Henri Maspero (1883-1945)
L'ASTRONOMIE CHINOISE AVANT LES HAN
T'oung pao, tome XXVI, Leyde, 1929, pages 267-356.
- "L'astronomie chinoise a été souvent étudiée, depuis le temps où le père Gaubil fit connaître les grands traits de son histoire. La période antique en particulier a été l'objet de nombreux travaux : J.-B. Biot, Schlegel, L. de Saussure lui ont consacré de gros ouvrages, Chalmers un article bref, mais important. Mais tous les savants qui s'en sont occupés, quelles que fussent leurs idées, ont généralement préféré demander au calcul mathématique ou à des spéculations abstraites plutôt qu'aux textes mêmes les éléments nécessaires à l'élaboration de leurs théories. Or on pourrait tirer des textes beaucoup plus qu'il n'a été fait jusqu'ici, sinon pour la haute antiquité, où ils sont peu nombreux, au moins pour les temps plus récents de la fin de la dynastie Tcheou. J.-B. Biot, et plus récemment Saussure,... se sont bien rendu compte que certains faits rapportés seulement à l'époque des Han devaient avoir été connus longtemps avant : par exemple, la détermination du solstice d'hiver, ou la révolution synodique de Jupiter, ou encore la création des premiers calendriers astronomiques et mathématiques. On savait d'ailleurs par le Che ki qu'il y avait eu des astrologues célèbres dans les derniers siècles des Tcheou ; bien plus, des fragments de leurs œuvres sont souvent cités par Sseu-ma Ts'ien. Il est étonnant que, malgré cela, personne n'ait cherché à rassembler ce qui subsiste de leurs ouvrages et à en tirer un aperçu des connaissances astronomiques antérieures aux Han. Saussure, dans ses intéressantes recherches sur l'astronomie chinoise antique, descend parfois jusqu'à cette époque, bien qu'en général il s'occupe de périodes bien plus anciennes ; mais il n'a jamais pensé à recourir à des textes nouveaux et s'est contenté de demander au calcul de compléter ce qu'il était possible de tirer des faits qu'il avait trouvés dans Gaubil et Chavannes. Aussi l'histoire de l'astronomie pendant les siècles qui précèdent immédiatement les Han reste-t-elle très vague."
- "Cependant, bien que les ouvrages originaux des astrologues de cette époque soient depuis longtemps perdus, les citations et les extraits qui en ont été faits à diverses époques sont assez nombreux et assez précis pour permettre de dresser un tableau assez complet des connaissances astronomiques de leurs auteurs. Ce n'est qu'avant leur temps que les documents sont rares et d'ailleurs pour la plupart déjà connus et étudiés. L'histoire de l'astronomie antique se trouve ainsi tout naturellement partagée en deux époques."
Extraits : L'astronomie au temps des Royaumes Combattants. Présentation.
L'équateur et l'écliptique - Leurs divisions : Les 28 mansions - et les 12 signes
Les éclipses
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L'époque des Royaumes Combattants vit s'effectuer un grand travail astrologique, mais aussi astronomique et mathématique : aux IVe et IIIe
siècles a. C. furent composés trois grands recueils astrologiques, descriptions du ciel, de la marche du Soleil, de la Lune et des planètes, catalogues d'étoiles, avec les présages à tirer des
aspects, couleurs, mouvements, occultations, etc. Un de ces recueils intitulé T'ien wen était de Che Chen, du pays de Wei ; un autre, le T'ien wen sing tchan, avait pour auteur
Kan Tö, qui était du Ts'i ; enfin un dernier, d'auteur inconnu, était attribué au sage ministre des Yin, Wou-hien.
