Meng tzeu, Mengzi, Mencius : Œuvres
Quatrième des Seu Chou, Les Quatre Livres.
Traduit par Séraphin COUVREUR (1835-1919).
Les Humanités d’Extrême-Orient, Cathasia, série culturelle des Hautes Études de Tien-Tsin. Editions Les Belles Lettres, Paris, 357 pages.
Meng tzeu et sa mère - Meng tzeu et le roi de Ts'i - Compassion, bienveillance et urbanité - Economie :
Les tsing. Les prix
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Mengzi : A partir de la fin de la dynastie des Song, le pouvoir éleva le « Mencius » (le recueil de ses écrits) au rang de« classique », qu’il fallait avoir
lu pour réussir aux concours impériaux ou obtenir de l’avancement. Mencius faisait figure de seul continuateur orthodoxe du confucianisme, ne le cédant en mérite qu’au « Sage suprême » lui-même,
et l’on associa leurs deux doctrines sous une dénomination commune : « la Voie de Confucius et de Mencius »
Extrait de Lie nin ou Femmes illustres, in J.B. Du Halde,
Description...
Mong ko étant en âge d’étudier, sa mère l’envoya à l’école. Un jour qu’il en revenait, elle lui demanda, en dévidant son fil, où il
en était de ses études, et ce qu’il avait appris. L’enfant répondant ingénuement qu’il n’avait encore rien appris, elle prit sur-le-champ un couteau, et coupa comme de dépit, une pièce qu’elle
avait sur le métier. L’enfant demanda en tremblant ce qu’elle prétendait faire par là.
— Mon fils, dit-elle, en n’apprenant rien, vous faites ce que je viens de faire, et encore pis. Quand on veut devenir sage, et se rendre illustre, il faut s’appliquer tout de bon, et profiter de
ce qu’on entend. C’est l’unique moyen de vivre tranquille en son domestique, et d’entrer dans les charges sans aucun risque. Si vous négligez ainsi l’étude, vous ne serez qu’un malheureux, exposé
à toutes les misères des plus viles conditions. Si vous faites si peu de cas de la sagesse, que vous perdiez ainsi le temps destiné à l’acquérir, il vaut mieux dès à présent prendre le métier de
crocheteur, ou bien quelque autre semblable qui vous assure de quoi vivre. Si une femme ne sait rien faire, et si un homme dans sa jeunesse n’apprend rien, il faut qu’ils volent ou qu’ils soient
esclaves. Voilà ce qu’on dit ordinairement, et rien n’est plus vrai.
Mong ko fut frappé de l’action et du discours de sa mère. Il prit Tse se pour son maître, et il profita si bien sous lui, qu’il devint un grand philosophe, et l’homme le plus célèbre de son
temps.
*
Sa mère le maria quand il fut en âge. Un jour, entrant dans la chambre intérieure où était sa femme, il la trouva peu modestement vêtue.
Il en fut choqué, il sortit brusquement, et fut du temps sans la voir. Sa femme va trouver sa belle mère, et comme prenant congé d’elle :
— On dit communément, lui dit-elle, qu’une femme étant retirée dans sa chambre, son mari même n’y entre pas pendant le jour, ou très rarement. Dernièrement j’étais dans ma chambre vêtue assez
négligemment ; mon mari m’ayant surprise en cet état, en a témoigné beaucoup de chagrin. Je vois qu’il me regarde comme une étrangère, Une femme ne peut avec bienséance demeurer du temps dans une
maison étrangère, je viens donc prendre congé de vous, pour retourner auprès de ma mère.
Aussitôt Mong ko fut appelé par sa mère.
— Mon fils, lui dit-elle, quand un homme entre dans une maison, il doit s’informer si l’on y est. Il faut faire avertir par un domestique, ou du moins hausser la voix pour être entendu avant que
d’entrer. Vous savez que c’est la coutume et c’est le moyen en effet qu’en entrant on trouve la salle en ordre. Pour ce qui est de tout autre appartement, quand on en ouvre la porte, on doit
avoir la vue baissée. Vous avez manqué à cela, mon fils, c’est ne pas savoir les rits. Vous sied-il après cela d’être si rigide à l’égard d’autrui ?
Mong ko reçut la réprimande humblement et avec actions de grâce, puis il se réconcilia avec sa femme.
*
Longtemps après Mong tse étant à la cour de Tsi, parut un peu triste. Sa mère lui en demandant la cause, il évita de répondre nettement.
