Tch’ouen Ts’iou et Tso tchouan [Chunqiu, Zuozhuan], tome II

Tch’ouen  Ts’iou  et  Tso  tchouan [Chunqiu Zhozhuan] La chronique de la principauté de Lòu, Tome  II traduit par Séraphin COUVREUR (1835-1919). Cathasia, Paris, 1914,1951.


La chronique de la principauté de Lòu (721-480) par Confucius

Commentaire sous le nom de Tso K’ieou-ming.
Tome II (589-541), 586 pages.

Traduit par Séraphin COUVREUR (1835-1919).

Les Humanités d’Extrême-Orient, Cathasia, série culturelle des Hautes Études de Tien-Tsin,
Société d'édition Les Belles Lettres, Paris, 1951. Première édition : 1914.

Voir aussi : Tome premier. Tome troisième.

Se reporter à la page du tome premier pour la présentation de l'ouvrage.


Extraits : Songes - Les incendies de Soung - Chants - Le vieillard et son âge
Recensement - Femmes - Puissance de la parole

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Songes

585. Je vous enverrai du bonheur.

Tchao Ing de Tsin (frère puîné de Tchaó Touèn) eut un commerce incestueux avec Ki, femme de Tchao Chouo, fils de Tchao Touen.

Au printemps, Iuen (Tchao T’oung) et P’ing (Tchao Ki) envoyèrent en exil à Ts’i (leur frère puîné Tchao Ing, parce qu’il avait commis un inceste avec la belle-fille de son frère Tchao Touen. Ing leur dit :

— Parce que je suis ici, la famille de Louan ne cause pas de trouble. Si je n’y suis plus, vous, mes deux frères, vous aurez du chagrin. D’ailleurs, chaque homme a des choses qui lui sont possibles et d’autres qui lui sont impossibles. Si vous me laissiez ici, quel inconvénient y aurait-il ?

Ses frères ne voulurent pas accéder à sa demande. Ing vit en songe un envoyé céleste qui lui dit :

— Faites-moi une offrande ; je vous enverrai du bonheur.

Ing fit consulter Cheu Tcheng pe sur ce songe. Cheu Tcheng pe répondit qu’il n’en savait pas la signification. Mais ensuite Tcheng pe dit à l’un de ses propres suivants :

— Les esprits accordent du bonheur aux hommes vertueux, et ils envoient du malheur aux impudiques. Être coupable d’impudicité et n’être pas châtié gravement, c’est un bonheur. En faisant une offrande à cet esprit, il obtiendra peut-être de n’être puni que du bannissement.

Ing fit une offrande, et le lendemain matin, il partit pour l’exil. Trois ans plus tard, le prince de Tsin mit à mort Tchao T’oung et Tchao Kouo.

580. Le blé nouveau.

Le prince de Tsin vit en songe un grand fantôme, dont la chevelure pendait jusqu’à terre, qui se frappa la poitrine, bondit (comme on fait en temps de deuil), et lui dit :

— Tu as mis à mort injustement mes descendants (Tchao T’oung et Tchao Kouo). Il m’a été donné de présenter ma requête au Souverain suprême.

Le spectre (l’âme de l’un des ancêtres de la famille Tchao) brisa la grand’porte du palais et la porte des appartements particuliers du prince, et il entra. Le prince épouvanté entra dans sa chambre. Le fantôme brisa encore la porte de la chambre. Le prince, à son réveil, appela le devin de Sang t’ien. Le devin lui dit :

— Ce que avez rêvé arrivera.

Le prince dit :

— Qu’arrivera-t-il ?

Le devin répondit :

— Vous ne mangerez pas de blé nouveau (vous mourrez avant la moisson).

Le prince, étant gravement malade, fit demander un médecin à Ts’in. Le prince de Ts’in envoya le médecin Houan le soigner. Avant l’arrivée du médecin, le prince vit en songe deux jeunes serviteurs qui (étaient dans son corps), parlaient de sa maladie, et se dirent l’un à l’autre :

— Houan est un habile médecin ; il est à craindre qu’il ne nous nuise. Comment pourrions-nous lui échapper ?

L’un d’eux dit :

— Mettons-nous entre le diaphragme de l’estomac et la région du cœur. Que pourra-t-il nous faire?

Le médecin, étant arrivé, dit :

— Le mal est incurable. Il est entre le diaphragme de l’estomac et la région du cœur. Il est inattaquable. L’aiguille ne peut le percer ; les remèdes ne peuvent l’atteindre. Il n’y a rien à faire.

Le prince dit :

— C’est un excellent médecin.

Il le fit traiter avec beaucoup d’honneur et congédier.

Au sixième mois, le jour pìng òu, le prince de Tsin voulut manger du blé nouveau ; il dit à l’intendant de ses terres de lui en fournir. Lorsque le cuisinier eut apprêté ce blé, le prince appela le devin de Sang tien, lui montra le blé, (lui reprocha de l’avoir trompé en lui disant qu’il ne mangerait pas de blé nouveau) et le fit mettre à mort. Comme il était sur le point de manger, son ventre enfla. Il alla aux lieux d’aisance, tomba et mourut. Le matin, un de ses serviteurs avait rêvé qu’il portait le prince sur ses épaules et l’enlevait au ciel. À midi, ce même serviteur prit sur ses épaules le prince de Tsin et l’emporta hors des latrines. Ensuite il fut immolé sur la tombe du prince et enterré avec lui.

574. Des flèches contre la lune.

Liu I (Ouéi Ì de Tsin) rêva qu’il lançait des flèches contre la lune, qu’il l’avait atteinte ; mais que, en se retirant, il s’était jeté dans un bourbier. L’interprète des songes lui dit :

— Les princes dont le nom de famille est Ki, (entre autres le prince de Tsin), sont comme le soleil ; ceux qui portent un autre nom de famille sont comme la lune. La lune désigne le prince de Tch’ou. Certainement vous lancerez une flèche contre lui et vous l’atteindrez. En vous retirant, vous vous jetterez dans un bourbier ; cela signifie que vous aussi vous périrez.

Dans le combat, Liu I lança une flèche contre Koung ouang, prince de Tch’ou, et l’atteignit à l’œil. Le prince de Tch’ou appela Iang Iou ki, lui donna deux flèches et lui dit de le lancer contre Liu I. Liu I fut atteint au cou, et tomba mort sur l’étui de son arc. Iang Iou ki, remportant une de ses deux flèches, alla dire au prince que son ordre avait été exécuté (avec une seule flèche).