La date exacte de ces ouvrages est difficile à déterminer. Ils ne peuvent être plus anciens que le début du IVe siècle, car ils exposaient en détail la révolution synodique de Jupiter, dont la
connaissance remonte en Chine aux environs de 380 a. C. comme l'a montré Saussure. D'autre part Che Chen parle du Lou comme d'une principauté indépendante ayant encore son prince : il écrivait
donc avant le milieu du IIIe siècle a. C., date de la conquête du Lou par le Tch'ou. La tradition des Han semble avoir considéré Kan Tö comme plus ancien ; du moins Sseu-ma Ts'ien le
mentionne-t-il le premier dans une énumération qui paraît être, en principe, chronologique ; mais la valeur de cette tradition est assez faible : la preuve s'en voit dans l'ouvrage de Wou-hien,
qui est placé sous les Yin, comme s'il était authentiquement l'œuvre du sage ministre que cite le Chou king. En fait l'ouvrage de Kan Tö est, à mon avis, plus récent que celui de Che
Chen : sa connaissance des planètes est en effet sur beaucoup de points en progrès sur celle de Che Chen ; toutefois, cela peut prouver seulement que l'école astrologique du Ts'i était plus
avancée que celle du Wei, et cela n'implique pas nécessairement une différence de date. Les références de Kan Tö aux guerres du Yen et du Tchao pourraient indiquer qu'il est du milieu du IIIe
siècle ; peut-être même faut-il le faire antérieur à 333, date de la conquête du Yue par le Tch'ou, si, dans un passage où il paraît à côté du Ts'i, il est pris comme un État indépendant, et non
simplement comme une expression géographique. Ainsi les deux livres de Che Chen et de Kan Tö doivent se placer l'un et l'autre entre le second quart du IVe siècle et la seconde moitié du IIIe
siècle comme dates extrêmes. Le pseudo Wou-hien doit être un peu plus récent : c'est, je pense, pour avoir quelque chance de faire triompher ses idées sur celles des ouvrages déjà célèbres de ses
devanciers que l'auteur a attribué son œuvre à un sage de l'antiquité. Les trois ouvrages subsistèrent séparément jusqu'au VIe siècle de notre ère ; ils étaient encore inscrits au catalogue des
Leang, chacun en huit chapitres ; mais ils avaient disparu au temps des Souei. Toutefois diverses collections astrologiques les conservèrent au moins sous forme abrégée jusqu'à la fin des Song,
époque où ils se perdirent définitivement.
Une des parties de leurs ouvrages qui eut le plus d'importance fut leurs catalogues d'étoiles qui sont toujours restés la base de l'uranographie chinoise. Ils furent rassemblés et commentés au
début du IVe siècle par le Grand astrologue t'ai-che-ling Tch'en Tch'o qui dressa d'après eux une carte du ciel. Un siècle plus tard, pendant la période yuan-kia (424-454), le Grand
astrologue Ts'ien Lo-tche publia une nouvelle carte du ciel d'après les trois anciens catalogues, en distinguant par une couleur différente les étoiles appartenant à chacun des trois : celles
qu'il avait tirées du catalogue de Che Chen étaient marquées en vermillon, celles du catalogue de Kan Tö en noir, celles du catalogue de Wou-hien en blanc. Ces différences de couleurs n'étaient
pas dues à un souci d'histoire de la science, elles avaient une utilité pratique ; les trois auteurs n'ayant pas les mêmes principes d'interprétation astrologique des phénomènes, il était
nécessaire de savoir immédiatement auquel appartenait chaque étoile ou constellation au moment où on l'observait ; aussi se sont-elles conservées jusqu'à nos jours (sauf le blanc qui avait été
remplacé par le jaune dès le début des T'ang) dans les traités astrologiques ou astronomiques, d'où elles ont passé dans l'Uranographie chinoise de Schlegel. Il semble que Ts'ien Lo-tche
avait pris pour base le catalogue de Che Chen, car toutes les constellations importantes, les 28 sieou, la Grande Ourse, etc. sont rouges, et l'avait complété par celui de Kan Tö,
n'empruntant au pseudo Wou-hien que quelques petites étoiles qui manquaient aux deux autres. La carte de Ts'ien Lo-tche, et peut-être celle de Tch'en Tch'o, existaient encore au VIIIe siècle, et
c'est ce que Gotamasiddha appelle «l'ancienne carte» (ou «les anciennes cartes»). L'édition du texte de Tch'en Tch'o paraît avoir disparu au temps des T'ang en tant que livre séparé. Mais elle
avait été incorporée en entier ou en abrégé, à une compilation, le Kou kin t'ong tchan de Wou Mi, où étaient rassemblés en 30 chapitres tous les ouvrages astrologiques depuis Houang-ti
jusqu'aux Souei. Ce nouvel ouvrage se perdit à son tour vers l'époque mongole, de sorte qu'il ne subsiste aujourd'hui de Che Chen et Kan Tö que le résumé de leurs catalogues contenu d'une part
dans un manuscrit d'un ouvrage astrologique de 621 retrouvé par M. Pelliot à Touen-houang, de l'autre dans le K'ai-yuan tchan king de Gotamasiddha, ainsi que de nombreuses citations se
rapportant quelquefois à des faits astronomiques, plus souvent à l'astrologie, sans parler de compilations où des extraits des trois ouvrages sont mêlés sans indication d'origine, comme le résumé
du catalogue de Tch'en Tch'o contenu dans le Tsin chou, ou encore comme le Sing king.
