont troublé l'ordre et renversé l'autorité des lois. Un intrus nommé Yanchou,
qui n'était pas de la famille royale, et qui demeurait dans une ville de la Chine, surgit tout à coup. Homme d'une nature perverse, artisan de discorde, il vit la lie de la population et les
malfaiteurs se grouper autour de lui, et grâce à l'obscurité de son nom et au peu d'importance de sa personne, ni le roi ni ses ministres ne s'en préoccupèrent. Il en devint plus fort ; sa
renommée grandit, et en même temps il redoubla d'arrogance et d'audace. Les malfaiteurs, franchissant les obstacles qui les séparaient de lui, vinrent grossir son armée ; alors il décampa et
ravagea par ses incursions les pays cultivés du royaume, jusqu'à ce qu'il établît son camp devant Khankou, ville importante, située sur un fleuve qui est plus considérable, ou du moins aussi
important que le Tigre. Ce fleuve se jette dans la mer de Chine, à six ou sept journées de Khankou, et les bâtiments venus de Basrah, de Siraf, d'Oman, des villes de l'Inde, des îles de Zabedj,
de Sinf et d'autres royaumes, le remontent avec leurs marchandises et leur cargaison. Le rebelle marcha donc rapidement sur la ville de Khankou, dont la population se composait de musulmans, de
chrétiens, de juifs, de mages et de Chinois, et l'assiégea étroitement. Attaqué par l'armée du roi, il la mit en fuite et livra son camp au pillage ; puis se trouvant à la tête de soldats plus
nombreux que jamais, il s'empara par force de la place, dont il massacra une quantité prodigieuse d'habitants. On évalue à deux cent mille le nombre des musulmans, chrétiens, juifs et mages qui
périrent par le fer ou par l'eau, en fuyant devant l'épée. Cette évaluation peut être parfaitement exacte, attendu que les rois de la Chine font inscrire sur des registres les noms des sujets de
leur empire et des individus appartenant aux nations voisines leurs tributaires, et qu'ils chargent des agents de ce recensement, qui doit toujours les tenir au courant de l'état des populations
soumises à leur sceptre. L'ennemi coupa les plantations de mûriers qui entouraient la ville de Khankou et qu'on y entretenait avec soin, parce que les feuilles de cet arbre servent de nourriture
aux vers qui produisent la soie ; aussi la destruction des mûriers arrêta l'exportation des soies de Chine dans les pays musulmans. Yanchou poursuivit sa marche victorieuse d'une ville à l'autre
; des tribus entières, vouées à la guerre et au pillage, et d'autres qui craignaient la violence des insurgés, se joignirent à lui, et il se dirigea vers Anmou, capitale de l'empire, avec trois
cent mille hommes, cavaliers et fantassins. Le roi marcha à sa rencontre avec près de cent mille soldats d'élite qui lui restaient encore. Pendant environ un mois, les chances de la guerre furent
égales entre les deux armées, qui eurent tour à tour à supporter des revers. Enfin la fortune se déclara contre le roi, qui fut mis en fuite, et, vivement poursuivi, vint se jeter dans une ville
frontière. Le rebelle, maître de l'intérieur de l'empire et de la capitale, fit main basse sur tous les trésors que les anciens rois avaient réservés pour les mauvais jours ; puis il promena la
dévastation dans les campagnes, et détruisit les villes par la force. Sachant bien que sa naissance ne lui permettait pas de se soutenir à la tête du gouvernement, il se hâta de ravager toutes
les provinces, de mettre les fortunes au pillage et de répandre des torrents de sang. De la ville de Med dans laquelle il s'était enfermé et qui était limitrophe du Thibet, le roi écrivit au
souverain des Turcs, Irkhan, pour lui demander du secours. Il l'informa de ce qui lui était arrivé, et lui rappela les devoirs qui lient les rois envers les rois, leurs frères, lorsqu'on réclame
leur assistance, qu'ils ne peuvent refuser sans manquer à l'une des obligations absolues de leur rang. Irkhan lui envoya son fils avec un secours d'à peu près quatre cent mille fantassins et
cavaliers contre Yanchou, dont les progrès devenaient menaçants. Pendant près d'une année, les deux armées eurent entre elles des engagements sans résultat décisif, mais très meurtriers. Yanchou
disparut enfin, sans que l'on sache positivement s'il périt par l'épée ou s'il se noya. Son fils et ses principaux partisans furent faits prisonniers, et le roi de la Chine retourna dans sa
capitale et reprit les rênes du gouvernement. Ce prince reçut de ses sujets le titre honorifique de Bagbour (Fagfour), c'est-à-dire fils du ciel. Toutefois le titre qui appartient aux souverains
de la Chine, et qu'on leur donne toujours en leur parlant, est Tamgama djaban, et non pas Bagbour.
