Anciens poèmes chinois d'auteurs inconnus
Traduits par TSEN TSONMING (1896-1939)
Édition Ernest Leroux, Paris, 1927, 120 pages.
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Préface : ...On peut déplorer que de nombreuses poésies, depuis Han jusqu'à Swei ne soient pas encore
traduites. Cependant, les poèmes de ces époques occupent une grande place dans notre littérature. Ils sont, non seulement, aussi parfaits que ceux d'autres périodes, mais sont surtout des
chefs-d'œuvre que nos lettrés considèrent comme la source de notre art poétique. C'est pourquoi j'estime qu'il est utile de combler cette lacune. Malheureusement, les œuvres de ces dynasties
sont si abondantes, que, je me vois obligé de choisir les plus beaux morceaux des auteurs inconnus pour composer ce petit recueil, renfermant des sujets assez variés...
En entreprenant ce travail, je n'ai jamais été guidé par un sentiment d'ambition. J'avais un but : c'est une initiative que je prends, tout en souhaitant que d'autres érudits, plus compétents que moi, veuillent bien étudier de plus près la poésie et la littérature chinoises, trésor de beauté et de sagesse. Je ne suis donc, dans cette tentative, qu'un léger zéphyr qui passe, annonçant le printemps ; à d'autres, d'en voir les fleurs et d'en goûter les fruits !
Extraits : Poème pour la femme Syu Thong-khing
[Voir aussi la traduction de Tchang Fong, Le Paon]
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Préface: ...Vers la fin de la dynastie des Han, sous le règne de l'empereur Hien (190-219 après J.-C.), un fonctionnaire de la préfecture de
Lou-kyang épousa une jeune fille appartenant à la famille Lyeou. La mère, méchante et sévère, non satisfaite de sa bru, la chassa. Obligée de quitter son mari qu'elle aimait, la jeune femme jura
cependant de lui rester fidèle. Les parents, pas plus raisonnables que la belle-mère, voulurent la contraindre à se remarier avec un autre jeune homme, d'une famille noble et riche, et la
malheureuse, désespérée, se jeta à l'eau. En apprenant cette douloureuse nouvelle, Syu Thong-khing se pendit à un arbre de son jardin.
Un poète du temps, ému par ce drame d'amour, en composa un poème de 395 vers, ce qui constitue l'une des plus longues poésies chinoises.
Cette pièce de poésie montre le pouvoir absolu du chef de famille dans notre ancienne société. Lire la suite >>>
Un paon s'envole vers le sud-est,
Tous les cinq li, il va et vient.
Tristement une jeune femme dit à son mari :
« A treize ans, je pouvais tisser,
A quatorze ans, j'apprenais à couper,
A quinze ans, je jouais de la musique,
A seize ans, je lisais poèmes et histoires,
A dix-sept ans, je devins ta femme.
Mon cœur est toujours triste et peiné.
Toi, tu es fonctionnaire de la préfecture.
Voulant t'être fidèle, mon amour est constant.
Mais que je suis seule dans cette chambre vide !
Tous les jours, je te vois si rarement.
Dès que le coq chante, je commence à tisser.
Chaque nuit, jamais je ne puis me reposer.
Je fais cinq pièces en trois jours.
Tes parents me reprochent d'être trop lente.
Oh ! ce n'est pas qu'au métier que je suis lente !
Dans ta famille, une épouse est malheureuse !
Je ne puis être esclave,
A quoi sert d'y rester encore !
Va t'en parler à tes parents,
Qu'ils me renvoient tant qu'il est temps ! »
Le fonctionnaire entendant cela,
Monta dans la salle et dit à sa mère :
« Déjà le sort de ton enfant n'est pas brillant.
Mon seul bonheur est d'avoir une charmante femme.
Ensemble nos cheveux ont été noués,
Ensemble nous couchons dans le même lit.
Ensemble nous voulons rester amis sous la terre !
Éternellement nous serons unis !
Depuis quelques années à peine nous sommes époux,
Ce n'est pas de longtemps...
Cette femme se conduit sincèrement.
Pour quel motif la blâmes-tu ? »
Furieuse, la mère lui répondit :
« Mon fils, que te considères-tu si bas !
