Mission lyonnaise d'exploration commerciale en Chine
Paul-Richard Deblenne (1853-19xx)
CONTRIBUTION À L'ETHNOLOGIE
des races autochtones de la Chine méridionale et occidentale
Mission lyonnaise..., A. Rey et Cie, Lyon, 1898, pages 347-386.
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"Les indigènes non chinois de la Chine méridionale et occidentale présentent entre eux un certain nombre de points ethniques communs. D'après leur plus ou moins
d'affinité, nous les avons divisés en trois groupes : I. Miao-kia (Mans du Tonkin septentrional), dont font partie les Yao-jen et les Ké-lao, desquels se rapprochent les Long-kia. — II. Thais
(Thos du Haut-Tonkin), qui comprennent les tribus désignées sous le nom d'Y-kia et de Tchong-kia, au Koui-tcheou ; de P'en-ti ou T'ou-jen, au Kouang-si ; et de Pa-i (Chans, ou Shans des
Anglais) au Yun-nan, dont les Po-la sont une branche. — III. Sy-fan-Lolos (Khas du Laos), auxquels se rattachent les Man-kia (Man-tse).
Tous ces noms, Miao, Man, Y, etc., sont des mots chinois employés comme termes de mépris, par les Han-jen (hommes de la dynastie des Han ; Chinois purs), aux hommes de races étrangères. Leur signification, assez vague, correspond à peu près à nos mots : barbares, sauvages, non civilisés. La terminaison tse (fils de) est également une marque de mépris. Le mot kia est beaucoup plus acceptable."
- "Ces autochtones sont répandus surtout dans les campagnes ; ils s'y réunissent en hameaux et petits villages. Les marchés, les gros centres, les villes sont habités par les Chinois, les métis de Chinois et d'aborigènes."
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"Les indigènes préchinois forment, encore aujourd'hui, des groupes compacts en quelques endroits, particulièrement les Lolos dans le sud-ouest du Se-tchouan
(entre la vallée du Kien-tchan et le Yang-tsé), les Man-kia au nord-ouest de cette province et du Yun-nan, les Hé-Miao (Miao noirs) dans les régions de Houang-pin (est du Koui-tcheou) et de
Ly-pin (sud-est de la même province, etc.). Les Y-kia résident au sud du Koui-tcheou let dans une bonne partie du Kouang-si.
Les Miao-kia occupent de préférence le sommet des montagnes ; les Lolos et les Man-kia affectionnent les hauts plateaux.
Certaines régions sont habitées simultanément par des indigènes préchinois non seulement de tribus, mais de groupes ethnographiques différents."
Extraits : Les Miao proprement dits
Feuilleter
Lire aussi
« Les Miao-tse, ou plutôt Miao-kia, « hommes qui ont germé du sol », d'après Morisson et Lockhart, habitaient autrefois les régions de la plaine,
notamment les bords des lacs Tong-ting et Poy-ang. Graduellement refoulés par les colons chinois dans la région des montagnes, ces Nan-man, ou Barbares du Sud, ainsi qu'on les nommait jadis, se
sont cantonnés pour la plupart dans le massif du Nan-ling et dans les vallées environnantes ; forcément divisés par les plaines intermédiaires, ils ont dû se répartir en tribus nombreuses, dont
les différences se sont accrues de siècle en siècle, et sous lesquelles il est difficile de reconnaître la parenté d'origine. Le Chou king (livre des Histoires) partage les Miao en trois groupes
principaux : Blancs, Bleus et Rouges, dont il existe encore des représentants dans le Koui-tcheou méridional.
« Au commencement du XVIIIe siècle, les Miao-tse étaient répandus dans les provinces du Se-tchouan, du Koui-tcheou, du Hou-kouang (qui forme aujourd'hui les deux provinces de Hou-pé et de
Hou-nan), du Kouang-si et sur la frontière de la province du Kouang-toung. »
Depuis cette époque, ils ont été partie détruits, partie refoulés vers le sud et vers les points culminants des montagnes, où d'ailleurs ils
semblent se plaire, et dont le climat leur paraît plus favorable que le milieu ambiant des terres basses. Ils occupent actuellement les sommets montagneux du Koui-tcheou, de l'est du Yun-nan, de
l'ouest du Hou-nan, de certaines parties du Kouang-si, du nord-est du Kouang-toung et du nord du Tonkin où on les désigne encore par le nom de Man.
