Le Livre des Récompenses et des Peines
accompagné de quatre cents légendes, anecdotes et histoires,
qui font connaître les doctrines, les croyances et les mœurs de la secte des Tao-sse.
traduit par
Stanislas JULIEN (1797-1873)
Imprimerie du Crapelet, Paris, pour The Oriental Translation Fund, Londres, 1835, XVI+532 pages.
Extrait de l'avertissement de S. Julien :
- Les sectateurs de Lao-tseu ont composé une multitude d'ouvrages. Mais il n'en est aucun qui jouisse d'une aussi grande autorité, et qui se réimprime aussi souvent que le Kan-ing-p'ien, ou le Livre des Récompenses et des Peines. La propagation de ce livre est considérée comme un des premiers devoirs religieux, comme l'œuvre la plus méritoire et le meilleur moyen d'obtenir tout ce qu'on désire.
- Les Tao-ssé ont donné la plus haute preuve du respect qu'ils ont pour ce livre en l'attribuant à Thaï-chang, c'est-à-dire au
suprême Lao-tseu, qu'ils regardent comme le fondateur de leur secte.
Son commentaire, rédigé par un docteur Tao-ssé, et ses nombreuses légendes et anecdotes qui se transmettent de père en fils, forment une espèce de morale en action qui fait connaître d'une manière instructive et intéressante des doctrines, des croyances et des mœurs sur lesquelles on n'avait jusqu'ici que des idées vagues et incomplètes. Je ne me suis point dissimulé qu'un certain nombre d'anecdotes pourraient paraître puériles, quelquefois même ridicules, mais il n'en est pas une seule qui ne serve à faire ressortir une opinion religieuse, un usage ou une superstition ; et j'ai craint de supprimer, en les omettant, des documents précieux qui appartiennent à l'histoire de l'esprit humain.
LE LIVRE DES RÉCOMPENSES ET DES PEINES DE THAÏ-CHANG
Thaï-chang dit : le malheur et le bonheur de l'homme ne sont point déterminés d'avance ; seulement l'homme s'attire lui-même l'un ou l'autre par sa conduite. la récompense du bien et la punition
du mal les suivent comme l'ombre qui suit les corps.
C'est pour cela qu'il y a au ciel et sur la terre des esprits chargés de rechercher les fautes des hommes, et qui, suivant la légèreté ou la gravité de ces fautes, retranchent de leur vie des
périodes de cent jours. Quand les périodes de cent jours ont été une fois diminuées, la pauvreté les mine peu à peu ; ils sont en butte à une foule de chagrins et d'infortunes ; tous les hommes
les poursuivent de leur haine ; les supplices et les malheurs les accompagnent ; le bonheur et la joie les fuient, et des astres sinistres leur envoient des calamités. Quand toutes les périodes
de cent jours sont épuisées, ils meurent !
Il y a encore les trois conseillers, et le boisseau du nord, le prince des esprits, qui sont placés au-dessus de la tête des hommes. Ils inscrivent sur un livre leurs crimes et leurs fautes, et
leur retranchent des périodes de douze ans et de cent jours.
Il y a encore trois esprits appelés san-chi, qui résident au-dedans de notre corps. Aussitôt que le jour keng-chin est arrivé, ils montent au palais du ciel, et rendent compte des crimes et des
fautes des hommes.
Le dernier jour de la lune, l'esprit du foyer en fait autant.
Quand un homme commet une grande faute, on lui retranche douze ans ; s'il en commet une légère, on lui retranche cent jours.
Il y a plusieurs centaines de grandes et de petites fautes. Il faut d'avance les éviter avec soin, si l'on veut obtenir l'immortalité.
Avancez dans la bonne voie, et reculez devant la mauvaise voie.
Ne foulez point un sentier tortueux.
Ne trompez point dans le secret de la maison.
Accumulez des vertus, et entassez des mérites.
Montrez-vous humains envers les animaux.
Pratiquez la droiture et la piété filiale, ayez de l'affection pour vos frères cadets et du respect pour vos aînés.
Rectifiez votre cœur, afin de convertir les autres.
Ayez pitié des orphelins, et montrez de la compassion pour les veuves.
Respectez les vieillards et chérissez les jeunes enfants.
Ne faites pas de mal, même aux insectes, aux plantes et aux arbres.