Pendant cette guerre, les gouverneurs de chaque contrée s'étaient rendus indépendants dans leur province, comme les chefs des Satrapies après qu'Alexandre, fils de Philippe de Macédoine, eut tué
Dara, fils de Dara, roi de Perse, et comme cela se passe encore aujourd'hui chez nous, en 332. Le roi de Chine dut se contenter de l'obéissance purement nominale que les gouverneurs lui
accordaient, et du titre de roi qu'ils lui donnaient dans leurs lettres ; mais il ne put pas se porter de sa personne dans toutes ses provinces, ni combattre ceux qui s'en étaient rendus maîtres.
Il se résigna donc à n'exiger d'eux qu'un simple hommage, et, bien qu'ils ne lui payassent aucun tribut, il les laissa vivre en paix ; il fut même obligé de permettre que chacun de ces nouveaux
maîtres attaquât, selon ses forces et son pouvoir, ses voisins. Ainsi l'ordre et l'harmonie qui avaient régné sous les anciens rois cessèrent d'exister.
Les anciens rois avaient un système régulier de gouvernement, et se laissaient guider par la raison dans les
jugements équitables qu'ils rendaient. On raconte qu'un marchand de Samarkande, ville de la Transoxiane, ayant quitté son pays avec une riche pacotille, était venu dans l'Irak. De là il s'était
rendu avec ses marchandises à Basrah, où il s'était embarqué pour le pays d'Oman ; puis il était allé par mer à Killah, qui est à peu près à moitié chemin de la Chine. Aujourd'hui cette ville est
le rendez-vous général des vaisseaux musulmans de Siraf et d'Oman, qui s'y rencontrent avec les bâtiments de la Chine ; mais il n'en était pas ainsi autrefois. Les navires de la Chine se
rendaient alors dans le pays d'Oman, à Siraf, sur la côte de Perse et du Bahrein, à Obollah et à Basrah, et ceux de ces pays naviguaient à leur tour directement vers la Chine. Ce n'est que depuis
qu'on ne peut plus compter sur la justice des gouvernants et sur la droiture de leurs intentions, et que l'état de la Chine est devenu tel que nous l'avons décrit, qu'on se rencontre sur ce point
intermédiaire. Ce marchand s'était donc embarqué sur un bâtiment chinois pour aller de Killah au port de Khanfou. Le roi avait alors, parmi les serviteurs attachés à sa personne, un eunuque en
qui il avait confiance... [voir la suite dans la relation traduite par Reinaud.]