Le père Vial, missionnaire français au Yun-nan, rapporte que les Chinois disent : « Koui-tcheou, Yao-Miao tché ti ; Yun-nan, Y-Man tché tin », c'est-à-dire : « Le Koui-tcheou est la patrie des
Yao et des Miao, le Yun-nan est la patrie des Y et des Man ». « Ces deux dernières dénominations, ajoute le père Vial, indiquent les Lolos : les Man sont les Lolos non soumis et les Y sont les
Lolos soumis. »
Ainsi qu'il est indiqué plus haut, les termes Y et Man signifient « barbares ». Les Chinois désignent sous le nom de Y-kia une autre population préchinoise méridionale dont nous nous occuperons
plus loin.
C'est donc surtout le Koui-tcheou qui, selon les Han-jen, est la pairie des Miao. Ceux-ci y seraient représentés, dit-on par une quarantaine de tribus inégalement réparties. Ils seraient assez
nombreux en certains points du centre, de l'est, du sud, du sud-est et du sud-ouest de la province.
Les caractères différentiels qui ont servi aux Chinois à établir des distinctions entre les tribus Miao sont tirés le plus souvent de la couleur ou d'une autre particularité de leurs vêtements,
quelquefois des lieux où elles vivent près de telle rivière, sur le sommet des hautes montagnes, dans les cavernes), ce qui, au point de vue ethnographique, ne saurait former la base d'une
classification sérieuse.
Au dire des missionnaires français, les Miao, particulièrement les Hé-Miao, qui habitent la région de Houang-pin (est du Koui-tcheou) sont très prolifiques (les familles miao noirs ont
quelquefois sept, huit ou dix enfants) ; ils émigrent du côté du Hin-y fou. Il y a cent ans, il ne s'en trouvait pas une seule famille dans cette préfecture, où l'on en compte aujourd'hui
plusieurs centaines.
Du Hin-y fou, un certain nombre se sont dirigés sur le Gan-chouen fou. On en voit à Gan-pin, à Yun-lin tcheou ; ils y sont encore peu nombreux. Les Hé-Miao sont venus au Hin-y fou sous l'empereur
Kia-kin à la suite des soldats envoyés pour étouffer une rébellion des Y-kia. Ils y sont presque tous fermiers des Chinois, des indigènes (Y-kia), premiers possesseurs du sol, et aussi de
quelques-uns des leurs, devenus maîtres d'une fortune plus ou moins considérable.
Les Tsin-Miao et les Pé-Miao, pauvres, timides, inconstants, émigrent souvent par crainte de malversations chinoises, ils se fixent (les Pé-Miao principalement) dans les vallons les plus retirés,
dans les gorges les plus sauvages des montagnes.
Les Sen-Miao, du Koui-houa tin, où ils occupent un pays assez restreint, de deux journées de marche environ (50 à 60 kilomètres) et d'une largeur à peu près égale, propriétaires des terres qu'ils
occupent, sont sédentaires et très attachés à leurs champs, suivant le père Ménel, missionnaire à Koui-houa. Ils semblent nés pour vivre dans leurs affreuses montagnes. Ceux qui, par hasard, vont
à Gan-chouen (1.500 m. d'altitude), dont la région assez montagneuse est, pour eux, un pays de plaine, paraissent tout dépaysés. Les autres Miao-kia, quoique non propriétaires du sol, pour la
plupart, ne quittent point, en général, le pays où ils sont nés pour aller vivre ailleurs.
Dans le Koui-tcheou, il y a des Miao un peu partout disséminés, par hameaux ou petits villages fixés, de préférence, au sommet des montagnes, sur les plateaux élevés et éloignés des grands
centres populeux ; leurs maisons en paillottes sont assez étroites, basses et très primitives.
