Fernand Farjenel (18xx-1918)
LE PEUPLE CHINOIS
Ses Moeurs et ses Institutions
Chevalier et Rivière, Paris, 1906 (2e édition), XI+426 pages. Première édition 1904.
Préface
Extraits : La famille chinoise - Les assemblées de commune.
Table des
matières
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On n'arrache pas en vain à un long sommeil un grand empire de plus de quatre cent millions
d'hommes ; aussi, avant même que la société chinoise ne se soit laissé entraîner dans le grand courant qui emporte les peuples vers une intensité de vie toujours croissante, on constate déjà que
la Chine est désormais devenue un facteur considérable dans l'histoire de l'humanité.
Au contact des nations occidentales, elle ne peut manquer de se transformer comme tout ce qui subit l'influence d'un milieu nouveau.
Dans quel sens s'accomplira cette transformation ? Le peuple chinois se contentera-t-il de prendre nos méthodes scientifiques et militaires, de perfectionner son industrie, de créer des armées
nombreuses, sans pour cela rejeter les vieux principes sur lesquels repose, depuis plus de quarante siècles, sa civilisation ; ou bien, se laissera-t-il complètement pénétrer par l'influence
morale de la civilisation occidentale dont la naissance et les progrès en Europe ont si profondément modifié le caractère des hommes ?
Depuis la décadence et la chute de l'Empire romain, aucune question plus grave ne s'est imposée aux préoccupations de ceux qui s'intéressent aux grands faits de l'histoire.
Pour avoir quelques lumières sur les deux directions qu'elle est susceptible de prendre, il faut la connaître telle qu'elle a été et telle qu'elle est encore aujourd'hui ; il faut pouvoir lire
dans les pensées profondes de son peuple et demander à son âme le secret de ses inconscientes aspirations.
Dans le présent ouvrage, pensant que rien ne peut mieux refléter la mentalité d'un peuple que le tableau de l'édifice moral qu'il a élevé pour abriter sa vie sociale, nous nous sommes efforcé
d'exposer ses institutions religieuses, civiles et politiques.
Bien entendu, pour faire entrer un pareil tableau dans le cadre d'un seul volume, nous avons dû nous borner à ne mettre en lumière que ce qui était indispensable pour donner une idée exacte de
l'âme chinoise. Ce livre est donc une synthèse de la vie du peuple chinois, dans le temps et dans l'espace.
Ce n'est pas que nous ayons voulu soutenir, dans ce livre, une thèse quelconque ; nous n'avons eu d'autre but que de faire un exposé fidèle de la société chinoise, considérée dans ses principes
fondamentaux et dans son développement historique, laissant au lecteur le soin d'en tirer les conclusions que son examen pourra lui suggérer.
...Nous osons espérer que ce modeste ouvrage apportera sa contribution à cette entreprise. Il n'a d'autre prétention que d'être une peinture du peuple chinois tel qu'il nous est apparu à travers
les monuments de sa littérature, de son histoire et de sa législation.
Plus d'un trait des mœurs, plus d'une disposition des lois chinoises pourront choquer la manière de voir des Occidentaux ; ce sera alors, pour le lecteur, le cas de se rappeler que, se prendre
soi-même comme règle de la perfection absolue est une mauvaise méthode critique, et de penser que le peuple chinois, tout comme les autres peuples, a le droit d'appliquer à ses institutions le
mot célèbre dans lequel Pascal a condensé l'infirmité des vues humaines lorsqu'il dit : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ».
Le mot chinois qui désigne la maison familiale est : Kia, dont le caractère idéographique
représente le porc, la victime du sacrifice abritée sous un toit ; ce terme signifie exactement « union des individus dans une même doctrine ».
Aucun mot ne peut mieux définir la famille chinoise ; car, ce qui la constitue, ce n'est pas le sang, c'est le culte. Cela est si vrai que le fils adoptif, reçu dans la religion domestique pour
en être plus tard le pontife, est considéré comme un vrai descendant des aïeux, il a tous les droits de ceux-ci ; d'autre part, la fille qui a quitté le foyer de son père pour entrer dans une
autre famille où elle offre le sacrifice aux ancêtres de son mari, devenus les siens, est désormais considérée presque comme étrangère à ses propres parents.
Cette petite communauté, à la fois naturelle et religieuse, se compose en premier lieu du père de famille, l'aîné de la branche aînée. Il est le Kia-tchang, c'est-à-dire le plus grand de la
famille. Le Kia-tchang est très exactement le paterfamilias des premiers âges de la vieille Rome ; après lui viennent ses frères, puis les fils de ses frères et, s'il y a lieu, ses
petits-enfants, arrière-petits-enfants, petits-neveux, et arrière-petits-neveux, en un mot tous les mâles qui se trouvent placés derrière lui, selon l'ordre des générations, dans la cérémonie du
sacrifice.
