Li-ki, ou Mémorial des rites

Li-ki, ou mémorial des rites. Traduction Joseph-Marie Callery

Traduit du chinois par Joseph-Marie CALLERY (1810-1862).

Imprimerie royale, Turin, 1853, XXXII+200 pages.

  • Callery : "Après avoir soigneusement compulsé [les commentateurs], je me suis décidé pour le commentaire de Cheu, non seulement à cause de sa lucidité, mais principalement parce qu'il a suivi un texte quelque peu abrégé, où ne figurent point certaines répétitions, certains passages vulgaires ou inutiles, qui rendent la lecture du Li-ki lourde et fatigante."
  • "Au dire de Cheu, la meilleure [édition abrégée] qui existe a été faite par un savant lettré du temps des Iüèn, nommé Fan, et c'est celle-ci qu'il a adoptée pour base de son travail.... Comme il fallait s'attacher à un guide, sous peine de s'égarer dans un dédale d'opinions et dans une multitude d'ouvrages où peu de sinologues auraient pu s'orienter, j'ai cru plus sage de suivre littéralement le texte de Fan tel que Cheu l'a commenté."

 

Résumé de table
Extraits : L'apparition du Li-ki - Règles de maintien au palais de l'empereur - Rites et Musique - Rite du mariage
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Un résumé de la table des matières

Rites divers — Attributs des mois — Phases du cérémonial  — Règle de conduite des jeunes gens  — Mémorial des études — Mémorial de la musique — Sacrifices (lois et sens) — Sens général des livres canoniques — Mémoire sur les digues — L'habit noir — Signification de la prise du chapeau viril — du rite du mariage — du rite de boire du vin dans les districts — du rite de tirer de l'arc — du rite du festin — du rite des visites — Rites du deuil.


[L'apparition du Li-ki]


Voici ce qu'on sait de positif sur ce livre important que les Chinois ont classé parmi les Kiñ, peu après son apparition. Parmi les frères de l'empereur Hiao-u-ti de la célèbre dynastie des Han, florissait, vers l'année 130 avant notre ère, un prince nommé Lieu-tœ, seigneur du fief de Ho-kièn dans le pays dont est formée la province actuelle du Pè-che-li. Ce prince, d'un esprit très cultivé, avait une noble et ardente passion pour les lettres, pour les antiquités, les autographes des personnages célèbres, ainsi que pour les objets d'art, et il employait son immense fortune à encourager les hommes d'étude, à faire des acquisitions d'objets rares et surtout à recueillir les ouvrages anciens qui avaient échappé à la conflagration générale des livres, sous la dynastie des Tsin.

Son genre de vie était fort simple, et le costume sous lequel il aimait à se montrer hors des cérémonies officielles, était celui des philosophes du Xan-tuñ, la plupart descendants de Confucius, dont il cherchait à imiter les mœurs, et avec lesquels il entretenait des relations d'amitié contrairement à la coutume des personnages de son rang. Sa maison, véritable musée littéraire et archéologique, était le rendez-vous des lettrés et des hommes de goût, qui, des provinces les plus éloignées, venaient rendre hommage à ce Mécène, admirer ses collections et lui offrir le tribut de leurs découvertes bibliographiques.

Les fortes récompenses qu'il accordait à tous ceux qui lui apportaient une œuvre jusqu'alors inconnue, avaient excité l'émulation des gens les plus étrangers aux lettres, et de toute part on affluait à son palais, qui avec une inscription oblitérée, qui avec un manuscrit rongé des vers, ceux-ci avec un vieux bronze, ceux-là avec un jade antique.

Lorsqu'arrivait un livre qui manquait à ses collections, il en faisait tirer, avec beaucoup de soin et de luxe, une copie parfaitement conforme qu'il donnait en échange, gardant pour lui l'original, qu'il payait, en outre, un prix fort élevé en or, en argent, en soieries et en pierres précieuses.
La bibliothèque du prince de Ho-kièn acquit ainsi, en peu de temps, plus de valeur et d'importance que la bibliothèque impériale même, formée, d'ailleurs, par les Han avec un zèle et une générosité dignes aussi des plus grands éloges. C'est, en effet, à ses soins, à sa munificence qu'on doit, au dire des annales contemporaines, la restitution des textes les plus précieux, tels que ceux du Xu-kiñ, du Xe-kiñ, du Chuen-tsieu, du Cheu-li, de Muñ-tze, du Tao-tœ-kiñ et de bien d'autres ouvrages anciens qu'on croyait perdus.

