Histoire de la ville de Khotan
tirée des Annales de la Chine
suivie de Recherches sur la substance minérale appelée par les Chinois pierre de iu
Traduction Jean-Pierre Abel-Rémusat (1788-1832)
Doublet, imprimeur, Paris, 1820, 258 pages.
- Préface : "Le morceau dont je publie la traduction est du nombre des matériaux que j'ai rassemblés pour servir à la rédaction de mes Recherches sur les langues tartares. Après en avoir tiré ce qui était relatif à la littérature, j'ai cru qu'on pourrait voir avec quelque intérêt la partie historique et géographique, qui était étrangère au plan de mon ouvrage sur les langues, et je me suis décidé à la traduire en entier."
- "En effet, de tous les pays sur lesquels les Européens n'ont encore aucun renseignement précis, et qui sont décrits par les géographes chinois, il n'y en a guère qui soient plus dignes de fixer notre attention que la contrée improprement nommée petite Boukharie, où sont situées les villes de Khotan, de Yerkiyang, et de Kaschgar ou Khasigar. On ignore encore si ce pays, qui a servi depuis longtemps de passage au commerce entre la Perse et la Chine, et qui a reçu de bonne heure les doctrines indiennes, a été primitivement peuplé par les Tartares, par les Hindous, par les Sartes ou les anciens Tadjiks. Toutes ces races mêlées paraissent s'y retrouver encore de nos jours ; mais il serait intéressant de connaître les circonstances qui les y ont conduites."
- "En particulier l'histoire de Khotan m'a semblé mériter d'être recherchée. On ne trouve guère que de simples mentions de cette ville dans les écrivains arabes et persans ; mais son nom revient souvent chez les poètes, parce qu'on tire de son territoire le musc, dont le parfum et la belle couleur noire fournissent tant de lieux communs à la poésie orientale. Khotan a d'autres titres à l'attention des historiens. Cette ville a été la capitale d'un État qui paraît avoir conservé son indépendance jusqu'à l'invasion des Mongols. Ses environs étaient couverts de monastères où les bouddhistes des pays plus orientaux allaient chercher les livres sacrés et les traditions de leur croyance. Les rivières qui arrosaient le pays, arrachaient du flanc des monts Himâlaya la célèbre pierre de Kasch, ou le jaspe antique, qui, dès les premiers âges du monde, était transporté de là dans toute l'Asie. Des rapports religieux et commerciaux étaient entretenus avec l'Inde, au travers du Kaschemire et des montagnes de neige. Les noms des lieux, dans cette partie de la Tartarie, étaient samskrits, et on les reconnaît encore dans les transcriptions que les Chinois en ont faites. Toutes ces particularités font désirer des éclaircissements ; elles font naître des questions."
Extraits : Sous les seconds Han - Sous les 'Weï septentrionaux - Sous les Thang - Les tributs sous les Soung
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La seizième année Young-phing du règne de Ming-ti (73 après J.-C.), Pan-tchao fut nommé
généralissime et commandant des contrées occidentales. Le roi de Iu-thian Kouang-te, se soumit.
La capitale du pays de Iu-thian est la ville occidentale. Elle est à 5.300 li du siège du gouvernement général de la Tartarie, et à 11.700 li de Lo-yang. On y compte 32.000 familles, 83.000
personnes, et plus de 30.000 soldats. Vers la fin du règne de Kian-wou, le roi de So-khiu étant devenu très puissant, soumit le pays de Iu-thian, et réduisit le roi Iu-lin au rang de roi de
Li-koueï. Dans les années Young-phing de l'empereur Ming-ti (58-75 de J.-C.), un général du pays de Iu-thian, nommé Hieou-mou-pa, révolta contre le prince de So-khiu, et prit le titre de roi de
Iu-thian. À la mort de Hieou-mou-pa, le fils de son frère aîné, Kouang-te, lui succéda. Il détruisit à son tour le royaume de So-khiu, et rendit au pays son ancienne splendeur. Treize États,
situés vers le nord-ouest, jusqu'à Kaschgar, lui furent soumis. Vers le même temps le roi des Chen-chen commença aussi à devenir puissant. Depuis lors, ces deux pays furent les clefs de la route
méridionale qui conduit des montagnes Bleues aux contrées situées à l'orient.
On lit dans la vie de Pan-tchao, que la seizième année Young-phing (73), le général des chars, Teou-kou, fut chargé d'aller combattre les Hioung-nou. En même temps Pan-tchao fut fait commandant
de la cavalerie, et envoyé dans les contrées occidentales avec quelques autres officiers. Le roi des Chen-chen donna son fils en otage, et plusieurs autres se soumirent à Pan-tchao. On demanda
alors qu'un général fût choisi pour commander dans les pays de l'Occident, et l'empereur nomma Pan-tchao, auquel il donna le titre de généralissime. Dans ce temps, le roi de Iu-thian, Kouang-te,
venait d'attaquer et de soumettre le pays de So-khiu, et il commandait la route du midi. Les Hioung-nou envoyèrent un officier pour défendre le pays de So-khiu. Pan-tchao marcha vers l'ouest pour
arriver à Iu-thian avant les Hioung-nou. Kouang-te n'était pas un prince très instruit des devoirs de la politesse, et de plus il avait une grande confiance aux devins. Ceux-ci lui dirent que
l'Esprit (Dieu) était irrité du projet qu'il avait de s'unir aux Chinois ; que le général des Chinois avait des chevaux bai-clair, et qu'il fallait se hâter de lui en demander, pour en faire un
sacrifice. Kouang-te envoya demander des chevaux à Pan-tchao, mais ce général qui était averti du dessein des devins, répondit qu'il fallait que ceux-ci vinssent les prendre eux-mêmes. Il y en
eut quelques-uns qui y allèrent, et Pan-tchao leur fit trancher la tête. Quand Kouang-te l'eut appris, et qu'il sut de plus que Pan-tchao, parvenu au pays des Chen-chen, avait déjà soumis et
châtié les chefs des Tartares, il fut saisi d'une grande frayeur : il attaqua et tua le général hioung-nou, et se soumit à Pan-tchao. Celui-ci lui accorda de grandes récompenses, et mit une
garnison dans ses États.
La sixième année Young-kian du règne de Chun-ti (131), l'automne, à la neuvième lune, le roi de Iu-thian envoya un de ses officiers offrir un
tribut. C'est ce qu'on lit dans la Vie de Chun-ti ; il est dit de plus, dans la Notice sur les contrées occidentales, que la quatrième année Young-kian (129), Fang-thsian, roi de Iu-thian, avait
tué le roi de Kiu-mi, et mis à sa place son fils. Il voulut envoyer une ambassade avec un tribut. Le gouverneur de Thun-hoang demanda que le roi de Iu-thian fût puni. L'empereur voulut bien lui
pardonner à condition qu'il rendrait les États du roi de Kiu-mi. Fang-thsian s'y refusa. Mais la sixième année, il envoya un de ses officiers pour offrir ses excuses et présenter un tribut.
