Pierre Rousseau (1889-1939)
L'ART DU TIBET
Peinture. Architecture
Revue des Arts Asiatiques, Vol. 4, No. 1 (mars 1927), pp. 21-39, et Vol. 4, No. 2 (juin 1927), pp. 83-97.
- "L'art tibétain, qui s'est révélé à nous depuis quelques années, a été fort peu étudié au point de vue artistique pur. Les nombreux travaux qu'il a inspirés étant surtout d'ordre iconographique, il nous a paru intéressant d'en fixer ici les caractères, d'en montrer les qualités et les défauts, et d'étudier quelles en sont les origines... Il est encore impossible d'avoir une idée précise sur la date des œuvres d'art du Tibet et moins encore sur la localisation des styles dans telle ou telle province... Il y a donc dans la peinture en particulier une absence complète de documents qui nous empêche de suivre l'art du Tibet d'après son histoire... Parmi les œuvres que nous possédons en Europe ou ailleurs, il en est peu qui soient antérieures au XIVe siècle (sculpture) ou au XVe (peinture)... Quelles sont les causes de cette apparition tardive ? La plus simple de toutes est que le Tibet moderne, comme le dit M. Jacques Bacot, est au même degré de civilisation que nous étions au XVe siècle."
- "L'architecture est une des formes de l'art le plus directement influencée par le degré de civilisation, aussi ses dates d'apparition dans chaque pays sont elles très différentes. Si nous ignorons sa véritable origine, ainsi que le nombre de siècles qui se sont écoulés avant que l'homme ne sache bâtir un simple mur, le problème, déjà obscur dans les pays connus, devient complètement insoluble quand il s'agit du Tibet. Là, non seulement nous ne pouvons étudier le pays, dont une très minime partie a été explorée, mais encore les fouilles sont impossibles à cause de l'ignorance des lamas envers l'archéologie, et des croyances populaires : le Tibétain se refuse en effet à creuser le sol, même pour enterrer ses morts, de peur que les mauvais esprits de la terre, en trouvant une issue, ne viennent tuer les hommes ou détruire leurs récoltes."
Extraits : L'introduction du bouddhisme - Les bannières - Le poi,t de vue artistique - L'architecture.
Caractères généraux - xxx
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Une autre cause [de l'apparition tardive d'œuvres d'art au Tibet] est que le bouddhisme n'y fut introduit qu'au VIIe siècle après J.-C. et que, pendant deux siècles des luttes violentes avec la
religion Bon-po, qui existait avant lui, l'ont empêché de s'épanouir. Avant son apparition, le Tibet était en pleine barbarie. Un tiers de la population était représenté par des nomades
pacifiques, un autre par des brigands de grand chemin et des sorciers, tandis que le dernier tiers composait l'armée des princes régnants. Ceux-ci étaient animés de l'esprit de conquête, étendant
leur puissance en Turkestan et en Mongolie. En outre ils avaient fort à faire avec la Chine, qui voulait s'emparer de leur pays. Le Tibet connut même des heures de gloire quand, deux fois
victorieuses, ses armées infligèrent aux empereurs T'ang de sanglantes défaites près du lac de Koko-noor (dans la deuxième bataille qui eut lieu en 678 l'armée de Kao-tsong (649 à 684) ne se
composait pas moins que de 180.000 hommes). L'influence intellectuelle de la Chine a commencé malgré ces luttes à se faire sentir au Tibet au VIIe siècle après J.-C. Le plus grand des empereurs
chinois T'aï-Tsong (627 à 649), si bon, si ouvert à la culture intellectuelle et aux idées nouvelles, n'a pas été sans influencer le roi tibétain Sroń-bçan-sgam-po, et sans ouvrir la voie au
bouddhisme. D'ailleurs, après sa conversion, ce monarque eut l'audace de demander à son ennemi l'empereur Jaune sa propre fille en mariage, mais celui-ci, nullement froissé, ne lui donna qu'une
princesse apanagée. Sroń-bçan, insatiable, demanda encore une autre femme au roi du Népal Amçuvarman, fondateur de la dynastie des Thâkouri, qui lui envoya sa pieuse fille. Les deux reines sont
considérées comme des formes de Târâ, la Népalaise, Târâ verte et la Chinoise, Târâ blanche, qui toutes deux, sur un trône de lotus, esquissent d'une main féminine le geste de la charité, et
tiennent deux fleurs de lotus. Ces deux sœurs jumelles, inséparables sur les peintures, ont le charme langoureux des divinités hindoues, et font penser aux fresques de Bâgh et d'Ajantâ.
