Henri Maspero (1883-1945)
LE MING-T'ANG ET LA CRISE RELIGIEUSE AVANT LES HAN
Mélanges chinois et bouddhiques, Bruxelles, volume IX, 1948-1951, pages 1-71
- "Les lettrés de l'époque des deux dynasties Han demandèrent à diverses reprises à plusieurs empereurs l'érection à la capitale d'un édifice qu'ils assuraient avoir été fort important pour le bon gouvernement des saints souverains de l'antiquité. C'était un palais qu'ils appelaient Ming-t'ang et qui était destiné à être le Palais du Gouvernement tcheng-kong, non parce qu'on y réunirait les bureaux des grandes administrations, mais parce que par sa forme, son usage et les rites qui y seraient accomplis, il manifesterait le bon gouvernement du monde, rôle qu'il avait rempli, disaient-ils, au temps de Chen-nong, de Houang-ti et même sous les trois dynasties Hia, Yin et Tcheou."
- "Ce palais devait faire partie d'un groupe de trois qu'ils nommaient les Trois (Palais) entourés d'un Fossé San yong : le Hall Sacré Ming-t'ang, le (Palais du) Fossé Annulaire Pi-yong, et la Terrasse Transcendante Ling-t'ai, entre lesquels se partageaient les manifestations de la Vertu royale. C'était dans le Ming-t'ang que les anciens rois conformaient leur conduite à celle du Ciel, changeant d'appartement, de costume et de nourriture suivant les saisons ; ils y sacrifiaient à l'ancêtre dynastique pour l'associer p'ei au Ciel, ils y affichaient les lois au début de chaque année. C'était au Pi-yong qu'ils accomplissaient la cérémonie de nourrir les vieillards pour enseigner au monde la piété filiale. Enfin c'était au Ling-t'ai qu'ils observaient le ciel pour déterminer les influx fastes et néfastes."
Extraits : Le Ming-t'ang de Lo-yang
Fondement rituel et non architectural des descriptions du Ming-t'ang
La réforme religieuse des lettrés au temps des Royaumes Combattants
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Lire aussi
4 p. C. : Wang Mang et le Ming-t'ang de Tch'ang-ngan.
La construction d'un Ming-t'ang au pied du T'ai-chan fut tout ce que les lettrés purent obtenir des empereurs de la dynastie des Han Antérieurs : ils n'arrivèrent jamais à leur en faire bâtir un
à la capitale...
Wang Mang, élève et ami des meilleurs lettrés de l'époque, bon lettré lui-même et instruit dans les Classiques, se laissa d'autant plus aisément convaincre, qu'il partageait certainement les
idées des milieux lettrés sur l'efficacité du Ming-t'ang pour le gouvernement, et que d'autre part elles concordaient avec sa manière qui était le retour aux procédés de gouvernement des Saints
de l'antiquité. Il fit bâtir un Ming-t'ang à Tch'ang-ngan en 4 p. C. Il y avait un seul bâtiment tien, au milieu d'une enceinte extérieure yuan carrée avec une porte sur chacune des
quatre faces, chaque porte étant flanquée de deux tours kouan ; tout autour courait un fossé plein d'eau, avec une jetée extérieure de quatre pieds de haut. Il était situé à sept li au
Sud-Ouest de la Porte Ting-lou au Nord de la Wei, dont un bras avait été détourné pour servir de fossé au Pi-yong ; et le Ling-t'ai était à trois cents pas au nord ; le terrain choisi était celui
qui avait été désigné quand, sous l'empereur Tch'eng, il avait été question de construire un Pi-yong. On sacrifia au Ming-t'ang dès qu'il fut achevé ; l'inauguration qui fut splendide fut faite
de façon à coïncider avec un sacrifice hia de 5 p. C. : vingt-huit rois, cent vingt marquis, plus de neuf cents membres de la famille impériale furent convoqués pour la cérémonie, après
laquelle ils reçurent, suivant leur rang, un accroissement de leur fief ou de leur dignité, de l'or et des étoffes, des promotions, des augmentations de solde, etc. Lieou Hin et les deux adjoints
qui l'avaient aidé à diriger la construction reçurent chacun le titre de marquis avec un fief de dix mille feux. Aussitôt après son usurpation en 9 p. C., Wang Mang fit refaire le Ming-t'ang et
le Pi-yong, pour y remplacer les ancêtres des Han par les siens, Houang-ti l'Ancêtre de l'Auguste Commencement Houang-tch'ou tsou-k'ao, et Chouen le Premier Ancêtre de l'Auguste Famille
Houang-sing che-tsou-k'ao.