Or, il advint un jour que parmi d'autres raretés venues, on ne sait d'où, on porta au prince de Ho-kièn un livre traitant des rites, et divisé en 131 chapitres, qu'on disait avoir été composé trois siècles auparavant par les disciples de Confucius. Selon les uns, c'était un manuscrit original qui, par un cas fortuit, avait été sauvé de la destruction générale des livres : suivant d'autres, il avait été écrit après la chute de la dynastie Tsin, sous la dictée d'un vieillard nommé Xao-tañ, qui dans sa jeunesse avait appris par cœur les livres rituels, et qui, durant la persécution des lettrés, les répétait sans cesse, mais en secret, afin de pouvoir, dans des temps meilleurs, les apprendre aux disciples qui se grouperaient autour de lui.

Quelle que fût l'origine du manuscrit, le prince de Ho-kièn était trop versé en matière de rites, pour ne pas apprécier à toute sa valeur la trouvaille qu'on venait de faire : aussi, résistant à l'égoïsme du collectionneur, pour ne songer qu'à l'intérêt général et à la gloire littéraire de sa patrie, il fit cadeau du précieux manuscrit à l'empereur, afin que, par les soins des érudits qui abondaient à la Cour, il fût examiné et corrigé, au besoin, avant d'être classé parmi les grands monuments de la philosophie ancienne.

L'empereur se montra fort sensible au présent de son frère, et le confia à un directeur du ministère des Rites nommé Lieu, lequel, compulsant les mémoires anciens qu'on avait déjà découverts en assez grande quantité sur le même sujet, lui donna une grande extension, et porta le nombre des chapitres à 240, ou, suivant certains auteurs, jusqu'à 250.

L'ouvrage ainsi augmenté passa aux mains de Heu-tsañ, bibliographe du palais, lequel, tout naturellement, n'approuva pas le travail de son prédécesseur ; néanmoins, il ne voulut pas y toucher lui-même, et en abandonna la révision à ses deux principaux disciples Ta-tai, ou Tai l'oncle, et Siao-tai, ou Tai le neveu. L'oncle fit des retranchements assez considérables, réduisant le nombre des chapitres à 85 ; mais le neveu, homme dépravé, beaucoup plus adonné aux plaisirs qu'à l'étude, retrancha encore davantage, et fixa le nombre des chapitres à 46. Après les deux Tai, un nommé Ma-Iuñ, leur disciple, parvint, à force de dissertations, à faire rétablir les chapitres Iuè-Liñ. Miñ-Tan-I et Io-Ki, et l'ouvrage se trouva ainsi définitivement composé de 49 chapitres, avec le titre de Li-Ki, c'est-à-dire Mémorial des rites, ou du cérémonial.

Le Li-Ki, tel qu'il est parvenu jusqu'à nous, remonte donc, au plus tard possible, à la fin du Ier siècle avant notre ère, quoique, d'après le témoignage de l'historien Iuèn-sièn-chuñ, il n'ait commencé à être généralement répandu que vers la fin de la dynastie des Han. C'est dès cette époque qu'on lui a donné le rang de Kiñ, ou de 5e Livre canonique ; il est même des auteurs qui ont voulu en faire deux Kiñ, en séparant le Li-ki, ou Mémorial des rites proprement dit, du Io-ki, ou Mémorial de la musique ; mais cette division n'a pas prévalu, et le Io-ki a continué d'être un simple chapitre de l'ouvrage, ainsi que le Ta-hio, ou la Grande étude, et le Chuñ-iuñ, ou l'Invariable milieu, qu'on est dans l'habitude de publier et de commenter séparément avec les autres livres appelés Classiques.


[Règles de maintien au palais de l'empereur]

Quand il doit offrir un sacrifice (au Ciel ou aux ancêtres), l'empereur porte au chapeau douze rangs de perles qui pendent devant et derrière (la tête), et il revêt l'habit (sur lequel est brodée l'image) du dragon. Quand de bon matin il sacrifie au soleil, en dehors de la porte du levant et quand au premier jour de chaque mois il vaque aux affaires, en dehors de la porte du midi, il revêt le costume hiüèn-mièn (qui ne comporte que trois rangées de perles au chapeau, et des broderies simples aux habits). Quand il reste chez lui (sans occupation), il revêt le costume (ordinaire qu'on nomme) hiüèn-tuan. A droite et à gauche il a des historiographes qui inscrivent ses actes et ses discours, tandis que ses chefs d'orchestre examinent si la musique est énergique ou énervée, (afin de juger par là de l'esprit général du pays).

