Rêve d'une nuit d'hiver (Cent quatrains des Thang)
Traduits par TSEN TSONMING (1896-1939)
Édition Ernest Leroux, Paris, 1927, 114 pages.
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Préface : La poésie chinoise atteignit son apogée à l'époque des Thang, ses moyens se perfectionnèrent, ses règles furent définitivement
établies. Le choix des thèmes est souvent varié ; la sobriété du développement, pittoresque : la finesse des pensées extraordinaire. C'est l'âge d'or de notre poésie moderne. Les poètes de
ces temps ont un sentiment très vif et très juste de la nature. On doit les aimer et les admirer pour la splendeur de leur génie, pour l'élan de leur âme et pour les qualités de leur cœur qui
leur donnent un charme incomparable.
La poésie chinoise peut être considérée comme un jardin antique et embaumé. Dans ce jardin, nulle fleur n'a un parfum plus pénétrant que celles des Thang. Parmi ces fleurs, nulle branche n'a une forme plus harmonieuse que celles des quatrains. Les quatrains de cette époque sont, en général, écrits dans un langage très pur et très clair, on dirait qu'au milieu de rochers hérissés jaillit une cascade où se mirent des daims sauvages et que jamais sa limpidité n'a été souillée par aucune trace humaine. Ces poèmes si doux et si mélodieux ressemblent encore à la voix d'une source qui au fond de la montagne solitaire, murmure à travers des bois verdoyants et mystérieux.
Nous avons réuni dans ce volume une centaine de pièces, subtils pétales ramassés dans le sentier paisible et odorant de notre jardin poétique. Nous espérons que ceux qui liront ce petit livre, malgré la simplicité de notre traduction, y respirent encore un léger parfum et y trouvent le faible reflet d'une vieille civilisation.
Rêve d'un nuit d'hiver
Si longtemps séparés, votre image remplit mon cœur.
En exil, on vieillit, mon teint n'est plus pareil !
En accordant mon khin sous cette nuit lumineuse.
Je pense à vous plus que jamais.
Wang Po.
A l'aube, je quitte Po-ti
parmi les nuages colorés.
En un seul jour, à mille li de là, j'arrive à Kiang-lin !
La voix des singes, sur les deux rives, sanglote toujours...
Mais mon bateau léger a déjà passé bien des montagnes !
Li Thaï-po.
Devant les pics de Yin-lo, la
grève est blanche comme la neige,
Hors de la ville conquise, la lune est blafarde.
On ne sait d'où viennent ces sons de flûte,
Toute la nuit, les guerriers pensent à leur patrie.
Li Yi.
Le verre scintillant est
rempli d'un vin délicieux.
Je veux le boire, mais le pi-pa me presse à monter à cheval.
Adieu, quand je serai étendu mort sur le champ de bataille, vous ne rirez pas !
Car depuis longtemps, combien de héros ont-ils pu en revenir ?
Wang Han.
La forêt de bambous cache le
vieux temple.
Quelques cloches lointaines résonnent dans la nuit.
Et moi, emportant le dernier rayon du soleil,
Je rentre seul dans ces montagnes bleutées.
Lyeou Tchang-king.
*
La lune froide pend au pic
d'une montagne.
Au jardin, les feuilles jaunes tombent lentement.
Je ferme la porte de peur des tigres.
Au dehors, le vent rugit fortement dans les pins.
Kou Fong.