56 p. C. : Les Han Postérieurs et le Ming-t'ang de Lo-yang.
La chute de Wang Mang et la restauration des Han entraînèrent la suppression de presque toutes les innovations de l'usurpateur. Mais le Ming-t'ang fut maintenu, et cela montre à quel point les
lettrés tenaient aux idées que cet édifice concrétisait ; on admit sans doute que, son érection datant d'avant le temps de l'usurpation, on pouvait le considérer comme une institution des Han.
Cependant le changement de capitale ne permettait pas de se servir purement et simplement des bâtiments existants : il fallait obtenir une construction nouvelle à la nouvelle capitale. L'empereur
Kouang-wou ne paraît d'ailleurs avoir fait aucune difficulté à la construction, à Lo-yang, des Trois Palais entourés d'un Fossé San yong. Ce furent les discussions et les querelles des lettrés
qui furent le seul obstacle et qui retardèrent l'exécution. Dans une discussion devant l'empereur, qui dut avoir lieu entre 30 et 40 de notre ère, Houan Tan s'opposa violemment à l'empereur qui
voulait se servir, pour trancher les contradictions des rituels, des données contenues dans les king tch'an, petits ouvrages sur les Classiques qui jouissaient alors d'une grande vogue
mais que beaucoup considéraient comme non-canoniques. Il paya de l'exil son intransigeance, mais l'empereur n'osa pas passer outre et tout fut arrêté. En 54, un lettré célèbre, Tchang Chouen fit,
de concert avec le précepteur du prince impérial (le futur empereur Ming), le po-che Houan Ying, un rapport où était préconisée la construction d'un Ming-t'ang à Lo-yang ; moins raides
que Houan Tan, les deux lettrés avaient utilisé à côté des rituels classiques les king tch'an ainsi que les rituels et plans des Ming-t'ang de Wou-ti et de P'ing-ti. Aussi cette fois
l'empereur acquiesça et la construction put être entreprise. On choisit des terrains situés à deux li en dehors de la porte P'ing-tch'eng, c'est-à-dire de la porte principale du Sud, de chaque
côté de la grand'route sortant de cette porte. L'édifice paraît avoir été achevé en 56.
« La trente-et-unième année kien-wou (lire 32e, soit 56 p. C.), on fit un Ming-t'ang. La partie supérieure était ronde et la partie inférieure carrée ; il y avait douze halls pour imiter
les douze stations du soleil, neuf salles pour imiter les neuf provinces ; chaque salle avait huit fenêtres : 8 fois 9 font 72, pour imiter [les 72 périodes de 5 jours qui forment l'année] ;
chaque salle avait deux [portes : 2 fois 9 font 18] pour imiter les nombres du yin et du yang.
De même le Tong king fou de Tchang Heng (78-129), qui date à peu près de la même époque, parle de son bâtiment à étage et de ses neuf salles ayant chacune huit passages. Hou Kouang (qui mourut en
172 à l'âge de quatre-vingt-deux ans), expliquant un passage de Wang Long, un auteur de la première moitié du Ier siècle p. C., déclarait que
« le Grand Temple t'ai-miao était l'ancien bâtiment couvert en chaume du Ts'ing-miao kou-tchö ts'ing-miao mao-wou ; le Ming-t'ang actuel est couvert en chaume, mais on a mis des tuiles par-dessus
: on n'a pas oublié l'antiquité. »
Les douze halls étaient distincts des neuf salles : celles-ci étaient tout simplement des subdivisions du bâtiment central, tandis que les douze halls étaient disposés devant les neuf salles,
groupées par trois de façon à former une sorte de saillant en avant de chaque face avec un rentrant aux angles : le bâtiment avait ainsi la forme d'une sorte de croix dont chaque groupe de trois
halls formait un des bras et dont le carré aux neuf salles formait le centre.