Dans le Koui-houa tin, les Sen-Miao habitent des hameaux de huit, dix, vingt familles.
Au Hin-y fou, les Pé, Tsin, voire Hé-Miao, vivent par familles ou petits hameaux de quatre, cinq, six familles, grossièrement construits, mais les Hé-Miao du Tchen-yuen fou, du Ly-pin fou, etc.,
sont groupés par villages. Dans les pays de Sin-houang-pin tcheou, Tsin-pin hien, Che-pin hien, Ly-pin fou, Kou tcheou, dit le père Alphonse Schotter, on rencontre beaucoup de villages de Miao
noirs. Parfois, pendant cinq ou six jours de marche, on ne voit que des Miao de cette tribu. Le gros village Hé-Miao de Ong-koué-long, à 50 lis (20 kilomètres) de Sin-houang-pin tcheou, renferme
neuf cents familles. Beaucoup d'autres villages de Miao noirs sont habités par cinquante, soixante, soixante-dix à quatre-vingts familles.
Je n'ai pu, malheureusement, recueillir aucun renseignement physiologico-médical sur l'accouchement chez les femmes miao. Dans ces populations
exclusivement agricoles, la réclusion de la femme, après la naissance d'un enfant, est d'ordinaire, et naturellement, bien moins sévère que chez les Chinoises. La jeune mère a hâte de montrer son
nouveau-né à ses parents et de recevoir les félicitations de ses connaissances. Trois jours après la naissance de l'enfant, les parents se réunissent pour boire le vin en signe de réjouissance.
Le nom patronymique de l'enfant est celui du père. De même que chez les Chinois, les Miao portent aussi toute leur vie le nom d'enfance qui leur est donné ensuite. Ils ne prennent des noms
chinois que lorsqu'ils ont étudié ou qu'ils sont assez grands pour être appelés à faire ou à signer des écrits publics.
À l'âge d'un à deux ans, les parents sen-miao donnent un nom à l'enfant ; si cet enfant est un garçon, le nom qui lui est choisi est le plus souvent un nom de chien ou d'un autre animal. Quant
aux petites filles, on les appelle ordinairement 1re, 2e, 3e, etc., sœur. Chez les Annamites, il existe une coutume analogue. On désigne aussi les fillettes par des chiffres, seulement c'est la
mère qui porte le numéro 1, la 1re s'appelle fille 2e, la seconde fille 3e et ainsi de suite. Les Sen-Miao, comme d'ailleurs les paysans chinois, donnent un nom d'animal à leurs enfants mâles
pour tromper le mauvais génie. Pensant que toutes les maladies proviennent de la malveillance du malin esprit, ils croient ainsi user de ruse, s'imaginent que le « diable » n'entendant nommer
qu'un animal passera outre et ne viendra pas tracasser leur enfant. Lorsque celui-ci parviendra à l'âge de dix-huit ou vingt ans, on lui imposera un autre nom qui sera un nom chinois. On
l'appellera, par exemple : Ciel, Bonheur, Perle, Pierre précieuse, etc.
L'infanticide qui, dit-on, dépeuple le bas Kouang-si, est à peu près inconnu chez les indigènes du Koui-tcheou et dans la partie du Kouang-si voisine de cette province. Le Miao aime ses enfants
et en est aimé. Les fillettes ne sont point abandonnées par leurs parents ; elles sont bien vues et bien traitées par toute la famille. Les nombreux enfants idiots, sourds-muets, rachitiques, mal
conformés (résultat de l'insalubrité du climat, dans le bas Koui-tcheou et le haut Kouang-si en particulier, de la non-observation des règles les plus élémentaires de l'hygiène, du sevrage trop
précoce et de l'absence de toute médecine) qui existent dans les familles jusqu'à l'âge de vingt à trente ans le prouvent. Nous avons vu à Hin-y fou bon nombre de ces déshérités miao et y-kia,
charitablement recueillis, employés à de petits travaux et nourris par le père Alphonse Schotter.
Si un Miao tombe malade, on fait venir le sorcier. Les parents donnent à manger au premier autant qu'il le désire et tout ce qu'il désire, même des fruits non encore parvenus à maturité ; ils ne
pensent pas qu'il y ait des aliments qu'un malade ne peut pas manger et ne croient pas que les remèdes puissent le guérir.