Dès la haute antiquité, les Chinois avaient remarqué que le mouvement circulaire des étoiles pendant la nuit se fait autour d'un point du ciel
qui n'est pas situé au zénith, mais qui se trouve dans la partie nord du ciel. Le fait les avait assez frappés pour donner lieu à une légende : aux origines du monde, le monstre Kong-kong, au
corps de serpent et au visage d'homme, qui vivait dans les vastes marécages recouvrant la Terre, ayant été vaincu par le héros Tchouan-hiu, avait dans sa rage tenté de renverser le mont
Pou-tcheou, qui soutient le ciel au nord-ouest, en le frappant de ses cornes ; aussi le ciel s'affaissa vers le nord-ouest, le Soleil, la Lune et les étoiles se déplacèrent (d'est en ouest). Les
astrologues de la fin des Tcheou, ayant déterminé le Pôle avec assez de précision, avaient su tracer dans le ciel un cercle fictif dont le plan fût perpendiculaire à l'axe polaire, l'équateur, et
ils avaient su aussi reconnaître que le Soleil, la Lune et les planètes dans leur course ne se déplaçaient pas le long de ce cercle, ni parallèlement à lui, mais le long d'un autre grand cercle
qui coupe le premier en deux points, l'écliptique. Je n'ai retrouvé dans aucun des fragments subsistants ni de Che Chen, ni de Kan Tö, ni de Wou-hien, quoi que ce soit se rapportant à l'équateur.
Mais on verra qu'ils avaient déjà une division de la circonférence céleste en degrés, et que cette division fut mesurée exclusivement sur l'équateur jusqu'au temps des Han postérieurs, où, pour
la première fois, on fit des mesures en degrés sur l'écliptique. En revanche, ils parlent de l'écliptique : Che Chen lui donnait le nom qu'il porte encore de nos jours et l'appelait la route
Jaune, Houang-tao, probablement par opposition à l'équateur qui est la route Rouge, Tch'e-tao. Le pseudo-Wou-hien le désignait comme la route Médiane Tchong-tao, nom
qui, au temps des Han, s'appliquait particulièrement à la route du Soleil, par opposition à celles de la Lune et des planètes, mais qui n'avait peut-être pas encore un sens aussi précis à la fin
des Tcheou.
S'ils savaient que la route du Soleil coupe l'équateur, il ne s'en suit pas qu'ils eussent reconnu l'écliptique comme un autre grand cercle de la sphère céleste : leurs notions de géométrie, très
rudimentaires, n'allaient sûrement pas jusque là. Pour eux l'écliptique était simplement et sans aucune arrière-pensée géométrique la route du Soleil, de la Lune et des planètes, route d'une
certaine largeur, étant donné les déplacements en latitude de la Lune et des planètes, et aussi étant donné que les 28 constellations qui servaient de points de repère étaient situées
irrégulièrement au nord et au sud de l'équateur et de l'écliptique, quelques-unes d'entre elles fort loin. Cette route, aucune construction géométrique ne permettait de la tracer, par suite de
toutes les irrégularités et de toutes les anomalies qu'elle présentait, au lieu qu'il était relativement facile de tracer l'équateur, le Pôle étant connu. Il fallait donc se contenter d'un relevé
empirique, et encore cela même était-il malaisé, jusqu'à ce que des observations minutieuses et suivies eussent permis de constater la régularité des mouvements en latitude des planètes ; or des
observations de ce genre ne se firent que sous les Han antérieurs, et c'est Lo-hia Hong, semble-t-il, qui les inaugura. Pour les astrologues anciens, la différence entre l'équateur et
l'écliptique n'était pas un fait géométrique : elle consistait en ceci que l'équateur était un cercle idéal, n'ayant aucune réalité matérielle, que l'on traçait autour du Pôle ; tandis que
l'écliptique était une chose réelle, la route matérielle le long de laquelle le Soleil et les planètes se mouvaient. C'est ce qui explique ce fait, à première vue étrange, que la division en
degrés de la circonférence céleste, faite pour suivre jour par jour la marche du Soleil, est cependant rapportée à l'équateur : la division en degrés, irréelle et régulière, devait nécessairement
être rapportée à cette ligne irréelle et régulière qu'était l'équateur, et ne pouvait l'être à cette chose réelle et irrégulière qu'était l'écliptique.