Impolie et manquant de respect,
C'est à son gré seul qu'elle veut agir.
Depuis longtemps ma décision est prise.
Te crois-tu donc tout à fait libre ?
Notre voisin de l'est a une gentille fille
Qui s'appelle Lou-fou ;
Rien n'est comparable à son beau corps !
Je vais la demander en mariage pour toi.
Renvoie vite cette maudite femme.
Qu'elle ne reste plus ici ! »
A genoux, le fonctionnaire supplia :
« Écoute-moi, écoute-moi, ma mère !
Si tu renvoies ma pauvre épouse,
Je passerai ma vieillesse solitaire. »
La mère l'entendant parler ainsi
Frappa le lit et éclata en colère :
« Mon petit, tu n'as donc rien à craindre,
Tu oses plaider la cause de ta femme !
Oui, je suis méchante et peu généreuse,
Mais jamais je ne me soumettrai ! »
Le fonctionnaire sans répondre
Saluait deux fois sa mère et rentrait dans sa chambre.
Il voulait en raconter à sa femme,
La gorge si serrée, qu'à peine il pouvait parler :
« Ce n'est pas moi qui te chasse...
Mais ma mère l'exige...
En attendant, rentre d'abord chez toi,
Moi, je vais à la préfecture.
Et sous peu, je reviendrai.
A mon retour, j'irai te chercher.
Calme ton cœur en pensant à moi.
N'oublie pas mes paroles ! »
La jeune femme répondit à son mari :
« Ne discutons plus...
Souviens-toi qu'autrefois,
Au moment de notre mariage,
C'était le dixième mois de l'année,
Je quittai ma famille pour venir dans la tienne.
Obéissante aux ordres de mes beaux parents,
Je n'ai jamais dirigé les affaires moi-même.
Jours et nuits, je travaille sans cesse.
Quoique fatiguée et seule,
Je n'ai jamais osé me plaindre.
Je me crois sans défaut
Et espère de vivre paisiblement.
Oh ! malgré tout mon dévouement,
Je suis chassée et renvoyée !
Pourquoi parler de revenir !
J'ai une belle jupe brodée,
Ses franges lumineuses scintillent ;
Une moustiquaire doublée de soie rouge,
Des sachets parfumés se balancent aux quatre coins.
J'ai encore une soixantaine de malles
Entourées de fines cordes bleues et vertes.
Tous les objets diffèrent les uns des autres :
Tout est là, dans ces caisses.
Abjecte comme je suis,
Mes objets sont donc comme moi, méprisables,
Indignes de faire partie du trousseau
De celle qui viendra à ma place.
Garde-les quand même pour les distribuer en aumônes
Dès aujourd'hui, nous ne nous reverrons plus !
Console-toi, mon cher ami.
Jamais ne nous oublions ! »
Au dehors, les coqs chantaient et le jour parut.
La femme se leva et se coiffa gentiment ;
Elle revêtit une jupe de belle broderie ;
Quatre ou cinq fois, elle s'examina.
Aux pieds, elle mit des souliers de soie ;
Sur la tête un peigne d'écaille brillante.
Sa taille enveloppée de crêpe blanc
Est comme de l'eau qui serpente.
Deux jades ronds croissants de lune pendent à ses oreilles.
Ses doigts si fins ressemblent à des oignons taillés.
Et sa bouche aux perles rouges est si jolie !
Doucement elle s'avança à petits pas
Gracieuse et exquise, sa beauté n'a pas de rivale.
Elle arriva dans la salle et salua sa belle-mère,
Celle-ci ne cessa de se fâcher.
« Née d'une famille humble,
Je n'ai pas d'éducation,
Aussi ai-je honte d'être épouse d'un noble.
J'ai reçu tant d'argents et d'étoffes,
Je ne puis travailler selon votre volonté.
Aujourd'hui je retourne chez moi,
Je regrette de vous laisser seule
A supporter les fatigues du ménage ! »
Puis elle fit ses adieux à sa petite belle-sœur.
Ses larmes tombent comme des perles désenfilées :
« Quand j'arrivai ici,
Tu ne pouvais que t'appuyer sur le lit.
Aujourd'hui je suis chassée,
Tu es haute comme moi.
Sois dévouée à tes parents.
Aide-les soigneusement.