Abou-Zeïd
Mohammed, fils de Iezid, originaire de Siraf, cousin de Mezid Mohammed, fils d'Ebred, fils de Bestacha, gouverneur de cette même ville, homme d'expérience et de discernement,
causant avec moi, Maçoudi, à Basrah où il était venu se fixer l'an 303, me dit qu'il avait interrogé ce Koraïchite, Ibn Habbar, sur la ville de Hamdan, résidence du roi, sur sa physionomie et son
aspect. Ibn Habbar lui avait parlé de l'étendue de cette capitale et du grand nombre de ses habitants, ajoutant qu'elle était divisée en deux parties, séparées par un long et large boulevard. Le
roi, son vézir, le grand juge, les troupes, les eunuques et tout ce qui tient au gouvernement occupent la partie de droite située à l'orient ; aucun homme de la basse classe n'habite parmi eux ;
on n'y voit pas de marchés, mais les rues sont sillonnées, dans toute leur longueur, de canaux bordés d'arbres plantés avec symétrie, et de vastes maisons. La partie gauche, à l'ouest, est
affectée au peuple, aux commerçants, aux magasins d'approvisionnements et aux marchés. A la pointe du jour, je voyais les intendants du roi, ses domestiques, les esclaves et les agents des
gouverneurs se rendre, soit à pied, soit à cheval, dans la moitié de la ville où se trouvent les marchés et les négociants ; ils prenaient là les marchandises et les objets dont ils avaient
besoin, et s'en retournaient sans plus remettre le pied dans ce quartier jusqu'au lendemain. La Chine est un pays charmant, à la végétation luxuriante, et entrecoupé d'innombrables canaux ;
toutefois le palmier ne s'y rencontre pas...
Il nous resterait encore beaucoup de renseignements curieux et de choses intéressantes à communiquer sur les Chinois et sur leur pays ; mais nous y reviendrons plus bas dans cet ouvrage, et nous
en parlerons en gros, bien que nous ayons déjà traité ce sujet d'une manière très complète dans nos Annales historiques et dans notre Histoire moyenne. Au surplus nous avons consigné surtout dans
le présent livre tous les détails que nous avions omis dans ceux que nous venons de citer.
La Chine est arrosée par des fleuves aussi considérables que le Tigre et l'Euphrate, et qui prennent leur source dans le pays des Turcs, dans le Thibet et dans les terres des Sogds, peuple établi
entre Bokhara et Samarkand, là où se trouvent les montagnes qui produisent le sel ammoniac. Durant l'été,
j'ai vu, à une distance d'environ cent parasanges, des feux qui brillaient la nuit au-dessus de ces montagnes ; pendant le jour, grâce aux rayons éclatants du soleil, on ne distingue que de la
fumée ; c'est dans ces montagnes qu'on recueille le sel ammoniac. Lorsque vient la belle saison, quiconque veut aller du Khoraçan en Chine doit se rendre à cet endroit où se trouve une vallée qui
se prolonge, entre les montagnes, pendant quarante ou cinquante milles. À l'entrée de cette vallée il fait marché avec des porteurs qui, pour un prix élevé, chargent ses bagages sur leurs
épaules. Ils tiennent à la main un bâton, avec lequel ils stimulent des deux côtés le voyageur marchant devant eux, de crainte que, vaincu par la fatigue, il ne s'arrête et ne périsse dans ce
passage dangereux. Arrivés au bout de la vallée, ils rencontrent des terrains marécageux et des eaux stagnantes dans lesquelles tous se précipitent pour se rafraîchir et se reposer de leurs
fatigues. Les bêtes de somme ne suivent point cette route, parce que l'ammoniaque s'enflamme pendant l'été et la rend, pour ainsi dire, impraticable. Mais l'hiver, la grande quantité de neige qui
tombe dans ces lieux et l'humidité éteignent cet embrasement, de sorte que les hommes peuvent les traverser ; mais les bêtes ne peuvent endurer cette insupportable chaleur. On exerce la même
violence avec le bâton sur les voyageurs qui viennent de la Chine. La distance du Khoraçan à la Chine, en suivant cette route, est d'environ quarante journées de marche, en passant
alternativement par des pays cultivés et des déserts, des terres fertiles et des sables. Il y a une autre route, accessible aux bêtes de somme, qui est d'environ quatre mois ; les voyageurs y
sont sous la protection de plusieurs tribus turques. J'ai rencontré à Balkh un beau vieillard, aussi distingué par son discernement que par son esprit, qui avait fait plusieurs fois le voyage de
la Chine, sans jamais prendre la voie de mer ; j'ai connu également, dans le Khoraçan, plusieurs personnes qui s'étaient rendues du pays de Sogd au Thibet et en Chine, en passant par les mines
d'ammoniaque.
