Yi king [Yijing, I Ching]
Traduction de Paul-Louis-Félix PHILASTRE (1837-1902)
Première édition : Annales du Musée Guimet, tomes VIII et XXIII.
Ernest Leroux, Paris. Première partie, 1885, 489 pages. Deuxième partie, 1893, 608 pages.
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Début de l'Introduction : "Le Yi king, tel qu'il nous est parvenu, est l'œuvre de plusieurs
personnes.
La substance primitive est une série de soixante-quatre hexagrammes ; ces hexagrammes sont formés avec deux sortes de traits : un trait plein et un trait brisé. La tradition rapporte que Fou Hi contemplant le ciel, puis baissant les yeux vers la terre et en observant les particularités, considérant l'apparence des oiseaux et les productions de la terre, les caractères du corps humain et ceux des êtres et des choses extérieures, commença par tracer huit koua, ou trigrammes, avec les deux lignes en question ; ensuite, combinant ces huit premiers koua simples deux à deux, il en forma soixante-quatre hexagrammes ; c'est là son œuvre et la trame du Yi king.
Wen Wang, prince feudataire, sujet du dernier empereur de la dynastie des Sheang, exilé et interné comme suspect, rédigea, pendant son bannissement, pour chacun de ces soixante-quatre signes, une formule de quelques mots, en exprimant la valeur générale. Son fils Tsheou Kong composa à son tour une formule pour chaque trait de chaque hexagramme. Plus tard, Khong Tse, reprenant leur œuvre, composa plusieurs commentaires particuliers qu'on désigne ensemble, et assez arbitrairement, sous la rubrique de Dix coups d'aile."
- "Le Yi king est considéré par les Chinois comme le plus antique monument de leur littérature ; toutes les écoles sont d'accord sur ce point."
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"Les Chinois attachent une haute importance à établir que la tradition orale de l'enseignement de la doctrine contenue dans le
Yi king n'a jamais été interrompue ; ils citent les maîtres et leurs disciples et continuateurs depuis Khong Tse jusqu'aux philosophes de la renaissance des lettres, sous la dynastie
des Song.
Le Yi king ne fut point condamné par l'Empereur Shi Hoang Ti ; ce prince n'y vit qu'un livre de divination dont la destruction semblait inutile au plan qu'il poursuivait..."
Extraits : Introduction - La table des koua - Premier koua : khien - Conclusion - Les koua du Yi king dans le Tso tchouan
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...Fou Hi est un mythe ; la tradition le représente avec de légères protubérances en forme
de cornes sur le front. Pour être moins gracieux, le symbole n'en est pas moins le même que le croissant lunaire que Diane porte sur le front. Selon moi, Fou Hi symbolise les phases de la lune,
résultant du mouvement apparent du soleil et de la lune autour de la terre considérée comme centre.
Fou Hi assistant à la séparation du Chaos d'où naissaient le Ciel et la Terre en comprit la genèse ; plus tard il vit un cheval-dragon sortant d'un fleuve et prit pour règle les figures
apparentes sur son dos. Ces figures, qu'on appelle le « Tableau du fleuve », sont formées de points ronds, noirs ou blancs, groupés dans un certain ordre, et ce fut, dit la tradition, d'après ces
signes que Fou Hi traça les huit premiers koua simples (trigrammes). J'avance encore que le dragon symbolise le lever du soleil et le cheval, très probablement, son coucher ; que les figures qui
forment ce tableau représentent des astres et des constellations ; qu'enfin les deux traits ——— et — —, premiers éléments des koua, représentent ou symbolisent deux grands moments dans la marche
combinée et apparente du soleil et de la lune et que la base fondamentale du Yi king est essentiellement une observation astronomique. Les koua, ou diagrammes, représentent tous également la
série des phases de la lune.
Après Fou Hi, le premier commentateur est Wen Wang. Pour les Chinois ce personnage est indiscutablement historique. Je suis certainement seul contre tous en avançant qu'il est permis de douter.
Le brevet d'authenticité historique est délivré par le Shou king ; or, je considère cette autorité comme suspecte et essentiellement sujette à discussion. Très certainement, il a dû
exister un personnage appelé Wen Wang ; je n'en doute pas ; mais entre le rôle que le Shou king lui attribue et la réalité il peut y avoir une distance considérable. Tous les peuples qui
ont une antiquité attribuent les grandes inventions du génie humain, les grands faits mémorables, à tel ou tel de leurs grands hommes ; le fait rappelé est souvent défiguré mais il a toujours un
fond de vérité ; le personnage a presque toujours existé, mais il peut souvent n'y avoir rien de commun entre le héros et l'œuvre qu'on lui attribue. Il est même très probable que souvent, après
un certain laps de temps, la tradition transpose le mérite de l'acte sur la tête d'un autre personnage dont la gloire plus récente fait oublier le héros précédent. Je soupçonne que tel est le cas
pour Wen Wang ; mais qu'il soit ou non l'auteur de la première glose, je ne crois pas que le titre Tsheou Yi vienne du vocable de la dynastie de Tsheou.