573. Je n’ai plus rien à craindre.

Jadis Cheng pe (Ing ts’i) rêva qu’il traversait la rivière Houan. Un homme lui mit des pierres de prix dans la bouche (comme on fait aux morts). Les larmes de Cheng pe coulèrent, et se changèrent en pierres de prix, qui remplirent son sein. Ensuite, (en rêve) il chanta :

— En traversant la Houan, j’ai reçu un présent de pierres de prix. Retournons, retournons. Les pierres de prix ont rempli mon sein.

Par crainte de la mort, il n’osa pas faire interpréter ce songe. Il s’en retourna de Tcheng. Le jour jên chēn, arrivé à Li tch’en, il voulut faire interpréter son songe. Il se dit :

— Par crainte de la mort, je n’ai pas osé faire interpréter mon songe. À présent qu’une multitude de personnes m’a suivi depuis trois ans dans les combats, je n’ai pas été blessé, je n’ai plus rien à craindre.

À peine avait-il achevé ces paroles, qu’il mourut.

554. Pronostic certain.

En automne, le prince de Ts’i attaqua notre frontière septentrionale. Tchoung hang Hien tseu (Siun Ien de Tsin), se préparant à attaquer Ts’i, rêva qu’il avait un procès avec Li koung (prince de Tsin, dont il était le meurtrier) ; qu’il n’avait pas gain de cause ; que Li koung l’ayant frappé de sa lance, sa tête était tombée par terre devant lui ; que, s’étant mis à genoux, il avait relevé et replacé sa tête sur ses épaules ; qu’il s’était sauvé, en tenant sa tête entre les deux mains ; qu’il avait rencontré Kao, magicien de Keng iang. Un autre jour, il rencontra en chemin le magicien Kao. Ils conversèrent ensemble. Ils avaient eu tous deux le même songe. Le magicien lui dit :

— C’est un pronostic certain de votre mort prochaine. Mais si vous avez une affaire dans une contrée orientale, vous obtiendrez l’objet de vos désirs.

*

Les incendies de Soung

563. Au printemps, un grand malheur (un incendie) envoyé par le ciel affligea la capitale de Soung.

Au printemps, à Soung, après l’incendie, Io Hi (Tsèu hán), qui était ministre des travaux publics, fit des règlements relatifs aux cas d’incendie. Il nomma Pe cheu directeur des chefs des quartiers de la ville. Il lui ordonna de détruire les petites maisons et de faire crépir les grandes dans les endroits qui n’avaient pas été atteints par l’incendie ; de distribuer des corbeilles et des charrettes pour transporter de la terre (et étouffer le feu) ; de fournir des cordes et des cruches pour puiser de l’eau ; de disposer des vases à eau ; d’imposer les charges selon les forces et les ressources de chacun ; de faire des amas d’eau de pluie et des amas de boue ; de placer des gardiens chargés de parcourir chacun une distance déterminée ; de faire bien garder la ville, et (en cas d’incendie), de faire signaler la marche du feu. Il ordonna à Koua Tch’en de fournir des hommes (en cas d’incendie), de dire aux chefs des districts d’amener les gardiens des redoutes établies dans la campagne, et de courir aux endroits envahis par le feu. Il ordonna à Houa Iue de diriger les officiers de droite, et de recommander à chacun d’eux de bien remplir sa charge. Il ordonna de la même manière à Hiang Siu de diriger les officiers de la légion gauche. Il ordonna aussi à Io Chouan de protéger contre le feu les tablettes et autres choses sur lesquelles les lois pénales sont inscrites. Il ordonna à Houang Iun de prescrire au chef des écuries de mettre les chevaux dehors, et au chef des artisans de mettre les voitures dehors, de préparer les cuirasses et les armes, et de fournir les choses nécessaires aux soldats de garde. Il ordonna à Si Tch’ou ou de prendre soin des livres conservés dans les six magasins, et de prescrire au chef des eunuques et aux gardiens des passages du sérail de veiller avec soin sur le sérail. Il ordonna au chef de la légion de gauche et au chef de la légion de droite de prescrire à tous les chefs de districts d’offrir des sacrifices avec respect. Il ordonna au chef des invocateurs et au maître des cérémonies d’immoler des chevaux près des remparts aux quatre points cardinaux, et d’offrir des sacrifices en dehors de la porte occidentale à P’an keng (souverain de la dynastie des In et aïeul de la famille princière de Soung).

Le prince de Tsin interrogea Cheu Jo. Il lui dit :

— J’ai entendu dire qu’on savait que l’incendie de Soung en cette circonstance avait été décidé par le ciel. Comment l’a-t-on su ?

Cheu Jo répondit :

— Anciennement, le ministre du feu après sa mort recevait des offrandes en même temps que la constellation Sin (partie du Scorpion) ou en même temps que la constellation Tchou (l’Hydre) ; alors le peuple allumait ou éteignait le feu. Pour cette raison, la constellation Tchou est appelée Chouen houo, et la constellation Sin est appelée Ta houo. Sous le règne de T’ao T’ang (Iao), le Ministre du feu Ngo pe (fils de Kaō sīn) demeurait à Chang k’iou, faisait des offrandes à la constellation Ta houo, et réglait les époques où le peuple devait allumer ou éteindre le feu. Siang t’ou (petit-fils de Siĕ et père des Chang) succéda à Ngo pe et l’imita. C’est pourquoi les Chang firent des offrandes à la constellation Ta houo. Les Chang observèrent que la période de leurs calamités commençait toujours avec le feu (quand la constellation Ta houo paraissait au midi le soir après le coucher du soleil). Ainsi, à la longue, ils connurent que les incendies étaient réglés par le ciel.

Le prince reprit :

— Est-ce une règle certaine ?

Cheu Jo répondit :

— Tout dépend de la marche du gouvernement. Lorsque l’État est dans le trouble, il ne paraît pas de signe dans le ciel ; on ne peut savoir d’avance s’il y aura des incendies.

542. Au cinquième mois, le jour kiă òu, un grand malheur (un incendie) arriva à Soung (dans le palais). Pe Ki (fille aînée de Tch’eng koung de Lou et veuve de Kōung kōung) de Soung y perdit la vie.