Aux jours de congé, en t'amusant.
Pense à moi !... »
Elle quitta la porte, monta dans la voiture et s'en alla.
Ses larmes coulent sans cesse.
Le cheval du fonctionnaire marcha en avant,
La voiture de sa femme le suivit.
Lentement ils arrivèrent au carrefour des grandes routes.
Le mari descendit du cheval, entra dans la voiture.
Et tête à tête, il parla à l'oreille de sa femme :
« Je jure de ne pas me séparer de toi.
Retourne chez tes parents pour le moment.
Je dois aller à la préfecture,
Bientôt je reviendrai,
Compte sur moi, je te serai toujours fidèle ! »
Elle répondit :
« Je connais ton cœur. J'en suis touchée.
Si tu ne me délaisses pas.
Je t'attendrai toujours...
Tu es comme la roche solide.
Et moi, un simple jonc.
Les joncs encerclent fortement la roche
Qui ne veut pas non plus bouger.
Mais j'ai un père et un frère,
Leur caractère est impétueux comme la foudre ;
Je ne crois pas qu'ils me laissent libre
Et qu'ils ne blessent mon cœur ! »
Ils se dirent longtemps de douces choses...
Puis arrivant chez elle, elle marcha péniblement.
Son attitude manquait de fermeté.
Sa mère, la voyant arrivée, cria :
« Oh ! tu viens toute seule !
A treize ans, je t'apprenais à tisser,
A quatorze ans, tu savais couper,
A quinze ans, tu jouais de la musique,
A seize ans, tu connaissais les rites,
A dix-sept ans, je t'ai mariée.
J'espère que tu es toujours obéissante...
Quelles fautes as-tu donc commises ?
Pour retourner ici sans que j'aille te chercher ? »
« Ma mère, as-tu honte de moi ?
Sache bien que je n'ai commis aucune faute ! »
La mère fut bien triste.
Dix jours après son retour,
Le maire de la commune envoya un messager :
« Le maire a un troisième fils
Qui est charmant et sage.
Agé de dix-huit à dix-neuf ans.
Il est très instruit et plein de talent. »
La mère en parla à sa fille :
« Tu peux aller lui répondre ! »
La fille, les larmes aux yeux, reprit :
« Quand je quittai la maison de mon époux,
A plusieurs reprises, il me dit,
Qu'il fallait nous jurer de ne jamais nous séparer.
Si je trahis notre amour,
Ne sera-ce pas trop ridicule ?
Il convient d'interrompre les pourparlers.
Sans le froisser, refuse-le. »
La mère vint dire à l'entremetteur :
« Notre famille pauvre n'a que cette fille,
A peine mariée, elle est renvoyée.
Déjà indigne d'être femme d'un fonctionnaire.
Comment mériterait-t-elle le fils d'un maire ?
Ne pouvant combler votre désir.
Nous vous serons obligés de chercher ailleurs. »
Mais quelques jours après,
Le préfet fit venir son chancelier :
« J'ai entendu parler de la jeune fille d'une famille
Descendant des hauts dignitaires.
Mon cinquième fils
Doux et élégant n'est pas marié.
Comme tu es habile à parler,
Tu iras chez elle en qualité d'entremetteur. »
Le chancelier arriva et dit franchement :
« Le Préfet a un fils très beau.
Il désire demander la main de votre fille,
C'est pourquoi il m'a envoyé chez vous. »
La mère le remercia :
« Ma fille a fait un serment.
Moi, sa pauvre mère, je n'ose la contrarier. »
Le frère l'ayant entendu
Se tourmenta dans le cœur.
Il dit à sa jeune sœur :
« Pourquoi ne les compares-tu pas ?
Tu fus d'abord mariée à un fonctionnaire,
Tu peux devenir femme d'un fils du préfet.
Quelle différence entre ces deux sorts !
Le second t'honore hautement,
Si tu refuses de l'épouser,
Alors où comptes-tu aller ? »
La jeune femme levant la tête dit :
« Oui, tu as peut-être raison.
Je quittai ma famille pour suivre mon mari.
Au milieu de ma vie, je suis retournée ici.
Dispose de moi selon ton désir.
Oserai-je agir librement ?
Malgré mon serment au fonctionnaire.