Vous devez compatir aux malheurs des autres.
Réjouissez-vous des avantages des autres.
Secourez les hommes dans leurs besoins.
Sauvez les hommes dans le danger.
Réjouissez-vous des succès des autres, et affligez-vous de leurs revers, comme si vous vous trouviez à leur place.
Ne divulguez pas les imperfections des autres.
Ne vous vantez pas de votre supériorité.
Arrêtez le mal, et exaltez le bien.
Cédez beaucoup, et prenez peu pour vous-même.
Ne vous irritez point quand vous avez reçu un affront.
Recevez les faveurs des princes avec un sentiment de crainte.
Accordez des bienfaits sans en attendre de récompense.
Donnez sans en éprouver de regret.
Voilà ce qui s'appelle être un homme vertueux.
Tous les hommes le respectent.
La providence le protège.
Le bonheur et les emplois l'accompagnent.
Tous les démons s'éloignent de lui.
Les esprits célestes l'entourent et le défendent.
Il réussit dans toutes ses entreprises.
Il peut espérer de devenir immortel.
Si l'on veut devenir un immortel du ciel, il faut faire mille trois cents bonnes œuvres ; si l'on veut devenir un immortel de la terre, il faut faire trois cents bonnes œuvres.
Former des pensées contraires à la justice, et agir contre la raison.
Regarder la méchanceté comme une preuve de talent.
Avoir un cœur inhumain, et traiter les autres avec cruauté.
Nuire secrètement aux hommes vertueux.
Mépriser en secret son prince et ses parents.
Manquer de respect à ses professeurs.
Se révolter contre ceux que l'on sert.
Profiter de l'ignorance des hommes pour les tromper par des paroles mensongères.
Calomnier ses condisciples.
Inventer des choses fausses, employer l'artifice et la fraude.
Divulguer les fautes de ses parents.
Être dur, violent et inhumain.
Satisfaire ses caprices avec une méchanceté opiniâtre.
Violer la justice dans l'appréciation du bien et du mal.
Ne pas savoir distinguer les personnes qu'il faut rechercher ou fuir.
Faire du mal à ses inférieurs pour acquérir du mérite.
Flatter ses supérieurs et chercher à leur complaire.
Ne pas être reconnaissant des bienfaits qu'on a reçus.
Penser sans cesse à son ressentiment.
Faire peu de cas de la vie du peuple.
Mettre le désordre dans l'administration du royaume.
Accorder des récompenses à ceux qui ne les ont point méritées.
Infliger des châtiments à ceux qui n'ont commis aucun crime.
Tuer les hommes pour s'emparer de leurs richesses.
Renverser les autres pour s'emparer de leurs places.
Tuer les ennemis qui se rendent, et massacrer ceux qui viennent se soumettre.
Exiler les hommes vertueux et faire destituer les sages.
Insulter les orphelins et opprimer les veuves.
Violer les lois, et recevoir des présents.
Donner tort à celui qui a raison, et donner raison à celui qui a tort.
Mettre les fautes au rang des crimes.
S'emporter avec colère contre les hommes qu'on voit conduire à la mort.
Connaître ses fautes et ne pas s'en corriger.
Connaître ce qui est bien et ne pas le faire.
Rejeter ses propres crimes sur les autres.
Arrêter l'exercice des arts et des métiers.
Railler et calomnier les saints et les sages.
Insulter et traiter avec cruauté ceux qui se livrent à l'étude de la raison et de la vertu.
Lancer des flèches aux oiseaux, et chasser les quadrupèdes.
Faire sortir les insectes de leurs trous, effrayer les oiseaux qui sont endormis sur les arbres.
Boucher les trous des insectes, détruire les nids des oiseaux.
Tuer les femelles qui portent, briser les œufs des oiseaux.
Désirer que les autres hommes éprouvent des pertes.
Détruire le mérite acquis par les autres.
Exposer les autres hommes au danger, pour se mettre soi-même en sûreté.
Chercher son avantage aux dépens des autres.
Donner de mauvaises marchandises en échange de bonnes.
Abandonner le bien public par des motifs privés.
Usurper les talents des autres.
Cacher les bonnes qualités des autres.
Faire ressortir les défauts des autres.
Mettre au jour les affaires cachées des autres hommes.