Après Wen Wang et son fils Tsheou Kong, le premier commentateur réellement historique est Khong Tse. À première vue, son œuvre n'est guère moins obscure que celle de ses devanciers.
La persécution des lettrés par Shi Hoang Ti plongea dans un désarroi complet et pour plusieurs siècles toutes les traditions littéraires ; sous les Han il s'agit plus de reconstituer les textes
et de les collationner que de les éclaircir. Bien que le Yi king n'eût pas été proscrit, son étude resta stationnaire et il faut franchir d'un bond une période de quinze siècles pour
passer de Khong Tse à une école nouvelle qui, sous la dynastie des Song, releva un moment la gloire des lettres chinoises. Tsheou Tse, le premier dans les temps modernes, reprit d'une façon
originale l'étude du Yi king et en déduisit un système cosmogonique qui, sans être neuf, résume sous une forme brève et nette les conceptions et la doctrine de tous ses devanciers.
Tsheng Tse, son disciple, écrivit un commentaire traditionnel complet du Yi king ; selon moi, c'est le plus remarquable, bien que l'école chinoise moderne donne la préférence à celui de
Tshou Hi, un peu postérieur, et intitulé Sens Primitif.
Depuis Tshou Hi, on a encore délayé beaucoup d'encre et noirci énormément de papier, mais on n'a plus rien écrit d'original sur le Yi king ; les taoïstes ont, il est vrai, composé un
pastiche intitulé Thai huien king qui n'a aucune valeur réelle. La mine semble épuisée, mais, en réalité, c'est le génie d'un peuple qui est engourdi. Les Chinois ne cherchent plus, ils
conservent ; ils se cramponnent à la tradition admise et leur unique souci est de se maintenir toujours d'accord avec elle.
Cependant, la vérité ne perd jamais complètement ses droits, même en Chine. On trouvera dans un ouvrage du père de Prémare, publié en 1878 par MM. A. Bonnetty et P. Perny, de nombreuses citations
d'auteurs chinois d'où résulte que bon nombre des meilleurs esprits qu'ait produit la Chine considèrent que la véritable interprétation du Yi king s'est perdue à la mort de Khong Tse et
qu'on n'en connaît plus le vrai sens. Le livre que je cite ici, Vestiges des principaux dogmes chrétiens tirés des anciens livres de la Chine, est une œuvre très remarquable et très
digne d'étude, non pour y suivre la pensée et les vues exclusives de l'auteur, dont la grande érudition et le haut sens critique étaient enchaînés par la foi, mais pour y trouver, réunis et
groupés, un nombre très considérable d'indices précieux sur la véritable valeur des livres classiques de la Chine. De tels travaux ont certainement dû ne pas être étrangers aux persécutions
dirigées un peu plus tard contre les jésuites, en Chine, par les catholiques plus orthodoxes ; si la face de la médaille considérée par le père de Prémare était séduisante pour des hommes d'une
foi inébranlée, le revers pouvait à bon droit alarmer des esprits plus froids et plus clairvoyants. Pour ce qui nous importe en ce moment, il suffit de citer le « Ve point » discuté p. 30 et
suivantes ; la thèse du père de Prémare, la Connaissance de la véritable doctrine des King est entièrement perdue chez les Chinois, s'y trouve surabondamment prouvée, exclusivement par des
témoignages chinois. Considéré par les Chinois, le Yi king est avant tout un livre de divination ; telle est sa forme, tel est son usage, et c'est dans ce sens qu'il est commenté et
expliqué. Ce n'est ni le lieu ni le moment de rechercher pourquoi cette forme a été choisie par les auteurs du livre ; il suffit de justifier en quelques mots l'utilité de cette tradition et son
intérêt. Or :
1. — En chinois, le mot n'a presque jamais de sens absolument défini et limité ; le sens résulte très généralement de la position dans la phrase, mais avant tout de son emploi dans tel ou tel
livre plus ancien et de l'interprétation admise dans ce cas. Ici, point de « racines » au-delà desquelles on n'atteint plus et qui justifient le sens des dérivés dans les divers idiomes ou
dialectes d'une même famille ; le mot n'a de valeur que par ses acceptions traditionnelles. On n'a pas, à ma connaissance, tiré tout le parti possible de cette particularité de la langue
chinoise, au point de vue de l'étude et de la recherche de la nature réelle du langage humain. Le mot chinois nous apparaît «comme si», expression naturelle et spontanée d'une pensée abstraite
étrangère aux circonstances et aux conditions de la vie animale de l'homme, celui-ci, saisissant dans cette pensée un rapport avec les circonstances et les conditions de sa vie, avait emprunté le
son de cette expression pour créer sa parole raisonnée.
