Hiao king, ou Livre canonique sur la Piété Filiale
Traduit du chinois par Pierre-Martial CIBOT (1727-1780).
Mémoires concernant l’histoire, les sciences, les arts, les mœurs, les usages, &c. des Chinois, par les missionnaires de Pé-kin, tome quatrième, pages
28-76.
- "Le Hiao king ou Livre Canonique sur la Piété Filiale, est, dit on vulgairement, le dernier ouvrage de Confucius, et fut composé l’an 480 avant J.-C. Les savants ont fait un grand nombre de dissertations pour examiner et constater si ce petit dialogue est véritablement de ce sage. Ce qu’on y voit de plus clair, c’est qu’on le lui a toujours attribué, et qu’il n’est pas historiquement démontré qu’il en soit l’auteur. Cependant, comme plusieurs empereurs, quelques anciens historiens et de très célèbres critiques articulent nettement que c’est le Socrate de la Chine qui l'a composé, on peut, ce semble, se ranger de leur avis, qui est le plus universellement suivi depuis bien des siècles, et n’a plus eu de contradicteurs dans ces derniers temps."
- "Le Hiao king fut enveloppé dans la proscription des anciens livres, sous le règne de Tsin chi-hoang. Comment a t il été recouvré ? Les exemplaires recouvrés étaient ils les mêmes ? Lequel de ces exemplaires était le plus authentique ? Quel est celui qui a prévalu ? Toutes ces questions mirent aux prises les savants qui voulurent autrefois en faire une affaire d’État. Nous n’insisterons pas sur cet objet."
- "Dès que le Hiao king eut paru, il fut expliqué, commenté et paraphrasé de toutes les manières qu’on peut imaginer. Pour comble de gloire, ce petit livre fut mis au nombre des livres canoniques, et décoré du titre de King. Méritait il tous ces honneurs ? Le lecteur en jugera. Peut être le Hiao king doit il plus sa gloire à l’intérêt qu’on prend ici à tout ce qui concerne la Piété Filiale, qu’à la manière dont ce grand sujet y est traité ; et ce sera encore une plus grande louange pour Confucius, qu’on sait avoir été le conservateur et l’apôtre de la doctrine de la Piété Filiale."
Texte complet du Hiao king
Commentaires : Terreur des supplices ou bonheur des sujets ? - L'accueil de l'envoyé - Menaces et châtiment - Conserver l’autorité du souverain
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Confucius étant assis avec Tcheng-tzeu, il lui dit :
— Savez-vous quelle fut la vertu suréminente et la doctrine essentielle qu’enseignaient nos anciens monarques à tout l’empire, pour entretenir la concorde parmi leurs sujets et bannir tout
mécontentement entre les supérieurs et les inférieurs ?
— D’où pourrais-je le savoir, répondit Tcheng-tzeu, en se levant par respect, moi qui suis si peu instruit ?
— La Piété Filiale, reprit Confucius, est la racine de toutes les vertus et la première source de l’enseignement. Remettez vous, je vous développerai cette importante vérité.
« Tout notre corps, jusqu’au plus mince épiderme et aux cheveux, nous vient de nos parents ; se faire une conscience de le respecter et de le conserver, est le commencement de la Piété Filiale.
Pour atteindre la perfection de cette vertu, il faut prendre l’effort et exceller dans la pratique de ses devoirs, illustrer son nom et s’immortaliser, afin que la gloire en rejaillisse
éternellement sur son père et sur sa mère. La Piété Filiale se divise en trois sphères immenses : la première est celle des soins et des respects qu’il faut rendre à ses parents ; la seconde
embrasse tout ce qui regarde le service du prince et de la patrie ; la dernière et la plus élevée, est celle de l’acquisition des vertus, et de ce qui fait notre perfection.
Pouvez-vous oublier vos ancêtres, dit le Chi-king, faites revivre en vous leurs vertus.
« Qui aime ses parents, continua Confucius, n’oserait haïr personne ; qui les honore, n’oserait mépriser qui que ce soit. Si un souverain sert ses parents avec un respect et un amour sans bornes,
la vertu et la sagesse des peuples croîtront du double, les barbares mêmes se soumettront à ses arrêts. Voilà sommairement ce qui concerne la Piété Filiale du souverain :
Un seul cultive la vertu, dit le Chou-king, et des millions de cœurs volent vers elle.
« Si celui qui est au dessus des autres est sans orgueil, son élévation sera sans péril ; s’il dépense avec économie et avec mesure, quelque riche qu’il soit, il ne donnera pas dans le luxe. En
évitant les périls de l’élévation, il en perpétuera la durée; en se préservant du luxe, il jouira continuellement de l’abondance. Sa grandeur et ses richesses assurées, elles assureront son rang
suprême à sa famille et la paix dans ses États. Voilà sommairement ce qui regarde la Piété Filiale d’un prince :
Craignez, tremblez, soyez sur vos gardes, dit le Chi-king, comme si vous étiez sur le bord du précipice, comme si vous marchiez sur une glace peu épaisse.