La seconde année Youan-kia du règne de Houan-ti (152), au printemps, à la première lune, le gouverneur-général des contrées occidentales,
Wang-king, fut tué par le roi de Iu-thian. Ce fait est rapporté dans la Vie de Houan-ti, et raconté plus au long dans la Notice sur les contrées occidentales. La première année Youan-kia (151),
le gouverneur-général de Tchao-phing était mort à Iu-thian, du charbon. Son fil, qui accompagnait la pompe funèbre, étant passé dans les États du roi de Kiu-mi, celui-ci, qui avait une inimitié
contre Kian, roi de Iu-thian, dit au fils du mort que les médecins étrangers, au service du roi de Iu-thian, avaient empoisonné les plaies de son père, et que c'était là ce qui l'avait fait
mourir. Le flls de Tchao-phing le crut ; et en entrant sur les terres de l'empire, il accusa Kian auprès de Ma-tha, gouverneur de Thun-hoang (actuellement Cha-tcheou). L'année suivante, on nomma
Wang-king pour succéder à Tchao-phing dans la charge de gouverneur-général. Ma-tha engagea le nouveau gouverneur à prendre secrètement des informations sur le fait qui lui avait été dénoncé. Mais
Wang-king étant passé d'abord chez Tchhing-koue, roi de Kiu-mi, celui-ci lui dit :
— Les habitants de Iu-thian souhaitent de m'avoir pour roi ; si, dans ce moment, on profitait du crime de Kian pour avoir occasion de le faire mourir, Iu-thian ne manquerait pas de se
soumettre.
Wang-king, qui ne souhaitait que d'acquérir du renom, entra dans les vues de Tchhing-koue ; et quand il fut arrivé à Iu-thian, il prépara un festin auquel il invita Kian dans le dessein de
s'emparer de lui. Quelqu'un avertit Kian du dessein de Wang-king ; mais ce prince dit :
— Je n'ai rien à me reprocher : pourquoi le gouverneur-général voudrait-il me faire mourir ?
Et le lendemain matin, il alla chez Wang-king, suivi de plusieurs dizaines d'officiers. À table, au moment où le prince se leva pour boire, Wang-king fit un signal, et ceux qui entouraient Kian
se saisirent de lui. On n'avait pas intention de le tuer ; tous ceux de sa suite s'échappèrent. Alors un des conseillers de Tchhing-koue, nommé Thsin-mou, entra dans l'assemblée l'épée à la main,
et dit:
— La grande affaire est décidée : qu'est-il besoin de délibérer ?
Et il coupa la tête à Kian. Cependant le gouverneur de Iu-thian, Chu-pe, et quelques autres, assemblèrent à la hâte des troupes, et vinrent attaquer Wang-king. Celui-ci monta sur le haut de la
maison, et tenant à la main la tête de Kian, il cria que l'empereur lui avait ordonné de punir de mort Kian. Mais le gouverneur fit mettre le feu à la maison, massacra les gardes, et étant monté
au haut de la maison, il coupa la tête à Wang-king, et la fit suspendre dans le marché. Chu-pe eut voulu se faire proclamer roi ; mais les habitants du pays le tuèrent, et élevèrent au trône le
fils de Kian, nommé 'An-koue. Ma-tha ayant appris ces nouvelles, voulut assembler toutes les troupes de son département, et marcher sur Iu-thian pour en châtier les habitants. Mais l'empereur
Houan-ti ne le permit pas : on rappela même Ma-tha, et Soung-liang fut nommé à sa place gouverneur de Thun-hoang. En arrivant à son gouvernement, Soung-liang envoya ordre à ceux de Iu-thian de
tuer eux-mêmes Chu-pe, et de lui apporter sa tête. À cette époque, il y avait déjà plus d'un mois que Chu-pe était mort. On coupa donc la tête à un autre homme, et on l'envoya à Thun-hoang sans
dire ce qui en était. Soung-liang l'apprit par la suite ; mais il ne put faire sortir des troupes pour tirer vengeance de cette supercherie. Les habitants de Iu-thian en conçurent beaucoup de
confiance et devinrent très orgueilleux.
La sixième année Thaï-phing-tchin-kiun du règne de Thaï-wou-ti (445), il parut un décret
qui ordonna la punition du Thou-kou-hoen Mou-li-yan. Celui-ci se réfugia dans le pays de Iu-thian, dont il tua le roi.
La Notice sur Iu-thian donne, au sujet de cet événement, les détails suivants : Le royaume de Iu-thian est au nord-ouest du Thsieï-mo, et au nord des montagnes Bleues, à plus de 200 li. À l'est,
il est éloigné du pays des Chen-chen, de 1.500 li ; au midi, il est à 2.000 li du royaume des femmes ; à l'ouest, il est à 1.000 li de Tchu-kiu-pho ; au nord, il est à 1.400 li du pays des
Koueï-tseu. De Taï, on compte 9.800 li. Ce pays peut avoir mille li d'étendue. Il est voisin de plusieurs chaînes de montagnes. La capitale a huit à neuf li. Dans tout le pays, il y a cinq
grandes villes et plusieurs dizaines de petites. À l'orient de la ville, à la distance de 30 li, il y a un fleuve nommé Mou-pa (selon d'autres Cheou-pa), dans lequel on trouve de la pierre de iu.
La terre est fertile en toutes sortes de grains, en mûriers, en chanvre. Dans les montagnes, on trouve beaucoup de beau iu. Il y a aussi de bons chevaux, des chameaux et des mulets.
D'après les lois du pays, les meurtriers sont punis de mort. Les autres coupables sont punis selon la gravité ou la légèreté de leurs crimes. Du reste, leurs mœurs, comme les productions de leur
pays, ont quelque analogie avec celles des Koueï-tseu. Ils sont très dévots à Bouddha, et ils ont un très grand nombre de temples, de tours, de religieux et de religieuses. Le roi est encore plus
dévot que les autres : chaque jour de fête il se purifie lui, ses vêtements et ses aliments.
Au midi de la ville à 50 li, on voit le temple de Tsan-ma, bâti autrefois par le rahan et mendiant Lou-tchen, et que les rois ont achevé et embelli pour en faire la demeure de Feou-thou. On voit
sur une pierre l'empreinte du pied nu de Pi-tchi-fo, encore bien conservée. À cinq li à l'ouest de Iu-thian, est le temple de Pi-ma. On dit que c'est en cet endroit que Lao-tseu, ayant converti
les barbares à sa doctrine, devint lui-même Bouddha.