Cette route, matérielle et réelle, il est évident qu'ils avaient reconnu qu'elle était oblique par rapport à l'équateur, puisqu'elle le coupait. Mais la mesure de cette obliquité ne leur était
pas connue. Je n'oserais même affirmer qu'elle était connue des astronomes des Han antérieurs. Lieou Hin (et d'après lui Pan Kou) sait bien que l'écliptique est le plus près du Pôle du côté nord,
le plus loin du côté sud, et à une distance moyenne à l'est et à l'ouest, mais il ne donne aucun chiffre précis ; et même Ma Siu au milieu du Ier siècle p. C. ne donne pas davantage la
déclinaison des solstices. Les premières mesures exactes apparaissent dans un rapport sur la réforme du calendrier présenté par Kia K'ouei en 89 p. C. Or c'est Kia K'ouei qui fut le premier à
observer scientifiquement l'écliptique : il fit fabriquer des instruments spéciaux pour cela et il détermina l'étendue des 28 mansions sur ce cercle, alors qu'on ne les mesurait jusque là que sur
l'équateur ; il est vraisemblable qu'il a été le premier à mesurer exactement l'obliquité de l'écliptique. Après lui, les mentions de cette mesure sont nombreuses : Lieou Hong et Ts'ai Yong, dans
leur petit Traité du Calendrier en deux chapitres Lu li tche publié en 178, donnent la distance polaire de l'écliptique à chacun des 24 tsie ; Lieou Hong indique la déclinaison
du lieu du solstice d'hiver dans un mémoire sur les éclipses de lune Louen yue che présenté en 200 p. C., etc.
Pour repérer exactement le point du ciel où se trouvaient à un instant donné le Soleil, la Lune et les planètes, les anciens astrologues avaient éprouvé le besoin d'établir une division de la
circonférence céleste. Ils en avaient même plusieurs : d'abord des repères sidéraux nécessairement disposés de façon irrégulière pour jalonner dans le ciel la marche des astres mobiles et
permettre de les retrouver facilement, et en second lieu, des segments de cercle égaux, les uns de grande étendue pour répartir ces repères suivant les mois, les autres tout petits pour les
jours. Les anciens ne distinguaient pas entre ciel et année, astronomie et calendrier : quand Yu Hi découvrit la précession des équinoxes, on déclara qu'« il avait fait du Ciel le Ciel et de
l'Année l'Année ». Avant lui les Chinois voyaient dans ces deux termes les deux faces d'une même notion, et tous leurs efforts pour préciser le calendrier aboutissaient à chercher les nombres
permettant de passer constamment de l'un à l'autre.
La série des repères sidéraux est ce qu'on appelle les 28 mansions, sieou. Vingt-huit constellations avaient été choisies pour les
désigner, mais elles ne servaient guère qu'à leur donner leur nom et à permettre de les retrouver facilement dans le ciel. En réalité, les 28 mansions étaient des fuseaux d'étendue variable de la
sphère céleste mesurés sur l'équateur, mais montant jusqu'à la région polaire. Les constellations qui leur donnaient leur nom avaient si peu d'importance qu'elles n'étaient même pas toujours
entièrement comprises dans le fuseau de leur mansion. Les mansions permettaient de désigner exactement le lieu d'un astre quelconque : dire que le Soleil est dans telle ou dans telle mansion à
une certaine date, c'est dire qu'à ce moment il se trouve dans le fuseau plus ou moins large portant ce nom, indépendamment de sa situation par rapport à la constellation qui donne son nom au
fuseau.
Pour préciser plus exactement les positions des astres, on avait divisé l'équateur en petits arcs égaux chacun à l'étendue de la marche du Soleil en un jour, cette marche étant considérée comme
invariablement pareille à elle-même ; il y en avait donc 365 ¼ qu'on appelait degrés, tou. Che Chen et Kan Tö donnaient de cette façon l'étendue des mansions sur l'équateur et leur
distance du Pôle. Mais ils ne semblent pas s'être servis de cette division pour d'autres mesures que celles qui étaient faites sur l'équateur ou sur les méridiens : le degré était pour eux une
longueur fixe, rapportée à la marche du Soleil, et non comme chez les Grecs une division de la circonférence, indépendante du rayon de celle-ci ; il en résultait que les petits cercles de la
sphère, c'est-à-dire des latitudes au-dessus ou au-dessous de l'équateur, n'étaient pas divisés en degrés. Quand ils voulaient évaluer la distance entre deux étoiles, c'est en pieds et en pouces
qu'ils le faisaient. « L'écliptique est à 12 pieds au nord de (la mansion) Yi » dit le pseudo Wou-hien ; ou encore : « L'écliptique est à 13 pieds au nord de (la mansion) Tchang » ; ou encore : «
L'écliptique est à 6 pieds au nord de (la mansion) Yu-kouei ». De même Che Chen décrit en détail les quatre étoiles de la mansion Yu-kouei de la façon suivante : « L'étoile qui est à deux pieds
au sud [de la nébuleuse centrale] (δ du Cancer) est l'étoile Pièces d'étoffe entassées Tsi pou po. » De l'étoile occidentale (γ du Cancer) il dit encore : « l'étoile
qui est à 2 pieds à l'ouest est l'étoile Or et Jade entassés Tsi kin yu. » De l'étoile septentrionale (θ du Cancer) il dit encore : « l'étoile qui est à 2 pieds au nord est
l'étoile Pièces de monnaie entassées Tsi tchou ts'ien. » De l'étoile orientale (η du Cancer) il dit encore : « l'étoile qui est à 2 pieds à l'est est l'étoile Chevaux entassés
Tsi ma. L'étoile centrale (nébuleuse du Cancer) est l'étoile Cadavres entassés Tsi che. »
Il décrit encore ainsi la constellation Hien-yuan :
« Hien-yuan, qui est aussi appelé Houen-tch'ang kong, a la forme d'un dragon et d'un serpent. La constellation compte 17 étoiles. La plus brillante, juste au sud (Régulus), est la Souveraine,
Niu-tchou ; c'est la Mère, mou. L'étoile située à 6 pieds au nord de la Souveraine est la Princesse, Fou-jen ; c'est l'Écran, P'ing ; c'est le Général-en-chef,
Chang-tsiang. L'étoile située à 6 pieds au nord (de la précédente) est la Princesse secondaire, Ts'eu-fou-jen ; c'est la Reine, Fei, le général en second, Ts'eu-tsiang.