Un bras de la rivière Kou avait été détourné pour le Pi-yong, qui était à trois cents pas de là. À proximité s'élevait la Terrasse Transcendante Ling-t'ai, haute de cinquante ou soixante pieds,
ayant vingt pas (cent vingt pieds) sur chacune de ses quatre faces, soit environ dix à douze mètres de haut sur vingt-quatre mètres de base ; c'était la seule de ces constructions qui eût une
destination pratique : elle servait d'observatoire astrologique et astronomique, et on y installa le grand globe céleste en bronze houen-yi, construit par Tchang Heng avec d'autres
instruments astronomiques. Le Ling-t'ai était à gauche et le Pi-yong kong à droite du Ming-t'ang : le premier s'élevait à l'ouest de la route sortant de la capitale par la porte P'ing-tch'eng,
porte du milieu de la face sud de l'enceinte, tandis que le Ming-t'ang se trouvait à l'est de cette route, entre la porte P'ing-tch'eng et la porte K'ai-yang (porte sud-est), et que le Pi-yong
devait être un peu plus à l'est, à 300 pas du Ming-t'ang. Plus à l'est encore, à deux cents pas du Pi-yong, au delà de la route sortant de la porte K'ai-yang, entre cette porte et l'angle sud-est
de la muraille après lequel la rivière Kou tournait vers le nord, était la Grande École des Fils de l'État, Kouo-tseu t'ai-hio, qui avait été élevée dès 51, et où furent dressées en 132 les
stèles portant le texte des Classiques ; à la différence des Trois Yong, c'était une véritable école et c'est là qu'enseignaient les docteurs, po-che.
Comme on le voit, ces édifices étaient absolument distincts du Palais et du Temple Ancestral, construits au milieu de la ville : un bras de la rivière Kou avait été détourné de façon à traverser
la ville de l'ouest à l'est, passant devant le Grand Autel du dieu du Sol, puis plus à l'est, au sud du Temple Ancestral ; ce n'est qu'après être sorti de la ville qu'il rejoignait le bras
méridional, qui, détourné lui aussi pour servir de fossé extérieur au mur d'enceinte sur les faces ouest, sud et est, avait passé successivement au nord des Trois Yong.
Cet ensemble de bâtiments paraît s'être construit lentement : le rapport autorisant leur construction est de 54 ; les travaux durent commencer peu après, mais le Pi-yong ne fut achevé qu'en mars
57. L'empereur Kouang-wou mourut presque immédiatement après, le 29 mars. On n'y fit par suite aucune cérémonie. Ce ne fut que deux ans plus tard, le 20 février 59, que l'empereur Ming y sacrifia
pour la première fois aux Cinq Empereurs en leur associant son père Kouang-wou ; la disposition des tablettes des cinq empereurs fut la même que pour le sacrifice dans la banlieue Sud, et la
tablette de l'empereur Kouang-wou fut placée face à l'ouest, au sud, c'est-à-dire un peu en arrière de celle de l'empereur Vert qui préside à l'Orient. La cérémonie achevée, l'empereur monta sur
la Terrasse Transcendante pour examiner les nuages. Par la suite, chacun des empereurs de la dynastie Han Postérieurs fit un sacrifice au Ming-t'ang et monta au Ling-t'ai : Tchang-ti en 78 p. C.,
Ngan-ti en 93, Chouen-ti en 136 et en 142...
Dans tous les ouvrages de la fin des Tcheou où sont données des descriptions détaillées du Ming-t'ang, K'ao kong ki, Ta Tai li ki, etc.,
ces descriptions ne sont jamais faites d'après un édifice réel, mais au contraire sont de simples jeux de notions symboliques. Au IVe siècle a. C., quand divers faits comme la désignation par ce
nom d'une constellation dans la liste d'étoiles établie alors par Kan Tô, ou la fondation à la capitale du Ts'i d'un Ming-t'ang local dont le roi Siuan discuta avec Mencius la légitimité, nous
montrent la vogue déjà considérable des idées relatives à cet édifice, aucun des auteurs qui en parlent n'en avait jamais vu, aucun d'eux n'en connaissait les dispositions réelles.