Ces peuples ne connaissent ni la politesse, ni la justice. Il y a chez eux beaucoup de voleurs, d'adultères et d'autres gens corrompus. À partir de Kao-tchhang, en allant vers l'occident, tous
les gens de ces pays ont les yeux enfoncés, et le nez proéminent. Il n'y a que les habitants de ce pays dont la figure n'est pas très étrange, et ressemble beaucoup à celle des habitants de la
Chine. À l'orient de la ville, à vingt li, il y a une grande rivière qui coule vers le nord, et qu'on nomme Chou-tchi ; c'est le fleuve Jaune. On le nomme aussi Ki-chi . À l'ouest de la ville, à
50 li, il y a une autre grande rivière qu'on nomme Tha-li ; elle se réunit avec le Chou-tchi, et coule du côté du nord.
Dans les années Tchin-kiun, Chi-tsou ordonna à Kao-liang et à Wang-na d'attaquer Mou-li-yan, chef des Thou-kou-hoen : celui-ci ayant pris
l'alarme, passa les sables coulans avec sa tribu. Wang-na s'avança avec son armée pour le poursuivre. Mou-li-yan se retira vers l'occident, entra dans le pays de Iu-thian, tua le roi, et fit
périr un grand nombre de personnes.
Suivant l'histoire des kia-lanon monastères, en parlant de la ville de Han-mo, il y a 878 li vers l'ouest, jusqu'à Iu-thian. Le roi de ce pays porte sur la tête un bonnet d'or, avec un turban
terminé en arrière par deux bandes de soie écrue, longues de deux tchhi (pieds), et larges de cinq tsun (pouces). Cet ornement est la marque de sa dignité, il a autour de lui des tambours, des
cornets, des cymbales d'or, des arcs des flèches, des lances, des hallebardes ; mais il ne se fait accompagner que d'une centaine d'hommes l'épée au côté. L'usage est chez ce peuple que les
femmes portent des caleçons et des robes courtes, liées par une ceinture. Elles montent à cheval et sur des chameaux, de la même manière que les hommes. On brûle les morts, puis on recueille les
os, on les enterre, et on élève sur la tombe une chapelle à Feou-thou. Les personnes qui portent le deuil se rasent les cheveux, et se déchiquettent le visage en signe de douleur. Quand leurs
cheveux sont revenus à la longueur de cinq pouces, ils reprennent leur vie ordinaire. Le roi seul n'est pas brûlé après sa mort. On le met dans une bière qu'on porte dans un lieu éloigné et
désert. On y fonde un temple et l'on y fait des sacrifices pour éterniser sa mémoire.
Autrefois les rois de Iu-thian n'étaient pas attachés au culte de Bouddha. Il y eut un marchand qui ramena un mendiant, nommé Pi-lou-tchen, ou, comme l'histoire l'appelle communément, Lou-tchen.
Il s'arrêta au midi de la ville, sous un amandier, et le marchand alla trouver le roi, à qui il dit, en s'excusant, qu'il avait ramené un cha-men des pays étrangers, lequel était au midi de la
ville, sous un amandier. Le roi n'apprit pas cette nouvelle sans colère, mais néanmoins il voulut aller lui-même voir Pi-lou-tchen. Celui-ci, en l'apercevant, dit au roi :
— Jou-laï m'a ordonné de venir vous trouver et de vous commander de construire un édifice en l'honneur de Fou-phen Feou-thou. Si vous le faites, vous jouirez d'une félicité éternelle.
Le roi répondit que s'il voyait Bouddha lui-même, il exécuterait ses ordres. Alors Pi-lou-tchen sonna une clochette pour avertir le dieu. Bouddha envoya Lo-heou-lo auquel il fit prendre sa propre
forme, et qui parut dans l'air. Le roi en l'apercevant se prosterna, et ce fut en mémoire de cet événement, qu'il fit élever, sous l'amandier, un temple où fut peinte l'image de Lo-heou-lo. Et
comme celui-ci avait disparu subitement le roi de Iu-thian fit encore construire un bel édifice pour le retenir. Cet édifice est maintenant couvert en tuiles ; sa figure se voit encore hors du
temple, et ceux qui l'ont vue ne manquent pas de se convertir. Dans l'édifice est une chaussure de Pi-tchi-fo, qui maintenant même n'est pas altérée. Elle n'est ni en peau, ni en soie, mais nous
n'avons pu l'examiner. Il faut remarquer que le royaume de Iu-thian n'a pas, de l'est à l'ouest, plus de trois mille li.
La troisième année Thaï-'an du règne de Wen-tchhing-ti (457), à la première lune, le royaume de Iu-thian envoya des ambassadeurs et paya le
tribut. À la douzième lune, le même pays envoya des présents. On lit ces faits dans la Vie de Wen-tchhing-ti.
La première année Thian-'an du règne de Hian-wen-ti (466), à la troisième lune, le pays de Iu-thian envoya des présents.
Nouveaux présents de Iu-thian, la première année Hoang-hing (467), à la deuxième lune ; et la même année à la neuvième lune ; autres encore
la troisième lune de la deuxième année Hoang-hing (468) : tout cela suivant la Vie de Hian-wen-ti....