Lorsqu'un individu est décédé, on l'inhume dans un terrain inculte de manière à ce que le devant du tombeau soit vis-à-vis de ses champs. Les Miao se figurent que le mort ou l'âme du mort
protégera et fera prospérer les récoltes de la famille. L'enterrement proprement dit se fait sans grand bruit, mais il n'en est pas de même d'une autre cérémonie que les Miao font plus tard à une
époque indéterminée et qui n'est qu'un supplément des funérailles.
Cette cérémonie est désignée par l'expression « faire du Kàn-mà » (en chinois) ; en langue sen-miao, miè-mèy, ce qui veut dire : « couper la tête à un cheval », De leurs coutumes superstitieuses,
le Kàn-mà est celle que les Miao aiment le mieux ; il faudrait qu'ils fussent bien pauvres pour s'en priver. Au jour déterminé, ils vont en foule sur la montagne, les hommes généralement à
cheval, les femmes parées de leur plus beau vêtement national. Les jeunes gens mettent le feu aux pétards et les musiciens font retentir les échos d'une musique assourdissante, qu'ils se figurent
être mélodieuse. Tout étant prêt, on traîne le cheval à l'endroit où il doit être immolé. Le sorcier fait quelques simagrées, les femmes pleurnichent, sanglotent même, donnent du riz à manger au
pauvre solipède, se prosternent devant lui, enfin un parent de la femme du mort s'approche et tranche la tête au coursier. Le suprême de l'habileté est de faire tomber la tête d'un seul coup de
sabre, mais ceux qui sont chargés de tuer le cheval n'y réussissent pas toujours. Le cheval abattu, on se met en devoir de le dépecer, de le faire griller, puis on le mange sur le lieu même ;
mais aucun des membres de la famille du défunt ne doit y toucher. Si c'est le mari qui est mort et à qui on offre le cheval, ce sont les parents de la femme qui tueront l'animal et le mangeront.
Si, au contraire, c'est à la femme défunte que l'on offre le sacrifice, ce sont les parents du mari qui immoleront la bête et prendront ensuite seuls part au festin.
Les Miao ignorent quelle est l'origine de cette fête funéraire. Les Y-kia qui ont une cérémonie à peu près semblable dans laquelle ils tranchent la tête à un bœuf en donnent l'explication que
nous reproduirons plus loin en parlant des gens de cette race. Quelle que soit l'origine de cette immolation d'un cheval ou d'un bœuf, l'intention des populations qui la mettent en pratique est
d'envoyer un de ces animaux au défunt pour qu'il s'en serve dans l'autre monde. Le mourant y-kia ou miao exprime à sa famille le désir d'emmener avec lui un bœuf ou un cheval et sa famille lui
rend ou croit lui rendre ce service. Le père Ménel, qui nous a transmis le récit succinct de cette cérémonie, fait remarquer que le terme « sacrifice », pour exprimer l'immolation du cheval ou du
bœuf, est impropre au sens religieux du mot. « Je ne crois pas, ajoute-t-il, qu'hormis les Chinois aucune population du Koui-tcheou offre des sacrifices. »
Les Sen-Miao ne font pas de testament. Lorsque l'un d'eux vient à mourir, s'il laisse des enfants mâles, majeurs, ceux-ci se divisent les biens à parts égales et vendent leurs sœurs, devenues
aussi leur propriété par suite du décès du père. Si le décédé n'a pas d'héritiers mâles directs, un de ses frères, ou à défaut de frère son plus proche parent, épouse sa femme et entre en
possession de son avoir, ou vend la femme, et les frères se partagent les biens.
Si les enfants sont mineurs, un frère ou le plus proche parent épouse la veuve, élève les enfants et cultive les terres du défunt jusqu'à la majorité des enfants. Devenus majeurs, ceux-ci
reprendront les terrains de leur père, mais leur mère restera toujours la femme de celui qui l'a épousée en second lieu. Les veuves ne peuvent être vendues ou épousées par leurs propres enfants,
La veuve qui a des enfants mâles majeurs pourra rester avec eux si bon lui semble ; ses enfants la respecteront et la traiteront en maîtresse de la maison. Entre cousins germains, les Miao-tse
s'appellent frères.