Nous n'aurons plus l'occasion de nous revoir.
Tu peux accepter ce qu'on nous a proposé.
Préparons tout de suite le mariage ! »
L'entremetteur s'en alla immédiatement :
« Oui, oui,... bien,... c'est ça... »
A son retour, il dit au préfet :
« Votre serviteur, suivant votre ordre
A fait la démarche avec succès. »
Le préfet fut joyeux d'apprendre cette nouvelle.
Consultant l'almanach et d'autres livres,
Il fit venir son fils et lui dit :
« Ce mois-ci est le mois propice.
Le trentième jour est favorable,
Aujourd'hui, nous sommes le vingt-sept.
Va vite te marier. »
On commença à faire des préparatifs.
Les gens se suivaient comme des nuages flottants ;
Les bateaux étaient sculptés d'oiseaux et de cigognes
Portant aux quatre coins des bannières peintes de dragons ;
Les voitures dorées aux roues ornées de jade
Étaient traînées par de beaux chevaux noirs ;
Les selles étaient parées de fils d'or.
On apporta trois millions de sapèques
Enfilées sur des cordes de soie bleue,
Et trois cents pièces de draps multicolores ;
Puis, des poissons rares et des objets précieux.
Quatre ou cinq cents serviteurs suivaient le cortège
Qui arriva devant la porte de la ville.
La mère ordonna à sa fille :
« Le préfet vient de m'envoyer une lettre
M'annonçant que demain l'on viendra te chercher.
Ne manque pas cette belle cérémonie.
Pourquoi ne confectionnes-tu pas tes habits ? »
Mais sans rien répondre
Elle se couvrit la bouche d'un mouchoir et sanglota.
Ses larmes coulaient comme un torrent.
Poussant son canapé incrusté de cristal
Jusqu'au devant de la fenêtre,
Avec des ciseaux et une règle,
Elle coupa les satins et les crêpes.
Dans la matinée, elle finit une jupe brodée,
Dans la soirée, des chemises minces.
Tout était sombre, le soleil allait disparaître,
Triste, elle sortit de sa maison et pleura.
Le fonctionnaire apprenant cette mauvaise nouvelle,
Demanda un congé et revint chez lui.
A deux ou trois li de sa demeure,
Son cheval hennit péniblement.
La jeune femme qui connaissait la voix de l'animal
Vint au devant de son mari.
Le cœur brisé, elle le cherchait partout.
Enfin l'ancien époux arriva.
Il frappa la selle de son cheval,
Elle poussa des soupirs à déchirer le cœur.
« Depuis que tu m'as quittée,
Bien des événements sont arrivés !
Toi, tu ne sais pas tout ce qui se passe ici !
Oui, on veut s'opposer à notre vœu.
J'ai des parents, puis des frères...
Ils veulent tous me contraindre...
Ils m'ont promise à un autre.
Te voilà de retour, mais rien à espérer ! »
Le fonctionnaire dit à la jeune femme :
« Je te félicite d'un bel avenir.
La roche est toujours large et épaisse
Capable de résister un millier d'années.
Mais le jonc ne l'enlace qu'éphémèrement,
Il peut s'en aller du matin au soir.
Tu deviendras de plus en plus noble.
Moi seul, je pars vers le pays des morts ! »
La jeune femme lui répondit :
« Oh ! pourquoi parles-tu ainsi !
Tous les deux nous sommes si opprimés,
Notre sort est aussi malheureux pour l'un que pour l'autre.
Au revoir, nous nous retrouverons sous la terre.
N'oublions pas notre serment ! »
Ils se serrèrent la main,
Puis chacun prit son chemin...
Hélas ! quelle triste histoire
Quand les vivants se font les adieux des morts !
Hélas ! Ils vont quitter ce monde.
Personne ne pourra les réunir !
Le fonctionnaire rentra dans sa maison,
Il monta dans la salle pour saluer sa mère :
« Aujourd'hui que le vent est triste et froid
Il flétrit tant d'arbres du bois.
Les gelées glaciales congèlent les orchidées.
Je pars bientôt vers les ténèbres
Je te laisserai seule désormais.
J'ai fait moi-même ce pénible projet.
Ne maudissons pas les esprits.