Un autre jour qu’il était tout rêveur, il remuait son bâton en soupirant. Sa mère s’en aperçut et lui dit :
— Mon fils, dernièrement vous me paraissiez triste, et vous m’en dissimulâtes la cause. Aujourd’hui vous soupirez en remuant votre bâton. Qu’y a-t-il donc ?
— Ma mère, répondit Mong tse, on m’a appris qu’un homme sage ne doit aspirer aux emplois et aux récompenses que par les bonnes voies ; que quand les princes ne veulent pas nous écouter, il ne
faut pas leur prodiguer nos conseils ; et que quand ils écoutent nos avis sans en profiter, il ne faut pas fréquenter leur cour. Je vois qu’ici la vraie doctrine est négligée : je voudrais me
retirer ; mais je vous vois déjà sur l’âge. C’est ce qui fait mon embarras et le sujet de ma tristesse.
— Le devoir d’une femme, reprit la mère, c’est d’accommoder à manger, de coudre, et de bien régler l’intérieur de la maison. Le dehors n’est point de son ressort. Quand nous sommes encore filles,
nous sommes soumises à un père et à une mère. Quand nous sommes mariées, nous dépendons de nos maris, et nous devons les suivre où ils veulent. Enfin quand nous sommes veuves, et que nous avons
des fils avancés en âge, nous devons aussi les suivre, comme nous faisions nos maris. C’est ce que prescrivent les rits à l’égard de notre sexe. Je suis âgée, cela est vrai ; mais n’importe.
Faites votre devoir, mon fils, que je n’y sois point un obstacle ; je saurai faire aussi le mien.
Siuen, roi de Ts’i, demanda s’il était vrai que le parc de Wenn wang eût soixante-dix stades de longueur et autant de largeur.
— Les mémoires l’affirment, répondit Meng tzeu.
— Était-il si grand, dit le roi ?
— Le peuple le trouvait encore trop petit, répondit Meng tzeu.
— Mon parc, dit le roi, a quarante stades en tous sens. Le peuple le trouve encore trop grand. Comment cela ?
Meng tzeu répondit : — Le parc de Wenn wang avait soixante-dix stades d’étendue en tous sens. Il était ouvert à ceux qui voulaient ramasser du foin ou du chauffage, chasser aux faisans ou aux
lièvres. Wenn wang en partageait l’usage avec le peuple. Le peuple trouvait ce parc trop petit. N’avait-il pas raison ?
« En arrivant à la frontière de votre principauté, avant de me permettre d’y entrer, j’ai demandé quelles étaient les choses qui étaient le plus sévèrement défendues, dans le pays. On m’a dit que
dans l’intérieur se trouvait un parc de quarante stades ; que, si quelqu’un tuait un cerf dans ce parc, il serait condamné à la même peine que s’il avait tué un homme. Cet espace carré de
quarante stades est comme une fosse creusée au milieu de vos États pour faire périr vos sujets. Le peuple le trouve trop grand. N’a-t-il-pas raison ?
*
Meng tzeu alla voir Siuen, prince de Ts’i, et lui dit :
— On appelle ancien royaume, non pas celui qui a des arbres anciens et très élevés, mais celui ont les ministres se sont succédé de père en fils depuis longtemps. Prince, vous n’avez pas de
ministre qui vous soit uni d’affection. Ceux que vous avez choisis hier sont déjà partis aujourd’hui, sans que vous le sachiez.
Le roi dit : — Comment pourrais-je reconnaître les hommes qui manquent de talents, afin de ne pas les élever aux charges ?
Meng tzeu répondit : — Un prince doit promouvoir les hommes capables, comme s’il y était en quelque sorte forcé. Ne faut-il pas qu’il soit très circonspect, lorsqu’il doit faire passer des hommes
de basse condition avant d’autres d’une condition élevée, et des étrangers avant ses parents ou ses amis ?
« Quand même la probité et l’habileté d’un homme seraient attestées par tous ceux qui vous entourent, ce n’est pas suffisant. Quand même elles seraient attestées par tous les grands préfets ; ce
n’est pas suffisant. Si elles sont attestées par tous les habitants du royaume, examinez ; et si vous reconnaissez que cet homme est vertueux et capable, donnez-lui un emploi, Quand l’incapacité
d’un homme est attestée par tous ceux qui vous entourent, ne les écoutez pas (ne les croyez pas). Quand elle est attestée par tous les grands préfets, ne les écoutez pas. Quand elle est attestée
par tout le peuple, examinez sérieusement ; et si vous reconnaissez que cet homme est incapable, écartez-le des charges.
