H. Doré : ... Superstitions en Chine. Deuxième partie : Le panthéon. Tome XII

Henri Doré : ... Superstitions en Chine. Deuxième partie : Le panthéon. Tome XII. Chapitres VI, Dieux protecteurs et Patrons ; VII, Dieux composites ; VIII, Divinités stellaires.  — Variétés sinologiques n° 48. Zi-ka-wei, 1918, VIII+234 pages+57 illustr.

Chapitres VI : Dieux protecteurs et Patrons. — VII : Dieux composites.
VIII : Divinités stellaires.

Variétés sinologiques n° 48, Imprimerie de la Mission catholique
à l’orphelinat de T’ou-sé-wé, Zi-ka-wei, 1918, VIII+234 pages+57 illustrations.

  • Les transcendants : chèvre, chien, mille-pattes, grenouille,... — Les esprits du lit, mâle et femelle — Niu-wa, patronne des entremetteuses pour les mariages — et parmi les dieux patrons, ceux des marchands de perruques, de lunettes, de teou-fou, de fards et parfums ; des chansonniers ambulants et diseurs de bonne aventure, des pédicures, des lieux de prostitution, de la joie, des chefs de famille.
  • Des trois frères jurés aux sept demoiselles — Les cinq Saints et les cinq empereurs — De l'habit bleu à la Poule blanche, ...
  • Le dieu du Soleil et la déesse de la Lune — Les 28 constellations, leurs divinités stellaires, leur influence sur l'état atmosphérique, le faste et le néfaste — Les mauvaises étoiles — les génies romantiques.

Extraits : 
Niu-wa répare la brèche du cielSi-che, patronne des marchands de fards et de parfums
Les cinq souverains du cielLe roi du Soleil et la reine de la LuneTchang-fei
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Henri Doré : ... Superstitions en Chine. Deuxième partie : Le panthéon. Tome XII.  Les 28 constellations.  — Variétés sinologiques n° 48. Zi-ka-wei, 1918, VIII+234 pages+57 illustr.
Les 28 constellations. L'artiste les a groupées quatre par quatre, en s'inspirant plutôt de l'esthétique que de l'ordre classique.


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Niu-wa répare la brèche du ciel

Henri Doré :  Recherches sur les superstitions en Chine. Deuxième partie : Le panthéon. Tome XII. Niu-wa répare la brèche du ciel.  — Variétés sinologiques n° 48. Zi-ka-wei, 1918.
Niu-wa travaillant à la soudure de la brèche nord-ouest du ciel.

La mère de Niu-wa s'appelait Tchou-ing et son père fut Choei-tsing-tse, l'esprit de l'eau, un des esprits des cinq éléments : or, bois, eau, feu, terre. Sa mère mit d'abord au monde Fou-hi, puis trois mois après elle donnait le jour à Niu-wa. Elle avait une longue tête surmontée de deux cornes charnues, son corps ressemblait à un escargot (Wa); de là vint l'idée de lui donner ce nom de Niu-wa, fille escargot. On l'appela encore Pao-wa et Niu-hi. Cette famille habitait alors Tch'eng-ki, et Niu-wa allait sur la montage couper du bois de chauffage.

Lorsque son frère Fou-hi fut devenu empereur, elle le suivit à Tch'en-ts'ang puis à Wan-k'ieou. Niu-wa fit remarquer à Fou-hi que les jeunes gens des deux sexes vivaient ensemble au grand détriment des bonnes mœurs, et sans règles précises ; elle lui conseilla de défendre le mariage entre personnes d'une même famille, de fixer les lois du mariage, d'abord les fiançailles par entremetteurs, les présents, puis la cérémonie du mariage, enfin d'interdire toute relation coupable avant le mariage. Fou-hi donna des ordres pour faire exécuter ces sages règlements, et fit appeler Niu-wa : l'esprit entremetteuse. Dans la suite elle fut honorée sous les noms de Kao-mei et de Niu-mei.

Fou-hi et Niu-wa, accompagnés de Ts'ang-hié, Tchong-yang et Koen-ou partirent à la recherche du génie Yu-hoa-tse, pour se mettre sous sa conduite et profiter de ses enseignements. Arrivés sur la montagne des Bambous Tchou-chan, ils y trouvèrent sans le savoir celui qu'ils cherchaient ; il ne se fit point connaître, mais leur donna des leçons ; tous le prirent pour maître. Les ayant fait asseoir sur le rocher, il dit en se tournant vers Niu-wa :

— Ces pierres fondues pourront boucher la fissure de la voûte du ciel.