De là, nécessité absolue, pour l'étude de la langue chinoise, de connaître les sources originales de la littérature, et, entre ces sources, la plus antique et la plus importante est
incontestablement le Yi king.
2. — Si on ne considérait que les diagrammes, il serait absolument impossible d'y découvrir aucune idée intelligible ; les formules de Wen Wang, de Tsheou Kong, et même celles de Khong Tse ne
seraient guère plus compréhensibles sans la Tradition, c'est-à-dire sans les commentaires de Tsheng Tse et de Tshou Tse, qui la résument. Il est donc indispensable de traduire en entier ces deux
commentaires qui contiennent, d'une façon complète, toutes les notions des Chinois en fait de naturalisme, de morale et de philosophie. De plus, ces deux commentaires sont des modèles excellents
du meilleur style chinois, clair et simple, encore préservé du goût amphigourique des modernes.
Donc, le Yi king, considéré dans son ensemble, est encore indispensable à tous ceux qui, dans un but quelconque, veulent connaître les idées chinoises sur toutes ces questions.
3. — Je ne mentionne provisoirement que pour mémoire le côté le plus sérieux et le plus intéressant, à mon point de vue, de l'étude de ce livre ; j'en ai parlé ailleurs, et je laisse à ceux qui
auront la patience d'en lire la traduction, à juger du bien fondé des hypothèses et des opinions que j'ai émises en commençant sur la vraie origine du Yi king.
Enfin, j'ajouterai encore que cette traduction française aura au moins le mérite de la nouveauté. Je n'ai trouvé dans les renseignements bibliographiques dont je dispose, que la mention d'une
seule traduction de ce livre : Y King antiquissimus sinarum liber quem ex latina interpretatione P. Regis aliorumque ex Soc. Jesu PP., edidit Julius Mohl, 1834. Stuttgartiæ et Tubingæ, 2
vol.
[Formule de Wen Wang]
Cause initiale, liberté, bien, perfection
*
[Formules de Tsheou Kong]
Premier trait nonaire : dragon caché ; ne pas agir.
Deuxième trait nonaire : dragon visible dans la rizière ; avantage à voir un grand homme.
Troisième trait nonaire : l'activité de l'homme doué dure tout le jour ; le soir, il est encore comme préoccupé. Danger ; pas de
culpabilité.
Quatrième trait nonaire : parfois il saute dans les abîmes ; pas de culpabilité.
Cinquième trait nonaire : dragon volant dans le ciel ; avantage à voir un grand homme.
Trait supérieur nonaire : dragon élevé ; il y a regret.
*
Cause initiale,
liberté, bien, perfection
[Commentaire de]
Tsheng Tse. — Dans la plus haute antiquité, l'homme saint commença par tracer les huit koua : la voie rationnelle (tao) des trois causes actives était dès lors complète.
Il se servit ensuite de cette base en combinant ces huit koua simples deux à deux par superposition, pour embrasser la totalité des modifications dans l'univers, et c'est ainsi qu'il obtint les
koua parfaits de six traits. Le koua simple khien, répété sur lui-même constitue le koua parfait khien. Khien exprime le ciel, thien. Thien, le ciel, c'est la substance
et la forme du ciel ; khien, c'est la nature et le sentiment du ciel. Khien équivaut à « force d'action » ou « activité » kien ; l'activité sans repos est appelée
khien.
Or, lorsqu'il s'agit du ciel (thien), si on en parle d'une façon absolue, c'est la voie rationnelle ou morale (tao) ; c'est précisément : « le ciel qui, d'ailleurs, ne s'oppose
point ». Si on en parle en distinguant, alors, au point de vue de la forme et de la substance, on dit « le ciel » (thien) ; au point de vue de la puissance qui régit, on dit « le pouvoir
suprême » ti ; au point de vue de l'action et des effets, on dit « esprits et génies » ; au point de vue des effets transcendantaux, on dit «l'esprit» ; au point de vue de la nature et
du sentiment, on dit khien, ou « activité ».
Cette activité, exprimée par le mot khien, est l'origine et le commencement de tous les êtres et de toutes choses ; c'est pour cela que le koua représente le ciel, la positivité, le
père, le prince.
Cause initiale, liberté, bien, perfection, sont ce qu'on appelle les quatre vertus. La première exprimée par le mot yuan, c'est le commencement de tous les êtres et de toutes choses. La seconde,
exprimée par le caractère heng, c'est la croissance de toutes choses ; la troisième, exprimée par le caractère li, c'est la faculté de satisfaction des besoins, tels qu'ils
résultent de la condition de chaque être ; la quatrième, exprimée par le caractère tsheng, c'est le développement normal et parfait de toutes choses.