Dans la grande salle du temple des ancêtres de Soung, une voix avait été entendue qui criait :

— Hi hi ! (cri d’un homme qui se sent brûlé). Sortez, sortez.

Près de l’autel de la Terre à Po, un oiseau avait crié et semblé dire : Hi hi ! Le jour kiă òu, un grand incendie éclata dans le palais de Soung. Pe Ki, veuve de Koung koung de Soung, y périt. (Elle n’osa pas sortir de son propre chef pour échapper aux flammes) ; elle attendait l’ordre de la gouvernante des jeunes femmes et des filles du sérail. (Cet ordre ne vint pas). Un sage jugera que Ki, veuve de Koung koung de Soung, se conduisit comme une jeune fille, et non comme une femme mariée et âgée. (Elle avait environ soixante ans). Une jeune fille attend, pour sortir, un ordre de l’autorité. Une femme d’un âge mûr fait ce que conseillent les circonstances (elle se décide par elle-même).
. . . . . . . . . . .
Les délégués de Tsin, de Ts’i, de Soung, de Ouei, de Tcheng, de Ts’ao, de Kiu, de Tchou, de T’eng, de Sie, de K’i, du Petit Tchou se réunirent à Chan iuen (sur le territoire de Ouei), pour délibérer au sujet de l’incendie de Soung.

Après l’incendie de Soung, les grands préfets des princes se réunirent pour délibérer, et donner à Soung des secours en argent ou en nature. En hiver, au dixième mois, Chou suen Pao, de Lou alla conférer avec Tchao Ou de Tsin, Koung suen Tch’ai de Ts’i, Hiang Siu de Soung, Pe koung T’o de Ouei, Han Hou (Tseu p’i) de Tcheng, et un grand préfet du Petit Tchou. Ces officiers se réunirent à Chan iuen. (Ils promirent, mais) ensuite ils ne donnèrent rien à Soung. À cause de leur mauvaise foi, le Tch’ouen ts’iou n’a pas inscrit leurs noms. Un sage dira :

— Ne doit-on pas avoir soin de garder sa parole ? Les noms des ministres qui se réunirent à Chan iuen n’ont pas été inscrits, parce qu’ils ont manqué à leur parole. La noble origine ou condition élevée, les titres de ces grands ministres, qui se sont réunis et n’ont pas tenu leur parole, tout a été passé sous silence. Tant est blâmable le manque de bonne foi !

Il est dit dans le Cheu king : Ouen ouang monte et descend, toujours à la droite ou à la gauche du roi du ciel. (Ta ia, Livre I, Chant I, 1). Cela signifie que Ouen ouang obéit fidèlement au roi du ciel.

Dans un autre chant (qui est à présent perdu) il est dit : Réglez avec soin toute votre conduite ; qu’elle n’ait rien de trompeur. Cela doit s’entendre de la mauvaise foi.

(Le Tch’ouen ts’iou) écrit que tels et tels officiers se réunirent à Chan men, pour délibérer au sujet de l’incendie de Soung. (En ne les désignant pas par leurs noms), il les blâme. Il ne mentionne pas le grand préfet de Lou ; il s’abstient d’en parler (pour ménager l’honneur de Lou).

*

Chants

562. Le prince de Soung offrit un repas au prince de Tsin à Tch’ou k’iou. Il lui demanda la permission de faire exécuter durant ce repas le chant Sang lin Plantation de mûriers (chant des empereurs de la dynastie des In). Siun Ing refusa. Siun Ien et Cheu Kai dirent :

— Entre toutes les principautés, c’est seulement Soung et Lou qui, en pareille circonstance, offrent le spectacle des cérémonies réservées à l’empereur. Le prince de Lou (descendant de Tcheou koung) a le droit de faire exécuter les chants du grand sacrifice tí. Il les fait exécuter quand il traite des hôtes et quand il présente des offrandes aux esprits. Si le prince de Soung (descendant des In) fait exécuter le chant Sang lin durant un repas offert au prince, n’est-ce pas louable ?

Le chef des pantomimes indiqua à chacun d’eux sa place avec le grand étendard. Le prince de Tsin craignit (de paraître s’arroger les droits réservés à l’empereur) ; il se retira et entra dans un appartement. Quand on eut enlevé l’étendard et que le repas fut fini, le prince de Tsin s’en retourna à Tsin.

Arrivé à Tchou ioung, sur le territoire de Tsin, il tomba malade. L’écaille de tortue fut consultée ; dans la réponse la Plantation de mûriers parut. Siun Ien et Cheu Kai voulaient retourner vite à Soung prier et invoquer les esprits. Siun Ing désapprouva ce dessein. Il dit :

— J’ai refusé cette cérémonie (l’exécution du chant Sang lin). Eux (le prince et les officiers de Soung) l’ont employée quand même. Ensuite, s’il y a un esprit qui soit offensé, c’est sur eux qu’il doit exercer sa vengeance.

545. Le prince de Tcheng offrit un repas à Tchao Meng de Tsin à Tch’ouei Ioung (ville de Tcheng, où Tchao Meng passa en retournant de Soung à Tsin). Tseu tchan, Pe iou, Tseu si, Tseu tch’an, Tseu t’ai chou, les deux Tseu cheu accompagnèrent le prince. Tchao Meng dit :

— Sept officiers accompagnent le prince pour honorer Ou (Tchao Meng). Je les prie de chanter tous pour mettre le comble à la faveur du prince, et aussi pour que je voie leurs sentiments.

Tseu tchan chanta La sauterelle des prés (Chao nan, Chant III). Tchao Meng dit :

— Excellent ! Le héros de ce chant était digne de gouverner le peuple. Moi, je n’en suis pas capable.

Pe iou chanta Les cailles vont deux à deux. Tchao Meng dit :

— Il ne convient pas que les paroles dites sur la couche (paroles impudiques) passent le seuil de la chambre. À plus forte raison ne convient-il pas qu’elles soient répétées, en pleine campagne. Ce ne sont pas des choses qu’il convienne d’entendre.

Tseu si chanta la quatrième strophe du chant Le millet en herbe. Tchao Meng dit :

— Ces éloges conviennent à mon prince. Moi, de quoi suis-je capable ?