Après les quelques conciles qui se sont succédé dans l'Inde septentrionale, et qui ont donné corps au bouddhisme du Nord, nous voyons celui-ci s'étendre vers l'Ouest et gagner le Gandhâra où sa
rencontre avec les artistes grecs, ou plutôt gréco-indiens, lui donne un grand épanouissement. Puis des missionnaires indiens, pendant plusieurs siècles, s'infiltrent en Asie, en tournant les
frontières occidentales du Tibet, se fixent en Asie centrale où leur trace est jalonnée par l'art bouddhique régional, et remontent enfin jusque dans la Chine du Nord porter aux empereurs chinois
les saintes doctrines du Mahâyâna.
Il y a deux sortes de peintures tibétaines, les unes fixes, peintures murales, les autres mobiles, oriflammes et bannières. Les bannières
constituent à elles seules la majeure partie de la peinture tibétaine. Leur intérêt iconographique, leur composition décorative, la finesse de leurs couleurs et de leurs détails méritent que nous
nous y arrêtions longuement.
Ces bannières ont une forme généralement rectangulaire, leur taille varie beaucoup : les plus petites ayant environ 0,40 m de haut, les plus grandes atteignant parfois jusqu'à 2 mètres. Elles
sont présentées à la manière de nos tableaux d'école, tenues par deux baguettes l'une en haut, l'autre en bas, sur lesquelles elles sont cousues sans franges. Ceci leur donne de la tenue et
permet de les rouler, soit pour les conserver dans une bibliothèque, soit pour les transporter. Quelques-unes voyagent beaucoup, emportées par des lamas missionnaires, pour leur servir à propager
la foi. On en rencontre souvent, paraît-il, qui en portent en grand nombre, qu'ils consentent parfois à vendre aux curieux.
L'image peinte n'est pas toute la bannière, car elle est présentée au milieu de soieries de la Chine ou des Indes : soies damassées, brochées, lamées d'or ou de papier de couleur. Ces étoffes
d'une seule teinte, ou d'une polychromie discrète, sont réparties parfois avec un goût très sûr en différentes bandes concentriques, mettant bien en valeur la peinture. Très souvent un ou deux
rubans rouges ou jaunes aux tons symboliques l'isolent de la marge de soie. Elles sont toujours doublées d'une toile ou d'une cotonnade naturelle, et les coutures latérales sont cachées par une
discrète cordelière. Pour les isoler du monde et des regards impies, une toile de soie indienne décorée au pochoir est fixée sur la baguette supérieure, et, librement retombe sur la
bannière.
Elles sont placées dans différentes pièces des lamaseries, dans les bibliothèques, les salles de réception et les sanctuaires, alignées côte à côte et souvent en grand nombre, faisant aux statues
des Bodhisattvas, devant lesquels fume l'encens et brûlent les lampes à beurre, un fond bariolé, harmonieux et mystique. Au moment des fêtes religieuses, et pendant les cérémonies qui, à Lha-sa,
lors de la nouvelle année, durent une vingtaine de jours, elles sortent en grand nombre et sont promenées dans les processions et dressées au milieu des statues sur les autels provisoires que les
lamas érigent dans les rues.
Quant à leur exécution, aux matières et aux procédés employés pour les peindre, nous supposons qu'avec le respect de la tradition, si ancré dans l'âme tibétaine, les peintures anciennes qui nous
intéressent furent exécutées dans les mêmes conditions que les peintures des ateliers modernes des lamaseries. Cette tradition d'ailleurs a été surtout fixée par des traités bouddhiques de
peinture, d'ornementation, d'iconographie et d'iconométrie (çilpaçastras).