Lorsque (les grands dignitaires) ont à se rendre au palais du souverain, ils passent la veille dans l'abstinence, ils couchent hors la chambre nuptiale, se lavent la tête et le corps, et reçoivent de leur secrétaire la tablette en ivoire où sont inscrites (pour mémoire) leurs idées, les réponses (à faire au souverain) et les ordres (que celui-ci avait donnés).

(Le jour de la visite), dès qu'ils sont habillés ils s'exercent à un maintien respectueux, et à faire résonner harmonieusement les pendeloques en jade ; puis, ils sortent tout éclatants, saluent les officiers de leur maison, et montent en char, étalant ainsi une grande pompe.

L'empereur porte à la main la tablette tiñ (qui est taillée carrément en haut et en bas, symbole) de la droiture et de la régularité avec lesquelles il gouverne l'empire. Les seigneurs (portent la tablette) xu qui est arrondie en haut (en symbole) de leur soumission à l'empereur, et carrée en bas (en symbole de leur autorité sur le peuple qu'ils gouvernent). Les fonctionnaires au service des seigneurs portent une tablette arrondie aux deux extrémités, pour indiquer qu'ils doivent la soumission en toute circonstance. Quand il donne des instructions aux troupes et des avis aux agriculteurs, le souverain devrait porter (l'habit en fourrures nommé) fu-kieu ; mais contrairement à l'usage antique, il porte de nos jours l'habit ta-kieu.

Les sages de l'antiquité portaient toujours des pendants de jade à leur ceinture ; ceux du côté gauche (produisaient en s'entrechoquant) les notes che et kio, ceux du côté droit (produisaient) les notes kuñ et iü.

Quand on marche vite, (on doit avoir présente à l'esprit l'ode) Tsai-tze ; quand on marche au pas ordinaire, (on doit se rappeler l'ode) Hai-hia ; quand on tourne en rond, on doit faire un cercle parfait ; quand on tourne en faisant un coude, on doit le faire à angle droit ; quand on entre quelque part, on doit s'incliner légèrement ; quand on recule, on doit se tenir droit : de toutes ces façons les ornements en jade (pendu à la ceinture) produisent des sons (en s'entrechoquant). Le sage, en effet (aime à entendre toujours les sons harmonieux qui adoucissent les mœurs) ; lorsqu'il est en char, il prête l'oreille aux accords des grelots, et lorsqu'il marche, les ornements en jade pendus à sa ceinture produisent des sons (doux qui le rappellent sans cesse à la vertu). Par ce moyen la dépravation ne trouve aucune issue pour pénétrer dans son cœur.
Toute personne portant la ceinture, doit y avoir attachés des pendants de jade, à moins qu'elle ne soit en deuil. Les plaques de jade sont choquées par de petites pendeloques (qui les font tinter). A moins d'un motif spécial, le sage ne laisse jamais de porter du jade sur sa personne, car, à ses yeux, le jade est le symbole de la vertu.

En fait de maintien, (voici de quelle façon se comporte le sage) : quand il marche, il va droit devant lui et avec hâte ; dans le temple des ancêtres il observe le recueillement, comme lorsqu'il se livre à l'abstinence ; à la cour, il se tient avec beaucoup de gravité et en alerte continuelle ; (dans les circonstances ordinaires de la vie), il a des dehors calmes et paisibles ; mais s'il voit quelqu'un digne d'être honoré, il s'empresse de lui donner des témoignages sincères de son respect. En respirant, il ne fait pas de bruit ; en se tenant debout, il est droit comme la vertu, et sur son visage il montre (sans cesse) un air sérieux ; pendant ses loisirs, même, il donne l'exemple de la douceur.

Dans la carrière militaire, (le sage) a un aspect de grande bravoure ; ses arrêts sont irrévocables, mais justes ; son air est sévère et son regard très clairvoyant. Debout, (il est immobile comme) une montagne ; mais au temps voulu il se met en mouvement ; sa respiration naturelle est toujours au même degré de plénitude, comme l'air où toutes choses se développent ; et la couleur (de son visage est invariable comme celle) du jade.