« Ne vous émancipez point jusqu’à porter d’autres habits que ceux que vous permettent les ordonnances des anciens empereurs ; ne vous hasardez jamais à rien dire qui ne soit conforme aux lois
qu’ils ont faites ; n’osez rien faire dont leur vertu ne vous ait donné l’exemple. Alors, comme la règle de vos discours et de votre conduite ne sera pas de votre choix, vos paroles, fussent
elles trompetées dans tout l’empire, on ne pourra point les blâmer et votre conduite attirerait elle tous les regards, vous n’aurez ni reproche, ni haine à craindre : ces trois choses
conserveront la salle de vos ancêtres. Voilà sommairement ce qui est particulier à la Piété Filiale d’un grand.
« Il est dit dans le Chi-king :
Ne vous relâchez ni jour ni nuit dans le service de l’homme unique, [c’est-à-dire, de l’Empereur].
« Servez votre père avec l’affection que vous ayez pour votre mère, et vous l’aimerez également ; servez votre père avec la vénération que vous avez pour votre prince, et vous le respecterez
également. Ayant pour votre père l’amour que vous sentez pour votre mère et le respect dont vous êtes pénétré pour votre prince, vous servirez le prince par Piété Filiale, et serez un sujet
fidèle ; vous déférerez à ceux qui sont au dessus de vous par respect filial, et vous serez un citoyen soumis : or, la fidélité et la soumission préviennent toutes les fautes vis-à-vis des
supérieurs. Quel moyen plus sûr, soit de garantir ses revenus et dignités, soit de conserver le droit de tsi-ki à ses ancêtres ? Voilà sommairement ce qui caractérise la Piété Filiale du
lettré : Il est dit dans le Chi-king :
Que la crainte de flétrir la mémoire des auteurs de vos jours, occupe les premières pensées de votre réveil, et que le sommeil même de la nuit ne vous les ôte pas.
« Mettre à profit toutes les saisons, tirer parti de toutes les terres, s’appliquer à ses devoirs et économiser avec sagesse pour nourrir son père et sa mère, c’est là sommairement en quoi
consiste la Piété Filiale de la multitude.
« La Piété Filiale embrasse tout depuis l’empereur jusqu’au dernier de ses sujets ; elle ne commence ni ne finit à personne. Quelque difficulté qu’on trouve à en remplir tous les devoirs, il
serait insensé de dire qu’on ne le peut pas.
— O immensité de la Piété Filiale, s’écria Tcheng-tzeu, que tu es admirable ! Ce qu’est la régularité des mouvements des astres pour le firmament, la fertilité des campagnes pour la terre, la
Piété Filiale l’est constamment pour les peuples. Le ciel et la terre ne se démentent jamais ; que les peuples les imitent, et l’harmonie du monde sera aussi continuelle que la lumière du ciel et
les productions de la terre : Voilà pourquoi la doctrine de la Piété Filiale n’a pas besoin de reprendre pour corriger, ni sa politique de menacer pour gouverner.
« Aussi les anciens Empereurs ayant compris qu’il n’appartient qu’à cette doctrine de réformer les mœurs, ils commencèrent par enseigner l’amour filial, et le peuple ne s’oublia plus vis-à-vis de
ses parents. Pour faire sentir ensuite les charmes de la vertu et de la justice, et en persuader la pratique au peuple, ils s’attachèrent d’abord à préconiser le respect pour les aînés, la
complaisance pour les cadets, et toute querelle fut bannie parmi le peuple. Ils établirent ensuite le cérémonial et la musique, et la concorde réunit tous les cœurs. Enfin ils publièrent des
lois, soit de récompense, soit de châtiment, et le peuple fut contenu dans le devoir. Il est dit dans le Chi-king :
Que de majesté et de grandeur environnent le Premier ministre ! Le peuple par respect n’ose pas élever ses regards jusqu’à lui.
— En effet, reprit Confucius, comme c’était d’après la Piété Filiale que les plus sages de nos anciens empereurs gouvernaient l’empire, ils
n’auraient osé faire peu d’accueil à l’envoyé du plus petit royaume, à plus forte raison, aux grands princes de l’empire, les kong, les heou, les pé et les
nan. Aussi les dix mille royaumes concouraient-ils avec joie à tout ce qu’ils faisaient pour honorer leurs ancêtres. Les princes dans leurs États n’auraient pas osé mépriser un vieillard
ou une veuve, à plus forte raison un des chefs du peuple; aussi leurs vassaux concouraient ils avec joie et de cœur à tout ce qu’ils faisaient pour honorer leurs ancêtres. Un chef du peuple
n’aurait osé s’oublier vis-à-vis de l’esclave d’un autre, à plus forte raison vis-à-vis d’une épouse légitime ; aussi les concitoyens concouraient-ils avec joie et de cœur à tous ses bons soins
pour ses parents. Il arrivait de là que les pères et mères étaient heureux pendant la vie, et après leur mort leurs âmes étaient consolées par des tsi. L’empire jouissait d’une paix
profonde, il n’y avait ni fléaux, ni calamités ; on ne voyait ni révoltes ni désordres. Hélas ! ces heureux temps recommenceraient encore sous un prince éclairé qui gouvernerait l’empire par la
Piété Filiale. Il est dit dans le Chi-king :
Quand un prince est sage et vertueux, son exemple subjugue tout.
— Mais quoi ! demanda Tcheng-tzeu ; est-ce que la vertu du Cheng-gin n’enchérit pas sur la Piété Filiale ?