Et cependant leurs théories ne sont pas entièrement dénuées de base. À défaut d'un fondement monumental qui, je viens de le montrer, leur manquait, elles avaient un fondement rituel. Toutes ces
théories, aussi bien celles qui revêtent un aspect technique et qui se rapportent au plan et aux mesures de l'édifice que celles qui sont nettement philosophiques et religieuses, ont un seul et
même point de départ : les faits rituels de la vie royale, qui faisaient du roi un être à part, un personnage sacré dont l'existence se modelait sur l'ordre même des saisons et le cours de
l'année, mettant en jeu successivement la Vertu des Cinq Éléments.
C'est par le symbolisme des nombres que l'on arriva à déterminer les dispositions d'ensemble et de détail, les mesures du Ming-t'ang. Si, à l'origine, le palais royal a peut-être été un lieu
sacré, que son fossé plein d'eau séparait visiblement du monde profane, pour que le roi pût y mener la vie royale à l'abri des souillures et y manifester la Vertu Sacrée de sa fonction, le
Ming-t'ang perd en grande partie ce caractère et tend en revanche à devenir véritablement un microcosme. Tirant parti au double point de vue philosophique et numérique des faits rituels de la vie
royale, les lettrés sont parvenus, d'une part, à donner une explication philosophique de la relation mystique entre les actes du roi et le cours du monde, de l'autre, à réaliser un plan
architectural et une description de cette correspondance mystique, en déterminant toutes les mesures du Palais du Gouvernement dans lequel cette correspondance prend corps et où les actes royaux
lui donnent vie. De là ces spéculations curieuses où la description de l'édifice, l'énumération des salles, des portes, des fenêtres, etc., les formes et les nombres symboliques, viennent à
chaque instant s'intercaler au milieu des exposés philosophiques : ces deux parties de la doctrine sont nécessaires l'une à l'autre; elles se soutiennent mutuellement ; l'une est la réalisation
pratique de l'autre. Évidemment la partie théorique est d'un intérêt bien plus considérable que la partie pratique : celle-ci aboutit seulement à la construction d'édifices bizarres et cocasses,
véritables monstruosités architecturales, où tout était sacrifié au symbolisme des nombres, sans valeur d'aucune sorte, ni artistique, ni religieuse, que les dynasties successives bâtirent de
siècle en siècle par habitude, et dont le dernier spécimen existe aujourd'hui encore à Pékin, formant un petit pavillon du Wen-miao. Au contraire, la partie théorique a contribué à développer,
sinon à créer, toute la théorie du pouvoir royal ébauchée dans le Hong fan ; plus encore, elle a joué son rôle dans la formation d'une théorie particulière des rapports non seulement du
roi, mais de l'homme en général, avec le monde extérieur. Si ce que De Groot a appelé l'« Universisme » a pu prendre une place aussi considérable dans la pensée chinoise, c'est grâce à la
spéculation philosophique des lettrés des temps des Royaumes Combattants sur le Ming-t'ang.
Ce travail des lettrés du temps des Royaumes Combattants nous masque complètement l'antiquité. C'est un écran de spéculation philosophique et
religieuse qui s'interpose et fausse tout. Déjà au temps des Han il est clair que les Commentateurs des Classiques ne le dépassent pas.
Naturellement tout ce grand travail religieux n'a pas porté que sur le Ming-t'ang : ce n'est là qu'un point dans un ensemble énorme. À la théorie du Ming-t'ang s'apparente celle du sacrifice
fong-chan, qui apparaît à la même époque : ici encore, il s'agit probablement d'une chose ancienne; toutefois, comme le nom ne se rencontre dans aucun texte ancien, il n'est pas impossible que ce
soit une création de l'époque. Cela du reste importe peu : que le nom soit ancien ou récent, les prétendus faits que ce nom désigne sont de pures spéculations philosophiques et religieuses
d'écrivains du IVe et du IIIe siècle, mêlant les idées sur le bon gouvernement à la recherche de l'immortalité.