Elles sont faites sur une toile assez fine, plus rarement sur une soie ayant subi une préparation qui les rend imputrescibles. Pour les grandes peintures, avec une habileté extrême, les toiles
sont cousues d'une façon invisible. Puis la surface à peindre est recouverte d'un mélange de craie et de colle patiemment poli à la corne.
Les couleurs naturelles, seules employées autrefois, étaient surtout de provenance indienne ou chinoise. Le Tibet en fournissait fort peu, mais il devait fabriquer l'or en poudre (ce métal n'y
est pas rare) ainsi que le noir. Les couleurs végétales comme l'indigo et le sang-dragon étaient fabriquées dans l'Inde et vendues en petits pains comprimés, le vert de Chine au contraire,
provenant d'une espèce de nerprun, poussait en Cochinchine. Les couleurs minérales venaient de la Perse et du Japon, par la voie chinoise ou mongole, et se composaient de réalgar et d'orpiment.
Le beau vermillon de Chine ou cinabre, employé dès la plus haute antiquité par les peintres des Pharaons, était aussi dans la palette de ceux des grands lamas. Il est probable que le blanc
mélangé aux autres couleurs (car ces peintures sont des sortes de gouaches) était de la céruse, que déjà les Grecs connaissaient, et dont plus tard Pline et Vitruve ont décrit la fabrication. Ce
sont les marchands chinois ou hindous qui apportaient, avec de l'opium, des cotonnades et des soieries, ces couleurs aux Tibétains, en échange de l'or, du borax, des peaux de bêtes et des
turquoises.
Seul un lama pouvait peindre ces sujets suivant les règles absolument strictes. Ce devait être un saint homme, dit le Kandjur (encyclopédie lamaïque de plus de cent volumes), réservé dans ses
manières, ayant de bonnes mœurs, et très initié aux écritures sacrées. La pieuse image devait être peinte dans un lieu toujours propre (chose bien étonnante au Tibet !). Le peintre était assis
par terre et travaillait sur ses genoux, entouré de nombreux élèves. Parmi ceux-ci le grand ancien avait l'honneur de peindre les teintes de fond, son second broyait les couleurs les mélangeant
probablement à l'œuf ou au miel, et les autres, fascinés par le pinceau, gardaient un religieux silence. Ce tableau n'évoque-t-il pas la Renaissance italienne et l'atelier d'un Cimabue ou d'un
Giotto ? Ici, la moindre faute iconographique étant un péché grave, le travail s'accomplissait avec lenteur. L'attention du maître et des élèves, les prières que récitait à tout moment le
peintre, souvent en duo avec un autre lama qui lisait les textes sacrés, tout cet ensemble créait une atmosphère de mysticisme et de piété intenses. M. Roerich a assisté dans une lamaserie à
cette coutume traditionnelle, mais il est vraisemblable que le procédé du poncif, exécuté devant lui, est d'un emploi récent. Il consiste en l'application sur la toile d'une plaque de métal,
perforée comme un pochoir, que l'on suit dans tous ses contours par un tracé noir ou rouge ; ce procédé enlève évidemment de l'attrait aux peintures modernes, et semble trop industrialiser le
travail, ce qui n'a jamais été le défaut des arts jeunes. Pour certaines divinités, ce tracé ne peut se faire que le 15 du mois et sa mise en couleur que le 30 ! L'étalement des teintes se fait
comme dans la gouache, la couleur épaisse préparée d'avance, mais cependant il y a d'habiles dégradés, comme ceux par exemple des grosses fleurs du premier plan, où le rose tourne au blanc très
pur, ou bien encore des flammes, des nuages et des ciels. Enfin, et c'est là tout le caractère original de ces peintures, de fins traits d'or enluminent à profusion le sujet, décorant les
étoffes, formant les traits du visage, traçant le contour des objets figurés et venant leur donner la teinte générale de liaison qui, quoique riche et décorative, n'en est pas moins discrète et
intime.