L'étoile située à 6 pieds au nord (de la précédente) est la Reine secondaire, Ts'eu-fei. Les suivantes sont les Reines, Tchong-fei. L'étoile peu brillante située à 3 pieds au
sud de la Souveraine est la Servante, Niu-yu (π du Lion) ; à 10 pieds au sud-ouest de la Servante est une étoile appelée Grandes-Gens, Ta-min : c'est la famille de
l'Impératrice-mère. À 10 pieds au sud-est de la Servante est une étoile appelée Petites-Gens, Chao-min : c'est la famille de l'Impératrice. »
Cette division en degrés aurait permis aux Chinois de se passer des mansions en comptant comme nous tout le long de l'équateur à partir d'un point fixé une fois pour toutes. Ils préférèrent
compter les degrés séparément dans chaque mansion, en partie parce qu'il était plus facile de compter à partir de divers points réels, toujours proches, qu'à partir d'un seul point, réel ou
fictif, qui aurait été le plus souvent éloigné, mais surtout pour des raisons astrologiques : à chaque mansion était attribué un territoire terrestre, et c'est à ce territoire que devaient être
rapportés les présages favorables ou défavorables qu'on tirait des faits observés dans la mansion.
La mesure en degrés de l'étendue de chacune des 28 mansions, telle qu'elle était donnée par Che Chen et Kan Tö, fut acceptée sans réservé par tous leurs successeurs : au IIe siècle a. C.,
Houai-nan-tseu l'admet, et un siècle et demi plus tard Lieou Hin ; c'est aussi celle de Lieou Hong et de Ts'ai Yong dans le seconde moitié du IIe siècle p. C. ; encore un demi-siècle plus tard
c'est celle du King-tchou li. Il faut arriver au temps des T'ang pour trouver des mesures nouvelles. Yi-hang modifia quelques chiffres pour les mettre d'accord avec ses observations ; et
depuis cette époque, les observations furent faites avec régularité. Mais auparavant, au temps des Han postérieurs, il y avait eu une tentative de modification des chiffres traditionnels pour des
raisons toutes différentes. Che Chen avait placé le lieu du Soleil au solstice d'hiver « au début de (la mansion) K'ien-nieou ». Or au IIe siècle a. C., on observa qu'il était en réalité au 22°
de Teou, ce qui, dans l'ignorance où l'on était alors de la précession des équinoxes, parut incompréhensible. Certains astrologues, en particulier l'auteur du Chang chou k'ao ling yao,
essayèrent de mettre d'accord la tradition et l'observation en modifiant l'étendue des mansions : la mansion Teou fut diminuée et n'eut plus que 22° au lieu de 26° ; ce qui rétablissait l'accord
cherché. L'ouvrage est perdu aujourd'hui, de sorte qu'on ne peut savoir comment l'auteur avait modifié l'étendue des autres mansions afin d'obtenir un ensemble cohérent ; mais il reste une liste
fondée sur un principe analogue que Lieou Hiang avait citée dans son Hong fan tchouan comme « ancienne », kou, et qui est, sinon celle du Chang chou k'ao ling yao même,
au moins un arrangement du même genre. Il avait fallu retoucher les étendues de tous les sieou pour obtenir une liste cohérente ; en particulier, l'auteur inconnu, ayant réduit Teou de
4°, a fait subir la même réduction à la mansion symétrique Tsing. Il est à peine nécessaire de faire remarquer que ce procédé arbitraire n'arrangeait en réalité rien : la précession des équinoxes
faisant rétrograder les points équinoxiaux et solsticiaux de 1° par trois-quarts de siècle environ, un observateur du Ier siècle a. C. ne pouvait trouver le solstice d'hiver au même lieu qu'un
astronome du IVe siècle a. C.