« Si tous ceux qui vous entourent disent que tel homme a mérité la mort, ne les écoutez pas. Si tous les grands préfets le disent, ne les écoutez pas. Si tous les habitants du royaume le disent,
faites une enquête ; et si vous reconnaissez que cet homme a mérité la mort, faites-le mourir. Alors on dira que c’est le peuple (et non le prince) qui l’a condamné à mort. Si vous agissez ainsi,
vous mériterez le titre de père du peuple.
Meng tzeu dit : — Tous les hommes ont un cœur compatissant. Les anciens empereurs avaient un cœur compatissant, et par suite leur gouvernement était plein de commisération. Parce qu’ils suivaient
l’impulsion d’un cœur compatissant, et que leur administration était très compatissante, ils auraient pu faire tourner l’empire sur la main.
« Voici un exemple qui prouve ce que j’avance, à savoir, que tous les hommes ont un cœur compatissant. Supposons qu’un groupe d’hommes aperçoive soudain un enfant qui va tomber dans un puits. Ils
éprouveront tous un sentiment de crainte et de compassion. S’ils manifestent cette crainte et cette compassion, ce n’est pas pour se concilier l’amitié des parents de l’enfant, ni pour s’attirer
des éloges de la part de leurs compatriotes et de leurs amis, ni pour ne pas se faire une réputation d’hommes sans cœur.
« Cet exemple nous montre que celui-là ne serait pas homme dont le cœur ne connaîtrait pas la compassion, ou n’aurait pas honte de ses fautes et horreur des fautes d’autrui, ou ne saurait rien
refuser pour soi et rien céder à autrui, ou ne mettrait aucune différence entre le bien et le mal.
« La compassion est le principe de la bienfaisance ; la honte et l’horreur du mal sont le principe de la justice ; la volonté de refuser pour soi et de céder à autrui est le principe de
l’urbanité ; l’inclination à approuver le bien et à réprouver le mal, est le principe de la sagesse. Tout homme a naturellement ces quatre principes, comme il a quatre membres. Celui qui, doué de
ces quatre principes, prétend ne pouvoir les développer pleinement, se nuit gravement à lui-même (parce qu’il renonce à se perfectionner lui-même). Celui qui dit que son prince ne peut les
développer en soi, nuit gravement à son prince (parce qu’il le porte à négliger la pratique de la vertu).
« Si nous savions développer pleinement ces quatre principes qui sont en chacun de nous, ils seraient comme un feu qui commence à briller, comme une source qui commence à jaillir (et continue
toujours). Celui qui saurait les développer pleinement, pourrait gouverner l’empire. Celui qui ne les développe pas, n’est pas même capable de remplir ses devoirs envers ses pareils.
*
Meng tzeu dit : — Le sage diffère des autres hommes, parce qu’il conserve des vertus que la nature a mises en son cœur. Il conserve en son cœur la bienveillance et l’urbanité. Un homme
bienveillant aime les autres ; un homme poli respecte les autres. Celui qui aime les autres, en est toujours aimé ; celui qui respecte les autres, en est toujours respecté.
« Supposons qu’il se trouve ici quelqu’un qui me traite d’une manière dure et impolie. Si je suis sage, je ferai un retour sur moi-même, et me dirai : « Certainement j’ai manqué de bonté et d’urbanité envers cet homme. Sinon, m’aurait-il traité d’une manière dure et impolie ? » Je m’examine moi-même, et je vois que je n’ai manqué ni de douceur ni d’urbanité. Cependant il continue à me traiter d’une manière dure et impolie. En homme sage, je m’examine de nouveau, et je me dis : « Certainement je n’ai pas fait pour cet homme tout ce que j’aurais pu. » En m’examinant, je ne trouve aucun manque d’obligeance à me reprocher. Néanmoins, cet homme continue à me traiter d’une manière dure et impolie. En homme sage, je me dis : « C’est un insensé. Un homme tel que lui, diffère-t-il des êtres privés de raison ? Pour un être sans raison, dois-je me tourmenter ? « Ainsi le sage est toute sa vie dans la sollicitude, mais pas même une matinée dans l’angoisse et l’anxiété. Un objet de sollicitude, il en a toujours. (Il se dit en lui-même) : « Chouenn était homme comme moi ; il est devenu le modèle de tous les hommes de son temps et des âges suivants. Moi, je suis encore un homme vulgaire. » Tel est le juste sujet de sa sollicitude. Et que fait-il ? (Il imite Chouenn, et) sa sollicitude ne cessera que quand il sera semblable à Chouenn. De chagrin, il n’en a jamais. Il ne se permet rien qui soit contraire à la bienveillance ou à l’urbanité. S’il survient quelque contrariété de peu, de durée, il n’en a pas d’inquiétude.
