Henri Maspero (1883-1945)
COMMUNAUTÉS ET MOINES BOUDDHISTES CHINOIS AUX IIe ET IIIe SIÈCLES
Bulletin de l'École française d'Extrême-Orient, tome X, 1910, pages 222-232.
- "On admet généralement que c'est au IVe siècle que les Chinois commencèrent à se faire bonzes, par autorisation expresse des empereurs. Cette opinion adoptée par presque tous les historiens chinois, laïques ou religieux, tire son origine d'un rapport de Wang Tou à T'ai tsou, mieux connu sous son nom personnel de Che Hou, un des princes de la dynastie barbare des Heou Tchao."
- "On peut admettre sans objection le fait avancé par Wang Tou dans son rapport, à savoir qu'il n'existait aucune loi autorisant les Chinois à se faire bonzes ; mais cela prouve-t-il qu'il n'y avait pas eu jusque-là de bonzes chinois ? En aucune façon, et son rapport lui-même montre la fausseté d'une pareille interprétation, puisqu'il parle de faire reprendre le vêtement séculier à tous les gens de Tchao qui se sont faits çramaṇas."
- "Au reste nous n'en sommes pas réduits à ce passage du rapport de Wang Tou pour savoir qu'il y avait, avant le règne de Che Hou, des bonzes chinois. Au début des Tsin il existait des communautés bouddhistes importantes dans toute la Chine... Le bouddhisme était donc florissant avant les Heou Tchao, et sous les Tsin Occidentaux, il y avait un grand nombre de moines chinois. Il y en avait même plus tôt encore."
Extraits : Le rapport de Wang Tou à Che Hou - La grande joute magique déchaîne l'imagination
L'église de Lo-yang - Les autres communautés
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Il y était dit :
« Ah ! les cérémonies des sacrifices royaux au Ciel et à la Terre et des offrandes à toutes les divinités sont consignées par écrit dans le Règlement des Sacrifices ; d'après les rites, les
sacrifices sont immuables. Le Buddha vient de l'Occident, c'est un dieu des pays étrangers : il n'est pas digne des sacrifices du Fils du Ciel et des Chinois. C'est à la suite d'un rêve de
l'empereur Ming des Han que sa doctrine s'introduisit pour la première fois ; mais (cet empereur) permit seulement aux gens des pays occidentaux d'élever des monastères à la capitale et en
province pour adorer leur dieu, et les Chinois ne furent pas autorisés à entrer en religion. Les Wei ne changèrent pas les règles des Han ; et ils suivirent également cette coutume. Aujourd'hui
les Tchao ont reçu le mandat (de gouverner l'empire), ils suivent les anciennes règles. Les coutumes des Chinois et des Barbares sont différentes ; les dieux et les hommes ne sont point pareils
(chez les Chinois et les Barbares) ; les étrangers ne ressemblent pas aux gens de notre pays ; les sacrifices (des Barbares) n'ont rien de commun avec les rites (des Chinois) ; les rites et les
vêtements de la Chine ne doivent pas être mêlés (à ceux des Barbares). Que le Gouvernement interdise absolument aux gens de Tchao d'aller dans les monastères brûler de l'encens et se prosterner,
afin d'honorer les rites ; qu'à tous, fonctionnaires et gens du peuple, la loi interdise (le culte du Buddha), et que tous ceux qui y contreviendront soient coupables du même crime que les
sacrilèges ; que les gens de Tchao qui sont çramaṇas reprennent l'habit séculier. »
Tel était le rapport du tchong-chou-ling Wang Po et de (Wang) Tou. (Che) Hou publia le décret suivant :
« (Wang) Tou présente ce conseil : « Le Buddha est un dieu des pays étrangers, il n'est pas digne des offrandes du Fils du Ciel et des Chinois ».
Moi qui suis né dans les régions frontières, j'ai eu le bonheur de venir gouverner la Chine. Quant aux sacrifices, je dois suivre les coutume de ma nation. Le Buddha étant un dieu barbare, il est
convenable que je lui sacrifie. Ah ! les lois qui depuis l'antiquité éternellement servent de règle ! quand une chose est parfaite et sans défauts, pourquoi s'occuperait-on de (ce qu'ont fait)
anciennes dynasties ? Les gens de Tchao sont des Barbares ; j'amnistie de leur sacrilège ceux qui se plaisent à servir le Buddha. Ils sont pleinement autorisés à entrer en religion. »
Il y a quelques années, M. Pelliot signalait, avec quelques réserves du reste, un texte d'où semblait ressortir que, dès le temps de l'empereur
Ming, il y aurait eu des ordinations de bonzes. Malheureusement, les passages du Fo tsou t'ong ki auxquels il se référait proviennent d'une source tout à fait suspecte ; ils sont tirés
du Han fa nei tchouan, ouvrage de polémique du début du VIe siècle.