L'étendue des mansions était mesurée d'une étoile déterminatrice à une autre, l'étoile déterminatrice étant ordinairement la plus occidentale de la constellation qui donnait son nom au
sieou, mais pas toujours. Les étoiles déterminatrices jouaient donc un rôle considérable dans le système des sieou. Mais par suite de la précession des équinoxes, les positions
relatives de quelques étoiles s'étant modifiées, certaines étoiles déterminatrices se trouvèrent placées dans le secteur d'un autre sieou. Yi-hang au VIIIe siècle ayant effectué de
nouvelles mesures des sieou adopta quelques étoiles nouvelles comme déterminatrices afin de remplacer les anciennes qui ne pouvaient plus jouer ce rôle : par exemple il prit pour étoile
déterminatrice de Yi, au lieu de la « première étoile en avant » (β Hydre) l'« étoile occidentale du centre » (α Coupe) ; certains de ces changements ne furent acceptés que
difficilement ; c'est ainsi que, pour Lieou, il avait remplacé σ par δ de l'Hydre, changement qui n'était pas accepté au temps des Song, mais avait fini par l'être avant le
XVIIe siècle ; d'autres furent complètement repoussées : ainsi pour K'ouei, il avait remplacé la « grande étoile du sud-ouest » (ζ Andromède) par la « grande étoile occidentale »
(δ Andromède), mais ce choix qui retranchait 2° au sieou Tong-pi ne fut jamais ratifié. On voit que, contrairement à ce que pensait Saussure d'après les affirmations répétées de
Gaubil, les étoiles déterminatrices modernes ne sont pas toutes les mêmes que celles des Han ; toutefois aucun de ces changements n'est très important, et ils n'affectent pas les conclusions de
Biot et de Saussure sur la « correspondance diamétrale » des étoiles déterminatrices.
Une autre division dont l'importance astrologique et astronomique fut très grande à la fin des Tcheou et sous les Han fut celle de la
circonférence céleste en 12 secteurs égaux, les douze signes ts'eu. Il y a deux séries qui ne différent que par les noms et par l'origine : l'une désignée par les 12 caractères
cycliques, tseu, etc., représente les parcours mensuels du Soleil, l'autre dont chaque signe porte un nom particulier, représente les parcours mensuels de la planète Jupiter ; mais elles
ont été mises en concordance très anciennement.
La première description précise des 12 signes, indiquant en degrés leur étendue rapportée aux 28 mansions, est celle que Pan Kou a empruntée à Lieou Hin et qui par conséquent date du temps où
celui-ci travaillait au calendrier de Wang Mang entre 1—5 p. C. Comme le ciel est divisé 365¼°, chiffre non divisible par 12, Lieou Hin, pour éviter les fractions, avait donné 30° à 7 des signes
et 31° aux 5 autres ; tous les auteurs de Han adoptèrent le même procédé, avec des variantes de détail, et c'est encore celui de Houang-fou Mi au IIIe siècle de notre ère. Dès avant celui-ci
cependant, Ts'ai Yong savait qu'en principe les 12 signes étaient égaux, ce qui ne l'empêchait pas de suivre la manière de Lieou Hin.
À la différence de nos signes, les signes chinois sont restés liés aux constellations ; par suite ils se déplacent avec celles-ci suivant la précession des équinoxes, où, si on préfère l'exprimer
ainsi, les solstices et les équinoxes se déplacent au milieu d'eux. Il en résulte que les différences des places assignées au début des signes dans les mansions sont dues en principe à des
théories personnelles des divers auteurs, mais ne sont pas nécessairement en rapport avec la précession des équinoxes. Toutefois, comme les astronomes du temps des Han ignoraient la précession
des équinoxes, leurs efforts pour donner un point de départ rationnel à la série des 12 signes les ont amenés à les mettre en rapport avec les divers mois. Ils se sont en effet constamment
efforcés de placer le solstice d'hiver exactement au milieu de Si-mou... Quant à Fei Tche, la différence entre ses chiffres et ceux de ses contemporains tient en partie à des fautes de copistes
qui ont certainement déformé son texte, en partie je crois à ce qu'il a essayé de porter les mesures de Lieou Hin sur l'écliptique alors qu'elles étaient données sur l'équateur.