Dans les grandes circonstances, par exemple pour un mariage, les Miao tuent un bœuf ; ils tuent un chien les jours de réjouissance ordinaire, ainsi lorsqu'ils terminent une plantation ou
lorsqu'ils font la récolte ; enfin, le porc et la poule sont d'un usage courant pour la nourriture, comme chez les Chinois.
En général, les Miao sont cultivateurs. La plupart sont pauvres et fermiers. Il en est cependant de riches pour le pays, parmi
ceux qui possèdent des terrains dans le Houang-pin tcheou particulièrement. Le père Michel a vu un Miao possédant 600 tan ou piculs (6.000 boisseaux de riz) de revenu. Chez les Hé-Miao de
Houang-pin, il y a peut-être des biens communaux dont le produit sert à couvrir les frais faits par le village pour les fêtes, réunions, procès intentés ou soutenus, ou d'autres questions
intéressant la communauté. Les Sen-Miao n'ont pas de propriété communautaire. Chez eux, les familles ne possèdent guère plus que ce qu'elles peuvent mettre en culture. Dans le cas où une famille
ne peut suffire à cultiver tout son bien, elle en loue une partie ; si ce sont des rizières, elle en partage la récolte avec celui qui les cultive ; si ce sont d'autres terrains, le propriétaire
touche une redevance en argent.
Lorsque deux familles miao, à la suite d'une contestation survenue entre elles, soumettent leur différend à un mandarin chinois chargé de la justice, celui-ci ruine ordinairement les deux parties
et les renvoie souvent sans avoir terminé leur affaire.
La propriété, avons-nous dit déjà, se transmet de mâle en mâle, à moins qu'il n'y ait que des filles dans la famille du décédé : alors elles héritent (sauf chez les Sen-Miao).
Les biens, terres et habitations peuvent être transmis aussi par vente. Les Miao prêtent parfois sur hypothèques.
Les Miao-kia cultivent le coton, le maïs, le riz, le millet, le sorgho, une espèce d'ivraie comestible mâo-pay ou plutôt hoûng-pay (riz de montagne). Les deux principaux produits agricoles des
Sen-Miao sont le maïs et le coton. Les Miao s'occupent aussi de la culture de l'indigo. Ceux des tribus autres que les Hé-Miao font beaucoup de chanvre avec les fibres duquel ils confectionnent à
peu près tous leurs habits ; les Hé-Miao se servent du coton pour leurs vêtements. Partout où l'opium est d'un bon rapport, ils ne manquent pas d'en ensemencer leurs terres, mais l'opium ne vient
pas dans les régions trop chaudes comme dans le bas Koui-tcheou, une bonne partie du Kouang-si, etc., où pousse la canne à sucre et où l'on récolte les bananes et le coton.
De même que les Y-kia, les Sen-Miao ne sont ni pêcheurs, ni chasseurs. Presque toutes les familles sen-miao, dit le père Ménel, ont un fusil dans leurs maisons, mais c'est plutôt pour se protéger
contre les voleurs que pour tuer le gibier.
Par contre, les autres Miao affectionnent la chasse et la pêche. Pour la chasse, ils ont le fusil et d'immenses filets qu'ils tendent dans les impasses, dans le but de prendre le
daim ; ils ne se servent pas de l'arc. Leurs instruments de pêche sont des nasses de différentes sortes, des filets de formes variées aussi. Les habiles tuent les gros poissons avec une lance en
bambou ; d'autres se servent de volumineux marteaux de fer, ils en frappent les pierres sous lesquelles ils supposent qu'il y a des poissons. Le poisson étourdi par le coup monte à la surface et
on le saisit. Les Miao font aussi des pêches abondantes en détournant les petites rivières ou en les empoisonnant, soit avec de la chaux, soit avec le suc de certaines herbes, lianes ou racines
qu'ils pilent sur une pierre et dont le suc mêlé avec l'eau fait mourir le poisson.