Subitement les roches furent transformées en pierres de cinq couleurs diverses. Yu-hoa-tse les quitta et Fou-hi mourut peu après.

Après la mort de son frère, Niu-wa devint la souveraine du royaume et régna sous le nom de Niu-hoang. Kong-kong-che nommé K'ang-hoei leva l'étendard de la révolte, et entreprit d'inonder le territoire de Wan-k'ieou où régnait Niu-wa. La reine, pour combattre l'eau par le feu, fit appel à Mo-p'ei, descendant de Tchou-yong, et qui habitait au sud de Heng-chan ; c'était un immortel préposé au feu, il brûla tous les roseaux, les réduisit en cendres qu'il fit entasser dans les bas-fonds pour exhausser le terrain. Il réunit ensuite ses guerriers armés de torches, de flèches incendiaires, de pots de feu, tomba sur l'armée de Kong-kong qui se moquait de tous ces préparatifs, la dispersa et la mit en déroute. Kong-kong se sauva vers l'Ouest ; devant lui il aperçut une montagne d'une prodigieuse hauteur ; il monta jusqu'au sommet, où reposaient les assises des huit colonnes de pierre soutenant la voûte des cieux. Là, privé de toutes ressources, il se mit à réfléchir sur son malheureux sort qu'il compara avec sa gloire passée. Il saisit une des colonnes, la secoua avec frénésie, l'ébranla, et enfin elle s'écroula avec un coin de la voûte céleste, déchirant dans sa chute la pente sud de la montagne. Niu-wa put maintenir les pierres au moyen d'échafaudages. À la faveur de la nuit Kong-kong s'enfuit chez Koen-ou qui refusa de le recevoir. Il alla trouver Li-lien ; ce dernier le reçut avec une apparente bienveillance, puis quand il le trouva endormi la nuit suivante, il le fit lier avec des nerfs de bœuf et conduire à Niu-wa qui lui reprocha ses crimes et le tua d'un coup de sabre.

Niu-hoang résolut de se bâtir un palais à Tchong-hoang-chan (Honan, Si-hoa-hien) ; tout autour elle fit creuser un fossé profond, et élever un mur sur tout le pourtour : ce fut là l'origine première des villes murées. Les esprits de la montagne préparèrent les matériaux et exécutèrent le travail dans une seule nuit ; ce palais était féerique. La colonne céleste et un coin de la voûte du ciel, en tombant sur le versant sud de la montagne, l'avaient déchiré et cette pente restait inaccessible ; on appelait la montagne Pou-tcheou-chan : inabordable d'un côté. Les habitants de cette région étaient très éprouvés, ils voyaient au-dessus de leur tête un trou énorme, tout noir, d'où s'échappaient les vents et les pluies, ils allèrent en informer la reine. Niu-hoang se rappela alors la parole de l'immortel Yu-hoa-tse ; elle conduisit tous les habitants du pays à la montagne des Bambous, commanda de transporter toutes les pierres aux cinq couleurs, qu'elle fit disposer en cinq tas énormes au pied de la montagne de Pou-tcheou-chan ; chacun des tas était d'une couleur différente. À côté de ces amas de pierres, elle fit amonceler du bois de chauffage, puis quand se leva le vent du sud-est, elle ordonna de mettre le feu aux cinq tas de combustible, près desquels deux enfants, un garçon et une fille, activaient le feu avec un éventail. Ce feu intense fondit les rochers pendant sept jours entiers. Les pierres en fusion formèrent comme sept colonnes de vapeur incandescente montant vers le ciel ; le vent du sud-est les poussa vers la fissure du ciel au nord-ouest et la pierre en fusion y fit une soudure : ainsi fut bouchée la brèche de la voûte céleste. Niu-wa pour ce motif est souvent représentée devant un fourneau où s'opère la fusion mystérieuse des pierres aux cinq couleurs.