Consumer sourdement la fortune des autres.
Séparer les parents qui sont unis comme la chair et les os.
S'emparer des choses auxquelles les autres hommes sont attachés.
Aider les hommes à faire le mal.
S'abandonner à la violence de son caractère, et chercher à en imposer par sa puissance.
Faire affront aux autres hommes pour l'emporter sur eux.
Détruire les grains qui sont en herbe ou en pleine maturité.
Rompre les mariages des autres.
S'enrichir par des voies illicites, et s'enorgueillir de sa fortune.
Échapper par bonheur au supplice, et ne pas rougir de ses crimes.
S'attribuer les bienfaits des autres, et rejeter ses fautes sur eux.
Faire épouser aux autres son propre malheur, et leur vendre ses mauvaises actions.
Acheter des louanges mensongères.
Cacher un cœur perfide.
Rabaisser les hommes d'un mérite supérieur.
Couvrir ses imperfections.
Profiter de sa puissance pour violenter ou opprimer les autres.
S'abandonner à la cruauté, blesser et massacrer.
Tailler des étoffes sans motif d'utilité.
Tuer des animaux domestiques et les faire cuire, sans y être obligé par les rites.
Laisser perdre ou jeter les cinq sortes de grains.
Harasser et faire souffrir les hommes et les animaux.
Ruiner les propriétés des autres, et s'emparer de leurs richesses.
Ouvrir les digues des rivières, et allumer des incendies pour ravager les habitations des autres.
Bouleverser les plans et les projets des autres pour détruire leurs exploits.
Gâter les outils des autres hommes pour les mettre dans l'impossibilité de s'en servir.
Lorsqu'on voit les autres comblés de gloire et d'honneurs, désirer qu'ils soient exilés ou chassés de leur pays.
Lorsqu'on voit les autres posséder de grandes richesses, désirer qu'ils les perdent ou les dissipent.
Voir la beauté des autres, et former le désir de les posséder en secret.
Désirer la mort de ceux à qui l'on doit de l'argent.
Détester et maudire ceux qui n'ont pas voulu satisfaire à nos demandes.
Voir les échecs des autres, et les attribuer à leurs fautes.
Voir les infirmités corporelles des autres, et les tourner en ridicule.
Voir dans les autres des talents et une capacité dignes d'éloges, et mettre des obstacles à leur avancement.
Cacher l'effigie d'un homme pour lui donner le cauchemar.
Faire périr les arbres à l'aide de drogues empoisonnées.
Conserver de la haine contre son professeur.
Résister à son père et à ses frères aînés, et les offenser ouvertement.
Prendre une chose de force, ou demander ce qui n'est pas dû.
Aimer à empiéter secrètement sur le bien d'autrui, ou à s'en emparer de vive force.
S'enrichir par le vol et la rapine.
Employer la ruse et la fraude pour obtenir de l'avancement.
Décerner des récompenses et des peines dans une proportion injuste.
S'abandonner sans mesure aux aises et aux jouissances de la vie.
Rechercher minutieusement les fautes de ses inférieurs, et les maltraiter.
Frapper les autres de crainte et de terreur.
Murmurer contre le ciel, et inculper les autres hommes.
Laisser échapper des malédictions et des injures contre le vent et la pluie.
Faire naître entre les autres des querelles et des procès.
Entrer follement dans la société des méchants.
Écouter les paroles de sa femme ou de sa concubine.
Désobéir aux instructions de son père et de sa mère.
Laisser les choses anciennes des qu'on en a de nouvelles.
Parler autrement qu'on ne pense.
Demander des richesses avec une aveugle cupidité, et avoir recours à la fraude pour tromper ses supérieurs.
Inventer des propos calomnieux pour perdre les hommes de bien.
Diffamer les autres, et se dire un homme droit et sincère.
Blasphémer les esprits, et se dire un homme vertueux.
Renoncer aux devoirs que prescrit la raison, et s'étudier à faire tout ce qui la blesse.
Tourner le dos à ses proches parents, et rechercher ses parents éloignés.
Montrer le ciel et la terre, et les prendre à témoin de ses relations criminelles.
Appeler les regards pénétrants des dieux sur sa conduite dépravée.
Se repentir de ses aumônes ou de ses dons.
Emprunter et ne pas rendre.