Il y était raconté comment après avoir vaincu les tao-che des Cinq Pics et des montagnes dans une grande joute magique en présence de l'empereur, Kāçyapa Mātanga et Tchou Fa-lan avaient opéré de
nombreuses conversions et donné l'ordination à plusieurs centaines d'hommes et de femmes pour qui l'empereur fonda dix monastères, sept dans Lo-yang et trois autour de la ville. L'ouvrage se
terminait par le passage suivant :
« Les maîtres de la Loi, ayant prononcé ces vers (après leur victoire sur les tao-che), dirent aux tao-che :
— Très Révérends, vous avez eu ce que vous vouliez : une discussion publique ».
Alors le tao-che du Pic Song, Liu Houei-t'ong répondit :
— C'est faute d'avoir mesuré nos forces que nous avions désiré cette épreuve ; nous avons vu une lueur divine, incompréhensible au monde ; puis sont venues les transformations magiques et les
miracles du bodhisattva ; une musique céleste sans pareille s'est faite entendre, afin de nous ramener dans le (bon) chemin que nous avions perdu ; une pluie de fleurs célestes nous a été un
signe de bonheur. Pour la première fois, nous savons que votre grande doctrine est réelle ; nous n'avions pas compris la Sainte Loi : nous venons vous demander vos enseignement.
L'empereur alors se leva de son siège et se prosterna aux pieds des maîtres de la Loi ; puis il leur dit :
— Vos disciples ne peuvent sortir de la série des transmigrations et restent plongés dans le courant du désir. Voici maintenant le début de la prédication de la Vraie Religion en Orient. Je
désire que dans votre bonté vous proclamiez et fassiez connaître à tous (la Loi).
Les maîtres de la Loi, ayant reçu cette prière de l'empereur y acquiescèrent. L'empereur dit à la foule :
— Que ceux qui veulent entendre la Loi s'avancent auprès du siège des maîtres de la Loi !
La foule forma un cercle de plusieurs centaines de rangées ; chacun fit silence. Alors les maîtres de la Loi prononcèrent en sanscrit le premier des mystères, dirent les mérites incommensurables
du Buddha ; ils firent proclamer à la foule les Trois Joyaux et la Loi excellente. Puis ils dirent à la foule la loi des causes (de renaissance) parmi les hommes, les dieux ou dans les enfers ;
ils lui dirent les lois de l'abhidharma du Petit Véhicule ; ils lui dirent les lois du Grand Véhicule Mahāyāna ; puis ils dirent les lois de la pénitence et de la rémission des péchés ; puis ils
dirent les lois des mérites du renoncement au monde. Quand la foule eut entendu la Loi, tous se réjouirent et eurent foi. Alors le sseu-k'ong Lieou Chan-siun, marquis de Yang-tch'eng,
dit aux maîtres de la Loi :
— Très Révérends, j'ai vu que votre science était profonde comme la mer ; elle est telle que je ne puis la sonder ; nous désirons conformément (aux enseignements) du bodhisattva renoncer au monde
et vous servir. Notre vœu sera-t-il exaucé ?
Les maîtres de la Loi dirent :
— Tout homme en qui se produit une intention de renoncer au monde sera sauvé. Mais vous êtes lié par vos obligations envers le Souverain. Ce n'est pas à nous à donner l'autorisation.
L'empereur alors se tourna vers les maîtres de la Loi et dit :
— Votre disciple jusqu'ici n'avait jamais su démêler le vrai du faux : il manquait d'intelligence pour les distinguer. Vous avez daigné faire briller le miroir de la Loi, et pour la première
fois, il a su la vérité. Maintenant, tout ce que cette assemblée contient de tao-che, de fonctionnaires, de gens du peuple et de femmes, s'ils sont capables de renoncer au monde, votre disciple
lui-même leur rasera la tête, et leur donnera trois vêtements, une bouteille et un bol à aumônes ; de plus, il fondera un ermitage et le leur offrira pour y étudier la Loi.