Vers la fin du règne de Hian-tsou (vers 466), les Jouan-jouan firent une irruption dans le pays de Iu-thian. Les habitants, affligés de ce
malheur, envoyèrent un ambassadeur nommé Sou-mou-kia, avec une supplique qui portait ceci :
« Tous les royaumes occidentaux sont déjà dans la dépendance des Jouan-jouan. Nous, vos esclaves, avons toujours reçu la loi de votre puissant empire : telle a été jusqu'à présent notre coutume
constante. Mais maintenant la cavalerie des Jouan-jouan vient jusqu'aux portes de notre capitale. Vos esclaves ont rassemblé des troupes pour leur résister ; et ce que nous venons demander, ce
sont des secours, que nous espérons obtenir de vous. »
Hian-tsou fit assembler ses ministres, et soumit à leurs délibérations la demande des habitants de Iu-thian. Les ministres, après avoir délibéré, dirent à l'empereur, dans une représentation, que
Iu-thian était éloigné de la capitale de quelques milliers de li ; que les Jouan-jouan, gens d'un naturel sauvage et peu exercés dans l'art de la guerre, ne pourraient prendre la ville, parce
qu'avant de s'en emparer il faudrait en faire le siège ; et que quand on enverrait un général, il ne pourrait arriver à temps. L'empereur fit connaître à l'ambassade la délibération de ses
ministres ; et comme il partageait leur opinion, il donna un décret où il disait :
« En acceptant l'empire, mon désir a été que tous les pays de l'univers fussent en paix ; je souhaiterais vous aider dans votre affliction ; mais l'éloignement de votre pays rendrait une
expédition dangereuse pour mes troupes, et inutile pour vous. Je préfère ne pas envoyer en ce moment un général, et je vous fais connaître mes motifs. Mais j'exercerai et je fortifierai mes
troupes, et dans l'espace d'un an ou deux, j'irai moi-même vous délivrer et faire cesser vos maux. Prenez conseil de la prudence en attendant votre délivrance. »
Quelque temps auparavant, l'empereur avait envoyé Han-yang-phi près du roi de Perse, et ce prince lui avait fait offrir des éléphants apprivoisés et des raretés précieuses. En passant par
Iu-thian, le roi nommé Thsieou-jin-tchhe avait retenu l'envoyé du roi de Perse, et on donna pour prétexte qu'il avait été arrêté par des brigands. Mais Han-yang-phi fit connaître la vérité ; et
l'empereur, qui en fut irrité, le renvoya avec une lettre qui contenait une sévère réprimande sur la conduite du roi de Iu-thian. Depuis ce temps, le tribut fut régulièrement payé.
Depuis le temps de Wou-ti de la dynastie des Han, ce pays a eu des rapports politiques avec la Chine, et la succession de ses rois n'a pas été
interrompue. Les habitants sont joyeux, ils chantent et dansent, et ils ont des artisans qui filent et fabriquent de la toile. Dans les déserts à l'ouest, il y a un rat qui vit dans les sables,
et qui est grand comme un hérisson, mais qui a la peau de couleur dorée. Il va en troupe. Autrefois les gens de ce pays n'avaient pas de mûriers ni de vers à soie ; ils en demandèrent à leurs
voisins, qui les refusèrent. Alors le roi demanda à contracter une alliance avec le prince des États situés à l'Orient, et on lui accorda cette faveur. Les gens qui allèrent au-devant de la
princesse la prévinrent que dans leur pays il n'y avait pas de soie, et qu'il fallait emporter des vers pour avoir de quoi s'habiller. La princesse en prit qu'elle cacha dans son bonnet. Les
gardes de la douane n'osèrent la visiter, et ce fut la première fois qu'il y eut des vers à soie dans le pays. La princesse fit graver sur la pierre une défense de tuer les vers à soie, et c'est
par ce moyen qu'ils ont pu se procurer des cocons.
La description des contrées occidentales, sous la grande dynastie Thang, donne les détails suivants : Le pays de Kiu-sa-tan-na [En chinois ce mot signifie mamelle de la terre.] a plus de mille li
de tour. La plus grande partie en est infestée par des sables et des champs de pierre ; mais il y a des espaces étroits propres à la culture, et qui produisent toutes sortes de fruits. Le pays
fournit aussi des tissus de laine et des feutres fins, et l'on y travaille en étoffes. Il y a encore du iu blanc, et du iu bleu foncé. L'air est doux, mais presque toujours rempli de particules
de sable que le vent emporte.
Les habitants sont instruits dans les rites et dans la justice. Leur caractère est doux et respectueux. Ils sont studieux, adonnés à la culture des sciences et des arts, et ingénieux. Le peuple
vit dans l'abondance, et les familles sont riches et tranquilles. On y estime beaucoup la musique, et les hommes aiment le chant et la danse. Peu d'entre eux sont vêtus de laine, ou de feutre. Le
plus grand nombre ont des habits faits d'étoffes de soie, ou de laine blanche. Leur contenance est grave et soumise aux règles de la bienséance.
Ils ont des chroniques, et leurs caractères sont, ainsi que leurs lois et leur littérature, imités de ceux des Hindous, avec de légères altérations. Cette imitation a diminué leur barbarie, et
modifié leurs mœurs et leur langue, qui diffère de celle des autres peuples. Ils honorent extrêmement Bouddha, et sont si attachés à sa loi, qu'ils ont plus de cent kia-lan ou monastères, dans
lesquels vivent au-delà de 5.000 religieux ; tous sont adonnés à l'étude de leur loi et de leurs mystères. Leur roi est très belliqueux, grand sectateur de la loi de Bouddha, et prétend tirer son
origine miraculeuse du dieu Pi-cha-men. Anciennement ce royaume était un pays désert et inhabité. Le dieu Pi-cha-men vint s'y fixer. Le fils aîné du roi Wou-yeou (exempt de tristesse) fut aveuglé
dans le royaume de Tan-tchha-chi-lo. Le roi Wou-yeou, pour se venger, chargea son ministre de faire transporter le chef et sa famille dans les vallées, au nord des montagnes de neige (Himalaya),
au milieu du désert. Ces exilés étant arrivés à la frontière occidentale de ce pays, se choisirent un chef qu'ils nommèrent leur roi. Dans ce même temps, le fils de l'empereur des terres
orientales fut aussi exilé, et vint avec sa suite se fixer à la frontière de ce pays qui est du côté de l'est, où il se fit roi. Il se passa quelque temps, sans que les deux colonies eussent de
communication. Mais enfin on se rencontra en allant à la chasse dans le désert : des questions on en vint à la dispute, aux menaces, et on était prêt à se battre, quand quelqu'un fit observer
qu'il ne fallait pas se hâter ; qu'il valait mieux achever la chasse, et prendre un jour, pour se trouver ensemble dans le même lieu, et y vider la querelle par les armes. Cette proposition fut
acceptée ; on tourna bride, et chacun retourna chez soi faire ses préparatifs, exercer les chevaux et animer les soldats et les officiers. Au jour convenu, les deux armées se trouvèrent au
rendez-vous, et dès qu'on s'aperçut on sonna la charge. Le chef de l'Occident perdit la bataille ; on le poursuivit dans le Nord, et on lui coupa la tête. Le prince d'Orient, vainqueur,
s'appliqua à réunir les fuyards, et les transporta dans le milieu du pays, où il bâtît une ville. Il se trouva embarrassé faute de terre ; et craignant même de ne pouvoir achever son entreprise,
il fit publier que tous ceux qui entendaient la maçonnerie, voisins ou éloignés, eussent à se présenter. Alors on vit paraître un maçon, portant sur ses épaules une grande calebasse remplie
d'eau, et qui s'étant avancé, dit : Je m'entends en maçonnerie ; et il se mit à verser son eau en faisant un grand circuit. Il courait si vite, qu'on l'eut bientôt perdu de vue ; mais on suivit
la trace de l'eau qu'il avait versée, et l'on se servit, pour élever les murs, du moyen qu'il avait indiqué. C'est en cet endroit même qu'est actuellement situé le palais du roi. Les murailles ne
sont pas plus élevées que celles d'une autre ville ; mais celle-ci est néanmoins si difficile à prendre, que depuis l'antiquité personne ne s'en est jamais emparé. Le roi bâtit encore d'autres
villes ; il s'occupa de gouverner les peuples en paix, et de rendre son État florissant. Quand il se vit très âgé, il dit à ses courtisans :
— Me voici parvenu à la fin de ma vie ; je suis sans héritiers, et je crains que mon royaume ne périsse. Allez faire vos prières au dieu Pi-cha-men, pour qu'il m'accorde un successeur. »
En effet, le front de la statue du dieu s'étant ouvert, il en sortit un enfant qu'on reçut et qu'on porta au roi. Les gens du pays se livrèrent à la plus grande joie ; mais l'enfant ne voulant
pas téter, on craignit qu'il ne pût vivre, et on délibéra de retourner vers le dieu, et de lui adresser des prières ferventes pour qu'il voulût bien nourrir le prince. Quand on fut devant la
statue du dieu, on vit la terre s'élever tout à coup en forme de mamelle, et le divin enfant se mit à téter : il grandit et devint bientôt un prince accompli, prudent, courageux, digne en tout du
dieu auquel il fit bâtir un temple, pour lui rendre des honneurs comme à son aïeul. C'est de lui que descend la génération des rois qui se sont succédé sans interruption dans ce pays, et voilà
pourquoi on voit dans le temple du dieu un si grand nombre d'objets précieux qui y ont été déposés en offrande, sans qu'aucun roi ait manqué de s'acquitter de ce devoir. La mamelle sortie de
terre, qui servit à nourrir le fondateur de la race royale, a donné la naissance au nom que porte le pays.