Le Thibet est un royaume distinct de la Chine ; la population se compose, en grande partie, de Himiarites
mêlés à quelques descendants des Tobba, comme nous le dirons plus bas dans cet ouvrage, en traitant des rois du Yemen, et comme on le lit dans l'Histoire des Tobba. Parmi les Thibétains, les uns
sont sédentaires et habitent dans les villes, les autres vivent sous la tente. Ces derniers, Turcs d'origine, sont les plus nombreux, les plus puissants et les plus illustres de toutes les tribus
nomades de la même race, parce que le sceptre leur appartenait autrefois, et que les autres peuplades turques croient qu'il leur reviendra un jour. Le Thibet est un pays privilégié pour son
climat, ses eaux, son sol, ses plaines et ses montagnes. Les habitants y sont toujours souriants, gais et contents, et on ne les voit jamais tristes, chagrins ou soucieux. On ne saurait énumérer
la variété merveilleuse des fruits et des fleurs de ce royaume, non plus que toutes les richesses de ses pâturages et de ses fleuves. Le climat donne un tempérament sanguin à tout ce qui a vie,
soit parmi les hommes, soit parmi les animaux ; aussi n'y rencontre-t-on presque pas de vieillard morose de l'un ou de l'autre sexe ; la bonne humeur y règne généralement dans la vieillesse et
dans l'âge mûr, tout comme dans la jeunesse et dans l'adolescence. La douceur du naturel, la gaieté, la vivacité qui sont l'apanage de tous les Thibétains les portent à cultiver la musique avec
passion, et à s'adonner à toute espèce de danses. La mort elle-même n'inspire pas aux membres de la famille cette profonde tristesse que les autres hommes ressentent lorsqu'un être chéri leur est
enlevé, et qu'ils regrettent un objet aimé. Ils n'en ont pas moins une grande tendresse les uns pour les autres, et l'adoption des orphelins est un usage général parmi eux. Les animaux sont
également doués d'un bon naturel. Ce pays a été nommé Thibet à cause de l'installation des Himiarites qui s'y sont établis, la racine tabat signifiant se fixer, s'établir. Cette étymologie est
encore la plus probable de toutes celles qui ont été proposées... Dans le chapitre des rois du Yemen, nous donnerons ci-dessous quelques détails historiques sur les princes qui ont régné au
Thibet, et sur ceux d'entre eux qui ont fait de longs voyages. Le Thibet touche à la Chine d'un côté, et des autres côtés à l'Inde, au Khoraçan, et aux déserts des Turcs. On y trouve beaucoup de
villes populeuses, florissantes et bien fortifiées. Dans les temps anciens les rois portaient le titre de tobba du nom de Tobba, roi du Yemen. Puis, les vicissitudes du temps ayant fait
disparaître le langage des Himiarites, pour y substituer la langue des peuples voisins, les rois ont reçu le titre de khakan.
Khakân, roi des Turcs, accorda la main de sa fille et de la fille de son frère à
Anouchirwân. Les rois de l'Inde, du Sind et de tous les pays au nord et au sud, conclurent la paix avec le roi de Perse. Sa puissance, la force de son armée, l'étendue de son empire, ses rapides
conquêtes, la vengeance qu'il avait exercée sur tant de rois, et la justice de son gouvernement, les portèrent à lui envoyer des présents et des ambassadeurs. Le roi de la Chine lui écrivait en
ces termes :
« De la part du Fagfour, maître du château de perles et de pierres précieuses, du palais traversé par deux fleuves qui arrosent les aloès et les camphriers dont le parfum se répand à deux
parasanges à la ronde ; le roi servi par les filles de mille monarques et qui a mille éléphants blancs dans ses écuries, à son frère Kesra Anouchirwân. »
Il lui fit présent d'un cavalier entièrement fait de pierres précieuses ; les yeux du cavalier et de son cheval étaient en rubis ponceau (spinelle) ; une émeraude enrichie de pierreries formait
la poignée de son sabre. Sur sa robe en soie de Chine, rehaussée d'or, était représenté le roi assis dans son Eïwân, avec ses vêtements royaux et sa couronne ; au-dessus de lui se tenaient ses
serviteurs portant des chasse-mouches. Cette scène était en tissu d'or, et le fond de la robe était d'un bleu lapis-lazuli. Cette robe était placée dans une cassette d'or que portait une jeune
fille, dont le visage, d'une beauté éclatante, était voilé par sa longue chevelure. À ce présent étaient jointes d'autres merveilles fabriquées en Chine et que les rois avaient l'habitude de
s'offrir en cadeau.