Les règles strictes dictées par l'iconographie lamaïque aboutissent à une trop fidèle reproduction des types semblables. Il est lassant dans
quelques peintures de voir un dieu représenté plusieurs fois dans la même attitude. L'emploi du poncif actuel exagère ce défaut dans les peintures des siècles derniers, et donne trop l'impression
du travail en série. En outre, il semble qu'il enlève la personnalité du peintre et que l'œuvre, de ce fait, en souffre. Mais par l'analyse du détail, où l'on voit le charme et le fini de tous
les petits personnages, des animaux et des arbres, qui, dans des prés fleuris, gravitent autour des divinités principales, on reconnaît bien ce qu'en style d'atelier on nomme la « patte » d'un
artiste. D'autres défauts, qui se montrent sur certaines œuvres, sont la régularité un peu géométrique de la décoration et une exagération de la symétrie de l'ensemble. Enfin la représentation de
divinités monstrueuses, qui sont quelquefois nombreuses sur une image, a le défaut de la rendre plus curieuse que belle.
Tout ceci est bien peu de chose en face des qualités charmantes et tout à fait originales de ces œuvres d'art.
Le système décoratif particulier, dénué de toute perspective, mais présentant les différentes parties par plans, à des échelles différentes, est non seulement très remarquable mais encore très
habile. Il est certainement fait avec intention : ces peintures sont des prières et celui qui les regarde se sanctifie. En premier lieu il voit le personnage important, le dieu que la peinture
doit spécialement faire invoquer. Il frappe le regard par sa taille, et généralement est au centre. Puis, comme attiré vers l'un ou vers l'autre dans un ordre imposé, les yeux se portent vers les
autres divinités. Cette habileté à conduire nos regards est une chose magique, qui fait penser au sens obligatoire dans lequel se tournent les moulins à prières, de même qu'à ces vieux murs, que
l'on voit aux abords des villes tibétaines, dont une face seule est recouverte d'invocations. Le pieux voyageur qui passe n'hésitera pas, pour lire celles-ci, à prendre le bon côté tandis que
celui qui se trompe commet un sacrilège. Enfin les yeux se reposent sur les nombreux détails qui couvrent le reste de la peinture et là, se retrempant aux forces vivifiantes d'une nature riante
et calme, le fidèle passe graduellement de son rêve mystique à la réalité.
Le personnage principal est d'une taille assez grande, occupant même souvent presque toute la toile. Il est traité avec beaucoup de finesse, et son visage est tantôt d'une sérénité apaisante et
douce, tantôt monstrueux et terrible. Le sourire figé de l'art gréco-indien ne s'y retrouve plus ; c'est une grande paix qui règne sur les traits du Bouddha ; ses yeux à demi-fermés montrent
qu'un monde immense nous sépare de lui. Pour traduire cette expression si mystérieuse et si troublante du regard, les artistes tibétains se servent du procédé indien qui consiste à faire
descendre le milieu de la paupière supérieure vers l'inférieure, donnant à la fente oculaire l'image d'un V très ouvert.
Le canon tibétain est très près de la réalité, il procède d'une façon exclusive de l'art hindou et les proportions du corps sont admirablement naturelles. Quelques personnages debout, cependant,
semblent avoir un corps un peu court. On voit souvent dans ce cas des pieds en équerre dessinés avec gaucherie : la position du trois-quart, si juste sur les visages, est mauvaise dans
l'interprétation du pied.
Quand la règle iconographique veut que le dieu ait plusieurs têtes ou plusieurs bras, les attaches sont très habilement « camouflées » et l'œil est satisfait, car il n'y a là ni gaucherie ni
fausse supercherie. Le problème de la Târâ aux mille têtes a été résolu d'une façon très originale et très gracieuse, voici comment : ces têtes sont en quelque sorte montées sur un écran que la
déesse porte comme un diadème immense. Sur la ligne médiane de celui-ci s'étagent, de plus en plus petites, des têtes de face, et à côté d'elles, à droite et à gauche, viennent se ranger d'autres
têtes de profil, en lignes parallèles. Ajoutons à cela que leur ensemble sur l'écran est colorié en cinq grandes taches aux cinq couleurs des Dhyâni-Bouddhas, et que tout cet appareil
gracieusement incliné semble léger à porter. Les mille bras, autour d'elle, forment une grande roue dont la tête est le centre, et l'on y distingue nettement les multiples lignes des bras, des
avant-bras et des mains, dont chacune tient un attribut. Cette Târâ, malgré son air parfois rébarbatif et son lourd bagage, trouve encore le moyen de tenir, non sans grâce, au-dessus de sa tête
inclinée, un joli parasol.