— L’homme, répondit Confucius, est ce qu’il y a de plus noble dans l’univers ; la Piété Filiale est ce qu’il y a de plus grand dans les œuvres de l’homme ; respecter son père est ce qu’il y a de
plus relevé dans la Piété Filiale ; et pei son père avec le Tien, est ce qu’il y a de plus sublime dans le respect filial. Tcheou-kong porta le sien jusque-là. Quand il offrait les
sacrifices pour les moissons, il pei son ancêtre Heou-tsi avec le Tien ; quand il offrait les sacrifices des Solstices, il pei Ouen-ouang son père avec le Chang-ti ; aussi tous
les princes qui sont entre les quatre mers venaient à l’envi pour en augmenter la solennité. Or, que peut ajouter la vertu du saint à cette Piété Filiale ? Le voici : l’affection d’un enfant pour
son père et sa mère naît comme sur leurs genoux, au milieu des caresses qu’ils lui font ; la crainte se mêle à cette affection, à proportion qu’ils l’instruisent, et croît de jour en jour. Or, le
Cheng-gin enseigne à changer cette affection en amour, et à élever cette crainte jusqu’au respect. Si sa doctrine n’a pas besoin de reprendre pour corriger, si sa politique de menacer pour
gouverner, c’est qu’elle remonte jusqu’à la source et porte sur la base de tout.
« Les rapports immuables de père et de fils découlent de l’essence même du Tien et offrent la première idée de prince et de sujet. Un fils a reçu la vie de son père et de sa mère, ce lien qui
l’unit à eux est au dessus de tout lien, et les droits qu’ils ont sur lui sont nécessairement au dessus de tout. Aussi ne pas aimer ses parents et prétendre aimer les hommes, c’est contredire
l’idée de la vertu ; ne pas honorer ses parents et prétendre honorer les hommes, c’est démentir la notion du devoir. Or, choquer les premières idées et les premières notions dans l’enseignement,
c’est laisser les peuples sans voie ; car enfin tout ce qui brouille ou altère la connaissance du bien, tourne en ruine pour la vertu ; et pût-elle se conserver, le sage lui refuserait son
estime. O qu’il est éloigné de contredire ainsi les premières idées de vertu et de devoir ! Ses paroles sont d’un vrai qui éclaire, ses actions d’une innocence qui charme, ses vertus d’une pureté
qui inspire le respect, ses entreprises d’une sagesse qui en persuade l’imitation, ses manières d’une décence qui attire les regards, toute sa conduite enfin d’une réserve qui sert de règle.
C’est ainsi qu’il guide les peuples ; les peuples à leur tour le révèrent, le chérissent et travaillent à lui ressembler. Ainsi ses enseignements sur la vertu passent dans les mœurs publiques, et
les lois qu’il établit ne trouvent ni résistance ni obstacles.
O vertu de mon roi, dit le Chi-king, vous êtes sublime et sans tâche !
« Un fils qui a une vraie Piété Filiale s’applique sans relâche à servir ses parents ; il ne se départ jamais du plus profond respect jusque dans l’intérieur de son domestique ; il pourvoit à
leur entretien jusqu’à leur procurer tout ce qui peut leur faire plaisir ; il est touché de leurs infirmités jusqu’à en avoir le cœur serré de tristesse ; il les conduit au tombeau avec des
regrets qui vont jusqu’à une extrême désolation ; il leur fait le tsi enfin avec un respect qui monte presque jusqu’à la vénération. Ces cinq choses renferment tous les devoirs de la Piété
Filiale ; qui sert ainsi ses parents, ne donne point dans l’orgueil, quelque élevé qu’il soit. Placé au second rang, il ne cause jamais aucun trouble. S’il est éclipsé dans la foule, il fuit de
loin toute querelle. Qui s’enorgueillit dans l’élévation, se perd ; qui cause du trouble au second rang, se met sous le glaive des séditions ; qui a des querelles étant éclipsé dans la foule,
affronte les rigueurs des supplices. Or, qui donne dans un de ces trois excès, quand même il nourrirait ses parents chaque jour avec les trois animaux des grands sacrifices, il n’a pas de Piété
Filiale.
« Les cinq supplices embrassent trois mille crimes, le plus grand de tous est le défaut de Piété Filiale. Qui se révolte contre son souverain, ne veut personne au dessus de soi ; qui rejette le
saint, ne veut dépendre d’aucune loi ; qui abjure la Piété Filiale, ne veut avoir personne à aimer : ce qui fait ouvrir la porte à des désordres qui anéantissent toute règle et tout bien.
« La Piété Filiale, continua Confucius, et le moyen le plus aimable d’enseigner au peuple les affections et les bienfaisances de l’amour ; l’amitié fraternelle est le moyen le plus aimable de
persuader au peuple les égards et les déférences du sentiment ; la musique est le moyen le plus aimable de réformer les mœurs publiques, et de les renouveler entièrement ; le Li enfin
est le moyen le plus aimable de conserver l’autorité du souverain et d’assurer les soins de l’administration publique. Le Li naît du respect, et le produit. Un fils est ravi des égards
qu’on a pour son père, un cadet est flatté des attentions qu’on a pour son aîné, un vassal est charmé des honneurs particuliers qu’on rend à son maître, un million d’hommes est enchanté des
honnêtetés qu’on n’a faites qu’a un seul. Ceux qu’on distingue ainsi, sont en petit nombre, et tout le monde s’en réjouit ; c’est donc le grand art de régner.