Tseu tch’an chanta Le mûrier planté dans un terrain humide. Tchao Meng dit :

— Permettez-moi d’accepter la dernière strophe (sur l’amour voué à l’homme sage).

Tseu t’ai chou chanta Dans la plaine croît une plante rampante. Tchao Meng dit :

— C’est grâce à vous, Monseigneur, (que j’ai le bonheur de vous rencontrer, comme il est dit dans ce chant).

In touan (le premier des Tseu cheu) chanta Le grillon. Tchao Meng dit :

— Excellent ! Le héros de ce chant était capable de gouverner et de conserver sa famille. J’espère pouvoir le faire aussi.

Koung suen Touan (le second des Tseu cheu) chanta Les bruants du mûrier. Tchao Meng dit :

— Ces convives n’étaient ni turbulents ni arrogants ; comment leur félicité aurait-elle passé ? Si un homme vérifie en lui ces paroles, c’est-à-dire, possède ces qualités, quand même il voudrait écarter de lui la félicité et les dignités, le pourrait-il ?

Le repas fini, Ouen tseu (Tchao Meng) dit à Chou hiang :

— Pe iou sera mis à mort, ce me semble. Les chants servent à exprimer la pensée. Pe iou a eu l’intention de calomnier son supérieur (le prince de Tcheng). Il a employé pour honorer ses hôtes ce dont son prince aura du ressentiment. Pourra-t-il vivre encore longtemps ? Il aura du bonheur s’il lui est donné de vivre en exil avant (d’être mis à mort).

Chou hiang répondit :

— C’est vrai. Il est extravagant. Ce qu’on dit communément : « Il ne durera pas cinq ans » peut être dit de cet officier.

Ouen tseu reprit :

— Les familles des six autres officiers seront toutes florissantes durant plusieurs générations. La famille de Tseu tchan sera celle qui disparaîtra la dernière. Tseu tchan, dans un haut rang, sait s’abaisser (comme il l’a chanté). La famille de In viendra en second lieu (elle disparaîtra avant celle de Tseu tchan, mais elle survivra aux quatre autres). In se réjouit, sans s’abandonner trop à la joie (comme le dit son chant). Il se réjouit, et donne ainsi la paix au peuple. Il n’excède pas en exigeant trop de lui. N’est-il pas juste que sa famille s’éteigne tard ?

543. Tcha, envoyé du prince de Ou, vint saluer le prince de Lou.

Koung suen Tcha de Ou vint saluer le prince de Lou. Il visita Chou suen Mou tseu, et fut fort content de lui. Il lui dit :

— Seigneur, vous n’obtiendrez pas de mourir de mort naturelle, je crois, Vous aimez les hommes vertueux ; mais vous ne savez pas choisir les hommes capables (et les élever aux charges). J’ai entendu dire qu’un homme sage s’applique à bien choisir les hommes. Monseigneur, vous êtes de la famille princière et ministre de Lou. Vous êtes chargé de la haute administration. Si vous élevez aux charges sans grande attention, comment soutiendrez-vous le fardeau de l’administration ? Certainement le malheur vous atteindra.

Tcha demanda à voir exécuter les chants des Tcheou. Le prince de Lou ordonna aux artistes de lui chanter des chants du Tcheou nan et du Chao nan (parties du Cheu king). Tcha dit :

— C’est beau ! Les Tcheou posaient les fondements de leur administration. L’édifice n’était pas encore achevé. Néanmoins, ces chants expriment la diligence, nullement la plainte.

On lui chanta des chants de Pei, de Ioung et de Ouei. (Cheu king). Tcha dit :

— Ces chants sont beaux. Le sens en est profond. Ils expriment la sollicitude, nullement la détresse. J’ai entendu dire que tel était le caractère de la vertu de K’ang chou et de Ou koung, princes de Ouei. Les chants que je viens d’entendre sont, je pense, des chants de Ouei. (On ne lui avait pas dit d’où ils étaient tirés).

On lui chanta des chants du Territoire impérial. Tcha dit :

— Ces chants sont beaux ! Ils expriment la réflexion, nullement la crainte. Ils ont été composés, je pense, après que l’empereur P’îng ouang eût transporté sa capitale à l’est (à Lŏ ĭ, Ho nan).

On lui chanta des chants de Tcheng. Il dit :

— Ces chants sont beaux ! On y voit un gouvernement minutieux au plus haut degré et insupportable au peuple. il périra des premiers, je pense.

On lui chanta des chants de Ts’i. Il dit :

— Ces chants sont beaux ! La musique en est très puissante. Ce sont les chants populaires d’une grande principauté. Ils ont été inspirés, je pense, par T’ai koung, dont les limites étaient la mer orientale. Il est encore impossible de conjecturer quelles seront l’extension et la durée de cette principauté.

On lui chanta des chants de Pin. Il dit :

— Ces chants sont beaux ! Les sons en retentissent au loin. Ils expriment la joie, et non la licence. Ils célèbrent, je pense, les belles actions de Tcheou koung dans l’est.

On lui chanta des chants de Ts’in. Il dit :

— Ces sons sont ceux des Hia. Puisqu’ils ont pu imiter les sons des Hia, ils respirent la grandeur. C’est le plus haut degré de la grandeur. Ces chants ont été composés, je pense, quand les Tcheou étaient encore dans leur ancienne capitale, (à Haò, Chan si).

On lui chanta des chants de Ouei. Il dit :

— Ces chants sont beaux ! Le ton en est modéré. Ils expriment la grandeur et la condescendance, l’économie et l’aisance dans la conduite. Si ces qualités sont accompagnées de la bienfaisance, le chef de la principauté brillera.

On lui chanta des chants de T’ang. Il dit :

— Ces chants sont le fruit d’une méditation profonde, (Quand ils ont été composés), il restait encore des descendants des sujets de Iao, je pense. Sinon, comment exprimeraient-ils une sollicitude qui s’étendait si loin ? D’autres que les descendants d’hommes d’une vertu insigne auraient-ils été capables de composer de tels chants ?

On lui chanta des chants de Tch’en. Il dit :

— Une principauté sans chef peut-elle subsister ?

Il ne critiqua pas les chants de Kouai, ni les chants (de Ts’ao) qui vinrent après ceux de Kouai.