Les vêtements sont toujours traités avec un grand luxe de détails. Ce sont toujours des étoffes brochées d'or, souvent jaunes ou rouges, et les ornements qui y sont peints sont de fort jolies
arabesques, évoquant l'idée des enluminures persanes. L'ensemble de ces traits d'or surajoutés masque la gaucherie avec laquelle, sur beaucoup de peintures, les plis de l'étoffe sont indiqués.
Là, l'étoffe y est traitée comme si elle était mise à plat, les plis ou les motifs décoratifs tournant mal, parce que le pli n'est représenté que par une ligne. Il est facile de s'en rendre
compte sur la robe de la Târâ aux mille têtes. Par contre, dans d'autres peintures les écharpes et les vêtements sont absolument vivants car la broderie d'or moule les plis.
Il n'y a pas de modelé véritable pour les corps. L'ébauche des ombres de la figure ou des bras que l'on voit si nettement dans les images de Touen-houang (Turkestan) ainsi que dans les peintures
mongoles de l'Inde n'existe pas au Tibet. Et cependant ces deux catégories de peintures sont antérieures aux autres ; il est d'ailleurs juste de dire que les simples traits des figures tibétaines
sont tout aussi charmants.
Le personnage principal est sur un trône. S'il est Bouddha, ce trône est un lotus à double rang de pétales. D'autres sont sur un animal favori, assis sur un tapis qui retombe sur les flancs de la
bête, et se tiennent dans un équilibre qui ferait frémir nos plus hardis écuyers. Le dieu porte d'énormes boucles d'oreilles qui en allongent démesurément le lobe, puis d'autres bijoux, des
colliers immenses qui quelquefois sont des crânes ou des têtes humaines, des bracelets et des ceintures ; tous ces objets, d'ailleurs, sont très nettement indiens et dessinés avec grande finesse.
Ses mains tiennent les attributs qui le caractérisent, dans le détail desquels il serait trop long d'entrer, mais dont les plus fréquents sont la roue de la loi, le lacet, l'arc, le trident, le
sceptre, le collier, l'aiguière, la foudre, les armes magiques, la petite mangouste qui crache des perles, le cintâmani, ou joyau qui comble tous les vœux et donne toutes les félicités.
Seuls, les Dhyâni-Bouddhas, ceux qui méditent très loin de ce monde et qui ne sont que pensée, et avec eux Çâkya-Mouni, sont vêtus d'une façon simple, et ne portent d'autre attribut que l'ûrnâ et
l'usnîsa. Ils tiennent parfois le bol à aumônes (Çâkya-Mouni) et font les gestes rituels de la salutation, de la prédication, de l'enseignement, de la prise à témoignage et de la charité.
Devant le trône sont des offrandes, des objets précieux, et des animaux. Souvent de chaque côté se tiennent les compagnons favoris ou les premiers disciples, comme par exemple Gyal-chab et
Mkhas-grub, entourant Tsong-kha-pa.
Les divinités de second plan sont traitées de la même façon, et sont soit à la même échelle, soit de tailles différentes. Leur nombre varie suivant la peinture. En haut ce sont les
Dhyâni-Bouddhas et leurs Târâs, souvent groupés dans un nimbe circulaire en forme d'arc-en-ciel, aux couleurs symboliques en bas, les divinités tantriques. Mais il y a de nombreuses variantes :
quelques-unes ne présentent qu'un ou deux personnages, d'autres sont asymétriques, ce qui, par contraste avec la majorité, les rend plus originales.
Les matériaux employés par les Tibétains sont surtout la pierre, la brique séchée au soleil, la terre et le bois. La pierre abonde en ce pays de
roches montagneuses. Elle est prise à pied-d'œuvre, il suffit de la tailler et de la mettre en place et le maçon n'en est pas ménager. C'est une roche granitique qui, bien travaillée, fait de
gros murs très solides. Certains schistes servent également : ce sont des pierres qui se laissent cliver en tables plates et servent à recouvrir le faîtage des murs. Dans quelques régions,
celles-ci sont employées sur les toits à la manière de tuiles.