Les koua khien et khouen, seuls ont ces quatre vertus ; dans les autres koua, elles se modifient selon le sujet, de sorte que la première exprime spécialement et exclusivement
le bien et la grandeur ; la troisième consiste surtout dans la droiture et la fermeté, et les substances de la seconde et de la quatrième correspondent dans chaque cas à la nature spéciale du
sujet. Le sens de ces quatre vertus est large et étendu.
[Commentaire de] Tshou Hi. — Ces six traits sont le koua tracé par Fou Hi.
Le trait plein est appelé ki, ou unité ; c'est le nombre de la positivité. Khien, c'est la force d'action, ou activité, exprimée par le mot kien ; c'est la nature de la
positivité. Dans les annotations, le caractère khien est le nom du koua de trois traits ; celui d'en bas est le koua intérieur ; celui d'en haut est le koua extérieur. Dans le texte, le
caractère khien est le nom du koua de six traits.
Fou Hi leva les yeux et regarda ; il les baissa et examina. Il vit que la négativité et la positivité ont la dualité et l'unité pour nombres. Il traça donc un trait simple pour symboliser la
positivité et un trait double pour symboliser la négativité. Il vit qu'une négativité et une positivité ont chacune l'apparence d'engendrer une négativité ou une positivité ; aussi, à partir d'en
haut et en montant, il traça encore un second, puis un troisième trait, pour achever les huit koua simples primitifs. Il vit que la nature de la positivité est l'activité et que la plus grande de
ses formes réalisées est le ciel ; c'est pour cela que le koua composé de trois traits simples fut nommé khien et qu'il l'attribua à la représentation du ciel. Les trois traits
complétés, les huit koua achevés, il augmenta encore trois fois d'un trait, pour en porter le nombre à six, c'est-à-dire qu'au-dessus de chacun des huit koua simples, il ajouta successivement
chacun de ces mêmes signes, pour former les soixante-quatre koua parfaits.
Dans ce koua, les six traits sont tous des traits simples ; le koua simple inférieur et le koua simple supérieur sont tous les deux le koua simple khien de sorte qu'il exprime la pureté
de substance de la positivité et l'extrême activité, et c'est pour cela que le nom, khien, et la représentation symbolique, le ciel, ne changent ni l'un ni l'autre.
Les mots yuan, heng, li, tsheng, sont la formule attachée à ce diagramme par Wen Wang, pour définir les présages fastes ou néfastes du koua entier ; c'est ce qu'on appelle
thouan, ou formule déterminative d'un koua. Le mot yuan exprime la grandeur ; le mot heng, l'intelligence ; le mot li, l'utilité ; le mot tsheng, la
droiture et la fermeté. Wen Wang considéra la voie rationnelle de l'activité comme exprimant la grandeur de l'intelligence et l'extrême droiture. Aussi lorsqu'en consultant le sort, on obtient ce
koua, et qu'aucun des six traits ne se modifie, le sens divinatoire exprimé est qu'il faut posséder une grande intelligence et qu'alors il y aura certainement avantage par la droiture et la
fermeté ; ces conditions remplies, il est possible de garantir le succès final de l'entreprise. C'est ainsi que les hommes saints, en faisant le livre des changements, ont appris aux hommes à
consulter le sort par le moyen de l'écaille de la tortue ou par celui des brins de paille et qu'il est possible, par ces moyens, d'atteindre l'idée pure et exacte au sujet de l'entreprise et de
l'accomplissement d'une chose ou d'une affaire. Ceci est applicable à tous les autres koua.
Définitions diverses. — Khong Shi Ying Ta dit : Koua signifie mettre à part ; cela veut dire suspendre à
part, en le mettant en évidence, le symbole d'une chose, pour servir d'avis aux hommes ; c'est pour cela que ces signes sont appelés koua. Ce koua khien symbolise essentiellement le
ciel. Le ciel est formé par l'accumulation de tout l'éther positif, c'est pourquoi les six traits de ce koua sont tous positifs. Une fois qu'il est tracé, on ne le nomme pas thien, ciel,
mais khien. Le mot ciel est le nom de la substance déterminée ; khien est l'expression qui désigne l'effet de cette même substance. Aussi, les « Définitions des koua » disent :
« khien, activité » ; cela exprime que la substance du ciel a l'activité pour effet. Les hommes saints qui firent le livre des changements eurent essentiellement en vue l'instruction des
hommes : ils voulurent que ceux-ci prissent les effets du ciel pour modèle et non pas qu'ils se réglassent sur sa substance, aussi appelèrent-ils ce koua khien et non pas thien,
ciel. Tshou Tse dit encore : Les quatre caractères yuan, heng, li, tsheng, n'étaient essentiellement, dans l'idée de Wen Wang, rien autre chose dans le cas des deux koua khien
et khouen que lorsqu'il s'agit de tout autre koua. Ce ne fut qu'à l'époque où Khong Tse fit le Commentaire des Formules déterminatives et l'Expression des
représentations que, lui, le premier, les considéra comme désignant les quatre vertus des deux premiers diagrammes, tandis que, dans les autres koua, il leur laissait leur ancienne valeur.