Il y a parmi les Miao des ouvriers en bois (menuisiers) et en fer ; ceux-ci fabriquent d'assez bons fusils à mèche, à canons longs, légers, montés sur de courtes crosses ; ces fusils portent
bien, car pour tuer une tourterelle, on n'y met d'ordinaire que quatre ou cinq grains de plomb. Quelques autres artisans, rares à la vérité, confectionnent les ornements d'argent que portent les
femmes, les jeunes filles, voire les hommes. D'autres sont maçons. Les Miao-kia savent carder le coton, tisser la toile, teindre les étoffes, confectionner leurs vêtements, ornementés de
broderies en soie par les femmes. Leur charrue, charrue primitive, et leurs autres instruments de travail sont comme ceux des Chinois chez qui ils se fournissent. Ils achètent aussi à ces
derniers ce qu'ils ne peuvent tirer de leurs terres, le sel, par exemple.
Les Sen-Miao paient généralement avec du coton les marchandises qu'ils achètent aux Chinois.
Les Miao colportent quelquefois certaines denrées, mais cela est rare ; bien peu s'occupent de commerce.
Les aborigènes n'ont pas de monnaie à eux particulière. Ils versent leurs impôts à la façon des Chinois des pays où ils se trouvent, seulement ils doivent payer, aux mandarins
chinois qui les grugent, dix fois l'impôt inscrit sur le cadastre. Ils ne l'ignorent point et se tiennent pour satisfaits si le mandarin chargé de percevoir les droits n'exige d'eux qu'un impôt
décuplé.
Il est des endroits où les sapèques n'ont pas cours ; on y fait usage, pour les transactions, d'argent en tout petits morceaux ; en d'autres pays on se sert du sel, ailleurs, comme chez les
Sen-Miao, de coton. Dans les préfectures de Yuen-lin, Tchen-fong, Tchen-lin, etc., les sapèques ne se comptent pas, elles se pèsent à tant la livre. Les Chinois ont coulé, pour ces pays, des
sapèques assez lourdes, moitié cuivre, moitié plomb. À Tsen-y, les sapèques sont petites, minces et légères ; il n'y a guère de cuivre autour du trou pour les enfiler. Aussi, en change-t-on
quelquefois un mille contre un ou deux tsien (le tsien est la dixième partie du tael ou once d'argent).
Au commencement du siècle dernier, les Miao-kia étaient gouvernés par des chefs de leur race. Bien que bloqués par les places de
guerre et les forts construits à grands frais par le gouvernement chinois pour intercepter leurs communications, plusieurs de ces chefs avaient encore une grande autorité. Ils étaient censés
soumis au souverain de l'empire du Milieu, mais, en réalité, ils jouissaient d'une indépendance à peu près complète.
Aujourd'hui, les Miao-kia, décimés par les guerres, les famines et les épidémies qui en furent la conséquence, divisés, comme nous l'avons vu plus haut, en une foule de petites tribus séparées
les unes des autres par des gens d'autres races (Chinois et Y-kia principalement), n'ont même plus souvenir de leur grandeur passée. Sur quelques points, ils ont encore des
seigneurs (t'ou se) qui sont loin d'avoir la puissance des seigneurs d'autrefois. Souvent, même ces seigneurs modernes des Miao sont des gens de races
étrangères (Chinois, Lolos, etc.), descendant d'officiers, des généraux venus dans le pays pour réprimer des révoltes d'aborigènes, et y ayant reçu des fiefs qui leur ont été concédés par les
chefs des armées impériales, voire par les empereurs, en récompense de leur conduite en ces circonstances.
Les anciens t'ou se étaient possesseurs du sol ; ils percevaient des redevances annuelles en argent, bœufs, porcs, brebis, riz ou autres objets en nature, coton, toile, etc., hommes à
leur service (corvées) qui étaient fixés pour chaque village de leur ressort. Ces seigneurs avaient aussi droit de justice. Le t'ou se, maître du sol, transférait le droit de cultiver
les terres, mais ne pouvait en céder la propriété. Cette dignité était héréditaire.