« Un prince enseigne la Piété Filiale, poursuivit Confucius, sans aller en faire des leçons chaque jour dans les familles ; il apprend à honorer les pères et mères dans tout l’empire, en rendant
des honneurs à la paternité ; il apprend à aimer les frères dans tout l’empire, en rendant des honneurs à la fraternité ; il apprend à être un sujet fidèle dans tout l’empire, en rendant des
honneurs à l’autorité publique. Le Chi-king dit :
Un prince qui se fait aimer et change les mœurs, est le père et la mère des peuples. O combien parfaite ne doit pas être la vertu qui conduit les peuples à ce qu’il y a de plus grand, en
suivant la pente de tous les cœurs !
Confucius ajouta encore :
— La Piété Filiale du prince à servir ses parents, produit une Piété Filiale qui se signale aisément envers sa personne ; les soins qu’il rend à ses frères produisent une amitié et des déférences
fraternelles qui se signalent aisément envers les gens en place ; le bon ordre et la paix qui règnent dans son domestique, produisent une sagesse d’administration qui se signale aisément dans les
affaires publiques. Plus il travaille heureusement à cultiver et à perfectionner l’intérieur de son auguste famille, plus il réussit à se faire un nom chez tous les siècles à venir.
— Je le comprends maintenant, répondit Tcheng-tzeu, un fils bien né doit essentiellement aimer et chérir, respecter et honorer, contenter et rendre heureux, illustrer et immortaliser les parents
; mais j’ose demander encore, si un fils qui obéit aux volontés de son père remplit par là tous les devoirs de la Piété Filiale ?
— Que me demandez vous ? répondit Confucius. L’empereur avait anciennement sept sages pour censeurs, et quoiqu’il donnât dans de grands excès, il ne les poussait pas jusqu’à perdre l’empire. Un
prince avait cinq sages pour le reprendre, et quoiqu’il donnât dans de grands excès, il ne les poussait pas jusqu’à perdre ses États. Un grand de l’empire avait trois sages pour le reprendre, et
quoiqu’il donnât dans de grands excès, il ne les poussait pas jusqu’à perdre sa maison. Un lettré avait un ami pour le reprendre, et il n’en venait jamais jusqu’à déshonorer son nom. Un père
avait son fils pour le reprendre, et il ne s’égarait jamais jusqu’à tomber dans le désordre. Dès qu’une chose est censée mauvaise, un fils ne peut pas plus se dispenser d’en reprendre son père
qu’un sujet son souverain : or, dès qu’un fils doit reprendre son père quand il fait mal, comment remplirait il les devoirs de la Piété Filiale, en se bornant à obéir aux volontés de son père
?
Confucius ajouta ensuite :
— Les plus sages empereurs de l’antiquité servaient leur père avec une vraie Piété Filiale ; voilà pourquoi ils servaient le Tien avec tant d’intelligence : ils servaient leur mère avec une vraie
Piété Filiale ; voilà pourquoi ils servaient le Ti avec tant de religion : ils étaient pleins de condescendance pour les vieux et pour les jeunes ; voilà pourquoi ils gouvernaient si heureusement
les supérieurs et les inférieurs. Le Tien et le Ti étant servis avec intelligence et avec religion, l’esprit intelligent se manifestait. L’empereur lui-même a des supérieurs à qui il doit des
respects, c’est à dire, son père, des anciens, c’est à dire, ses aînés. Son respect éclate dans le Tsong-miao, afin qu’on voie qu’il n’oublie pas ses parents. Il cultive la vertu, il s’applique à
sa perfection, afin de ne pas déshonorer ses ancêtres. Il fait éclater son respect dans le Tsong-miao : les âmes et les esprits viennent s’en réjouir. Quand la Piété Filiale et l’amour fraternel
sont parfaits, on entre en commerce avec l’Esprit intelligent, et la gloire dont on se couvre, remplit les régions immenses et éloignées qu’environnent les quatre mers. Il est dit dans le
Chi-king :
De l’orient à l’occident, du nord au midi, tout plie devant ses pensées.
« Le sage sert son souverain : il ne porte au Palais que des pensées de fidélité, il n’en remporte que des projets pour réparer les fautes, donner carrière aux vertus et arrêter les progrès du
vice. Voilà ce qui le met en faveur. Il est dit dans le Chi-king :
O qui pourrait raconter les sentiments de sa tendresse ! Quoique éloigné du prince, il s’en rapproche sans cesse par mille tendres souvenirs. Comment pourrait il oublier ses intérêts
?