À l'ouest de la ville royale, à plus de 300 li, est la ville de Phou-kia-i ; On y voit une statue de Bouddha assise, haute de sept tchhi. Sa
figure est belle et remplie de majesté. Sur sa tête est une tiare enrichie d'ornements qui la rendent toute resplendissante. C'est une tradition généralement répandue dans le pays, qu'elle était
d'abord dans le royaume de Kaschemir, et que l'on a obtenu qu'elle fut transportée dans cet endroit. Voici à quelle occasion. Il y avait autrefois un rahan dont le cha-mi, ou disciple, étant à
l'extrémité, demanda à goûter du pain de riz fermenté. Le rahan, par un effet de sa perception divine, connut qu'il y avait de cette espèce de pain dans le pays de Kiu-sa-tan-na ; et s'y étant
transporté par les moyens surnaturels que lui fournissait sa nature, il parvint à se procurer ce que lui demandait le cha-mi. Celui-ci en ayant goûté désira pouvoir renaître dans ce pays. Ses
vœux furent exaucés, et même il naquit fils du roi du pays, auquel il succéda par la suite. Devenu roi lui-même, il leva des troupes, et ayant traversé les montagnes de neige, il vint attaquer le
royaume de Kaschemir. Le roi de Kaschemir, de son côté, assembla son armée pour repousser cette attaque. Mais en ce moment le arahan l'avertit de ne point livrer bataille au roi de
Kiu-sa-tan-na.
— Je sais, dit-il, les moyens de l'engager à s'en retourner, car il est instruit dans les préceptes de la loi. »
Le roi eut quelque peine à le croire, et il voulait toujours livrer bataille. Mais le rahan prit le vêtement que portait le roi de Kiu-sa-tan-na, dans le temps qu'il était cha-mi, et alla le lui
montrer. En le voyant, le prince se rappela sa vie passée ; et ayant demandé pardon au roi de Kaschemir, il fit la paix et s'en retourna avec son armée, emmenant avec lui la statue de Bouddha,
devant laquelle, étant cha-mi, il avait célébré les cérémonies du culte. Quand cette statue fut arrivée dans le pays, on ne put la faire ni avancer, ni reculer, et on l'entoura d'un kia-lan, dans
lequel vinrent habiter des religieux. La tiare précieuse qu'on voit encore aujourd'hui sur la tête de la statue est celle même dont le roi lui fit offrande, au temps dont on vient de
parler.
À l'ouest de la ville royale, à la distance de 150 ou 160 li, au milieu de la route qui conduit au grand désert, il y a un tertre, qu'on
nomme le tertre ou le tombeau des Rats ; Voici ce que la tradition rapporte à ce sujet : Il y a dans ce désert sablonneux des rats de la grosseur d'un hérisson, et dont le poil est de couleur
d'or et d'argent, et vraiment admirable. Quand ils sortent de leur trou, ils vont en troupes, et ont à leur tête un chef ; si celui-ci s'arrête, ils font de même, et suivent ainsi tous ses
mouvements. Or, les Hioung-nou vinrent autrefois, au nombre de plusieurs centaines de mille hommes, faire une incursion dans ce pays, et attaquer les villes des frontières. Parvenus au tertre des
Rats, ils y établirent leur camp. Le roi de Kiu-sa-tan-na avait, de son côté, rassemblé plusieurs dizaines de mille soldats ; mais il craignait de ne pas avoir des forces suffisantes. Il
connaissait la beauté des rats du désert, mais non leur puissance surnaturelle. En approchant des troupes ennemies, ne voyant aucun moyen de salut, le prince et ses soldats étaient dans la
consternation, et ne savaient à quel expédient se déterminer. Dans cet embarras, le roi fit préparer un sacrifice, allumer des parfums ; et comme si les rats eussent eu quelque intelligence, il
les supplia d'être les auxiliaires de son armée. La même nuit, le roi de Kiu-sa-tan-na vit en songe un gros rat qui lui dit :
— Vous avez réclamé notre secours ; disposez vos troupes pour livrer bataille demain matin, et vous serez vainqueur. »
Le roi, se croyant assuré d'un secours surnaturel, fit aussitôt ses dispositions : il rangea sa cavalerie et partit avant le jour, pour attaquer à l'improviste les Hioung-nou. Ceux-ci surpris
voulurent monter à cheval, et endosser leurs armures ; mais il se trouva que les harnais de leurs chevaux, les habits des soldats, les cordes des arcs, les courroies de leurs cuirasses, tout ce
qui était fait d'étoffe ou de fil avait été entièrement rongé, et mis en pièces par les rats. Ainsi privés de tout moyen de défense, ils furent exposés aux coups de leurs ennemis ; leur général
fut tué, l'armée entière faite prisonnière, et les Hioung-nou, frappés de terreur, reconnurent dans cet événement une main plus qu'humaine. Le roi de Kiu-sa-tan-na voulut témoigner aux rats sa
reconnaissance pour un service si important : il construisit un temple, fit des sacrifices et depuis ce temps on n'a cessé d'y faire des offrandes d'objets précieux. Depuis le prince jusqu'aux
derniers du peuple, tous y font des sacrifices pour obtenir du bonheur ou du secours, et pour cela ils vont à l'endroit où est l'ouverture, et passent rapidement devant, en y laissant pour
offrande des habits, des arcs, des flèches, des parfums, ou de la viande et des mets choisis. Ceux qui font le plus exactement ces sacrifices en sont récompensés par du bonheur et du profit. Ceux
qui y manquent éprouvent ordinairement des calamités et des revers.