Ce n'est pas que l'idée de chacun de ces deux hommes saints soit différente, mais chacun met en lumière un point de vue distinct. Aujourd'hui ceux qui étudient ce livre doivent d'ailleurs se
pénétrer de son esprit, sans se laisser influencer par les préventions et s'en assimiler la substance, dans chaque cas, selon l'idée contenue dans les textes primitifs. Les passages dissemblables
ne sont d'ailleurs pas mutuellement en désaccord et personne ne doit s'en rapporter à son propre jugement et se permettre mal à propos de nouvelles interprétations. Hou Shi Ping Wen dit : Tous
les commentateurs expliquent ces quatre caractères comme exprimant quatre vertus ; le « Sens primitif » seul, les considère comme une simple formule divinatoire.
J'ai déjà dit les motifs qui me font considérer Fou Hi comme un mythe, personnification
masculine des phases de la lune, mythe moins gracieux que Diane, dont le croissant est remplacé par des cornes.
D'après la tradition, Fou Hi aurait tiré la première idée des koua de la contemplation des phénomènes astronomiques ; il aurait pris la première notion de chaque idée dans le ciel et l'origine de
cette notion est appelée le symbole ; puis, par déduction ou simple analyse, il aurait appliqué le nom de ce symbole à une chose terrestre.
Le premier résultat de cette contemplation aurait été la distinction entre l'unité et la dualité et cette distinction aurait été immédiatement fixée et graphiquement représentée par un trait
plein, appelé ki et un trait double, appelé ngeou.
Comme les huit koua simples de trois traits, qui sont attribués à Fou Hi, sont composés par la répétition de ces deux traits, il en résulterait déjà, d'après la tradition, l'unité d'origine des
soixante-quatre koua de six traits qui, tout au moins, dériveraient ainsi d'observations faites sur les astres.
Voyons d'abord le sens des deux mots qui servent à désigner ces traits.
Le premier, ki, est donné comme exprimant l'unité de tous les êtres ; unité, un seul. Mais, si l'on fait abstraction de la forme graphique pour ne tenir compte que du son donné à ce
caractère, en consultant un dictionnaire phonétique, on remarquera de suite que le même son exprime le passage du néant à l'être ; la première manifestation sensible d'une cause dans ses effets ;
— examiner, reconnaître la cause d'une chose ; — le support de toutes choses ; la révolution annuelle de 365 jours ; — l'action de compter ; le nom de la troisième étoile de la grande
ourse.
Le mot ngeou, sous diverses formes, exprime la dualité ; — deux bœufs labourant ensemble sous le même joug ; — une paire ; — contraste ; — rencontre ; — opposition ; faire la paire ;
former contraste avec quelque chose.
La lecture et l'étude approfondie du Yi king m'ont depuis longtemps amené à l'interprétation suivante : L'unité désigne le cas où le soleil et la lune sont ensemble dans le même
hémisphère, visibles au-dessus de l'horizon. La dualité désigne le cas où le soleil est dans un hémisphère et la lune dans l'autre, le soleil sous l'horizon, la lune visible au-dessus. De là une
distinction fondamentale entre une région et une seconde région. La réflection sur les divers aspects de la lune, dans les deux circonstances, amenant la constatation de sa présence tantôt
au-dessus, tantôt au-dessous de l'horizon aurait ensuite conduit à exprimer le rapport de position d'un objet placé « au-dessus » à un autre objet placé « au-dessous ». Par exemple, la présence
de l'astre élevé dans le ciel devenant un terme de comparaison pour tout ce qui est élevé, « au-dessus », et son mouvement descendant suivi de disparition devenant le symbole de « bas », «
dessous ».
Dans cet ordre d'idées, ce que dit Khong Tse, ou plutôt ce qu'il rapporte, peut prendre un sens et cesser d'être absurde ; on peut au moins entrevoir une interprétation rationnelle possible des
paragraphes qui suivent immédiatement de 1223 à 1234 et 1244, 1257. Il n'y serait très probablement pas seulement question des inventions dont il y est parlé, et il s'agirait surtout de
l'adaptation de sons, ou mots, exprimant des aspects, des circonstances de positions relatives des deux astres, soleil et lune, pour nommer des parties du corps, des animaux, des objets ou des
instruments. Le paragraphe n° 1244 me semble, au milieu de beaucoup d'autres presque inintelligibles, venir très nettement à l'appui de ma thèse. On ne manquera pas d'objecter à cela que Khong
Tse cite ces faits comme de simples exemples d'une théorie tout à fait en dehors de la simple question astronomique ; c'est bien là, en effet, l'apparence qui résulte de la rédaction que nous
pouvons à peine lire, mais n'est-ce pas plutôt une lueur de vérité, un jalon lumineux conservé à dessein (ou échappé par inadvertance) et qui permet de retrouver la vérité dissimulée sous un
fatras d'idées qui paraissent absurdes ?