Le temps des Royaumes Combattants apparaît comme une période de pensée religieuse et philosophique intense. Le développement philosophique est familier à tous les sinologues, parce que nombre des
auteurs philosophiques de ce temps ont survécu, au moins partiellement. Mais le grand mouvement religieux n'a pas été aussi bien reconnu. La raison doit en être cherchée dans son succès même ; il
est une réforme qui a si parfaitement réussi qu'elle s'est fait oublier elle-même en donnant l'illusion qu'elle était l'exposé vrai et admis de tout temps des idées antiques. Car naturellement,
comme toujours en Chine, on ne prétendait pas innover, mais seulement remettre en valeur des idées de l'antiquité que la corruption des temps avait fait perdre. Les nouveautés ainsi introduites
se sont, dans bien des cas, si bien imposées qu'elles ont fini, dès le temps des Han, par être prises pour les idées réelles de l'antiquité. Ce résultat fut facilité par l'habitude de mettre les
livres sous le nom des sages antiques : ce n'est pas seulement Kouan-tseu, le ministre de Ts'i au VIIe siècle, c'est le scribe Yi, le ministre de Wen-wang et de Wou-wang, c'est le duc de Tcheou,
c'est Yi Yin, le ministre de T'ang le Victorieux, et bien d'autres encore, qui se voient ainsi attribuer des ouvrages plus ou moins bons aux IVe et IIIe siècles. La perspective chronologique des
idées religieuses fut ainsi définitivement faussée.
Il est nécessaire de s'en rendre compte pour mieux comprendre l'histoire religieuse de la Chine, et en particulier la formation de la religion des Han, si différente de celle des temps antiques.
Mais c'est peut-être plus encore pour notre connaissance de l'histoire générale de l'antiquité que ces faits sont importants. Nous avons appris depuis longtemps que l'histoire traditionnelle de
la Chine primitive avait été refaite de toutes pièces, comme celle de la plupart des peuples anciens, en transformant des légendes en matière historique. Même pour les périodes plus récentes,
nous commençons à nous rendre compte que les sources sont, au point de vue historique, assez médiocres, que si d'une part le Tch'ouen ts'ieou nous apporte des faits exacts, probablement
bien datés, c'est sous une forme si brève et si incohérente qu'il n'est guère possible d'en tirer une histoire suivie, tandis que de l'autre un ouvrage comme le Tso tchouan, si plein de
vie et de brillants tableaux, n'est en fait qu'une compilation faite sans aucune critique de sources de toute sorte, et dont la valeur historique est relativement assez basse. Mais, si les faits
historiques sont peu sûrs, nous avions l'illusion qu'on pouvait au moins trouver dans la littérature antérieure aux Han une peinture de la société chinoise, de sa religion, de ses institutions et
de ses idées. Cela aussi doit être abandonné. Les écrivains chinois des IVe et IIIe siècles ne décrivent que la société de leur temps ; quand ils parlent de la société antique, c'est en
réformateurs religieux qui déforment tout ce qu'ils touchent pour le faire entrer dans le cadre de leurs théories.
Dans le désarroi que causait alors la dissolution de la religion antique, incapable de survivre à la société sur laquelle elle avait été modelée, les meilleurs esprits cherchèrent un abri dans
des systèmes qu'ils crurent être une restitution de la religion antique. Les uns trouvèrent la paix dans les communautés religieuses issues de l'école de Mö-tseu ; d'autres, plus enclins à la
contemplation, prirent refuge dans les diverses branches de l'école taoïste. La plupart s'attachèrent simplement à retrouver ce qu'ils croyaient être la doctrine des Saints de l'antiquité sous ce
qu'ils considéraient comme la décadence des temps modernes ; leur travail consista surtout à développer et à préserver de leur mieux quelques idées fondamentales de leur temps qu'ils croyaient
être le legs de l'antiquité, et à les enrichir à l'infini par le jeu des nombres et des symboles. L'étude du Yi king avait contribué à faire adopter cette méthode, mais aussi à appauvrir
le vieux fond religieux, en laissant tomber toutes les idées qui ne pouvaient s'expliquer par les principes en vogue et qui apparaissaient comme des dégénérescences ou des corruptions de la
doctrine antique. C'est sur cette véritable réforme religieuse que s'est fondée la religion officielle des Han, et, par suite, celle de la Chine moderne.