Confucius finit en disant :
— Un fils qui fait les funérailles de ses parents, n’a pas la force de pousser des soupirs ; il fait les cérémonies avec un visage pétrifié de douleur ; les paroles qui sortent de sa bouche n’ont
ni élégance, ni suite ; ses vêtements sont grossiers et en désordre sur lui ; la musique la plus touchante n’effleure pas son cœur ; les mets les plus exquis n’ont ni goût ni faveur pour son
palais, tant est grande et extrême la désolation qui absorbe toute son âme. Il prend quelque nourriture au troisième jour, parce que tous les peuples savent qu’il ne faut pas attenter sur sa vie,
et que si on peut s’abandonner à sa douleur jusqu’à maigrir, il serait horrible de s’y livrer jusqu’à mourir soi-même, en pleurant un mort. Les saints sont sagement réglés : le deuil ne dure que
trois années, parce qu’il faut une décision commune pour les peuples, et qu’il doit avoir un terme. Je n’ai rien de particulier à vous dire sur les cérémonies funèbres, ajouta Confucius, vous les
savez. On prépare une bière et un cercueil ; une robe et des habits ; on élève le cadavre sur une estrade, et on range devant, des vases ronds et carrés ; on se lamente et on se désole, on se
meurtrit le sein et on s’agite, on pleure et on soupire. On accompagne le convoi, en s’abandonnant à toute sa douleur, et on choisit avec soin le lieu de la sépulture ; on met le cadavre avec
respect dans son tombeau, et on élève un miao pour hiang son âme, on fait des tsi au printemps et en automne, et on conserve chèrement le souvenir des morts auxquels on
rougirait de ne pas penser souvent.
Conclusion. Honorer et aimer ses parents pendant leur vie, les pleurer et les regretter après leur mort, est le grand accomplissement des
lois fondamentales de la société humaine. Qui a rempli envers eux toute justice pendant leur vie et après leur mort, a fourni en entier la grande carrière de la Piété Filiale.
*
Terreur des supplices ou bonheur des sujets ?
"Aussi les anciens Empereurs ayant compris qu’il n’appartient qu’à cette doctrine de réformer les mœurs, ils commencèrent par enseigner
l’amour filial, et le peuple ne s’oublia plus vis-à-vis de ses parents."
Les législateurs ont tous commencé par faire des lois, et ont prétendu en assurer l’observation par la terreur des supplices. Pourquoi les
fondateurs de la dynastie des Tcheou tinrent-ils une autre conduite ?
« C’est, dit Hiu-tchi, que ce n’était pas l’affermissement de leur puissance et l’agrandissement de leur maison que ces bons princes avaient le plus à cœur, mais le vrai bien et le bonheur de
leurs nouveaux sujets. Ainsi que le Chang-ti le leur avait prescrit en leur donnant l’empire, comme il est rapporté dans le Chou-king. »
En effet, les lois n’étant qu’une coaction extérieure, leur manutention n’ayant prise que sur ce qui perce dans le public, et leur rigueur n’étant qu’un palliatif passager, quelque sages qu’ils
eussent pu les faire, elles n’auraient servi qu’à faire plier les peuples et non à les rendre meilleurs. Au lieu qu’en enseignant d’abord les devoirs des enfants envers leurs père et mère,
1° tout le monde ne pouvait qu’applaudir à un soin dont on sentait la nécessité, l’importance et l’utilité ;
2° les princes acquéraient pour le bien public toute l’autorité qu’ils faisaient recouvrer aux parents, et tous les égards qu’ils leur obtenaient ;
3° ils attaquaient tous les abus dans leur principe, et se donnaient toutes les avances de la Piété Filiale pour la pratique des autres vertus ;
4° ils commençaient par ce qui était tout à la fois et le plus essentiel et le plus facile ;
5° ils préparaient les plus grands changements sans aucun appareil de réforme ni d’innovation, parce que c’était dans les cœurs et dans le secret des familles que la doctrine de la Piété Filiale
devait d’abord opérer. Or, elle devait prendre d’autant plus aisément que tout le monde était dans un état violent pour s’en être éloigné, et qu’elle remettait chacun, pour ainsi dire, dans le
niveau et l’équilibre de la nature. Aussi fit elle des progrès rapides dans tous les ordres de l’État. C’était le moment de montrer l’excellence, les douceurs et les avantages de l’amour
fraternel.
Comme la Piété avait déjà commencé à en développer les sentiments et à en accréditer les devoirs, tous les cœurs en reçurent l’enseignement, comme une terre nouvellement labourée reçoit la pluie
du printemps ; et cet enseignement conduisit sans peine les cœurs à tous les égards, à toutes les déférences et à toutes les attentions qui sont le charme de la société. Il ne fallait qu’étendre
aux étrangers ce qu’on était accoutumé de faire dans le sein de sa famille.
Le cérémonial et la musique, c’est-à dire, l’étiquette qui fixait tous les rangs, et les fêtes publiques qui en montraient l’harmonie, achevèrent la révolution, et y apposèrent comme le sceau de
l’aveu public de tout l’empire...
La politique des Tcheou avait trois choses en vue dans les ordonnances de l’étiquette :
1° de graduer dans une proportion assortie, mais toute légale, les prééminences extérieures par où on descendait de l’empereur jusqu’au dernier citoyen ;
2° d’articuler avec précision ce que chacun devait à ses supérieurs, ses égaux et ses inférieurs, de façon qu’on ne pût ni leur manquer, en omettant quelque chose ni s’avilir en faisant plus
qu’on ne devait ;
3° de ne former de tout l’empire qu’une seule famille par l’uniformité qui régnerait dans tout ce qui fait les mœurs politiques, civiles et domestiques d’une nation.... Les fêtes publiques, soit
religieuses, soit de cour, soit civiles, etc. légalisaient pour ainsi dire, publiaient et consacraient tout ce que l’étiquette avait de plus essentiel, parce qu’elles en faisaient un spectacle
pour le public...