Les grands mandarins, gouverneurs, préfets, etc., exerçaient une autorité supérieure, mais distincte de celle du t'ou se ; ils avaient sur lui un contrôle nominal. Les gens des terres du seigneur
ne pouvaient s'adresser au mandarin que par l'intermédiaire de leur t'ou se. Les hommes du peuple désignaient cette dignité sous le titre de tié cha mao, « bonnet de fer, solide et
incassable ». Les mandarins peuvent être changés, cassés ; les t'ou se étaient durs comme le fer ; ils transmettaient leur pouvoir et leurs richesses à leurs descendants.
Actuellement, les t'ou se puissants ne sont plus nombreux, à peine en compte-t-on quelques-uns disséminés dans les pays miao. Ils prélèvent sur les villages soumis à leur juridiction
certains impôts analogues à ceux que nos paysans devaient fournir à leurs seigneurs féodaux au moyen âge (dîme, corvées, etc.). Quelques descendants de t'ou se n'ont plus que le droit de
rendre la justice à leurs administrés, moyennant rétribution de la part des plaideurs ; d'autres enfin sont seulement propriétaires des terres que les habitants cultivent en qualité de
fermiers.
Parmi les Miao, les Hé (Noirs) seuls ont encore leurs petits chefs, mais, pour les procès importants, ils doivent s'adresser aux mandarins chinois chargés de la justice. S'ils ne sont pas
satisfaits du mandarin qui leur est envoyé de Koui-yang, ils le reconduisent poliment hors de leur pays, et en attendent un autre qui leur convienne (P. Alphonse Schotter).
Les Hia-ho-Miao n'ont pas de t'ou se. Les Hé-Miao Te-ké-py de Sin-hoang-pin tcheou sont sous la juridiction de t'ou se lolo, comme les trois de Lou-tchou-yn (près de Sin-tchen),
Gâ-ky-yn et Po-ky-yn qui sont établis au Hin-y fou, mais dépendent de Pou-gan tcheou. Ces fiefs héréditaires ont été accordés à des t'ou se pour les récompenser des services rendus dans
les guerres.
Les Miao-kia ne semblent pas regretter leurs anciens seigneurs. La plupart préfèrent avoir affaire aux mandarins, parce que, l'impôt (quelque augmenté qu'il soit par les fonctionnaires impériaux)
une fois payé, on les laisse tranquilles, ce que ne faisaient pas leurs anciens t'ou se.
Les Sen-Miao ont des chefs appelés ly tchang qui gouvernent 100, 200, 300 familles au plus, nommés par les mandarins ; les élus des mandarins sont ordinairement les plus offrants. À leur
tour, ces chefs se choisissent des sous-chefs (ceux qu'ils nomment sont souvent les plus intrigants) qui portent le titre de kia tchang, chargés chacun de quatre ou cinq familles. Ces
chefs, les ly tchang et les kia tchang, arrangent les différends, moyennant rétribution des intéressés, mais le peuple n'est pas tenu de considérer leurs décisions comme
définitives ; il peut toujours en appeler au mandarin.
Dans les pays miao-kia, en général, les villages ont leurs maires (un maire, alors sorte de chef de canton, gouverne quelquefois plusieurs villages) pour régler les affaires courantes, vols,
disputes, etc. Leurs fonctions, bien que non rétribuées par le gouvernement, ne sont pas toujours sans être lucratives. Ces maires ont leurs adjoints. Les chefs des villages sont élus le plus
souvent par les habitants ; ils sont secondés dans leur office par les anciens ou les notables.
Les Miao ont une idée bien vague de Dieu, de l'âme, d'une autre vie. Ils croient, en général, à la justice du Ciel, sont persuadés que tout ne meurt pas avec le corps, mais ils
semblent confondre l'âme avec les esprits malfaisants. Plusieurs croient à la métempsycose ; il en est qui enfouissent de l'argent pour pouvoir s'en servir lorsqu'ils reviendront sur la terre.
D'autres évitent d'écraser une fourmi disant que, peut-être, c'est un de leurs ancêtres.