En second lieu viennent l'épouse, les femmes des frères, et les filles.
Il y a encore une autre catégorie de personnes qui font partie de la famille, ce sont d'abord les concubines, puis les serviteurs loués et les esclaves ; ils sont de la famille à un titre
inférieur, mais réel, parce qu'ils participent eux aussi, à la communion qui suit le sacrifice, et par suite ils possèdent dans une certaine mesure les droits et les devoirs qui incombent à des
enfants.
En fait, les personnes qui vivent sous le même toit sont nombreuses ; en moyenne un Kia compte de trente à quarante individus ; des communautés plus grandes ne sont pas rares et des clans
importants, qui ont jusqu'à 1.500 membres et plus existent en certaines régions de la Chine.
Il va de soi que les membres des clans ne demeurent pas tous dans la même maison ; mais ils sont agglomérés dans un même lieu.
Quand la famille a dû se disperser, la parenté subsiste encore, bien entendu jusqu'au huitième degré en ligne collatérale paternelle. Cette parenté étroite, est la parenté légale ; elle seule
entraîne tous les effets juridiques de l'application du terrible principe de solidarité judiciaire et du droit à la succession.
Pour compter les degrés de parenté, le Chinois ne se sert pas, comme nous le faisons, d'une appellation numérique, le degré se désigne par l'habit de deuil que l'on doit porter pour le parent
dont on veut exprimer la parenté avec soi même.
La parenté comporte ainsi, comme le deuil, cinq degrés : la parenté de la robe coupée, celle de la robe ourlée, de la robe grossière, de la robe fine, de la robe de chanvre soyeux. Tous les
rituels domestiques présentent le tableau du deuil ; ceux-ci ont une telle importance que le code les reproduit dès ses premières pages.
Ces assemblées ne sont pas des conseils municipaux élus ; une telle institution qui suppose
l'égalité des électeurs ne saurait se concevoir en Chine ; elles se composent des chefs de famille : de sorte que le conseil municipal a autant de membres qu'il y a de familles sur le territoire
de la commune. Dans les petites agglomérations isolées qui ne comprennent que trois, quatre ou cinq familles, il y a aussi un conseil des pères et un magistrat élu, c'est là une extension des
effets de la loi, nécessitée par la nature des choses. Les conseils municipaux exercent une surveillance sur les actes de ceux qu'ils ont élus ; et les plus notables des membres du conseil, les
vieillards, disent les commentaires du code , « évitent que les officiers élus ne répartissent pas les impôts avec égalité ». Les bacheliers qui font aussi partie des notables, ont le même
devoir. En somme, le peuple tout entier de l'agglomération rurale concourt par l'intermédiaire des chefs de famille à l'administration municipale ; ou plutôt, c'est le peuple lui-même, qui
administre puisque les pères sont seuls les véritables citoyens.
Les réunions de ces patriarches modernes sont loin de ressembler à celles de nos conseils municipaux, même les plus modestes.
On s'assemble dans une pagode ; quelquefois, les pères amènent avec eux leur fils aîné et l'on discute confusément.
Il n'y a point de vote ; l'esprit chinois ne s'accommode pas de la précision et de la netteté, il préfère demeurer dans le vague ; les nominations des fonctionnaires et les décisions prises, sont
l'effet d'une sorte de consultation vague de la majorité, sans qu'on compte les voix par tête. C'est le suffrage confus d'une foule, système qui permet à chacun de ne point assumer de
responsabilité, chose fort agréable à tout fils de Han, et qui est tout à fait en harmonie avec l'absence de conception de la personnalité individuelle, si remarquable chez le Chinois.
Ces assemblées ont lieu d'abord pour les nominations prescrites par la loi, et toutes les fois que l'intérêt de la commune le demande ; en général, chaque convocation a un objet. On ne fait pas
de procès-verbal des délibérations ; mais, fort souvent, on en écrit une sorte de compte-rendu succinct, que l'on affiche à la porte du temple, siège de l'assemblée populaire. Rien de tout cela
n'est prescrit par les lois, et le mode de convoquer les assemblées, d'en publier ou non des comptes-rendus, varie avec les usages locaux.