Remarquons encore l'idée fondamentale, qu'on retrouve dans toutes les parties du Yi king, de la suite des phénomènes qui s'entraînent mutuellement comme conséquences inévitables les uns
des autres : « contraction » suivie de « dilatation », « action » suivie de « réaction contraire » et encore : « augmentation », suivie de « diminution ». Par la similitude des sons employés pour
exprimer des idées souvent très éloignées en apparence, je suis encore ramené au même ordre d'idées : « phases de la lune », « croissance et déclin » comme source invariable de ces aphorismes si
souvent répétés : « aucun être ne peut croître, se développer et persister définitivement » ; « tout développement parvenu à son extrême limite est suivi de décadence et de destruction »,
destruction qui engendre et reproduit une nouvelle série de phénomènes analogues, « mouvement de circulation » sans fin qui « entoure » l'univers, c'est-à-dire le « ciel » et le «dessous» et qui
est la « voie rationnelle » et la « raison d'être » de toutes choses.
Mais cette idée si confuse, si difficile à saisir, et que j'ai déjà essayé d'analyser et d'exposer dans le tome 1er des Annales [cf. Exégèse chinoise] est-elle un simple accident ? est-elle
exclusive à l'antiquité chinoise ? À défaut de textes précis, tels que les souhaiterait M. Zeller, pour établir une communication, une transmission de doctrine de l'Orient aux Grecs, il me semble
qu'il suffit de considérer les fondements de leurs doctrines. Ces trois idées, que « tout résulte de l'air par raréfaction et condensation » ; que le principe du mouvement, ou cause motrice,
réside dans la chaleur et entraîne le monde dans un mouvement de circulation ; enfin, les spéculations inintelligibles sur les propriétés des nombres, tout cela ne me semble pas susceptible
d'avoir été inventé deux fois. Il y a peut-être eu communication, dans des temps relativement récents, mais il y a essentiellement transmission, suivant la filiation des races, et l'idée mère du
« mouvement de circulation », de beaucoup la plus antique, a dû laisser une trace qui ne s'est pas effacée. Les mêmes erreurs d'interprétation donnant lieu, avec le temps, à des spéculations de
plus en plus distinctes, chaque race y imprimant son cachet propre, le principe restant toujours le même.
Ce qui précède suffit à montrer, sans aucune hypothèse étrangère, et en ne tenant compte que de la tradition chinoise, de rapprochements entre les sens différents attribués à des mots homophones,
et du sens qui semble souvent résulter de la traduction des textes lorsqu'on cherche à les lire sans se conformer aux leçons arbitraires des commentateurs, comment il est possible de découvrir le
véritable sujet des idées exprimées par les koua.
Nous allons voir si l'étude particulière de ces signes et des lambeaux de texte qui y sont attachés depuis une très haute antiquité est susceptible de confirmer notre premier jugement, et même de
le fortifier, en l'éclairant par des exemples dont quelques-uns, au moins, puissent paraître indiscutables...
671 avant
J.-C.
Li koung, prince de Tch’en, était, par sa mère, de la famille princière de Ts’ai. Pour cette
raison, les officiers de Ts’ai mirent à mort Ou fou et élevèrent au pouvoir Li koung. Li koung eut pour fils King tchoung. Lorsque celui-ci était encore jeune, un des historiographes de la cour
impériale se présenta à Li koung avec le I king de Tcheou. Li koung lui demanda de consulter l’achillée, au sujet de son fils King tchoung. L’historiographe, en manipulant l’hexagramme
kouán composé des deux trigrammes suén et k’ouēn, trouva l’hexagramme pì composé des deux trigrammes k’iên et k’ouên.
Il dit :
— Cela signifie qu’on verra paraître la gloire de l’État ; que le prince aura l’avantage de recevoir l’hospitalité à la cour impériale. Sera-ce ici à Tch’en que King tchoung ou sa postérité
régnera et aura cette gloire ? Si ce n’est pas ici, ce sera dans une autre principauté. Si ce n’est pas King tchoung en personne qui jouira de cette gloire, ce sera sa postérité. La gloire est
semblable à la lumière qui se répand au loin et qu’un corps reçoit souvent d’un autre corps.
