Heou Han chou

Chapitre LXXVII : Trois généraux chinois de la dynastie des Han orientaux

Pan Tch’ao (32-102 p.C.) — son fils Pan Yong — Leang Kin († 112 p.C.)

traduit par

Édouard CHAVANNES

T’oung pao, Volume 2:7, 1906, pages 210-269.

 

  • É. Chavannes : Le général Pan Tch’ao n’a jamais porté les armes chinoises jusque sur les bords de la mer Caspienne. Mais, pour n’avoir pas accompli cet exploit imaginaire que certains auteurs européens lui ont faussement attribué, il n’en est pas moins un des hommes qui contribuèrent le plus puissamment à maintenir, sa vie durant, le prestige et l’autorité de la Chine dans le Turkestan oriental ; sa biographie est inséparable de l’histoire des pays de l’Ouest à l’époque des Han postérieurs. Devant prochainement traduire le chapitre du Heou Han chou relatif aux contrées d’Occident, nous avons donc pensé que la vie de Pan Tch’ao et de son fils Pan Yong serait une utile introduction à l’étude de ce chapitre ; c’est ce qui justifie la publication que voici.

Le texte que nous traduisons est tiré du Heou Han chou qui fut composé par Fan Ye, mort en 445 p. C.  

 

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Extrait : [Pan Tch'ao incendie le camp des barbares]

 

...La seizième année (73 p.C.), le fong-kiu-tou-wei Teou Kou sortit pour attaquer les Hiong-nou ; il prit Pan Tch’ao pour sseu-ma à titre provisoire ; celui-ci, à la tête de ses troupes, fut détaché à l’attaque de Yi-wou (Hami) et livra bataille près du lac P’ou-lei (Barkoul) ; il revint après avoir décapité beaucoup de barbares. (Teou) Kou le jugeant capable, l’envoya en mission dans les pays d’Occident en compagnie du ts’ong-che Kouo Siun.

Quand Pan Tch’ao arriva à Chan-chan, Kouang, roi de Chan-chan, traita Pan Tch’ao avec les plus grands égards ; mais ensuite, faisant soudain volte-face, il se montra négligent ; Pan Tch’ao dit aux officiers qui étaient sous ses ordres :

— Ne vous êtes-vous pas aperçu que les intentions polies de Kouang ont diminué ? Cela vient sans doute de ce qu’un envoyé des barbares du Nord a dû arriver ; c’est pourquoi Kouang hésite et ne sait pas encore quel parti il suivra. Or l’homme intelligent aperçoit ce qui n’est pas encore en bourgeon ; combien plus facilement verra-t-il ce qui est déjà manifeste.

Alors il appela un Hou qui était à son service et lui dit par ruse :

— L’envoyé des Hiong-nou est venu depuis plusieurs jours. Maintenant, où est-il ?

Le serviteur Hou, stupéfait et saisi de crainte, avoua tout ce qui en était. Pan Tch’ao alors fit enfermer le serviteur Hou ; puis il réunit tous ses officiers au nombre de trente-six et se mit à boire du vin avec eux ; quand ils furent échauffés par la boisson, il excita leur colère en disant :

— Vous et moi, nous nous trouvons tous dans une contrée lointaine ; nous désirons accomplir de grands exploits pour obtenir la richesse et les honneurs. Maintenant, un envoyé des barbares est arrivé depuis quelques jours à peine et aussitôt les égards et le respect que nous témoignait le roi Kouang ont disparu ; si cet envoyé ordonne au roi de Chan-chan de s’emparer de nous et de nous remettre aux Hiong-nou, nos ossements seront à jamais la pâture des loups ; que faut-il faire ?

Ses officiers répondirent tous :

— Nous sommes maintenant dans une situation de péril extrême ; nous vous suivrons, ô sseu-ma, dans la vie et dans la mort.

Pan  Tch’ao leur dit :

— Celui qui ne pénètre pas dans l’antre du tigre ne prend pas les petits du tigre. Pour ce qui est du plan auquel il nous faut aviser aujourd’hui, le seul parti auquel nous puissions nous arrêter est de profiter de la nuit pour attaquer par l’incendie les envoyés barbares ; ceux-ci ne sauront pas quel est notre nombre ; ils seront certainement en proie à une grande panique et nous pourrons les exterminer. Quand nous aurons fait périr les envoyés barbares, alors (le roi de) Chan-chan sentira se briser son courage. Nos exploits seront accomplis et notre entreprise aura réussi.

Tous répondirent :

— Il nous faut délibérer à ce sujet avec le ts’ong-che Kouo Siun.

Pan Tch’ao répliqua avec colère :

— Notre bonne ou notre mauvaise fortune se décide aujourd’hui ; le ts’ong-che Kouo Siun est un vulgaire officier civil ; si on l’informe de ce plan, il aura certainement peur et nos projets seront divulgués. Mourir sans gloire, ce n’est pas le fait de gens vaillants.

Tous alors l’approuvèrent. Dans la première partie de la nuit, Pan Tch’ao, à la tête de ses officiers, courut vers le camp des barbares ; un grand vent était survenu ; Pan Tch’ao ordonna à dix hommes de prendre des tambours et de se cacher derrière les baraquements des barbares ; il était convenu avec eux que, dès qu’ils verraient les flammes s’élever, ils feraient tous résonner leurs tambours, et pousseraient de grands cris. Le reste de ses gens prit des armes et des arbalètes et se dissimula des deux côtés de la porte. Pan Tch’ao alors déchaîna l’incendie dans la direction du vent ; ceux qui étaient devant et ceux qui étaient derrière frappèrent des tambours et poussèrent des clameurs. La foule des barbares fut plongée dans la terreur et la confusion. Pan Tch’ao tua de sa propre main trois hommes ; ses officiers et ses soldats décapitèrent l’envoyé et plus de trente hommes de son escorte ; quant au reste des barbares, à savoir une centaine d’hommes, ils périrent tous brûlés.

Le lendemain, Pan Tch’ao revint informer Kouo Siun de ce qui s’était passé ; Kouo Siun fut très effrayé et ensuite changea de couleur. Pan Tch’ao, comprenant quels étaient ses sentiments, leva la main et dit :

— O officier en second, quoique vous ne soyez pas allé avec nous, comment moi, Pan Tch’ao, voudrais-je m’arroger tout le mérite ?

Kouo Siun fut alors satisfait. Ensuite, Pan Tch’ao appela auprès de lui Kouang, roi de Chan-chan, et lui montra la tête de l’envoyé barbare ; le royaume entier fut saisi de crainte ; Pan Tch’ao publia des explications pour le rassurer ; puis il prit un des fils du roi en guise d’otage ; il revint faire son rapport à Teou Kou ; celui-ci, très content, informa en détail l’empereur des exploits de Pan Tch’ao; il demanda en même temps qu’on fît choix d’un envoyé pour l’envoyer dans les pays d’Occident. L’empereur loua la belle conduite de Pan Tch’ao et adressa à Teou Kou un décret dans lequel il disait :

« Quand vous avez un officier tel que Pan Tch’ao, pourquoi ne l’envoyez vous pas en mission et qu’est-il besoin de choisir quelque autre personne ? Maintenant je nomme Pan Tch’ao au poste de kiun sseu-ma afin qu’il puisse poursuivre ses premiers exploits.

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