Au sud-ouest de la ville, à cent li, il y a une grande rivière qui coule vers le nord-ouest, et dont les habitants tirent beaucoup
d'avantages, parce qu'elle leur fournit de l'eau pour arroser leurs champs. Il arriva que le cours du fleuve fut absolument interrompu. Le roi, frappé de ce prodige, ordonna d'apprêter son char
pour aller consulter les rahan et les religieux. Il leur exposa ainsi sa demande :
— L'eau du grand fleuve, qui sert à mes sujets pour toutes leurs provisions, a tout à coup cessé de couler. À quelle faute puis-je attribuer ce malheur ? Y a-t-il quelque injustice dans mon
gouvernement, quelque irrégularité dans ma conduite ? Sans cela, le ciel m'enverrait-il un châtiment si sévère ?
Les rahan lui répondirent :
— Le gouvernement de Votre Majesté est pur et irrépréhensible ; le cours de l'eau n'est interrompu que par un effet de la volonté du dragon (qui préside au fleuve). Il faut sur-le-champ offrir un
sacrifice, pour obtenir que le peuple puisse recouvrer les avantages qu'il a perdus.
Le roi revint, et offrit un sacrifice au dragon du fleuve. Tout à coup il y eut une femme qui sortit des eaux et dit :
— Mon mari m'a été enlevé par une mort prématurée : voilà ce qui a causé l'interruption du cours de l'eau, et le dommage qu'ont éprouvé les laboureurs. Mais, ô roi, faites choix d'un grand dans
vos États, et donnez-le-moi pour mari, et l'eau reprendra son cours comme auparavant.
Le roi répondit :
— Je reçois vos ordres avec respect.
Le dragon témoigna sa joie ; et le roi s'en étant retourné dit aux grands et à ceux qui l'entouraient:
— Les grands sont les gardiens de l'État, les laboureurs en sont la substance et la vie. Si l'État perdait ses gardiens, il serait en danger ; mais si les hommes manquent de nourriture, ils
meurent. Entre ces deux périls, quelle conduite faut-il tenir ?
Un grand, alors, s'agenouillant sur la natte devant le trône, dit :
— Il y a longtemps que moi, Mieou, ne suis qu'un être inutile : il est temps de remplir le devoir que mon rang m'impose. J'ai toujours pensé à ce que je devais à l'État, sans que j'aie trouvé
l'occasion de m'en acquitter. Si je suis choisi en ce moment, vous mettrez un terme aux graves reproches que je mériterais. Quand il s'agit de l'avantage de tout un peuple, doit-on épargner un
magistrat ? Les magistrats sont les aides de l'État ; mais le peuple en est la base. Que Votre Majesté n'hésite pas, et que pour assurer la félicité publique, elle fonde un monastère.
Le roi se rendit aux désirs du grand ; et celui-ci ayant demandé la permission d'entrer le lendemain matin dans le palais du dragon, les seigneurs de la cour furent assemblés ; on donna un repas
de cérémonie au généreux magistrat ; et celui-ci, vêtu d'une robe simple et monté sur un cheval blanc reçut les adieux du roi, et les démonstrations de respect et de reconnaissance de tout le
peuple. Il poussa son cheval dans le lit du fleuve, et s'avança au milieu des eaux sans en être submergé ; mais il s'ouvrit avec son fouet un passage dans lequel il entra, et il disparut. Peu
après on vit ressortir des eaux le cheval blanc, portant sur son dos un tambour de bois de santal et une lettre, dont le contenu était, en substance, que le roi n'avait rien perdu au sacrifice
qu'il avait fait ; que Mieou était admis au rang des dieux ; qu'il veillerait à la prospérité du royaume, et qu'il envoyait à Sa Majesté un tambour, pour le suspendre à porte de la ville du coté
du sud-est : que si des ennemis venaient attaquer la ville, on en serait averti par le son du tambour. L'eau reprit alors son cours ordinaire, et n'a pas cessé de procurer aux habitants les mêmes
avantages qu'autrefois. Le fleuve déborde à la première lune et arrose les champs les plus éloignés. Il y a longtemps que le tambour du dragon n'existe plus. Mais à la place où il était suspendu
on voit un étang qu'on nomme l'étang du tambour. Le monastère est pareillement ruiné, et il ne s'y trouve plus de religieux.
La deuxième année Kian-kiang du règne de Thaï-tsou (961), en hiver, à la douzième lune, un
envoyé de Iu-thian apporta un tribut. On ne trouve pas ce fait dans la Vie de Thaï-tsou. Selon la Notice sur Iu-thian, ce pays a payé le tribut depuis le temps des Han jusqu'aux Thang. Les
troubles de 'An-sse interrompirent ces relations, qui ne recommencèrent que dans les années Thian-fou, sous la dynastie des Tsin. Le roi Li-ching-thian se disait de la race royale des Thang ; il
envoya un tribut à Kao-tsou qui chargea Tchhang-khouang-ye et quelques autres officiers, d'aller lui porter la patente d'investiture avec le titre de roi du très précieux royaume de Iu-thian. La
deuxième année Kian-kiang, à la douzième lune, Li-ching-thian envoya en tribut une tablette de iu, une armoire faite de la même substance, et une pendeloque également en iu. Ma-ni [Manès], maître
du royaume, offrit en son nom deux vases de cristal, et une pièce de soie des pays étrangers. Les ambassadeurs dirent que leur pays était à 9.900 li de la capitale de l'empire ; qu'il était borné
au midi par les montagnes Bleues, et limitrophe du pays des Brahmanes, à 5.000 li. A l'orient, il était voisin des Tibétains. Au nord-ouest, on comptait 2.000 li jusqu'à Kaschgar. À l'est de la
ville était le fleuve du iu blanc, à l'ouest celui du iu vert, plus à l'ouest encore, celui du iu noir. La source de ces fleuves était dans la chaîne des monts Kouen (Himalaya), à 1.300 li à
l'ouest de la ville royale. Chaque année, à l'automne, les gens du pays recueillent du iu dans ces rivières, et c'est ce qu'ils appellent la pêche ou la récolte du iu. La terre produit du raisin,
et on en fait fermenter une grande quantité pour faire du vin, qui est excellent. Les habitants honorent les esprits.