[Rites et Musique]

Tous les êtres répandus entre le ciel qui est au-dessus, et la terre qui est au-dessous, ont une différente manière d'exister : de là, l'institution des rites (qui établissent des distinctions entre les hommes). Dans leur révolution, le ciel et la terre ne s'arrêtent point, et leur action combinée donne naissance à toutes choses : de là, la création de la musique. Au printemps tout pousse, en été tout grandit, (sans distinction des bonnes ou des mauvaises plantes ; c'est l'image de) l'humanité (qui fait qu'on aime indistinctement tous ses semblables). En automne on récolte, en hiver on met en réserve (tous les produits de la terre, bons et mauvais ; c'est l'image de) la justice (qui punit ou récompense avec une égale impartialité). L'humanité a du rapport avec la musique ; la justice a du rapport avec les rites. La musique est intimement liée avec l'harmonie (des sentiments) ; elle suit le principe supérieur (iañ) et se dirige vers le ciel : les rites distinguent les choses qui conviennent ; ils dépendent du principe inférieur (in) et se dirigent vers la terre. Aussi, les sages éminents (de l'antiquité) créèrent la musique pour répondre au ciel, et instituèrent les rites pour faire pendant à la terre. Lorsque les rites et la musique sont exécutés avec perfection, le ciel et la terre s'acquittent également de leurs devoirs.


Rite du mariage


Par le rite du mariage on accomplit l'union entre deux personnes de nom différent, afin de servir, au-dessus de soi, les aïeux dans leur temple, et de continuer, au-dessous de soi, les générations qui doivent suivre. Aussi le sage fait-il grand cas de ce rite.

Le respect, l'attention, l'estime et la rectitude, d'abord, l'affection ensuite, sont les points importants dans les rites : c'est par là qu'on met la distinction voulue entre l'homme et la femme, et qu'on détermine les devoirs entre époux. En effet, lorsqu'on a établi la distinction voulue entre l'homme et la femme, les époux ont leurs devoirs marqués ; lorsque les époux sont dans le devoir, l'affection se développe entre le père et les enfants ; quand l'affection existe entre le père et les enfants, le souverain et les sujets remplissent exactement leurs devoirs réciproques. De là cet adage : « Le rite du mariage est la source des rites. » En matière de rites, la prise du chapeau viril est donc le commencement, le mariage est la racine, le deuil et les sacrifices sont les choses importantes, les visites que les seigneurs font à l'empereur, ou qu'ils se font entre eux sont des témoignages de respect, (les rites) de tirer de l'arc et de boire du vin au district sont des preuves de concorde. Voilà quels sont dans les rites les points les plus importants.
Dans les anciens temps, l'impératrice avait établi six catégories de dames du palais, dont trois fu-jèn, neuf pin, vingt-sept xe-fu et quatre-vingt-une lü-tsi, lesquelles étaient chargées de connaître des affaires relatives aux femmes dans tout l'empire, et de mettre en grand relief la soumission (qui est du devoir) de la femme ; car, dès que dans l'empire les femmes savent conserver l'harmonie, l'ordre règne dans les familles. L'empereur, (de son côté), avait établi six catégories de fonctionnaires, dont trois kuñ, neuf kiñ, vingt-sept ta-fu et quatre-vingt-un iüèn-xe, chargés de connaître des affaires relatives aux hommes dans tout l'empire, et de donner de l'éclat à l'enseignement masculin, car, dès que l'harmonie règne parmi les hommes, l'empire est réglé. C'est pourquoi on dit : « Quand l'empereur s'occupe de l'enseignement des hommes, et l'impératrice de la docilité des femmes, l'empereur applique la puissance du principe iañ et l'impératrice met en action la vertu du principe in. Quand l'empereur s'occupe des règles qui concernent les hommes et l'impératrice s'occupe des devoirs des femmes, l'enseignement et la soumission passent dans les mœurs, les hommes et les femmes vivent en bon accord, l'empire et les familles sont réglés avec ordre ». Voilà ce qu'on appelle une vertu abondante.

L'empereur est à l'impératrice ce que le soleil est à la lune, ce que le iañ est au in ; ils se prêtent un secours mutuel, et les choses s'accomplissent. L'empereur prend soin de l'enseignement des hommes, il remplit les fonctions de père ; l'impératrice encourage la soumission des femmes, elle remplit les fonctions de mère. C'est pour cela qu'on dit : « L'empereur et l'impératrice sont comme le père et la mère. »

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