On lui chanta des chants du Siao ia. Il dit :

— Ces chants sont beaux ! On se souvenait alors des exemples des anciens Tcheou et on ne tenait pas une conduite opposée. On était mécontent, mais on n’en disait rien. La vertu des Tcheou alors était en décadence, ce semble. Cependant il restait encore des hommes semblables aux sujets des anciens souverains.

On lui chanta des chants du Ta ia (partie du Cheu king). Il dit :

— Quelle largeur ! Ces sons sont harmonieux et agréables. Dans les modulations règne la rectitude. Telle était la vertu de Ouen ouang, je pense.

On lui chanta des chants des Soung (partie du Cheu king). Il dit :

— C’est parfait ! On y voit droiture sans orgueil, flexion sans abaissement, proximité sans pression, éloignement sans déchirement, changement sans dérèglement, répétition sans satiété, affliction sans inquiétude, joie sans dissolution, emploi sans crainte de manquer, générosité sans ostentation, bienfaisance sans diminution de ressources, prélèvement sans cupidité, conservation sans désir d’amasser. Les cinq sons de la gamme sont en harmonie. Les airs de toutes les contrées sont dans un accord parfait. Chaque partie a des limites définies ; l’ordre est maintenu. Tous ces chants célèbrent également la plus haute vertu.

Il vit des pantomimes avec des flageolets d’ivoire et des flûtes du midi (célébrer Ouen ouang). Il dit :

— C’est beau ! Alors la colère de Ouen ouang n’était pas encore apaisée.

Il vit les pantomimes exécuter le chant guerrier Ta ou de Ou ouang. Il dit :

— C’est beau ! Tcheou était alors prospère, comme ce chant l’exprime.

Il vit les pantomimes exécuter le chant Chao hou. Il dit :

— Tch’eng T’ang avait la magnanimité d’un grand sage ; cependant il rougissait de n’être pas plus vertueux. C’est le chagrin qu’éprouve un grand sage.

Il vit les pantomimes exécuter le chant Ta hia. Il dit :

— C’est beau ! Le héros de ce chant se dépense entièrement, et il ne s’en fait pas un mérite. Quel autre que Iu était capable de pratiquer une telle vertu ?

Il vit les pantomimes exécuter le chant Chao siao. Il dit :

— C’est le plus haut degré de la vertu. C’est grand, comme le ciel qui couvre tous les êtres, comme la terre qui les porte tous. La plus grande vertu elle-même n’aurait rien à y ajouter. Cessez vos représentations mimiques. Si vous avez encore d’autres chants, je n’ose pas vous prier de les exécuter.

*

Le vieillard et son âge

542. Au troisième mois, le jour kouèi ouéi, la veuve de Tao koung, prince de Tsin, offrit un repas à tous les travailleurs qui avaient fortifié K’i. Un vieillard sans enfants, du district de Kiang, alla prendre part au repas. Ceux qui iù étaient avec lui, étaient dans l’incertitude sur son âge (parce qu’il ne le disait pas clairement). Ils le lui firent dire de nouveau. Le vieillard leur répondit :

— Votre serviteur est un homme de basse condition ; il ne sait pas calculer le nombre de ses années. Je suis né le premier jour de l’année et le premier jour d’un cycle de soixante jours. Depuis ce temps, le quatre cent quarante cinquième cycle de soixante jours est commencé ; le tiers du cycle présent est écoulé.

(60 x 444 + 20 = 26660). Les officiers (présents au repas, ne sachant pas combien ce nombre de jours faisait d’années) se hâtèrent d’aller à la cour interroger les savants. Le maître de musique K’ouang dit :

— Ce vieillard est né l’année où Chou tchoung Houei pe de Lou alla conférer avec K’i Tch’eng tseu à Tch’eng k’ouang. Cette année-là, les Ti attaquèrent Lou. Alors, Chou suen Tchouang chou défit les Ti à Hien. Il prit trois barbares de grande taille, nommés Kiao jou, Houei et Pao. (En souvenir de sa victoire), il donna leurs noms à ses trois fils (Chou suen K’iao jou, Chou suen Pao,...). Il y a soixante-treize ans.

L’annaliste Tchao dit :

— Le caractère hái (qui se prononce comme hái voix d’un enfant) se compose du chiffre éul, à sa partie supérieure et de trois lŏu à sa partie inférieure. (Il s’écrivait ainsi anciennement). Si, au dessous du chiffre éul vous placez en ligne verticale trois lŏu, vous aurez le nombre des jours de ce vieillard.

Cheu Ouen pe dit :

— Ainsi ce nombre est 2.666 dizaines de jours.

Tchao Meng demanda quel était le grand préfet du district de ce vieillard. Il apprit que cet homme était son sujet. Il l’appela et lui avoua sa négligence. Il lui dit :

— Ou (Tchao Meng), homme de peu de talent, est chargé de diriger les grandes affaires du prince, et le gouvernement de Tsin lui donne beaucoup de préoccupations. Je n’ai su vous employer, Monseigneur. Je vous ai laissé longtemps vous abaisser à remuer la terre et la boue (à élever des fortifications). Je suis coupable. J’ose vous prier de me pardonner cette faute à raison de mon incapacité.

Tchao Ou voulut le créer officier et lui donner part à l’administration. Le vieillard s’excusa sur son âge. Tchao Ou lui donna des terres, et le chargea de garder les fŏu t’aô vêtements du prince. Il le nomma chef des terres du district de Kiang, destitua l’officier militaire (qui avait employé ce vieillard à fortifier K’i).

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Recensement

547 À Tch’ou, Ien Ouei, étant ministre de la guerre, fut chargé par Tseu mou (qui était premier ministre) de régler les contributions et de compter le nombre des cuirasses et des armes offensives. Le jour kiă òu, il inscrivit les terres labourables, les produits des montagnes et des forêts, réunit les marais et les lacs (sous l’autorité du prince, pour en faire des lieux de chasse), distingua les collines (pour y établir des cimetières), marqua les terrains humides et salés (pour en exiger des impôts moins considérables), calcula l’étendue des terrains inondés aux frontières de l’État (pour exiger moins de redevance), détermina l’étendue des déversoirs d’eau, divisa en petits champs les terrains unis compris entre les digues, désigna pour des pâturages les terrains secs situés sur le bord de l’eau, divisa en tsìng les terrains unis et fertiles, détermina les contributions à fournir, régla le nombre de chars et de chevaux à donner ; il fixa le nombre des hommes chargés des chars, le nombre des fantassins, ainsi que le nombre des hommes revêtus de cuirasses et des hommes munis de boucliers, que chaque localité devait fournir, Quand ce travail fut terminé, il remit sa liste à Tseu mou. Cela convenait.