La troisième année Khian-te (965), il vint à la cour des ambassadeurs du roi de Iu-thian. C'est ce qu'on apprend dans l'Histoire de la
dynastie des Soung, Vie de Thaï-tsou. Les ambassadeurs offrirent en tribut mille chevaux, cinq cents chameaux, cinq cents cailloux de iu, et cinq cents livres d'ambre jaune. Selon la Notice sur
Iu-thian, Chen-ming (bonne renommée), et Chen-fa (bonne loi), religieux de Iu-thian, vinrent à la cour, à la cinquième lune de la troisième année Khian-te. On leur fit présent de robes violettes.
Le général, commandant de ce pays, avait profité du voyage de Chen-ming et de ses compagnons, pour écrire à Li-thsoung-kiu, général des troupes chinoises, et les avait priés de porter sa lettre
en Chine.
L'empereur Thaï-tsou chargea Li-thsoung-kiu de répondre à cette lettre, et de récompenser les porteurs en leur donnant des vases et d'autres objets propres à leurs cérémonies. Ce même hiver, le
Samanéen Tao-youan (accomplissement de la doctrine), revenant des contrées occidentales, passa par Iu-thian, et il accompagna les envoyés qui apportaient le tribut.
La quatrième année Khian-te (966), à la deuxième lune, le roi de Iu-thian envoya son fils Te-tsoung offrir un tribut. On apprend ce fait dans
la Vie de Thaï-tsou.
La deuxième année Khaï-phao (969), en hiver, à la onzième lune, des envoyés de Iu-thian apportèrent un tribut. C'est encore la Vie de
Thaï-tsou, qui nous l'apprend. L'ambassadeur, qui se nommait Tchin-mo-chan, dit que dans son pays il y avait un morceau globuleux de iu, qui pesait 237 livres ; que son maître désirait l'offrir à
l'empereur, et demandait qu'on envoyât quelqu'un pour le prendre. Le religieux Chen-ming revint aussi avec un tribut en assa fœtida. On lui accorda en récompense le titre de grand-maître de la
brillante conversion, et on le chargea de retourner pour chercher le iu. Le roi Nan-tsoung-tchhang offrit encore en tribut une épée dont la poignée était en iu. On le récompensa en lui donnant
des présents considérables.
La quatrième année Khaï-phao (971), Ki-siang (heureux présage), religieux du pays de Iu-thian, apporta une lettre du roi de ce pays. On ne
lit pas ce fait dans la Vie de Thaï-tsou ; mais dans la Notice sur Iu-thian, on voit que par cette lettre le roi annonçait à l'empereur le désir de lui offrir en tribut un éléphant qui savait
danser, dont il s'était emparé dans une guerre contre le pays de Kaschgar. On lui accorda sa demande par un décret.
La deuxième année Taï-tchoung-siang-fou du règne de Tchin-tsoung (1009), ceux de Iu-thian envoyèrent une ambassade et un tribut. On trouve
l'indication de ce fait dans la Vie de Tchin-tsoung, et l'on apprend de plus dans la Notice sur Iu-thian, que le roi ou he-han de ce pays chargea un hoeï-hou (Turk) nommé Lo-sse-wen et ses
compagnons d'apporter ce tribut. Lo-sse-wen s'étant agenouillé, dit à l'empereur :
— Votre sujet est venu de dix mille li pour vous faire hommage ; la faveur qu'il obtient est comme le soleil du ciel ; il souhaite dix mille années de vie à votre sainte personne, et désire que
vous continuiez à protéger les peuples éloignés.
L'empereur lui demanda combien il avait été de temps en chemin. L'envoyé répondit :
— Notre route a duré un an ; mais je ne puis dire précisément combien nous avons fait de li par journée, jusqu'à chaque station du soir. Jadis la route était infestée par des brigands ; mais à
présent de Koua-tcheou et de Cha-tcheou jusqu'à Iu-thian, la route est sûre, et on y voyage aussi tranquillement que l'eau qui coule. On souhaiterait seulement que Votre Majesté envoyât un
officier pour protéger ces contrées éloignées.
L'empereur dit :
— La longueur du chemin rendrait difficile l'envoi d'un de mes officiers ; mais puisque votre pays est maintenant soumis, soyez vous-même mon envoyé, et exercez-en les fonctions comme si vous
étiez un de mes officiers.
La première année Thian-hi (1017), le district de Than-tcheou fit offrir un sceau de iu de Iu-thian. Ce fait n'est pas rapporté dans la Vie
de Tchin-tsoung ; mais on lit dans la Notice sur Iu-thian, que dans les années Thaï-phing hing-koue (976-983), il y eut un soldat de Than-tcheou, nommé Wang-koueï, qui vit tout-à-coup, en plein
jour, un envoyé (du ciel) qui parut à la porte du camp et l'appela. Ils allèrent ensemble jusqu'au port sur le fleuve, où un cheval était préparé ; l'émissaire le fit monter par Wang-koueï.
Celui-ci y était à peine qu'il se sentit enlever en l'air, et peu d'instants après, le cheval s'étant arrêté, il vit une maison superbe où l'envoyé le fit entrer. Le maître qu'il y trouva avait
un extérieur majestueux et avait l'air d'un roi ; il dit à Wang-koueï :
— Quand tu auras atteint ta cinquante-huitième année, va dans le royaume de Iu-thian, sur la frontière du côté du nord : tu trouveras la montagne des Saints ; la chose précieuse que tu y
recueilleras, tu reviendras l'offrir à l'empereur. Songe sérieusement à t'acquitter de ce devoir.
Aussitôt Wang-koueï remonta à cheval, retraversa les airs et vint descendre dans le camp. Il avait été absent plusieurs jours, et le cheval qu'il avait monté était un de ceux du camp.
Soung-tchao, commandant du district, le mit en jugement, mais Thaï-tsoung lui fit grâce. Au commencement des années Thian-hi (1017), Wang-koueï se trouvant avoir cinquante-huit ans, songea à se
conformer aux ordres qui lui avaient été donnés, et à se rendre dans l'Occident jusqu'à Iu-thian. Il obtint la permission de faire le voyage, et vint à Thsin-tcheou. En cet endroit il fut si
rebuté de la longueur du chemin, qu'il était sur le point de l'abandonner, quand il rencontra sur la place publique un tao-sse qui le mena hors de la ville, le fit monter sur une hauteur, et lui
demandant ce qu'il désirait, s'offrit à le satisfaire. Il ordonna à Wang-koueï de fermer les yeux ; et quand celui ci les rouvrit, il trouva les montagnes et les rivières toutes changées.