Chercher à obtenir au-delà du lot qu'on a reçu du ciel.
Employer toute sa puissance pour venir à bout de ses desseins.
Se livrer sans mesure à la volupté.
Avoir la bonté sur le visage et la cruauté dans le cœur.
Faire manger aux autres des aliments infects.
Égarer la multitude par de fausses doctrines.
Se servir d'un pied trop court, d'une aune trop étroite, d'une balance trop légère, d'un boisseau trop petit.
Falsifier des marchandises de bonne qualité.
Recueillir des profits frauduleux.
Forcer les personnes de bonne famille à exercer de vils emplois.
Tromper les hommes simples, et leur tendre des pièges.
Désirer le bien d'autrui avec une avidité insatiable.
Faire des serments à la face des dieux pour protester de sa droiture.
Aimer le vin avec passion, et s'abandonner au désordre.
Disputer avec colère contre ses plus proches parents.
Être homme, et n'avoir ni sincérité, ni droiture.
Être femme, et n'avoir ni douceur ni obéissance.
Ne pas vivre en bonne intelligence avec sa femme.
Ne pas respecter son mari.
Aimer à se vanter en toute occasion.
S'abandonner sans cesse à la jalousie et à l'envie.
Ne pas se conduire sagement envers sa femme et ses fils.
Manquer à ses devoirs envers le père et la mère de son mari.
Montrer du mépris pour les âmes de ses ancêtres.
Résister aux ordres de ses supérieurs.
Faire des choses qui n'ont aucune utilité.
Cacher un cœur double.
Faire des imprécations contre soi-même et contre les autres.
Être injuste dans son amour et dans sa haine.
Sauter par-dessus les puits, sauter par-dessus le foyer.
Passer par-dessus les aliments, passer par-dessus les hommes.
Faire périr des enfants après leur naissance ou avant qu'ils ne voient le jour.
Faire beaucoup de choses clandestines ou extraordinaires.
Chanter et danser le premier jour de la lune ou le dernier jour de l'année.
Pousser des clameurs ou se mettre en colère le premier jour de la lune ou le matin.
Pleurer, cracher et lâcher de l'eau du côté du nord.
Chanter et pleurer devant le foyer. Brûler des parfums avec du feu pris au foyer. Préparer les aliments avec du bois sale.
Rester nu et découvert lorsqu'on se lève la nuit.
Infliger des supplices aux huit époques appelées Pa-tsié.
Cracher contre les étoiles qui coulent.
Montrer du doigt l'arc-en-ciel. Montrer brusquement les trois clartés. Regarder longtemps le soleil et la lune.
Chasser au printemps après avoir brûlé les broussailles.
Proférer des injures du coté du nord. Tuer sans motif des tortues et des serpents.
Le dieu qui préside à la vie, inscrit toutes ces sortes de crimes, et suivant qu'ils sont graves ou légers, il retranche des périodes de douze ans ou de cent jours. Quand le nombre des jours est
épuisé, l'homme meurt ; et si, au moment de sa mort, il lui restait encore quelque faute à expier, il fait descendre le malheur sur ses fils ou ses petit-fils.
Toutes les fois qu'un homme prend injustement les richesses des autres, les esprits évaluent le nombre de ses femmes et de ses enfants, et les font mourir peu à peu pour établir une sorte de
compensation. Si les personnes de sa maison ne meurent pas, les désastres de l'eau et du feu, les voleurs, les fripons, la perte de ses effets, les maladies, la médisance ou les dénonciations,
lui enlèvent l'équivalent de ce qu'il avait pris injustement.
Ceux qui font périr des hommes innocents, ressemblent à des ennemis qui échangent leurs armes et se tuent les uns les autres.
Celui qui prend injustement les richesses d'autrui, ressemble à un homme qui voudrait apaiser sa faim avec de la viande corrompue, ou sa soif avec du vin empoisonné. Quoiqu'il réussisse pour un
instant, la mort ne tarde pas à l'atteindre.
Si votre cœur forme une bonne intention, quoique vous n'ayez pas encore fait le bien, les bons esprits vous accompagnent. Si votre cœur forme une mauvaise intention, quoique vous n'ayez pas
encore fait le mal, les mauvais esprits vous accompagnent.