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Femmes

588. Hia Ki.

Quand les officiers de Tch’ou eurent châtié le chef de la famille Hia de Tch’en, Tchouang ouang, prince de Tch’ou, voulut emmener dans son sérail Ki, femme de cet officier. Ou tch’en, prince de Chen, lui dit :

— Ce n’est pas bien. Prince, vous avez appelé les autres princes pour châtier un coupable. À présent, si vous emmenez Ki, femme de ce Hia, ce sera par amour de sa beauté. L’amour de la beauté des femmes est un amour impudique. L’impudicité mérite un grand châtiment. Il est dit dans les Annales des Tcheou : « Ouen ouang sut faire briller sa vertu et employer les châtiments avec circonspection. » C’est ainsi que Ouen ouang fonda la dynastie des Tcheou. Il fit briller sa vertu ; c’est-à-dire, il s’appliqua à porter sa vertu au plus haut point. Il employa les châtiments avec circonspection ; c’est-à-dire, il s’efforça de les supprimer (de n’avoir plus de crimes à punir). Si vous mettez les princes en mouvement pour mériter ensuite un grand châtiment, ce ne sera pas donner votre attention aux châtiments. Prince, je vous prie d’y réfléchir. » La prince de Tch’ou abandonna son dessein.

Tseu fan voulut prendre cette femme pour lui-même. Ou tch’en lui dit :

— C’est une femme néfaste. Elle a fait mourir prématurément son frère Tseu man. Elle a occasionné la mort de son mari Iu chou, le meurtre de son frère Ling koung, prince de Tch’en, le supplice de son fils Hia Nan, l’expulsion de K’oung Ning et de I Hang chou, et l’extinction de la principauté de Tch’en (par le prince de Tch’ou). Y a-t-il femme aussi néfaste qu’elle ? Il est difficile à l’homme de conserver sa vie. Quel est celui qui n’obtient pas de mourir ? (Il n’est pas besoin de hâter sa mort en prenant une femme néfaste). Dans l’univers, les belles femmes sont nombreuses. Pourquoi faut-il que vous preniez celle-là ?

Tseu fan se désista de son projet.

Le prince de Tch’ou donna Hia Ki à Siang Iao, qui était liên ìn commandant. Siang Iao périt à Pi, et Tch’ou n’eut pas son cadavre (qui fut gardé à Tsin). He iao, fils de Siang Iao, eut un commerce criminel avec cette femme. Ou tch’en fit dire à Hia Ki (Ki, femme de Hia) :

— Retournez à Tcheng. Je contracterai avec vous des fiançailles.

Ensuite il fit en sorte que de Tcheng on appelât Hia Ki à Tcheng, en lui disant :

— Le corps de Siang Iao pourra être obtenu ; mais il faut que vous veniez le chercher.

Hia Ki informa le prince de Tch’ou (qu’on pouvait obtenir le cadavre de Siang Iao, si elle allait le chercher). Le prince de Tch’ou interrogea K’ia Ou (Ou tch’en). Ou tch’en répondit :

— C’est vrai. (Siūn Cheòu) le père de Tcheu Ing (que nous avons pris à la bataille de Pi et que nous retenons prisonnier) était le favori de Tch’eng koung, prince de Tsin, et il est le frère puîné de Tchoung hang pe (Siūn Lîn fòu). Siun Cheou a été dernièrement nommé commandant en second de la légion centrale de Tsin. Il est en bons termes avec Houang Chou de Tcheng. Il chérit ce fils (Tcheu Ing). Pour avoir ce fils, il demanderait et obtiendrait certainement par l’entremise de Tcheng et renverrait à Tch’ou le fils du prince de Tch’ou (qui est prisonnier à Tsin depuis la bataille de Pi), et le corps de Siang Iao (qui est resté à Tsin), Depuis l’expédition de Pi, les habitants de Tcheng craignent Tsin et veulent se concilier sa faveur. Certainement ils accéderaient à la demande de Siun Cheou.

Le prince de Tch’ou dit à Hia Ki de retourner à Tcheng. Sur le point de partir, elle dit aux officiers de son escorte :

— Si je n’obtiens pas le corps de Siang Iao, je ne reviendrai pas à Tch’ou.

Ou tch’en envoya faire des fiançailles pour lui avec elle à Tcheng. Le prince de Tcheng y consentit.

Quand Koung ouang arriva au pouvoir à Tch’ou, se préparant à faire l’expédition de Iang K’iao, il envoya K’iu Ou (Ou tch’en) saluer le prince de Ts’i et lui annoncer l’époque de l’expédition. Ou tch’en emmena toute sa famille avec lui. En chemin il fut rencontré par Chen Chou kouei, qui, à la suite de son père, allait à Ing. Chou kouei lui dit :

— C’est étonnant, Seigneur ; vous êtes sous la crainte de trois légions (vous craignez une guerre), et cependant vous avez l’air joyeux de cet officier qui était au milieu des mûriers (et voulait enlever une femme. Chant II). Sans doute vous allez enlever une femme et vous enfuir avec elle.

579. La mère de Cheng pe n’avait pas été fiancée avec toutes les cérémonies d’usage. Mou Kiang, femme de Siuen koung, disait :

— Je ne considère pas comme ma belle-sœur une femme de second rang (une femme qui n’a pas été dûment fiancée).

Cette femme, après avoir mis au monde Cheng pe, fut renvoyée par Chou Hi, et mariée à Kouan Iu hi de Ts’i. Après avoir mis au monde deux enfants (un fils et une fille), elle devint veuve. Alors elle retourna à Lou auprès de son fils Cheng pe (avec ses deux enfants). Cheng pe créa grand préfet de Lou son frère utérin, et maria sa sœur utérine à Cheu Hiao chou de Lou.