C’était le moment alors de publier des lois qui n’étant, pour ainsi dire, que la narration, la peinture de ce que tout le monde faisait, ne pouvaient plus trouver aucun obstacle. Bien plus,
autant chacun sentait par sa propre expérience les avantages infinis de la révolution qui s’était faite, autant il devait être charmé qu’on travaillât à la maintenir par l’appât des récompenses
et par la crainte des châtiments...
« Que d’art ! Que d’habileté ! Que de sagesse ! s’écrie Tcheng-tzeu, dans ce tableau historique que présente ici Confucius ; de ce qu’avaient fait les fondateurs de la dynastie des Tcheou, pour
réformer les mœurs publiques. Que de choses il y enseignait aux princes de son temps, s’ils avaient su les entendre et les mettre en pratique ! »
La Piété Filiale n’est pas l’ouvrage ni de l’éducation, ni de l’enseignement, ni des réflexions ; le Tien l’a mise dans le cœur de l’homme qui en possède toutes les pensées et tous les sentiments
en naissant. Il ne faut que les aider à se développer ; et comme la Piété Filiale tend par elle même à la vertu et à l’innocence, c’est par elle qu’il faut tirer les peuples de leurs désordres et
les faire rentrer dans le devoir.
*
L'accueil de l'envoyé
"Comme c’était d’après la Piété Filiale que les plus sages de nos anciens empereurs gouvernaient l’empire, ils n’auraient osé faire peu
d’accueil à l’envoyé du plus petit royaume."
Il faut considérer ici ce que Confucius raconte d’après l’histoire, et ce qu’il prétend prouver par là, ce qu’il articule et ce qu’il ne fait
qu’insinuer ; sans cela, on ne saurait bien entrer dans le sens du texte.
1° Il raconte deux faits consignés dans les Annales : le premier, que les empereurs du temps dont il parle n’auraient osé manquer à la moindre étiquette vis à vis de l’envoyé du plus petit
prince, soit à sa réception, soit à ses audiences ; le second, que quand ils faisaient les cérémonies annuelles dans la salle de leurs ancêtres, les princes de l’empire venaient en foule en
augmenter la pompe et la solennité par leur présence.
2° Confucius a dit plus haut, en parlant de la Piété Filiale de l’empereur :
« Qui honore ses parents, n’oserait mépriser qui que ce soit. »
Il prouve ici cette maxime par les faits notoires des fondateurs de la dynastie ; puis, pour marquer sa liaison avec la Piété Filiale, il fait observer que tous les princes dont on honorait les
députés, concouraient à l’envi à la pompe des cérémonies aux ancêtres.
3° Il articule très nettement que les grands empereurs ne réussissaient à gouverner les peuples par la Piété Filiale, que parce qu’ils étaient les premiers à en remplir les devoirs, non seulement
comme fils, frères, parents, etc.., mais encore comme chefs de tous les princes. Pour faire sentir d’un autre côté combien la Piété Filiale, ainsi étendue, devait faciliter le gouvernement de
l’empire, il montre que par cela même, qu’elle empêchait les empereurs de manquer au plus petit envoyé, elle les mettait en garde, à plus forte raison, contre ce qui aurait pu offenser les
princes, et leur faisait tenir une conduite pleine de réserve, qui devait assurer le succès de leurs soins dans le gouvernement de l’empire.
4° Il insinue à l’empereur de son temps que si son autorité va toujours en s’affaiblissant, c’est qu’il s’écarte dans son gouvernement des maximes de Piété Filiale, qui avaient porté si haut
celle de ses prédécesseurs, et que ce n’est qu’en revenant à ces maximes qu’il peut la rétablir ; c’est à-dire, que bien loin de disputer aux princes qui viennent à sa cour les honneurs qui leur
sont dus (ce qui l’avilit) il doit affecter de traiter avec honneur les députés de ceux qui lui manquent. Ce n’est pas tout, en rappelant la pompe des anciennes cérémonies aux ancêtres, il fait
comme toucher au doigt par le contraste du peu qui en restait, que toutes les intrigues, les ruses, les traités, les ligues et les manèges politiques qu’on avait voulu substituer à la Piété
Filiale, n’avaient servi qu’à augmenter l’esprit d’indépendance, et à éloigner de la cour les grands vassaux de la couronne, qui se faisaient autrefois une fête et un honneur d’y venir. Ces
quatre remarques ont également lieu pour ce qui suit, dans le sens qui y convient.
*
Menaces et châtiment
"Or, le Cheng gin enseigne à changer cette affection en amour, et à élever cette crainte jusqu’au respect. "
Les deux Tchin-tzeu, Tcheou-tzeu, etc. ont cherché d’où vient qu’un père et une mère empruntaient le secours des menaces et des châtiments, pour
l’éducation de leurs enfants.
« Dès qu’ils ne prétendent que lui faire connaître la vérité et aimer la vertu, pourquoi, disent-ils, ne lui pas continuer leurs caresses?»