Quant aux briques, elles sont faites avec la terre plus ou moins argileuse que l'on traite au pilon dans des coffrages en bois et qui sort à l'état de moellons durs, plus ou moins gros, qui sont
ensuite cuits au soleil. Souvent même les gros murs de terre sont faits en un seul bloc et « coffrés » dans du bois qui les maintient pendant le séchage. C'est le même procédé que nous employons
pour le ciment armé. Ils sont très résistants parce que le pays est sec, la pluie étant rare et le vent, violent. Les ciments n'existent pas, les matériaux sont simplement mis au contact les uns
des autres sur des surfaces assez bien aplanies. Cependant les ouvriers emploient aussi la terre battue pour boucher les interstices des pierres et recouvrir l'arête supérieure des murs de
clôture. Tassée en forme de dos d'âne, elle les garantit contre la pluie, (fig. 1). Il n'est pas rare, surtout dans la campagne, de voir des murs recouverts d'un torchis de terre, mêlé d'argols
(bouse de yaks séchée). La chaux, blanche ou colorée, sert à crépir les murs des maisons riches, à l'intérieur comme à l'extérieur. Le bois joue un grand rôle dans l'architecture du pays. En
dehors des rares régions fertiles de l'Est, où toutes les essences peuvent se rencontrer, on emploie surtout les bois de montagnes tels que le pin, le sapin, le mélèze, l'orme, le cyprès et le
genévrier. (Ces deux derniers, remarquablement solides et imputrescibles). Ils servent à la confection des plafonds, des parquets, des charpentes de toits, des escaliers, des colonnades, balcons
et entablements et garnissent les portes et les fenêtres. Peints, sculptés ou bruts, ils sont fort employés dans la décoration intérieure. Le métal sert rarement, mais il recouvre les toits des
sanctuaires sous forme de feuilles de zinc, de cuivre jaune et d'or, On fait également avec ces métaux des écussons pour garnir les frises.
Le mode de construction est très rudimentaire. Les murs sont « montés » au moyen de pierres, taillées avec des faces assez régulières et minutieusement posées presque sans interstices. Les
moellons sont tenus les uns aux autres par simple superposition. Malgré cela, et quoique le maçon tibétain ne connaisse ni l'équerre ni le fil à plomb, les arêtes sont très régulières et très
vives, car les pierres sont choisies avec grand soin. Ce procédé primitif n'en donne pas moins aux constructions une grande solidité, et l'on est frappé de voir la résistance de quelques murs
gigantesques comme ceux du Potala par exemple (pl. XVIII). À cause de cette absence de mortier, ces murs doivent avoir à leur base une assise large et puissante, ce qui explique que les plus gros
atteignent parfois dix mètres d'épaisseur. Point n'est besoin dans ce cas de murs de fondation ! Mais alors, ils se rétrécissent au fur et à mesure qu'ils s'élèvent, et pour que les parois
intérieures restent verticales, les parois extérieures doivent obliquer assez fortement. À la coupe, le mur a l'aspect d'un haut trapèze, dont une face serait à angle droit sur l'horizontale et
l'autre très inclinée. C'est ce « fruit » qui, en amincissant de bas en haut les murs, donne aux constructions tibétaines le même aspect trapézoïdal que l'on retrouve dans les monuments égyptiens
(fig. 2).
Les bâtiments n'ont ni fondations ni caves. Ils sont construits sur un emplacement de terre, soigneusement pilonné. Il semble que l'usage de la voûte soit ignoré dans ce pays mais c'est
probablement parce qu'aucun explorateur n'en a rencontré, car, par le Turkestan, elle a pu être importée de Perse dans le Tibet occidental. Ce sont les poutres de bois qui séparent les étages,
soutiennent les murs au-dessus des portes et des fenêtres et supportent les toits.
Il n'existe pour ainsi dire qu'une sorte de toiture au Tibet, c'est le toit plat en terrasse, comme « à l'italienne », et, quoiqu'il soit fait en terre battue et que l'écoulement des eaux y soit
rarement prévu, il est d'une remarquable solidité, supportant la pluie et la neige.