Le pouvoir central n'impose rien. Il ne s'occupe des assemblées municipales que pour leur demander d'élire les fonctionnaires dont il a besoin, pour effectuer le recouvrement de l'impôt. Elles
peuvent agir à leur guise pour tout le reste, à condition qu'on n'y tienne pas de propos séditieux. Elles imposent les familles comme elles l'entendent pour les contributions municipales, elles
font ou ne font pas telle ou telle dépense, le gouvernement n'en a cure. On doit d'ailleurs remarquer que toutes les familles intéressées sont appelées à exprimer leur avis, puisque le chef de
chacune fait partie de l'assemblée.
Les attributions de ces assemblées ne diffèrent guère de celles de nos conseils municipaux ; elles décident, puisqu'on ne peut pas dire qu'elles votent, les contributions nécessaires pour payer
les dépenses, elles pourvoient à l'entretien des temples, à l'établissement des écoles et au salaire des instituteurs, aux dépenses des fêtes publiques. Pour les dépenses extraordinaires et
imprévues, on recourt aux souscriptions volontaires, auxquelles il est, dans la plupart des cas, très difficile d'échapper, à cause de l'esprit de solidarité dont on doit faire preuve, sous peine
de perdre la face.
Elles surveillent l'administration des officiers élus et au besoin les dénoncent à l'autorité supérieure, et demandent leur changement, s'il y a lieu.
Les personnages chargés de l'administration de la commune, ne peuvent, lorsqu'ils ont été agréés par l'autorité supérieure, se soustraire à la tâche qui leur incombe, et cette tâche, surtout en
ce qui concerne le recouvrement des impôts, n'est guère agréable ; aussi, les notables et les personnes influentes font-elles tout leur possible pour y échapper. Il en résulte que la plupart du
temps, les officiers municipaux sont des personnages de mince valeur, peu considérés. Cette observation s'applique surtout aux dizainiers, ou chefs de section.
Les chefs de village et leurs auxiliaires réunissent en leur personne, comme les maires de France, le double caractère d'agents de la commune et d'agents de l'État ; mais, il va de soi, que c'est
le dernier qui l'emporte. De plus, les fonctionnaires municipaux sont divisés en deux catégories : il y a dans chaque commune une double administration. L'une dirigée par le Pao-tcheng, sorte de
syndic de la commune, assisté de ses dizainiers ; l'autre, par le Li-tchang, percepteur des taxes, administrateur du territoire, également assisté par les auxiliaires dont parle la loi. Dans les
petites communes isolées, un seul personnage cumule toutes les attributions.
PREMIÈRE PARTIE : La Famille.
I. — La Religion domestique : Les religions en Chine. — Culte des Ancêtres ; le dogme. — Croyances animistes. — Culte du foyer. — Temple
domestique. — Les Rites. — Divinations. — Le sacrifice. — Vigiles et jeûnes. — Victimes. — Tablettes ancestrales. — Rite du sacrifice. — Les Offrandes. — La Consécration. — La Communion. —
Antiquité de ce rite. — Sacerdoce familial. — Le fractionnement du culte. — Affaiblissement des croyances. — Importance de la religion des Ancêtres.
II. — La constitution de la Famille : Origine de la famille. — L'âme de la famille. — Nom. — Parenté. — Composition. — Computation des
degrés. — L'agnation. — La succession. — L'adoption : son rite, ses divers modes. — Effet de la conception chinoise de la famille. — Le livre généalogique. — Développement historique de la
famille.
III. — Les Rites familiaux : La maison. — Son plan. — Son caractère. — La maison antique. — L'Atrium. — Le temple. — Les rites domestiques. —
Objets des rites. — Prise du bonnet viril. — La cérémonie. — Prise de l'épingle. — Effets juridiques de la majorité canonique. — La mort. — Petit ensevelissement. — Grand ensevelissement. — Rites
des veilles funèbres. — La fosse. — La tablette. — Les funérailles. — L'enterrement. — Retour de la tablette de l'esprit. — Premier sacrifice. — Force des rites consacrée par la loi. — La morale
familiale. — Le Tribunal domestique.
IV. — Les Rites du mariage : But du mariage. — Age des mariés. — Prohibition. — Entremetteuses. — Fiançailles. : rites, apports, rupture. —
Empêchements. — Le contrat, son objet, sa forme. — Rite du mariage. — Obédience de l'épouse. — Antiquité du rite. — Comparaison avec les mariages grec et romain.
V. — Le Concubinat et la législation actuelle du mariage : Le concubinat. — Le mariage religieux ; ses effets juridiques quant au mari, quant
à la femme. — Violation du mariage. — Adultère. — Divorce. — Décès des époux. — Mariage d'une veuve. — Veuves chastes et fidèles. — Mariage posthume. — Mariage avec des non Chinois.