K’ouēn, c’est la terre ; suén, le vent ; k’iên, le ciel. (Si l’hexagramme kouán devient l’hexagramme pì), si au-dessus de la terre, le ciel prend la
place du vent, on a une montagne. Si un homme a des trésors ou des talents grands comme une montagne, si de plus il est éclairé de la lumière du ciel, c’est-à-dire, s’il jouit de la faveur du
fils du ciel, dès lors il règne sur la terre.
C’est pourquoi l’on dit : « On verra paraître la gloire de l’État ; il est avantageux de recevoir l’hospitalité à la cour impériale, c’est-à-dire, de recevoir les faveurs de l’empereur. La cour
du palais impérial est pleine de toute sorte d’objets étalés aux regards. On lui offre des pierres précieuses, des pièces de soie, tous les trésors du ciel et de la terre. Aussi dit-on qu’il est
avantageux de recevoir l’hospitalité à la cour impériale.
Il reste encore l’hexagramme kouán, qui représente le vent sur la terre. C’est pourquoi l’on se demande si cette prospérité sera pour les descendants de King tchoung. Le vent voyage, et
repose toujours sur la terre. C’est pourquoi l’on se demande si cette gloire sera dans une principauté autre que Tch’en. Si c’est dans une principauté étrangère, ce sera certainement dans la
principauté de Ts’î, dont la famille princière s’appelle Kiang.
La famille des Kiang est issue du ministre chargé du soin des sacrifices offerts aux esprits des quatre montagnes sacrées. Les montagnes sacrées sont les associées du ciel. Rien ne les égale en
grandeur. La principauté de Tch’en doit-elle déchoir et celle de Ts’î prospérer ?
Après que la principauté de Tch’en fut supprimée par Tch’ou pour la première fois, Houan tseu de Tch’en (descendant de Kíng tchóung à la cinquième génération) devint puissant à Ts’i. La
principauté de Tch’en fut supprimée une seconde fois par Tch’ou. Tch’eng tseu (descendant de King tchoung à la septième génération) obtint d’exercer l’administration (de gouverner le pays de
Tch’en).
563 avant
J.-C.
Mou Kiang mourut dans le palais oriental (palais de l’héritier présomptif). Quand elle
quitta son propre palais et alla demeurer dans le palais oriental, elle consulta les brins d’achillée. Elle obtint le trigramme kén sur le trigramme kén. Kén correspond au
nombre huit. Le devin dit :
— Le double kén a donné l’hexagramme souêi. Souêi est le symbole de la sortie. Princesse, vous sortirez bientôt d’ici.
Kiang répondit :
— Non. Dans le I king de Tcheou, il est dit : « Souêi, grand, pénétrant, bienfaisant, constamment ferme, irréprochable. » La grandeur, c’est la dignité morale de la personne. La
pénétration, c’est la réunion de toutes les qualités. La bienfaisance, c’est l’accomplissement de tous les devoirs. La fermeté constante, c’est le soutien de toutes les actions. L’excellence de
la personne rend capable de gouverner les hommes. Les belles qualités réunies rendent capable de se conformer aux convenances. La bienfaisance envers les autres rend capable d’observer toute
justice. La fermeté constante rend capable de soutenir toutes les affaires. Mais il faut que ces quatre vertus soient réelles et non simulées. Alors souéi signifie irréprochable, bien
que, sans ces vertus, il ait un mauvais sens (il signifie s’abandonner à la licence et suivre le courant). Or, moi femme, et complice du désordre, j’étais naturellement dans un rang inférieur (à
l’homme) ; et je n’ai pas fait le bien. Je ne mérite pas d’être appelée grande. Je n’ai pas mis la paix dans l’État et dans la famille princière. On ne peut pas dire que j’ai exercé une influence
pénétrante. Par ma conduite je me suis nui à moi-même ; on ne peut pas dire que j’ai été utile (à moi-même et aux autres). Oubliant ma dignité, j’ai commis des actions honteuses. On ne peut pas
dire que j’ai été ferme et constante dans la vertu. Celui qui possède les quatre vertus susdites est vraiment souêi et irréprochable. Je n’ai aucune de ces vertus. Suis-je souêi ? J’ai
recherché le mal ; puis-je être irréprochable ? Certainement je mourrai ici dans ce palais. Je n’en pourrai pas sortir.
547 avant
J.-C.
À Ts’i, la femme du seigneur de T’ang était la sœur de Toung kouo Ien. Toung kouo Ien était
au service de Ts’ouei Ou tseu (Ts’ouei tchou). Le seigneur de T’ang étant mort, Ien conduisit en voiture Ou tseu allant prendre part aux lamentations. Ou tseu vit Kiang, femme du seigneur de
T’ang, et fut épris de sa beauté. Il ordonna à Ien de l’enlever (et de la lui amener). Ien lui dit :
— Le mari et sa femme doivent avoir des noms de famille différents. Or, prince, vous descendez de Ting koung, prince de Ts’i, et moi de Houan koung. (Nous avons le même nom de famille ; c’est
Kiang). Vous ne pouvez pas épouser ma sœur.