. . . . . . . . . . . . .
Enfin, tandis que Anouchirwân combattait un de ses ennemis, il reçut dans son camp une lettre du roi du Tibet, dont l'adresse était ainsi conçue :
« Khakân, roi du Tibet et des pays de l'Orient qui confinent à la Chine et à l'Inde, à son frère aussi grand par sa vertu que par sa puissance, le roi de l'empire situé au centre des sept
climats. »
Cette lettre accompagnait différentes curiosités qu'on exporte du Tibet, telles que cent cuirasses tibétaines, cent armures, cent boucliers dorés et quatre mille menn de musc khazaïni (royal)
dans les vessies des chevrettes qui le produisent.
Au rapport de plusieurs savants curieux de connaître ce monde et d'en étudier l'histoire, on
trouve, aux confins de la Chine, un temple de forme circulaire, entouré de sept portes et surmonté d'un dôme heptagone, remarquable par son développement et son élévation. Au sommet du dôme est
placée une espèce de pierre précieuse plus grosse que la tête d'un veau, et dont l'éclat illumine les alentours du temple. Plusieurs rois ont tenté sans succès de s'emparer de cette pierre ; tous
ceux qui s'en approchent, à une distance de dix coudées, tombent roides morts ; si l'on emploie des lances ou d'autres instruments de cette taille, arrivés à la même distance, ils se retournent
et retombent inertes ; les projectiles lancés contre cette pierre ont le même sort ; en un mot, aucun expédient, de quelque nature qu'il soit, ne peut réussir, et quiconque cherche à démolir le
temple expie son audace par une mort subite. D'après certains savants, ce phénomène est produit par l'emploi de pierres magnétiques, douées de propriétés répulsives. Le même temple renferme un
puits dont l'orifice est heptagone ; celui qui a l'imprudence de se trop pencher sur le bord est entraîné, et tombe, la tête la première, jusqu'au fond. Le puits est entouré d'une sorte de
collier, autour duquel on lit cette inscription antique, que je crois en caractères mosned :
« Ce puits conduit aux Archives des livres, là où se trouvent la chronologie du monde, la connaissance des cieux, l'histoire du passé et la révélation de l'avenir. Ce puits mène au dépôt de tous
les trésors de la terre. Mais l'homme qui veut y pénétrer et puiser à ses trésors doit nous égaler en pouvoir, en science et sagesse. Que celui qui pourra arriver au but sache qu'il est notre
égal ; que celui dont les tentatives échoueront sache que notre puissance est supérieure à la sienne, notre sagesse plus grande, notre science plus étendue, notre sagacité plus profonde et notre
vigilance plus complète. »
Le temple ainsi que sa coupole et le puits reposent sur un bloc de silex massif et escarpé comme une montagne, il est également impossible de le renverser et d'y pratiquer des excavations. Dès
qu'on aperçoit le temple, la coupole et le puits, on éprouve à cette vue un sentiment d'effroi et de tristesse, et en même temps une sorte d'attraction inquiète vers cet édifice, et la crainte
qu'il ne soit endommagé ou détruit.
Les caractères en gras ne sont ainsi que pour faciliter la lecture.