Les maîtres de la Loi dirent en soupirant :
— Bien, bien ! les mérites de l'empereur sont innombrables. Alors quand la foule eut entendu que l'empereur donnait son autorisation, tous en ressentirent une grande joie. Les tao-che des temples
de quatre (des cinq) pics et des montagnes, Liu Houei-t'ong, etc., en tout 620 personnes, se firent moines. Les tao-che des temples du Pic Méridional Siu Chan-sin et Fei Chou-ts'ai s'étaient
suicidés dans l'assemblée ; les tao-che des temples du Pic Méridional, Pin Li-sin, etc., 618 personnes, n'ayant pas assisté à l'explication de la Loi, ne furent pas autorisés à se faire moines.
Les fonctionnaires au-dessus du 5e degré, Lieou Chan-siun, marquis de Yang-tch'eng, etc., au nombre de quatre-vingt-treize entrèrent en religion. Alors les gardes de l'empereur, au-dessus du 9e
degré, le tchen-yuan tsiang-kiun Mei Keou-eul, etc., au nombre de cent soixante-quinze entrèrent en religion. Le peuple de la capitale et des femmes, A-fan, etc., au nombre de cent vingt
et un entrèrent en religion.
Le 16e jour, l'empereur avec tous les grands officiers et les fonctionnaires civils et militaires, au nombre de plusieurs centaines, rasèrent la tête à ceux qui entrèrent en religion. Chaque jour
on faisait des offrandes, chaque soir on allumait les torches (pour lire les livres saints) ; on faisait toutes sortes de réjouissances. Enfin, le 30e jour du 1er mois, quand la distribution des
vêtements, des bouteilles et des bols conformes à la Loi fut achevée, (l'empereur) fit élever dix monastères, sept monastères hors de la ville, trois monastères dans la ville ; sept monastères
pour les moines, trois monastères pour les nonnes. Depuis ce temps la Loi du Buddha prospéra en Chine.
Toute cette histoire est de pure imagination : le Han fa nei tchouan est un roman fait exprès pour montrer la supériorité du bouddhisme sur le taoïsme, et comme cette légende ne nous est
attestée, en dehors de lui, que par une citation du Wou chou qui n'est qu'un faux fabriqué à l'aide du Han fa nei tchouan lui-même, il n'y a pas à en tenir compte. Mais s'il est
impossible à mon avis, de faire état de ce texte, il en existe d'autres qui, sans remonter aussi haut que l'empereur Ming, montrent que le bouddhisme jouit à ses débuts d'une faveur plus grande
que ne l'ont supposé certains historiens, et que les Chinois, avec ou sans l'autorisation impériale, commencèrent à se faire moines assez tôt.
Un heureux hasard nous a conservé le nom d'un moine chinois un peu antérieur à Meou-tseu, le çramaṇa Yen Feou-t'iao de Lin-houai, appelé aussi
Fo-t'iao, qui à la fin du IIe siècle travaillait à traduire des sūtras avec l'upāsaka parthe Ngan Hiuan. C'était un officier, tou-yu, qui dans les dernières années du règne de l'empereur
Ling (168-189) se convertit et se fit moine. C'est le plus ancien moine chinois dont le nom soit connu ; mais déjà avec lui nous touchons aux temps légendaires de l'histoire du bouddhisme en
Chine.
Des textes malheureusement trop courts permettent de se figurer l'aspect de l'église bouddhiste de Lo-yang dans la dernière moitié du IIe siècle. Autour de quelques missionnaires étrangers, Ngan
Ts'ing (surnommé Che-kao), le plus ancien de tous, dont l'arrivée remontait à la 1e année kien-ho (148) de l'empereur Houan, le « bodhisattva hindou » Tchou Cho-fo, le « bodhisattva
yue-tche » Tche Tch'an, tous deux venus un peu plus tard, dans les dernières années du même empereur (147-167), se groupaient, au monastère Hiu-tch'ang, un certain nombre de fidèles laïques, Meng
Fou (surnom Yuan-che) de Lo-yang, Tchang Lien (surnom Chao-ngan) de Nan-yang et Tseu-pi de Nan-hai ; et tous ensemble traduisaient les textes sacrés : en 179 le Tao hing king ; en 198,
le Prajñāsamādhisūtra, qui était traduit pour la seconde fois dans ce groupe à vingt ans d'intervalle, avec l'aide d'un nouveau missionnaire Dharmarakṣa, récemment arrivé. C'est dans
cette communauté que se retira Yen Feou-t'iao. Il avait été peut-être été converti par Ngan Che-kao, avec qui il collabora à la traduction du Kia-che kie A-nan king, et dont il semble
avoir été le disciple assidu.