K’i Tch’eou de Tsin, étant allé faire visite au prince de Lou, demanda une femme à Cheng pe. Cheng pe prit la femme du chef de la famille Cheu (sa sœur utérine) et la lui donna. Cette femme dit à son mari Cheu Hiao chou :

— Les animaux eux-mêmes n’abandonnent pas leurs compagnes. Seigneur, quel parti prendrez-vous ?

Cheu Hiao chou répondit :

— Je ne puis pas me dévouer à la mort ou à l’exil (que me prépare Cheng pe, si je résiste à sa volonté).

Alors cette femme alla à Tsin. Elle mit au monde deux enfants dans la maison de K’i Tcheou. K’i Tcheou étant mort, les habitants de Tsin la renvoyèrent à Cheu Hiao chou (avec ses deux enfants). Cheu Hiao chou alla au devant d’elle jusqu’au fleuve Jaune. Il noya les deux enfants dans le fleuve. Cette femme s’irrita et dit :

— Jadis tu n’as pu protéger ta compagne et tu l’a laissée partir. À présent, tu ne peux traiter paternellement les orphelins d’un autre homme, et tu les mets à mort. Comment finiras-tu ?

Ensuite elle jura de n’être plus la femme de Cheu Hiao chou.

563. Au cinquième mois, le jour sīn iòu, la princesse Kiang cheu (Mou Kiang, mère de Tch’êng kōung de Lou) mourut.

Mou Kiang mourut dans le palais oriental (palais de l’héritier présomptif). Quand elle quitta son propre palais et alla demeurer dans le palais oriental, elle consulta les brins d’achillée. Elle obtint le trigramme kén sur le trigramme kén. Kén correspond au nombre huit. Le devin dit :

— Le double kén a donné l’hexagramme souêi. Souêi est le symbole de la sortie. Princesse, vous sortirez bientôt d’ici.

Kiang répondit :

— Non. Dans le I king de Tcheou, il est dit : « Souêi, grand, pénétrant, bienfaisant, constamment ferme, irréprochable. » La grandeur, c’est la dignité morale de la personne. La pénétration, c’est la réunion de toutes les qualités. La bienfaisance, c’est l’accomplissement de tous les devoirs. La fermeté constante, c’est le soutien de toutes les actions. L’excellence de la personne rend capable de gouverner les hommes. Les belles qualités réunies rendent capable de se conformer aux convenances. La bienfaisance envers les autres rend capable d’observer toute justice. La fermeté constante rend capable de soutenir toutes les affaires. Mais il faut que ces quatre vertus soient réelles et non simulées. Alors souéi signifie irréprochable, bien que, sans ces vertus, il ait un mauvais sens (il signifie s’abandonner à la licence et suivre le courant). Or, moi femme, et complice du désordre, j’étais naturellement dans un rang inférieur (à l’homme) ; et je n’ai pas fait le bien. Je ne mérite pas d’être appelée grande. Je n’ai pas mis la paix dans l’État et dans la famille princière. On ne peut pas dire que j’ai exercé une influence pénétrante. Par ma conduite je me suis nui à moi-même ; on ne peut pas dire que j’ai été utile (à moi-même et aux autres). Oubliant ma dignité, j’ai commis des actions honteuses. On ne peut pas dire que j’ai été ferme et constante dans la vertu. Celui qui possède les quatre vertus susdites est vraiment souêi et irréprochable. Je n’ai aucune de ces vertus. Suis-je souêi ? J’ai recherché le mal ; puis-je être irréprochable ? Certainement je mourrai ici dans ce palais. Je n’en pourrai pas sortir.

[Rappel. cf. plus haut] 542. Au cinquième mois, le jour kiă òu, un grand malheur (un incendie) arriva à Soung (dans le palais). Pe Ki de Soung y perdit la vie. (Elle n’osa pas sortir de son propre chef pour échapper aux flammes) ; elle attendait l’ordre de la gouvernante des jeunes femmes et des filles du sérail. (Cet ordre ne vint pas).

*

Puissance de la parole

547. En hiver, Koung suen Hia de Tcheng, avec une armée, attaqua Tch’en.

Tseu tch’an de Tcheng alla à Tsin présenter ses succès (dans la guerre contre Tch’en). Pour remplir cette fonction, il revêtit le costume militaire (au lieu de l’habit de cour). Les officiers de Tsin lui demandèrent en quoi Tch’en s’était rendu coupable. Il répondit :

— Autrefois Ngo fou de Iu (descendant de Chouen) était à Tcheou (à la capitale de l’empire des Tcheou) directeur des ouvrages d’argile, et servait ainsi notre ancien souverain (Ou ouang). Notre ancien souverain faisait usage des vases et des autres ouvrages de Ngo fou. D’ailleurs, Ngo fou était le descendant du souverain spirituel et intelligent (Chouen). En conséquence, Ou ouang donna en mariage à Hou koung (fils de Ngo fou) sa fille aînée T’ai ki. De plus, il lui conféra le pays de Tch’en, et compléta ainsi le nombre des trois principautés (Hià, Īn et Tch’en), dont les cérémonies étaient pleines de respect. La famille princière de Tch’en est donc issue de notre famille impériale des Tcheou. Jusqu’à présent le secours de l’empereur est l’appui de Tch’en. Au moment des troubles qui suivirent la mort de Houan koung, prince de Tch’en, les habitants de Ts’ai voulurent constituer prince de Tch’en un rejeton de leur famille princière, à savoir, Li kōung, fils de Houan koung et d’une fille du prince de Ts’ai. Notre ancien prince Tchouang koung patronna et mit au pouvoir Ou fou (T’ouo, frère puîné de Houan koung. Les habitants de Ts’ai mirent à mort Ou fou. De nouveau, aidés des habitants de Ts’ai, nous patronnâmes Li koung et le saluâmes chef de l’État de Tch’en. Jusqu’à Tchouang koung et Siuen koung (tous deux fils et successeurs de Li koung), tous les princes de Tch’en nous durent leur élévation. Au moment des troubles excités par la famille Hia, Tch’eng koung (fils de Ling koung, prince de Tch’en) fut chassé et obligé de s’exiler. C’est grâce à nous qu’il rentra à Tch’en. C’est ce que le prince de Tsin sait parfaitement. À présent, Tch’en a oublié les grands bienfaits des Tcheou, effacé de son souvenir nos bons offices, renié notre parenté. Mettant sa confiance en la multitude des soldats de Tch’ou, Tch’en a maltraité insolemment notre petite principauté, avec un acharnement sans fin. Nous en avons informé Tsin l’année dernière. Nous n’avons pas obtenu l’autorisation (de châtier Tch’en). Ensuite, l’armée de Tch’en a attaqué la porte orientale de notre capitale. Sur sa route, elle a bouché les puits et coupé les arbres. Notre petite principauté craignit beaucoup de se montrer faible et de déshonorer T’ai ki. Le ciel a remué nos cœurs et nous a inspiré une résolution courageuse. Les habitants de Tch’en se sont reconnus coupables et nous ont présenté leurs mains (pour être liés et réduits en captivité). Nous nous permettons de vous annoncer nos succès.