Si l'homme qui a fait le mal se repent ensuite et se corrige, s'il s'abstient des mauvaises actions et accomplit toute sorte de bonnes œuvres, à la longue il obtiendra la joie et la félicité.
C'est ce qu'on appelle changer le malheur en bonheur.
C'est pourquoi l'homme de bien est vertueux dans ses paroles, dans ses regards, dans ses actions. Si chaque jour on remarque en lui ces trois choses vertueuses, au bout de trois ans le ciel ne
manque jamais de lui envoyer le bonheur. Le méchant est vicieux dans ses paroles, dans ses regards, dans ses actions. Si chaque jour on remarque en lui ces trois choses vicieuses, au bout de
trois ans le ciel ne manque jamais de lui envoyer le malheur.
Comment ne s'efforcerait-on pas de faire le bien ?
Il y avait un homme du département de Souï-ning-fou, dont le nom de famille était Tcheou, et dont le surnom était Hou. S'étant procuré le Livre des Récompenses et des Peines, il le lisait tous
les jours, et ne cessait de le développer et de l'expliquer aux autres hommes. Un jour, il mourut subitement. Il ressuscita le lendemain, et dit à sa femme :
— J'ai été emporté dans l'autre monde, et j'ai vu debout devant le tribunal, des hommes couverts de haillons. C'étaient en grande partie des gens du même village que moi, qui étaient morts de
faim. A ce spectacle, j'ai été saisi d'une crainte profonde. Celui qui était assis au tribunal, ressemblait exactement à ces génies des étoiles qu'on nous peint sur la terre. Il m'appela par mon
nom, et, m'ayant fait approcher, il me parla en ces termes :
« Dans l'origine, tu étais au nombre des hommes qui doivent mourir de faim ; mais tu as été pénétré de respect pour le Livre des Récompenses et des Peines de Thaï-chang, tu as mis ton plaisir à
le développer aux autres hommes ; et quoique tu n'aies pas encore pratiqué un ou deux de ses préceptes, cependant, parmi les hommes qui t'ont entendu l'expliquer, il y en a beaucoup qui se sont
convertis, et qui sont revenus au bien ; il y en a même plusieurs qui ont observé fidèlement les maximes qu'il renferme, et qui sont devenus immortels. C'est à ta conduite méritoire que doivent
être attribués ces heureux effets. Aujourd'hui tu te trouves amené ici au milieu de tous ces malheureux ; mais, pour te récompenser, je prolonge l'espace de temps qui t'était fixé dans le livre
de la vie, et je te renvoie sur la terre. Il faut que tu fortifies ton cœur dans le bien, afin de pouvoir rendre témoignage à la vérité du tao. Tu n'as pas besoin de revenir ici.
Secourez les hommes dans leurs besoins.
Tchang-yen-ming était habile dans la médecine. Quand un pauvre venait lui demander des médicaments, il n'exigeait jamais d'argent, mais, au contraire, il les lui offrait de lui-même. Quand un
homme riche venait lui demander des médicaments, il lui en donnait autant qu'il en voulait, sans s'embarrasser du prix. Si l'on venait le prier d'aller visiter un malade, il partait sur-le-champ,
sans s'occuper de la longueur du chemin. Un homme étant venu réclamer ses soins pendant une nuit où il neigeait, les personnes de sa maison l'engagèrent à ne pas tant se presser de partir.
— Le malade est dans son lit, répondit Tchang, et il attend que je vienne le sauver ; comment pourrais-je tarder un seul instant ?
Dans la suite, ses fils et ses petits-fils obtinrent de brillants emplois.
Voilà ce qu'on appelle secourir les malades dans les besoins pressants de la maladie.
Le bonheur et les emplois l'accompagnent.
Sous la dynastie des Ming, un ami de Youen-lieou-tchoang avait un jeune domestique rempli de finesse et d'habileté. Youen soupçonna qu'il voulait attenter à la vie de son maître, et avertit son
ami, qui ne put s'empêcher de le chasser.