VI. — La puissance paternelle : Son caractère. — Clans. — Kia. — Étendue. — Droit de correction. — Droit de vente. — Infanticide. —
Obligations de ceux qui sont sous la puissance paternelle. — Aliments. — Injures aux parents. — Coups. — Parricide. — Du deuil. — Fin de la puissance paternelle.
VII. — La hiérarchie sociale et les rapports sociaux : Du serviteur loué. — L'esclavage. — Du pécule. — L'affranchissement. — Des hommes
libres. — Le seul citoyen. — Associations. — Vie religieuse. — Religions étrangères. — Le Christianisme. — L'édit de 1899. — Enseignement et presse. — Les privilégiés. — La noblesse. — Avantages
des nobles.
VIII. — La propriété : — La propriété antique. — Régime actuel. — Théorie. — Étendue du droit de propriété. — Diverses sortes de propriétés.
— Des titres. — Transfert. — Des modalités de la vente. — La demande du gémissant. — Donations. — Succession. — Du partage. — Des autres contrats. — Fermage. — Entremetteurs. — Propriété des
étrangers. — Des missions. — Résidents étrangers. — Propriété collective inaliénable. — De la confiscation.
DEUXIÈME PARTIE : La Cité.
IX. — Les Villes : La cité antique. — Construction rituelle des villes. — Culte des astres. — Repas sacrés et jeux martiaux. — Autres
cérémonies. — Consécrations. — Ancêtres publics. — La vie dans la cité. — Du prince. — La ville moderne. — Le ya-menn. — Du culte. — Caractère pontifical du magistrat. — Son pouvoir. — Conseil
local. — Les divers fonctionnaires subordonnés. — Les bureaux. — Le personnel inférieur. — Gendarmerie.
X. — Les Communes : Les Communes anciennes. — Leur culte. — Leur administration. — Transformation. — Apparition de la commune moderne. —
Nature de la commune. — La loi municipale. — Composition. — Qui fait partie de la commune ? — Assemblées municipales. — Attributions des assemblées. — Administration municipale. — La Capitale. —
Les Gouverneurs. — Importance du préfet.
TROISIÈME PARTIE : L'Empire.
XI. — L'Empire. Le Culte Impérial : Le Culte ancien. — Le suprême Seigneur. — Le Pontificat. — Caractère du Souverain. — Palais impérial. —
Culte du Ciel. — Du rite sacrificiel. — Sens des sacrifices. — Du Ciel. — Conception philosophique du premier principe. — Cultes secondaires.
XII. — Le Gouvernement : Sa nature. — La confession du Chef de l'État. — Censorat. — Des grands conseils. — Ministères. — Administration
provinciale. — Mandarinat. — Examens. — Expectative d'emploi. — Appointements. — Réformes avortées. — Système financier. — Fiscalité. — Dépenses. — Dette publique.
XIII. — La Justice : Le Droit. — Appréciation des fautes. — Aveu. — Solidarité des peines. — Nature des crimes. — Crimes sacrilèges contre
certains biens. — Crimes et délits ordinaires. — Procédure. — La Question. — Sentence. — Peines. — Proportionnalité des peines. — Du rachat. — Droit international privé.
QUATRIÈME PARTIE : La civilisation chinoise.
XIV. — La dualité du langage : Caractère réel de la langue parlée. — La langue écrite. — Les transformations de l'écriture. — Effets
psychologiques de l'idéographie. — Paralysie des facultés analytiques. — Influence de l'écriture sur la langue parlée. — Effets sociaux de l'écriture. — Prédominance des lettrés. — Ses
inconvénients. — Avantages de l'écriture idéographique. — Transformation future.
XV. — Le passé de la civilisation chinoise : Origines. — Comparaison avec les autres sociétés antiques. — La religion et le sacrifice. — Les
édifices. — Les principaux rites. — La législation. — Identité de la société chinoise et de la société chaldéo-assyrienne. — Le code d'Hammourabi et le droit chinois. — Période historique. — Le
mode d'évolution. — Principe conservateur.
XVI. — Le contact des deux civilisations : Immutabilité du monde chinois. — Différence des civilisations. — La caractéristique de la
civilisation occidentale. — Idées des Chinois sur notre civilisation. — Leurs sentiments sur légalité démocratique. — Leur attachement à leurs principes sociaux. — Le confucianisme. — La
pénétration occidentale. — Les vœux de réforme. — Le relèvement de la Chine et ses conséquences mondiales.