Ou tseu consulta les brins d’achillée. Il vint l’hexagramme k’ouén, qui se changea en l’hexagramme tá kouó. Les devins dirent tous que le pronostic était favorable. Ts’ouei Ou
tseu en parla à Tch’en Ouen tseu. Ouen tseu dit :
— Le mari (représenté par le trigramme k’ān, qui est la partie inférieure de l’hexagramme k’ouén) a fait place au vent (représenté par le trigramme suén de l’hexagramme
tá kouó). Le vent renverse. Il ne convient pas d’épouser cette femme. D’ailleurs, dans les explications des symboles, il est dit : « Il s’épuise au milieu des rochers ; il se repose sur
des chardons étoilés ; il entre dans son palais, et ne voit pas sa femme. C’est de mauvais augure. » Il s’épuise au milieu des rochers, c’est-à-dire, il fait de vains efforts pour s’en aller. Il
se repose sur des chardons étoilés, c’est-à-dire, il met sa confiance en des chardons, et ces chardons le blessent. Il entre dans son palais, et ne voit pas sa femme. C’est de mauvais augure ; il
ne reste plus de ressource.
Ts’ouei tseu répondit :
— C’est une veuve ; qu’y a-t-il à craindre ? C’est son premier mari qui a subi ces malheurs.
Ensuite il l’enleva (ou bien, ts’iú tchēu il l’épousa).
529 avant
J.-C.
Lorsque Nan K’ouai méditait sa défection, un habitant de son pays en eut connaissance.
Passant près de Nan K’ouai, il poussa un soupir, et dit :
— Que c’est pitoyable ! que c’est embarrassant et périlleux ! La pensée est d’une grande profondeur (a pour objet une grande chose) ; mais le plan est superficiel. La personne a peu de portée
(est peu élevée en dignité, a peu de pouvoir, et le dessein est d’une vaste étendue : L’intendant du domaine d’un grand préfet s’occupe de ce qui concerne le chef de l’État. Un tel homme existe
!
Nan K’ouai consulta les sorts sur ce sujet au moyen de brins d’achillée. Il obtint l’hexagramme k’ouēn, qui se transforma en l’hexagramme pí. Pí signifie : « Robe jaune sur la
partie inférieure du corps, c’est un très heureux présage. ». Nan K’ouai crut ce pronostic très heureux. Il vit Tseu fou Houei pe, (lui fit connaître la réponse des sorts), et lui dit :
— Je désire exécuter de suite mon entreprise ; qu’en pensez-vous ?
Houei pe répondit :
— D’après les enseignements que j’ai reçus, si cette entreprise est commandée par la loyauté et la fidélité, elle réussira ; sinon, elle échouera certainement. La force extérieure (signifiée par
la partie supérieure de pí, le trigramme k’àn), et la douceur intérieure (signifiée par sa partie inférieure, le trigramme k’ouēn), c’est la loyauté. La docilité
(signifiée par sa partie supérieure) et la fermeté (signifiée par sa partie inférieure), c’est la fidélité. C’est pourquoi pi signifie : « Un vêtement jaune sur la partie inférieure du
corps est un heureux présage. » Le jaune tient le milieu entre les cinq couleurs. Le vêtement châng est l’ornement de la partie inférieure du corps. Iuên signifie le meilleur
possible. Si la loyauté n’est pas au milieu (dans le cœur), la couleur jaune n’existe pas. Si le respect n’est pas en bas (dans les inférieurs à l’égard de leurs supérieurs), l’ornement n’existe
pas. Si l’entreprise n’est pas bonne, le bien n’est pas à son plus haut degré. Quand l’extérieur et l’intérieur sont en harmonie, il y a loyauté. Quand une affaire est conduite avec fidélité, il
y a respect. Si l’on pratique à la fois les trois vertus (de droiture, de force et de douceur), l’action est bonne. Sans ces trois vertus, elle n’est pas bonne. D’ailleurs, avec ce passage du
I king, on ne peut pas pronostiquer l’issue d’une entreprise dangereuse. Qu’avez-vous qui puisse servir d’ornement ? Si la perfection est au milieu (dans le cœur), on peut annoncer la
couleur jaune ; si elle est en haut (dans les supérieurs), ce sera le degré le plus élevé ; si elle est en bas (dans les inférieurs), ce sera le vêtement châng. Si cette triple
perfection existe, on pourra espérer l’issue heureuse prédite par l’achillée. S’il y manque encore quelque chose, bien que l’achillée semble annoncer une issue heureuse, on ne l’obtiendra
pas.