Les douze signes étaient déjà mentionnés dans les ouvrages de Che Chen, Kan Tö et Wou-hien : il est probable qu'ils en avaient déterminé le début et la fin exactement en degrés, quoique rien n'en
apparaisse dans les fragments subsistants ; mais il n'y a rien là d'étonnant, aucun de ces fragments n'étant spécialement consacré aux signes, qui ne sont mentionnés qu'incidemment. En fait, une
division de ce genre n'aurait eu aucune utilité si elle n'avait comporté une détermination exacte du début et de la fin de chacun des signes. Je suppose que leur système devait être le même que
celui de Lieou Hin et que c'est leur autorité qui a fait tenter de mettre en rapport les signes et le solstice d'hiver. Il n'est pas certain qu'ils aient désigné les signes par leurs noms du
cycle jovien : je n'ai retrouvé chez eux que les 12 signes cycliques, tseu etc. Mais les noms joviens existaient aux IVe et IIIe siècles a. C., car on les retrouve tous dans le Tso
tchouan et le Kouo yu.
Les phénomènes astrologiquement les plus intéressants dans la course du Soleil étaient les éclipses ; elles étaient observées régulièrement et
avaient été étudiées avec soin. L'importance du rôle de la Lune paraît avoir été connue, ce qui ne veut pas dire que l'on sût exactement la cause réelle de l'éclipse. On le savait au temps des
Han antérieurs : au milieu du Ier siècle a. C., Lieou Hiang, dans son Wou king t'ong yi, disait clairement :
« Quand le Soleil est éclipsé, cela est dû à ce que la Lune dans sa marche le cache. »
Il est vrai que l'on trouve dans le Houai-nan tseu et même encore plus tard dans le Tch'ouen ts'ieou k'ao yi yeou, l'explication mythologique par le combat des astres contre le
ki-lin. Mais il me semble difficile d'admettre que Che Chen ignorât que la Lune jouait un pôle dans les éclipses de Soleil, quand on le voit essayer d'en prévoir le jour d'après la
position relative de la Lune et du Soleil à certaines dates :
« Si le Soleil et la Lune, le 2e et le 8e mois, se lèvent au sud de (la mansion) Fang, et si, quand ils passent au méridien, ils sont en opposition, il y aura éclipse de Soleil le dernier jour du
mois. Si le Soleil et la Lune se lèvent au nord de Fang, et si, quand ils passent au méridien, ils sont en opposition, il y aura éclipse de Soleil le premier jour du mois. »
Le procédé indiqué n'a pas de valeur, mais le passage montre bien que pour Che Chen la Lune intervenait dans les éclipses de Soleil.
Mais il montre aussi que le rôle exact n'était pas connu. Che Chen admet que les éclipses ont lieu le premier ou le dernier jour du mois. Des éclipses la veille du premier jour d'un mois se
produisaient en effet à l'époque des Han et même jusque bien plus tard ; dès le temps des Han, on savait que la faute en était au calendrier, et on s'efforça de corriger celui-ci sans y réussir
tout à fait avant les T'ang. Mais il n'en était évidemment pas de même de Che Chen : en effet, il considère que ce sont les positions respectives de la Lune et du Soleil à certaines époques de
l'année qui font que les éclipses ont lieu le premier ou le dernier jour du mois ; par conséquent pour lui ce n'est pas la dénomination « dernier jour du mois » houei qui s'applique
parfois faussement, par suite d'un défaut du calendrier, à ce qui est réellement le premier jour, car dans ce cas ce serait dans des raisons calendériques et non astronomiques qu'il chercherait
la cause des éclipses au dernier jour du mois. Il est clair qu'il croit que le calendrier de son temps est exact, et que les éclipses en question arrivent réellement le dernier jour du mois. Or
le dernier jour d'un mois et le premier du suivant sont en principe le temps où la Lune est invisible, ce sont les jours de la conjonction kiao ; pour lui l'éclipse peut donc se produire
à tout moment pendant la conjonction ainsi largement définie. Il faut en conclure que, tout en reconnaissant la Lune comme cause des éclipses de soleil, il ne se rendait pas exactement compte de
ce qui se passait. Pour lui, ce n'est pas parce que la Lune s'interposait entre le Soleil et la Terre qu'elle produisait l'éclipse, c'est parce que son essence, qui est yin, l'emportait
momentanément sur celle du Soleil qui est yang, en sorte que le Soleil perdait son éclat. Cela avait lieu lorsque le Soleil et la Lune étaient proches l'un de l'autre, mais le seul fait
physique de la proximité des deux astres ne suffisait pas : il fallait encore que le yin fût en état de l'emporter sur le yang ; cette condition pouvait être remplie aussi bien
le premier que le second jour de la conjonction, c'est-à-dire le dernier jour d'un mois comme le premier du suivant. On comprend qu'avec une théorie de ce genre Kan Tö ait pu parler d'éclipses de
soleil commençant par le centre du Soleil :
« Quand une éclipse commence par le centre du Soleil, il y aura des troubles intérieurs et de grands mouvements de troupes ; on instituera un nouveau prince héritier. »
S'il avait cru l'éclipse causée par le passage de la Lune cachant le disque solaire, il aurait bien vu que l'obscurcissement ne pouvait avoir son origine au milieu du Soleil ; mais l'action du
yin pouvait naturellement commencer en n'importe quel point du Soleil, au milieu comme sur le bord.