— Ce lieu-ci, lui dit le tao-sse, est la montagne des Saints, sur la frontière septentrionale du pays de Iu-thian.
Il fit ensuite voir à Wang-koueï un lac, dans lequel il vit une jeune immortelle qui sortit et lui présenta un objet qu'elle lui donna, en lui disant :
— Prenez ceci, et allez le porter à l'empereur.
On lui dit de fermer encore les yeux, et au même instant il se trouva transporté à Thsin-tcheou. Le tao-sse avait déjà disparu. La chose précieuse qu'il avait reçue se trouva être un sceau en
pierre de iu dont l'inscription portait : Sceau du roi : Que son règne dure éternellement ! Telle fut l'offrande des habitants de Than-tcheou.
La troisième année Thian-ching, du règne de Jin-tsoung (1025), en hiver, à la douzième lune, il vint un tribut du pays de Iu-thian, suivant
la Vie de Jin-tsoung. Selon la Notice sur Iu-thian, deux ambassadeurs, Lo-mian et Iu-to, avec Kin-san leur adjoint, 'An-to, ayant le titre d'inspecteur, et Tchao-to, vinrent à la cour, et
apportèrent en tribut une selle et un mords ornés de iu, une ceinture de iu blanc, des étoffes étrangères, des chameaux à une seule bosse, de l'encens, du sel ammoniac. On les logea, par ordre de
l'empereur, dans un corps de bâtiment à l'ouest du pavillon principal du palais, et on leur donna des robes, des ceintures d'or, des vases d'argent pour cent onces, et deux cents habillements.
Lo-mian et Iu-to eurent chacun la ceinture d'or.
La huitième année Kia-yeou (1063), il vint un tribut de Iu-thian. On trouve ce fait indiqué dans la Vie de Jin-tsoung, et on lit de plus,
dans la Notice sur Iu-thian, ce qui suit : L'ambassadeur, nommé Lo-sa-wen, offrit des présents, et à la onzième lune, son roi reçut le titre de the tsin koueï tchoung pao chun Heou-lin
He-han-wang (roi ayant seul le titre de soumis, sincère, conservateur, obéissant, Heou-lin et He-han). Lo-sa-wen dit que son roi demandait ce titre. À Iu-thian, l'oiseau aux ailes d'or se nomme
Heou-lin, et He-han est une corruption de Khakan. On remercia l'envoyé de ses présents, mais on ne voulut pas les recevoir ; et comme il priait l'empereur d'accepter au moins les dromadaires, Sa
Majesté ordonna qu'on lui donnât de plus cinq mille enfilades de deniers, à ajouter aux autres présents qu'il avait déjà reçus. Depuis, les gens de ce pays ont plusieurs fois apporté des
présents. Selon ce qu'on lit dans la Vie de Chin-tsoung, il en est venu la septième année Hi-ning (1074), au printemps, à la deuxième lune, la première année Youan-foung (1078), en hiver, à la
dixième lune, et la troisième (1080) année, au printemps, à la première lune. Ce fut un grand du pays, nommé A-ling-tian-sang-wen et quelques autres, qui apportèrent le tribut cette dernière
année. L'année suivante (1081), au printemps, à la deuxième lune, la Vie de Chin-tsoung indique un nouveau tribut, et la Notice sur Iu-thian remarque que depuis les années Hi-ning (1068-1077 il
ne s'est pas écoulé plus d'un an ou deux sans que le tribut ait été payé et qu'il l'a quelquefois été deux fois dans une année. Ce tribut consistait en perles en pierre de iu, corail, édredon,
ivoire, encens, bois odorant, succin, toiles brochées à fleurs, sel ammoniac, du sel de dragon, des étoffes d'occident, des harnais et des mors enrichis de iu, du camphre, du castoréum, de la
pierre de Venus, du vif-argent, des clous de girofle. Il y en eut qui vinrent sans lettres de créance, et on ne laissait pas de leur donner pour ce qu'on prenait d'eux des habits de soie moirée,
des ceintures d'or, des vases, et d'autres présents. Leur prince recevait en présent des habits de cérémonie. Comme le pays produit de l'encens, les caravanes en apportaient pour leur compte,
qu'elles vendaient au marché, avec un grand profit, et elles remportaient ce qu'elles n'avaient pas vendu dans la capitale, pour s'en défaire dans les autres villes où elles en trouvaient un bon
prix. De sorte que le nombre de gens qui venaient ainsi augmentait beaucoup. Mais au commencement des années Youan-foung (1078), un décret permit l'entrée de l'empire aux seules ambassades munies
de lettres de créances, qui amenaient des chevaux ou des ânes, et défendit l'importation de l'encens, comme denrée inutile. La quatrième année (1081), le chef de tribu A-sin apporta une lettre
dont la suscription était : « Lettre du Leou-lo du royaume de Iu-thian, heureux, fort, instruit dans les lettres et la doctrine, He-han et roi : au grand prince de l'Orient où le soleil commence
sa course, maître de l'univers, des champs et de la terre, au roi de la Chine, le grand officier A-kieou. » L'objet de cette lettre était, en marquant un respect que l'éloignement de la route
n'affaiblissait pas, de s'informer du sort des trois ambassades qui avaient précédemment payé le tribut, et qui n'étaient pas encore de retour. Cette lettre double, et contenant plusieurs
centaines de mots, était enveloppée dans une pièce d'étoffe précieuse. L'envoyé étant arrivé à Hi-tcheou, on traduisit les pièces qu'il avait apportées pour les soumettre à l'empereur, et on lui
répondit que les trois ambassades étaient venues en effet, qu'elles avaient été reçues à la cour et qu'on les y avait comblées de biens, en leur donnant leur congé. L'empereur donna à ce sujet
une déclaration positive. Chin-tsoung demanda à l'ambassadeur combien de temps il fallait pour retourner dans son pays, quels royaumes on avait à traverser, et s'il y avait quelque chose à
craindre sur la route. L'envoyé répondit qu'il y avait quatre ans qu'il avait quitté son pays, et qu'il n'était encore qu'à la moitié de son voyage ; qu'ils avaient à traverser le grand désert
des Hoeï-he à tête jaune, mais qu'ils ne craignaient que les brigandages des Khi-tan. C'est pourquoi tous les envoyés qui vont dans les différents pays situés sur les frontières de la Chine, à
une distance plus ou moins grande, se munissaient de lettres pour Li-hian.