Puis ils sont les premiers à avouer que, si l’on en excepte un très petit nombre d’enfants mieux nés, ces tristes expédients sont absolument nécessaires pour ne pas manquer l’éducation, et que
quelque lumineuses que soient les vérités capitales qu’on enseigne à l’enfance, quelque attrayantes que soient les vertus qu’on propose à ses premiers efforts, cela ne suffit pas pour ce premier
âge : mais le fait n’explique pas le pourquoi, et c’est ce qui les embarrasse. Ils disent bien que les passions naissantes d’un enfant ont besoin de ce frein pour être contenues ; qu’il faut que
la crainte supplée à la raison qui n’a pas encore d’autorité sur elles, que d’ailleurs on exige d’un enfant nombre de choses qui ne sont que de convention entre les hommes, et qui pourraient être
autrement sans être mal ; que les pères et mères laissent voir en eux des faibles et des défauts qui décréditent leur enseignement dans la petite imagination de leur fils ou de leur fille ; enfin
qu’il est impossible de faire sentir à une raison naissante les motifs solides qu’on a ou de défendre ou de prescrire certaines choses ; mais tout cela ne fait qu’embarrasser la question au lieu
de la résoudre, et ils sont réduits à se jeter à la fin dans celle de la bonté, ou de la corruption originelle de l’homme, c’est à dire, dans un océan qui n’a ni fonds ni rives.
Confucius a eu la sagesse d’éviter ces disputes, et s’en est tenu à parler de ce qui est pratiqué, usuel et reconnu pour indubitable. Le saint, dit-il, enseigne à changer les craintes de
l’enfance en respect, et ses affections en amour. La crainte en effet n’est qu’un sentiment bas et servile qui courbe l’âme et la resserre ; les affections du cœur ne sont qu’une pente aveugle et
volage qui l’entraîne et le subjugue. Quelque utiles qu’elles soient dans un enfant, il faut les faire repétrir par les mains de la sagesse, pour qu’elles soient dignes de l’homme en devenant des
vertus : or, c’est là le grand objet des soins du saint. Il conserve le fond de la crainte dans tout ce qui tend à éloigner des fautes, à en inspirer le repentir, à en presser la réparation ;
mais en même temps, il détourne l’attention de dessus les châtiments pour l’occuper toute entière de la prééminence de la supériorité et des droits de la paternité, afin de faire succéder le
respect à la peur des punitions. Ce respect intime et sincère s’épure par les grands motifs qui l’ont fait naître, et se soutient par eux dans les occasions les plus critiques.
Le passage des affections à l’amour est encore plus facile, et achève celui de la crainte au respect. Il ne faut que montrer à l’homme qu’il n’est qu’une même chose en quelque sorte avec son père
et sa mère, qu’il se doit tout entier à eux, et que leur tendresse surpassant encore leurs innombrables bienfaits, ce n’est qu’en les aimant de cœur qu’il peut s’acquitter envers eux.. Tout alors
dans l’univers lui parle des auteurs de ses jours, et la capacité de son âme ne suffit plus pour contenir les sentiments de son amour. Il voudrait les communiquer à tout le monde, rien ne lui
coûte, dès qu’il s’agit ou de leur témoigner son amour ou de leur procurer celui des autres. Un père et une mère s’attachent à leur enfant par la peine qu’il leur coûte, un fils s’attache encore
plus tendrement à son père et à sa mère par les marques qu’il leur donne de la reconnaissance. L’affection de la nature passe des sens dans le cœur et dans l’âme, s’y spiritualise, s’y transforme
en vertu et y attire toutes les autres. L’amour d’un sexe pour l’autre, malgré tous les transports, n’a jamais fait tant d’heureux que l’amour filial, ni tant de bons citoyens, de héros et de
sages ; il a fait au contraire beaucoup de malheureux et de scélérats, et l’amour filial n’en a jamais fait aucun. Lu-tchi prétend que c’est parce que le premier ne croît que par des faiblesses,
et le second par des vertus ; selon Lieou tchi, c’est que celui-là trouve toujours des mécomptes, et que celui-ci n’en trouve jamais ; Léang-eulh pense que c’est à cause que l’on use la
sensibilité du cœur en l’épuisant, au lieu que l’autre l’augmente sans cesse : tous les deux, dit Lin-pé, sont dans leur premier germe, un penchant que le Tien a mis dans l’homme, et qui tiennent
d’aussi près à sa nature que sa raison ; mais outre que l’amour filial a les prémices de son cœur et de ses vertus, plus il est vif, délicat et généreux, plus il sort de la sphère des passions et
entre dans celle des vertus ; au lieu que l’amour conjugal s’insinue dans l’âme par les sens, la courbe vers eux, et la livre tellement à leurs impressions que lors même qu’il est plus extrême,
il se trouve aux prises avec les vices. Ngnan tchi laisse à côté toutes ces questions plus puériles que philosophiques, et observe fort censément, à sa manière, que ce qui assure la supériorité
d’excellence et de dignité à l’amour filial sur l’amour conjugal, c’est que plus il est parfait, plus il élargit le cœur et élève l’âme ; au lieu que celui-ci rétrécit l’un et abaisse l’autre au
point d’attenter à la Piété Filiale même.