C'est parce qu'ils croyaient l'éclipse due à une action du principe yin émané de la Lune sur le principe yang solaire que les astrologues de la fin des Tcheou admettaient
l'existence, à côté des éclipses vraies se produisant lors de la conjonction, je che, d'une autre espèce d'éclipses qui pouvaient se produire en tout temps et qu'ils appelaient des «
voilements », po. Ces voilements, suivant Kan Tö, sont distincts des éclipses :
«Quand le Soleil est voilé, po, sa couleur est rouge ou jaune ; il y a une sécheresse dans le mois ;»
mais il les considère comme de même nature, obéissant aux mêmes lois d'origine éthique et non physique, et fournissant des présages pareils.
« Le Soleil et la Lune, en franchissant un état déréglé, sont ou voilés ou éclipsés. »
La définition exacte est donnée par King Fang, un écrivain et astrologue célèbre qui vécut au milieu du Ier siècle a. C. :
« Quand il y a une éclipse, bien que le Soleil et la Lune ne soient pas en conjonction, c'est ce qu'on appelle un voilement, po ; »
et son contemporain Lieou Hiang dit de même :
« Une éclipse de soleil doit toujours se produire le premier jour du mois ; si (elle se produit et que) ce n'est pas le premier jour du mois, c'est un voilement, po. »
Et pendant ces voilements « le Soleil est rouge ou jaune, et sans éclat. » Comme il y a là un phénomène réellement observé et que naturellement ce n'est pas simplement le Soleil caché par des
nuages, il s'agit probablement de brouillards très élevés dans l'atmosphère ou d'un phénomène analogue, diminuant la lumière du Soleil sans cause apparente. Or ces voilements, King Fang les
attribue, comme les éclipses, à l'influence de la Lune :
« Bien que ce ne soit pas un temps où le Soleil et la Lune sont dans la même mansion, si le principe yin l'emporte, il voile la lumière du Soleil. De la sorte, il arrive que le Soleil ne
brille pas, mais il n'est pas éclipsé. »
Les deux phénomènes, bien que différents, appartiennent à la même catégorie ; et ce classement n'est pas dû simplement à une ressemblance purement extérieure : entre le simple affaiblissement de
la lumière du Soleil devenant jaune ou rouge dans le voilement, et l'écran opaque et obscur bien délimité que forme la Lune dans l'éclipse, il n'y a guère de rapport. Mais l'un et l'autre ont la
même cause, la supériorité momentanée du yin lunaire sur le yang solaire, une action de la Lune proche et produisant le maximum d'effet dans l'éclipse, à distance et d'effet
atténué dans le voilement.
Quant aux éclipses de lune, Che Chen et Kan Tö en ignoraient certainement la cause, car ils croyaient qu'elles pouvaient se produire tous les jours du mois.
« Quand il y a une éclipse totale (de lune) le 3e jour de la lune, cela présage le grand malheur (la mort du souverain) : l'État sera en deuil... Quand il y a une éclipse (de lune) entre le 10e
et le 15e jour de la lune, dans l'empire entier des soldats se lèveront... Quand il y a une éclipse (de lune) le 15e jour, l'État (auquel préside la Lune à ce moment) sera détruit. »
Et le commentaire ajoute que si le 14e ou le 15e jour sont la pleine lune, le présage est différent. Cela montre bien qu'on ne savait rien de la cause des éclipses de lune ; elles avaient
d'ailleurs une importance astrologique bien moindre que les éclipses de Soleil, et on les observait moins.
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Lire aussi :
- H. Maspero : L'astronomie dans la Chine ancienne.
- H. Maspero : Les instruments astronomiques des Chinois au temps des Han.
- Le Tcheou pei. Traduction et examen d'Édouard Biot.
- L. de Saussure : Les origines de l'astronomie chinoise.
- Se-ma Ts'ien : Mémoires, t. III. Les gouverneurs du ciel.