Que ta vie soit aussi solide que les pierres !
Que ta santé soit toujours florissante ! »
La mère pleura en l'écoutant :
« Tu es un fils de grande famille,
Tu travailles pour les services publics,
Ne meurs pas pour une femme !
Le sentiment d'un noble doit être faible envers une servante.
Notre voisin de l'est a une fille bien sage,
Sa beauté est célèbre dans toute la ville,
Je vais demander sa main pour toi.
Tu l'auras du jour au lendemain. »
Le fils se prosterna deux fois.
Entra dans sa chambre vide.
Et soupira longuement.
Il tourna la tête vers la porte
Méditant pour exécuter sa décision.
La tristesse le tourmentait et l'oppressait.
Au dehors, le cheval hennissait et le bœuf beuglait.
La femme arriva dans son pavillon,
Lorsque le silence régnait au crépuscule.
Alors les bruits s'éteignirent, tout fut calme.
« Ma vie touche à sa fin aujourd'hui,
Mon âme part, seul mon corps reste ! »
Ayant soulevé sa jupe et quitté ses souliers,
Elle se jeta dans un étang limpide.
Le fonctionnaire apprenant cette nouvelle,
Pensa aux séparations éternelles,
Il allait et venait promenant ses regards,
Puis se pendit aux branches d'un arbre.
Les deux familles demandèrent qu'on les enterrât.
On les enterra ensemble au penchant de la montagne Fa.
A l'est et à l'ouest, on planta des sapins et pins,
A gauche et à droite des dryadras et aleurites.
Leurs branches se croisaient les unes les autres,
Et les feuilles flottaient entremêlées.
Là se trouvaient deux petits oiseaux
Appelés Ying-ying,
Levant la tête et s'appelant mélancoliquement
Jusqu'au point du jour.
Les passants s'arrêtaient pour les écouter,
Les veuves les entendaient avec perplexité.
Que les futures générations prennent garde !
Faites attention de ne pas oublier cela !
(suite) Au point de vue moral, ce qui caractérisait la femme chinoise d'autrefois, c'était surtout son extrême douceur. Elle acceptait, avec la plus aimable docilité, toutes les
décisions de son père ou de son frère, si elle était jeune fille ; de son mari ou de ses beaux-parents si elle était mariée. La jeune fille d'un milieu social élevé, ne pouvait rêver d'amour.
Elle savait à l'avance qu'elle n'aurait pas le droit de choisir l'homme auquel elle allait se vouer pour la vie et qu'elle devrait épouser celui désigné par sa famille. Loin d'être la compagne de
son époux, elle n'était plutôt que la servante de ses beaux-parents et l'instrument de leur future génération. Dès que la femme cessait de plaire, elle pouvait être renvoyée. La vertu des
Chinoises, sous le régime monarchique, tenait uniquement au respect de la volonté paternelle ou conjugale ; mais ce respect était, chez elles, un sentiment si fort, qu'il dominait toute leur
conduite. On arrive à comprendre, en lisant cette longue poésie, combien de chinoises ont souffert de ces lois sociales vraiment inhumaines.
Depuis la Révolution de 1911, la situation de notre société a évolué considérablement. Le pouvoir absolu du mari ou des pères de famille est aboli, comme d'autres pouvoirs moraux favorables
seulement à l'ancien régime tyrannique. L'inégalité entre les deux sexes n'existe plus. La femme d'aujourd'hui est la collaboratrice de l'homme. Ils travaillent ensemble et s'entr'aident dans
tous les domaines politiques, économiques, éducatifs. Elle est libre d'agir, d'aimer et de choisir son mari.
Cela doit remplir d'aise le cœur de nos poètes contemporains. Il n'y aura plus à raconter, espérons-nous, des histoires aussi tristes et aussi douloureuses que celle que nous traduisons ici.
Quand la brise printanière nous effleure de son léger souffle, quand les jeunes tiges confondent leurs murmures à ceux des vagues lointaines, quand les fleurs laissent échapper leurs délicats
pétales et embaument tout de leurs pénétrants parfums, quand la rosée scintillante, semblable à de grosses perles, se pose sur des feuilles aux couleurs de jade, alors, nos poètes pourront
chanter une charmante idylle et le réveil d'un joyeux amour !