*
Conserver l’autorité du souverain
"Le Li enfin est le moyen le plus aimable de conserver l’autorité du souverain et d’assurer les soins de l’administration publique."
Le mot Li indique en général les quatre espèces de
cérémonial, savoir : le religieux, le politique, le civil et le domestique. Chacun contribue à affermir et à conserver le pouvoir souverain.
— Le cérémonial religieux qui est le premier, le plus antique, etc. (ce que nous voyons en ce genre, aux grandes cérémonies de l’empire près,
est si affligeant, et ces cérémonies elles mêmes sont un sujet si épineux, que nous n’avons le courage de suivre ici les commentateurs).
— Le cérémonial politique,
1° met l’empereur au dessus de tout le monde, et s’élève d’autant plus haut, qu’il distingue plus de rangs et de degrés entre lui et le peuple ;
2° il environne le prince d’un appareil de grandeur et de majesté qui frappe la multitude. Tout ce qui lui appartient, tout ce qui est à son usage, tout ce qui le regarde, annonce sa prééminence
suprême ;
3° il conduit aux pieds du trône, il y fait tomber à genoux, et y rapetisse tous ceux qui sont les plus élevés dans l’empire et les plus grands aux yeux du peuple ;
4° il a fixé un langage particulier pour parler à l’empereur, lui répondre, lui demander des grâces, le remercier de ses dons, signifier les moindres volontés, nommer tout ce qui lui appartient,
etc.
5° ou il cache l’empereur à la multitude, ou il ne lui montre que dans une pompe qui cache l’homme et ne laisse voir que le souverain ; encore le gêne t il alors par une étiquette sérieuse et
austère qui règle son maintien, ses manières, ses gestes, et détermine jusqu’à ses paroles, pour empêcher que ses passions ne percent, et pour le forcer à être paré au moins des apparences des
vertus qu’il devrait avoir. Ce cérémonial ne se borne pas là : tout ce qu’il a déterminé pour l’empereur a également lieu, dans une proportion réglée, sur les rangs, les dignités, les emplois,
pour les princes, les grands, les dépositaires de l’autorité publique et les gens de lettres parmi lesquels on les choisit.
Le peuple qui les trouve tous entre lui et l’empereur, se croit d’autant plus loin de sa personne, qu’il les voit séparés les uns des autres, rendre à leurs supérieurs tous les respects qu’ils
reçoivent de leurs inférieurs, et leur obéir de même.
Tout cela contribue à cette harmonie de subordination qui augmente l’impulsion de l’autorité à proportion qu’elle descend de plus haut...
— Le cérémonial civil n’a point de sceptre ; ses lois ne sont que des conventions de concorde et d’amitié, de sentiment et d’honneur.
Or,
soit qu’on considère la manière dont il rapproche les grands des petits, par les civilités, les bontés, les marques de considération et d’attachement ; ou comment il entretient et conserve le
niveau de l’égalité dans les différents ordres de citoyens, par les honnêtetés, les déférences et les égards réciproques ; ou combien il tranquillise, console et encourage ceux qui sont placés
aux derniers rangs, en les distinguant de leur personne ;
soit qu’on l’envisage comme une loi à part qui ôte à chacun ses droits pour les transférer aux autres, supplée aux vertus sociales en en exigeant la représentation, compense l’inégalité des rangs
et des fortunes par les sentiments obligeants qu’elle ordonne de témoigner et qu’elle ne donne pas droit d’exiger ;
sous quelque rapport, dis je, qu’on considère et envisage le cérémonial civil, il est dans le gouvernement, comme dans les grandes machines la graisse dont on enduit les essieux des roues ; il en
facilite les mouvements, empêche le bruit, et conserve tout en diminuant les frottements. Plus une nation est civilisée, policée, honnête, attentive et modérée, plus les mœurs publiques ôtent au
commandement de sa rigueur, et à l’obéissance de sa servitude ; ce qui fortifie d’autant l’autorité suprême, qui n’a besoin alors que d’une impulsion légère pour produire le mouvement du bon
ordre, et se ménage par là une force invincible pour vaincre les obstacles, lorsqu’il s’arrête.....
— Le cérémonial domestique réunit tout à la fois le cérémonial politique et le cérémonial civil. Comme le premier, il met dans l’intérieur
des familles une subordination d’autant plus aimable, qu’étant réglée sur le nombre des années et sur les degrés de parenté, chacun espère tous les respects, toutes les obéissances et soumissions
qu’il rend, et les voit s’approcher de jour en jour, ou même commence à en jouir. Comme le cérémonial civil, il couvre de fleurs le joug du devoir, et met dans le commerce de la vie une
continuité d’attention, de prévenances, de ménagements, de soins, de condescendances et d’amitié qui flattent l’amour propre, en imposent aux passions. Or, en réunissant ainsi ce que l’un et
l’autre a de plus propre à amollir les volontés, il en prépare et assure l’observation ; mais outre cela, il affermit directement le pouvoir souverain parce qu’il va plus loin, s’étend à plus de
choses et est plus continuel. Qui obéit au clin d'œil d’un vieillard, ne résistera pas à l’ordre d’un mandarin, et qui se taxe lui-même pour une fête de famille, ne murmurera pas contre des
impôts.