Pour les Hé-Miao, le Phu-lio (Tonnerre, Esprit du tonnerre, Ciel ou Esprit du Ciel, seul digne du sacrifice du bœuf) ou Xaway (la racine du ciel) est le maître de la vie. L'esprit mauvais Té-hlié
ou Xa (petit) Té-hlié, qui a existé avant l'homme, insensible à tous les sacrifices de poules et de chiens, a beau vouloir arracher l'âme au corps malade, il ne peut le faire sans la permission
du Phu-lio. Si la vie de celui qui vient de mourir a été bonne, son âme (xa liéou ou xa dliéou) ne sera pas forcée de rester toujours auprès du corps qu'elle avait animé, mais
elle peut espérer de la justice du Phu-lio une destinée nouvelle, par exemple d'être unie à un nouveau corps humain. Lorsqu'on demande aux Hé-Miao s'il n'y a qu'un seul ou plusieurs Té-hlié, ils
répondent qu'ils n'en savent rien.
Fatalistes ou superstitieux, ils attribuent tout à la vengeance des esprits malfaisants et des mânes des défunts. Dès qu'un malheur frappe une maison, on s'empresse d'appeler le
sorcier qui sacrifie à ces esprits mauvais une poule, un canard, un porc, un buffle, une vache, selon la gravité du mal et les ressources de celui qui a subi le préjudice. Le sorcier presse le
mauvais génie de réparer le malheur en lui promettant ce que lui vaudra la reconnaissance des personnes lésées et l'invite à goûter à la victime qui est là, cuite et toute préparée. L'esprit du
mal se contentant de la bonne odeur, la famille et surtout le sorcier invité consomment la matière du sacrifice.
Les Miao-kia, nous le voyons, ont des sorciers, mais ils ne possèdent pas de temple, n'ont pas de culte proprement dit. On rencontre bien dans
leurs villages, notamment chez les Sen-Miao, de très petites niches dans l'intérieur desquelles on aperçoit une ou plusieurs pierres plus ou moins bizarres, à l'instar des Chinois qui
construisent des tou-ty-miao dans tous leurs villages ; mais les Miao-kia ne brûlent pas de baguettes d'encens devant ces sortes de niches abritant les pierres. Par contre, à l'entrée de
tous leurs villages, ils tiennent pour sacré un grand arbre, dans lequel ils prétendent que réside l'âme de leur premier aïeul. Cet arbre protecteur, croient-ils, préside aux destinées du
village. L'arbre sacré des Miao-kia se nomme en chinois chou chen et en langue miao to tlong. Parfois aussi, à proximité du village, se trouve un bouquet de bois sacré, sorte de
«lucus». Les arbres de cette catégorie meurent et pourrissent sur place. Leurs branches, brisées par la foudre ou le vent, jonchent longtemps le sol ; si quelqu'un les emporte, ce n'est qu'après
en avoir demandé la permission et avoir offert un sacrifice au génie de l'arbre.
Quelquefois, ils entourent d'édicules carrés, formés par des morceaux de bois espacés les uns des autres et recouverts de tuiles ou de chaume, des pierres à contours naturels plus ou moins
géométriques, placées dans quelque informe rudiment de cromlech ou sur la lisière d'un lucus ; ces pierres sont des objets de crainte pour les Miao-kia, qui offrent, de temps à autre, des
sacrifices devant elles. Parfois, ils brûlent, de même que les Chinois, des bâtonnets d'encens près des rochers ou fragments de rochers de formes plus ou moins bizarres.
À certaines époques de l'année, ils offrent des aliments aux ancêtres, mais ils tiennent probablement cette coutume des Chinois. Comme ces derniers aussi, ils observent la fête des morts. Les
petits tumuli sont alors restaurés par les soins des parents et amis des défunts, les pierres tombales, s'il y en a, sont blanchies à l'eau de chaux, les tombes sont entourées de fleurs ou
surmontées de banderoles de papier blanc.
Ouvrage numérisé grâce à l’obligeance de la
Bibliothèque asiatique des Missions Étrangères de Paris. http://www.mepasie.org