Les fenêtres sont presque toujours construites sur le même modèle ; ce sont des ouvertures rectangulaires assez larges mais ne donnant pas beaucoup de jour à l'intérieur à cause de l'épaisseur
des murs qui sont à peine ébrasés. Les chambres étant peu spacieuses, ces fenêtres sont assez rapprochées les unes des autres. Le linteau est une poutre épaisse, mal équarrie, qui soutient le mur
sus-jacent. Il tient très souvent les chevrons des poutres du plafond, qui sont saillants à l'extérieur en deux ou trois rangées. La rangée supérieure dépasse les autres en avant et un peu sur
les côtés et supporte quelques pierres plates, ce qui figure au-dessus de chaque fenêtre un petit toit et donne l'impression de « paupières baissées » comme dit Jacques Bacot. Les chambranles,
dans quelques constructions très anciennes, sont de grosses poutres plus larges en bas qu'en haut. Dans les maisons plus récentes, l'encadrement des fenêtres est peint en noir, dessinant l'image
des anciens chambranles. L'appui est rarement en bois. Dans ce cadre, des meneaux divisent la fenêtre en plusieurs ouvertures rectangulaires closes au moyen de papier beurré ou d'étoffes ou plus
rarement de verre importé des Indes. Le châssis est fixe ou mobile. L'ensemble de ces fenêtres à corniches rappelle, de l'extérieur, les fenêtres égyptiennes, depuis le linteau avançant, jusqu'à
l'écartement inférieur des chambranles, qui leur donnent une forme de trapèze élargi à sa base, comme dans le type appelé depuis Vitruve « atticurge ». Dans les maisons riches, il existe parfois
des doubles ou des triples fenêtres séparées par des colonnades, dont les chapiteaux dessinent une ogive basse. Cette disposition est constante au-dessus du péristyle des temples comme nous le
verrons plus loin, et, suivant que les fenêtres sont derrière les colonnes ou entre celles-ci, leur ensemble dessine soit un balcon, soit une terrasse en encorbellement.
La porte extérieure, quoique peu large, permet cependant l'entrée des bestiaux et des chevaux. Les portes des appartements sont petites, basses et situées dans le coin des pièces. Leur ouverture
est fermée soit par une porte en bois, soit par une portière d'étoffe.
Les escaliers sont assez primitifs, en pierre ou en bois. Ce sont souvent des troncs d'arbres grossièrement échancrés et sans rampes ou même des échelles. Ils sont presque toujours extérieurs,
donnant sur la cour, et sont enlevés pour la nuit comme des pont-levis, ce qui supprime toute communication entre les étages. En guise de cheminées il y a des simples trous à fumée que l'on
bouche quand il pleut. On ne connaît pas l'existence de cheminées incluses dans les murs. Les dispositions hygiéniques sont également des plus rudimentaires, quand elles existent, réduites alors
à des petites cases, percées d'un trou et suspendues au coin de la maison. Cette disposition d'ailleurs existe surtout dans les maisons riches, ce qui les rend plus malsaines et plus
malodorantes. Quant aux eaux grasses, elles sont jetées au hasard dans la cour et par les fenêtres.
Cette description générale met surtout en relief les défauts de l'architecture tibétaine qui, tant au point de vue de l'hygiène qu'à celui du confort, laisse beaucoup à désirer. Mais cependant,
ces bâtiments solides et bien faits pour protéger les habitants contre le froid, ont, dans leur ensemble, des qualités artistiques très grandes, dues, non seulement à leurs lignes pures, mais
aussi à leur décoration qui, dans son uniformité, a séduit tous les voyageurs. Elle est sobre et se marie harmonieusement avec les lignes et les couleurs de la nature environnante.
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Lire aussi :
- Joseph Hackin : Mythologie du lamaïsme (Tibet)
- Albert Grünwedel : Mythologie du bouddhisme au Tibet et en Mongolie
- Fernand Grenard : Le Tibet et ses habitants
- Gabriel Bonvalot : À travers le Tibet inconnu
- Léon Feer : Le Tibet. Le pays, le peuple, la religion
- Charles-Eudes Bonin : La truie de diamant
- Léon-Joseph De Milloué : Bod-Youl ou Tibet (Le paradis des moines)