Un jour que celui-ci se reposait dans un temple, il aperçut, dans l'angle d'un mur, une soutane toute déchirée, dans laquelle se trouvaient plusieurs centaines d'onces d'or et d'argent. Il se dit
en lui-même : « Que ma destinée est malheureuse ! Je suis réduit à la condition d'esclave, et encore me voilà chassé par mon maître. Si je m'empare de cette somme, le ciel me poursuivra avec une
nouvelle rigueur. »
A ces mots, il s'assit en attendant la personne qui avait laissé cet argent. Quelque temps après, il vit accourir une femme qui lui dit en pleurant :
— Mon mari a commis un crime qui entraîne la peine de mort. Hier j'ai vendu mes propriétés, et j'ai même emprunté de l'argent pour gagner le Tchi-hoeï, et obtenir la délivrance de mon mari. Si je
ne retrouve pas aujourd'hui la somme que j'ai perdue, c'en est fait de sa vie et de la mienne !
Le domestique lui rendit la somme entière.
La femme, touchée de cette belle action, alla la raconter à tout le monde. Le Tchi-hoeï l'interrogea, et fut rempli d'admiration en entendant son récit. Il prit le jeune domestique chez lui ; et
comme il était fort avancé en âge et qu'il n'avait point d'enfants, il l'adopta pour son fils, et lui transmit l'héritage de sa charge, qui le rangeait parmi les magistrats de troisième
classe.
S'abandonner sans cesse à la jalousie et à l'envie.
Lieou-chi, femme de Tou-tch'ang, était extrêmement jalouse. Une servante nommée Kin-khing, ayant lavé les cheveux de Tou-tch'ang, Lieou-chi lui coupa deux doigts. Mais bientôt après, Lieou-chi
fut mordue par un renard, et perdit aussi deux doigts. Il y avait une autre servante nommée Iu-lien, que Tou-tch'ang aimait à cause de sa voix harmonieuse. Lieou-chi lui coupa le bout de la
langue. Mais quelque temps après, Lieou-chi eut un ulcère à la langue. Elle fit appeler un religieux appelé Tcheou, et demanda le pardon de ses fautes.
— Madame, lui dit-il, vous avez perdu deux doigts, et il vous est venu un ulcère à la langue, parce que vous avez coupé les doigts et la langue à vos servantes ; mais si vous en éprouvez un
sincère repentir, vous pourrez encore échapper au malheur.
Lieou-chi se prosterna aux pieds du religieux, et pria avec larmes pendant sept jours. Au bout de ce temps, le religieux lui fit ouvrir la bouche, et il en sortit deux serpents qui avaient un
pied de long. Tcheou prononça quelques prières, et les fit tomber à terre. Au même instant, la langue de Lieou-chi fut guérie. Dès ce moment, elle n'osa plus s'abandonner à la jalousie.
Montrer brusquement les trois clartés.
Autrefois le pays de Tsin-ling fut désolé par la sécheresse. Le gouverneur, nommé Tseng-kong, ayant prié le Ciel avec un sincère respect, il vit en songe un esprit qui lui dit :
— Demain un vieillard entrera avec un parasol par la porte de l'ouest. Pressez-le de prier pour obtenir de la pluie, et le Ciel exaucera vos vœux. La puissance surnaturelle de cet homme vient de
son parasol.
Le lendemain, le gouverneur envoya un homme à la porte de l'ouest, et lui ordonna d'attendre le vieillard, qui vint en effet. Tseng-kong le combla de présents, et le supplia de prier le Ciel pour
demander de la pluie. Le vieillard fut effrayé de cette demande, et fit tous ses efforts pour s'en excuser. Mais le gouverneur lui ayant raconté le songe qu'il avait eu, il se vit obligé de céder
à ses instances. Il monta sur une estrade, brûla des parfums, et invoqua le Ciel. Il jura de se brûler s'il ne pleuvait pas au bout de trois jours. On entoura l'estrade de bois et de fascines, et
on attendit la décision du Ciel. Le troisième jour, il tomba une pluie abondante qui couvrit tous les champs d'un pied d'eau. Tseng-kong témoigna sa reconnaissance au vieillard, puis il lui
demanda ce que son parasol avait d'extraordinaire.
— J'ai quatre-vingts ans, lui répondit le vieillard, et pendant toute ma vie j'ai constamment respecté le Ciel, la Terre et les trois Clartés. Lorsqu'en voyage je me sens pressé par un besoin, je
me couvre avec ce grand parasol que je porte, pour ne point souiller les trois Clartés.
On voit par là combien sont coupables ceux qui montrent brusquement les trois Clartés.