Le « marquis parthe », comme on appelait le vieux missionnaire à cause de son origine royale (il était, paraît-il, le fils aîné du roi des Parthes et avait renoncé volontairement au trône pour se
faire moine), formait avec son compatriote l'upāsaka Ngan Hiuan à qui on avait donné pour un acte d'éclat inconnu accompli pendant les troubles de la fin du règne de l'empereur Ling, le surnom
militaire de k'i-tou-yu, et enfin le moine chinois Yen Feou-t'iao, une société de traducteurs que les fidèles appelaient, dans leur admiration pour leurs talents, « les Inimitables ».
Mais Yen Feou-t'iao ne fut pas seulement un traducteur, et le premier peut-être de tous les bouddhistes chinois, il composa un livre original, le Cha-mi che houei en un chapitre. Le
titre même du livre prouve que l'organisation monastique de Lo-yang était alors complète, car ce n'est évidemment pas pour l'instruction de çramaṇeras étrangers qu'il avait été composé. Il me
semble également prouver que le Fo tsou t'ong ki se trompe quand il affirme qu'au début on recevait seulement les Trois Refuges et que c'est seulement après Dharmakāla qu'on commença à
faire des ordinations complètes. Yen Feou-t'iao qui avait le titre d'ācārya, avait fait plus que « recevoir les Trois Refuges », et était certainement moine. Il serait d'ailleurs étrange, si
c'était vraiment à Dharmakāla qu'étaient dues les premières ordinations complètes, que le Kao seng tchouan ne fît même pas mention d'un fait aussi important dans l'histoire du bouddhisme
chinois : il déclare simplement que « ce fut la première des règles d'ordination en Chine », ce qui est tout différent. Il est fort possible que les ordinations faites jusque là sans règlement
écrit et d'après la tradition seulement n'aient pas été absolument correctes, mais la question qui peut avoir eu son importance théorique à l'époque, n'a pas grand intérêt historique : les moines
qui demandèrent un règlement à Dharmakāla avaient été peut-être irrégulièrement ordonnés, mais ils n'en étaient pas moins çramaṇas, et menaient la vie monastique ; il ne faut pas du reste
oublier que même dans l'Inde les règlements écrits étaient rares ; les moines chinois de cette époque n'étaient donc pas dans une situation très différente de leurs frères hindous.
Ainsi il existait au IIe siècle une église bouddhiste florissante à Lo-yang ; les missionnaires avaient réussi à grouper autour d'eux de nombreux laïques et même des moines chinois aussi bien
qu'étrangers ; il y avait plusieurs monastères, hors de la ville, le Po-ma sseu au-dedans, le Hiu-tch'ang sseu qui était le centre de traduction, et peut-être d'autres encore. C'était une école
d'où sortirent quelques-uns des plus illustres traducteurs du siècle suivant. Tche Tch'an eut pour disciple Tche Leang (surnom Ki-ming) qu'il ordonna lui-même. Celui-ci dont on ne sait s'il était
d'origine chinoise ou étrangère, devint à son tour le maître de Tche Yue, plus connu sous le nom de Tche K'ien (surnom Kong-ming), un des plus grands traducteurs de la dynastie Wou. C'était le
fils d'un ambassadeur Yue-tche venu sous l'empereur Ling (168-188), mais il était né et avait été élevé en Chine.