Wenn, prince de T’eng, envoya Pi Tchen interroger Meng tzeu sur la division des terres en carrés représentant la forme de la lettre tsìng. Meng tzeu lui dit :
— Votre prince veut rendre son administration bienfaisante. C’est vous qu’il a choisi pour venir demander des avis ; vous devez le seconder de tout votre pouvoir. Une administration bienfaisante
doit commencer par tracer les limites des terres. Si les limites des champs ne sont pas bien tracées, les carrés ne sont pas égaux ; les grains destinés à l’entretien des officiers ne sont pas
exigés ni distribués avec justice. Pour cette raison, les princes cruels et les officiers rapaces négligent de déterminer les limites des champs (afin de pouvoir exiger beaucoup). Quand les
limites sont bien tracées, il est facile d’assigner à chaque particulier son champ et à chaque officier son traitement.
La principauté de T’eng, malgré son peu d’étendue, aura toujours des lettrés et des campagnards. Si les hommes de lettres faisaient défaut, il n’y aurait personne pour gouverner les campagnards.
Si les travailleurs de la campagne faisaient défaut, il n’y aurait personne pour fournir aux hommes de lettres les choses nécessaires.
Dans les campagnes (loin de la capitale), exigez la neuvième partie des produits, en faisant cultiver un champ commun par huit familles. Près de la capitale, que chacun vous offre lui-même la
dixième partie de ses récoltes. Tous les officiers, depuis les ministres d’État jusqu’aux derniers, doivent avoir un champ sacré (dont les produits servent à faire des offrandes aux esprits). Le
champ sacré doit être de cinquante arpents.
Chaque surnuméraire doit avoir vingt-cinq arpents.
On appelait surnuméraire celui qui n’avait pas encore atteint l’âge viril. Tch’eng tzeu dit : « Un laboureur avait avec lui son père, sa mère, sa femme et ses enfants ; sa famille comptait
ordinairement de cinq à huit personnes. On lui donnait cent meou. Si un frère puîné vivait avec lui, il était comme surnuméraire. A seize ans, il avait vingt-cinq meou pour sa part. Quand il
arrivait à l’âge viril et qu’il était marié, on lui donnait cent meou. »
Nul ne sera enterré, nul n’ira demeurer hors de son village. Ceux qui dans un village cultiveront le même tsìng, seront toujours ensemble, partout où ils iront. Ils partageront entre eux le soin
de la défense et des veilles. Dans les maladies ils se prêteront un mutuel secours. Ainsi tous les habitants s’aimeront et vivront en bonne intelligence.
Un stade carré formera un tsìng de neuf cents arpents. Au milieu sera le champ commun. Huit familles posséderont en propre chacune cent arpents. Elles cultiveront ensemble le champ commun, et ne
se permettront de faire leurs travaux particuliers que quand les travaux communs seront terminés. (Elles cultiveront le champ commun, dont les produits seront pour les officiers, avant de
cultiver les champs particuliers), il y aura ainsi une différence entre les travailleurs de la campagne (et les hommes de lettres). Tel est le résumé des dispositions à prendre. Ce sera au prince
et à vous de les modifier et de les accommoder aux circonstances.
*
(Tch’enn Siang dit) :
— Si l’on suivait les principes du philosophe Hiù, sur le marché les prix seraient fixes ; dans tout le pays on ne verrait plus de fraude. Un enfant haut de cinq pieds (d’un mètre) pourrait aller
au marché ; personne ne le tromperait. La toile de chanvre et le plus beau tissu de soie, à quantité égale, se vendraient au même prix. Le chanvre brut et le chanvre nettoyé, la soie fine et la
soie grossière, à poids égal, se vendraient au même prix.
Les différents grains, à quantité égale, se vendraient au même prix. Tous les souliers, à grandeur égale, se vendraient au même prix.
— L’inégalité, répondit Meng tzeu, est inhérente à la nature même des choses. Il en est qui valent deux fois ou cinq fois plus que d’autres ; certaines valent dix fois ou cent fois plus, et même
mille fois ou dix mille fois plus.
Les mettre toutes sur la même ligne, c’est troubler l’univers. Si les souliers, grands ou petits, se vendaient tous au même prix, qui voudrait en faire de grands ? (Et si les souliers, bons ou
mauvais, étaient au même prix, personne n’en ferait de bons). Si les hommes suivaient les principes du philosophe Hiu, le courant les entraînerait tous à se tromper les uns les autres : La
société pourrait-elle être gouvernée ?