Les officiers de Tsin dirent :

— Pourquoi avez-vous envahi une petite principauté ?

(Tch’en était plus grand que Tcheng, mais plus petit que Tsin). Tseu tch’an répondit :

— Les anciens souverains ont réglé que quiconque serait trouvé coupable porterait la peine de sa faute. D’ailleurs, anciennement, le domaine propre du fils du ciel ne dépassait pas l’étendue d’un carré ayant mille stades de chaque côté. Le domaine de chacun des princes répandu sur la surface du pays ne dépassait pas l’étendue d’un carré ayant cent stades de chaque côté. Les petites principautés n’avaient pas cette étendue. À présent, les grandes principautés ont plusieurs fois l’étendue d’un carré qui a mille stades de chaque côté. Si elles n’avaient pas envahi les petites principautés, comment seraient-elles parvenu à devenir si grandes ?

Les officiers de Tsin demandèrent à Tseu tch’an :

— Pourquoi vous présentez-vous ici en costume militaire (et non en habits de cour) ?

Tseu tch’an répondit :

— Nos anciens princes de Tcheng, Ou koung et Tchouang koung furent les ministres d’État des empereurs P’ing ouang et Houan ouang. Après l’expédition de Tch’eng pou, Ouen koung, prince de Tsin, publia cet ordre : « Que chacun reprenne ses anciennes fonctions. » Il ordonna à notre prince Ouen koung de Tcheng de revêtir les habits militaires pour assister l’empereur et lui annoncer notre victoire sur Tch’ou. (Je suis en habits militaires) parce que je n’ose pas enfreindre l’ordre de l’empereur.

Cheu Tchouang pe (Cheu Jo, qui entendit les réponses de Tseu tchan) ne sut rien répliquer. Il les rapporta à Tchao Ouen tseu. Ouen tseu dit :

— Ses raisons sont bonnes. Aller contre de bonnes raisons ne porterait pas bonheur.

Tsin accepta l’annonce de la victoire de Tcheng.

Le prince de Tcheng, assisté de Tseu tchan, alla à Tsin remercier de ce que Tsin avait agréé l’annonce de sa victoire. Tseu sin, grand préfet de Tsin, attaqua Tch’en de nouveau. Tch’en et Tcheng firent la paix ensemble.

Confucius dit :

— Dans les annales on trouve cette remarque : « La parole sert à faire connaître la pensée ; le choix des expressions rend la parole puissante. » Si un homme ne parle pas, qui peut connaître sa pensée ? Si ses expressions ne sont pas bien choisies, l’effet de sa parole ne s’étendra pas loin. Le prince de Tsin était chef de plusieurs princes. L’armée de Tcheng envahit Tch’en. Sans les raisons bien choisies et bien exprimées de Tseu tch’an, Tcheng n’aurait pas eu de succès. Qu’il importe de soigner sa parole !

545. À Soung, le précepteur de gauche (Hiang Siu) demanda au prince une récompense. Il lui dit :

— Je vous prie de me donner des terres, après que j’ai échappé à la mort, ou bien, parce que j’ai sauvé l’armée de la mort. (Hiang Siu se vantait d’avoir mis fin aux guerres.).

Le prince de Soung lui donna soixante ĭ (240 tsìng) de terre, et le mit ainsi à l’égal de Tseu han. Tseu han dit :

— Tous les petits princes ont été tenus dans la crainte par les armes de Tsin et de Tch’ou. Par suite de cette crainte, la bienfaisance et la concorde ont régné entre les supérieurs et les inférieurs. Grâce à cette bienfaisance et à cette concorde, les princes ont maintenu la paix dans leurs États. Les petites principautés ont servi les grandes, et par ce moyen se sont conservées. Le manque de crainte amène l’arrogance ; l’arrogance engendre le trouble. Le trouble amène fatalement la destruction. C’est ainsi que les principautés périssent. Le ciel a créé cinq éléments. Ces éléments sont tous nécessaires au peuple. Si l’un d’eux venait à manquer, le peuple ne pourrait plus subsister. (De même, la guerre est nécessaire). Qui peut supprimer les guerres ? L’usage d’étaler les armes aux regards est très ancien. Elles inspirent la crainte aux hommes sans règles et font briller les vertus de la paix. Elles suscitent les grands sages et font disparaître les hommes turbulents. La conservation ou l’extinction des États dépend de ces deux choses. La folie ou la sagesse des peuples dépend de l’usage des armes. Seigneur, vous cherchez à supprimer les guerres. N’est-ce pas vous tromper vous-même ? Conduire les princes à l’aveuglement par la voie de l’erreur, c’est un crime qu’aucun autre ne surpasse. Cependant vous n’avez pas subi le grand châtiment que votre crime a mérité, et vous demandez encore une récompense. C’est une prétention sans égale.

Le prince déchira et jeta l’écrit par lequel il conférait des terres à Hiang Siu. Hiang Siu renonça à ces terres. Les membres de la famille Hiang voulaient attaquer le ministre des travaux publics (Tseu han). Hiang Siu leur dit :

— Je courais à ma perte. Cet officier m’a sauvé. Il n’est pas de plus grand bienfait. Pourquoi l’attaquerions-nous ?

Un sage dira : Cet officier maintient l’observation du devoir dans tout le pays. (Tcheng foung, Chant VI, 2). Ces paroles peuvent s’appliquer à Lo Hi (à Tseu han. Tseu han n’a pas flatté Hiang Siu).

Pourquoi aura-t-il compassion de moi ? Je recevrai son secours. (Soung, Livre I, Chant II). Ces paroles peuvent s’appliquer à Hiang Siu (il connaissait ses défauts).


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