L'origine de cette église est difficile à connaître : avec Ngan Che-Kao, nous touchons à la période légendaire de l'histoire du bouddhisme. On ne cite avant lui que Tchou Fa-lan et Kāçyapa
Mātanga, mais leur date est impossible à déterminer. Il n'est pas sûr que Lo-yang ait été l'une des premières villes où s'établirent des missionnaires. Cependant il est certain que Ngan Che-Kao
en 148 avait trouvé des bouddhistes à la capitale : la légende de l'introduction de la religion sous l'empereur Ming n'aurait pu se former, lui vivant (et il vécut jusqu'à la fin du siècle), s'il
avait été le fondateur de la communauté. En tous cas, ses enseignements ou ceux de ses prédécesseurs semblent avoir porté des fruits abondants ; et l'influence bouddhique à la capitale fut telle
que l'empereur Houan sacrifia au Buddha. La communauté ne cessa de croître et de progresser avec le temps ; elle était déjà très forte à la fin du IIe siècle, et les troubles de cette époque ne
semblent pas lui avoir causé grand dommage. Elle survécut à la ruine de Lo-yang par Tong Tcho, puisque des trois traductions qui nous la font connaître, deux sont antérieures, et une postérieure
à cet événement. Quelques membres, il est vrai, s'enfuirent : Tche K'ien ne fut certainement pas le seul à se réfugier dans une région moins troublée. Ngan Che-Kao, d'après la tradition, était
aussi parti pour le Sud ; mais toute la fin de sa biographie est tout à fait légendaire et ne mérite aucune confiance. Les missionnaires d'ailleurs continuaient à arriver : Tan-kouo, Tchou Ta-li,
dont l'œuvre se place pendant la période kien-ngan (196-219). Malgré notre ignorance de l'histoire de cette communauté sous les Wei, il n'y a pas de raison de croire que les fidèles que
nous trouvons un demi-siècle plus tard autour du second Fa-hou, n'étaient pas les descendants de ceux qu'avait convertis le premier.
L'histoire de l'église de Lo-yang est la seule que nous puissions suivre avec quelque précision, malgré bien des lacunes. Mais il doit y avoir eu
des communautés ailleurs : nous savons par la biographie de K'ang Seng-houei qu'on admettait généralement que le bouddhisme n'avait pas pénétré au Sud du fleuve Bleu avant le début des Wou ;
pourtant la légende de Ngan Che-kao le fait voyager sur les bords du Po-yang et même encore plus au sud. Mais sans faire usage de légendes tardives et suspectes, l'histoire de K'ang Seng-houei
elle-même montre que dès le début du IIIe siècle, la religion commençait à s'implanter à l'extrême Sud de l'empire chinois, et la conversion de Meou-tseu nous en est une autre preuve.
L'histoire de Tche Jong nous montre le bouddhisme florissant dans le Nord du Kiang-sou. Tche Jong, bouddhiste zélé, faisait de la propagande autour de lui. Mais il ne fut pas le premier
introducteur du bouddhisme dans ce pays. En effet, c'est à sa résidence de P'eng-tch'eng que se trouvait la capitale du royaume de Tch'ou au temps de l'empereur Ming, et c'est là que se
trouvaient les çramaṇas et les upāsakas dont parle le décret impérial. Au VIe siècle on attribuait au roi Ying l'érection d'un monastère des environs de P'eng-tch'eng, l'A-yu wang sseu ; mais
l'attribution est loin d'être sûre. En tous cas le bouddhisme survécut au roi qui l'avait protégé le premier. Pendant la période hi-ping (172-178), à la mort d'un certain Siang, son
frère éleva sur sa tombe un stūpa qui subsistait encore quelques siècles plus tard. Juste à cette époque, nous voyons que le bouddhisme avait gagné le Nord du Chan-tong, et que Siang Kiai qui
était originaire des environs de Ts'i-nan fou le connaissait quelque peu. Les efforts de Tche Jong tombaient donc dans une population déjà préparée, et le succès s'en explique d'autant plus
facilement.
On ne sait malheureusement rien de ces premières communautés, et il faut se borner à en constater l'existence. L'histoire du bouddhisme en Chine pendant les deux premiers siècles, telle que les
bouddhistes eux-mêmes l'ont écrite, n'est guère que l'histoire des traductions du Tripiṭaka. Ainsi s'explique que les noms des moines chinois n'aient pas survécu : leur ignorance des
langues étrangères leur interdisait le rôle de traducteurs. En même temps, c'est ce qui fait l'intérêt du cas de Yen Feou-t'iao, le seul d'entre eux dont le nom soit parvenu jusqu'à nous : il
nous prouve que les fidèles n'attendirent pas l'autorisation impériale pour entrer en religion. La nécessité de cette autorisation, qui découle normalement des idées du temps sur l'autorité de
l'empereur, semble avoir été une arme de lettrés contre le bouddhisme déjà puissant : dans le mémoire de Wang Tou cité au début de cet article, ce n'est pas autre chose ; et le récit du Han
fa nei tchouan traduit ci-dessus montre que les bouddhistes eux-mêmes avaient accepté cette théorie, et paraît n'avoir été inventé que pour prouver que l'autorisation avait été accordée dès
l'origine.