Elle vécut jusqu'à l'âge de 143 ans. En souvenir des lois qu'elle fit porter pour les fiançailles et pour le mariage, elle devint la patronne des entremetteuses, qui en Chine jouent un grand rôle, quand il s'agit de négocier la grosse affaire d'une union entre deux futurs conjoints.


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Si-che, patronne des marchands de fards et de parfums

Henri Doré :  Recherches sur les superstitions en Chine. Deuxième partie : Le panthéon. Tome XII. Si-che, patronne des marchands de fards et de parfums.  — Variétés sinologiques n° 48. Zi-ka-wei, 1918.
Si-che, patronne des marchands de fards et de parfums.

Keou-tsien, roi de Yué, voulait envoyer à Fou-tch'ai, roi de Ou, deux femmes d'une beauté remarquable ; sur environ deux mille jeunes filles, deux remportèrent la palme de la beauté, Si-che et Tcheng-tan. Si-che habitait un village à l'ouest de la montagne de Tchou-louo-chan ; son nom de famille était Che, et c'est de là que vient son nom, qui veut dire : la jeune Che, du village de l'ouest de la montagne. Son père était un pauvre bûcheron, et Si-che qui habitait sur les bords du Kiang allait souvent avec sa voisine Tcheng-tan laver de la soie dans les eaux du fleuve.

Keou-tsien envoya son ministre Fan-li (le célèbre Tao-tchou-kong) avec mission de lui amener ces deux jeunes filles. Il reçut deux cents onces d'or pour leur procurer des habits et des chars. Il y avait foule pour les voir, le ministre les fit monter à l'étage d'une hôtellerie et demanda une pièce de monnaie à chacun des visiteurs pendant les trois jours qu'elles restèrent. Keou-tsien alla en personne les conduire à Tou-tch'eng, 6 lis est de Koei-ki-hien, il leur donna d'excellents maîtres de musique et de danse, il leur fit apprendre tous les arts d'agrément pendant trois ans, avant de les envoyer à Fou-tch'ai. Leur éducation achevée, le roi les fit vêtir superbement ; étincelantes de diamants, fardées avec art, parfumées, elles montèrent sur deux chars parés avec un luxe étonnant, et furent conduites au roi de Ou. Tcheng-tan mourut au bout d'un an, elle fut enterrée à Hoang-mao-chan, au sud du lac T'ai-hou, où elle est honorée dans la pagode de Ngai-ki-se. Le roi commanda à Wang-suen-hiong de bâtir un superbe palais à Si-che. Aucune dépense ne fut épargnée pour l'aménagement de ce féerique séjour, l'or et les pierres précieuses y furent jetées à profusion, on lui donna le nom de Koan-wa-koan, et plus tard il fut changé en pagode ; ce serait la pagode actuelle de Ling-yen-se à Ling-yen-chan.

Les marchands de fards et de parfums l'ont prise pour patronne, parce que, raconte la légende, quand elle fut conduite au roi de Ou avec sa compagne Tcheng-tan, les parfums, dont elles étaient couvertes embaumaient l'air ambiant à dix lis à la ronde.


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Les cinq souverains du ciel

Henri Doré :  Recherches sur les superstitions en Chine. Deuxième partie : Le panthéon. Tome XII. l'empereur Noir du Nord.  — Variétés sinologiques n° 48. Zi-ka-wei, 1918.
L'empereur Noir du Nord.

Dans la plus haute antiquité nous voyons les empereurs chinois offrir des sacrifices à Chang-ti, le Très Haut, le premier souverain de l'univers. D'abord, on lui sacrifiait sur un tertre unique, plus tard, il y eut deux, trois tertres, et même quatre sous les Ts'in. Mais dans ce temps encore, on entendait sacrifier au souverain unique, à Chang-ti seul, sur ces deux, trois ou quatre terrasses. Chang-ti était regardé comme le protecteur unique des quatre régions de l'empire, et on lui avait élevé un tertre pour chacune de ces régions : C'était bien le même Être, vénéré dans quatre endroits divers. Les quatre points où se trouvaient ces terrasses étaient : le Centre, le Sud, l'Est et l'Ouest, et comme on était convenu de désigner par une couleur spéciale chacune de ces régions, le rouge pour le Sud, le jaune pour le Centre, le vert pour l'Est, le blanc pour l'Ouest, on eut ainsi : le Souverain Rouge, le Souverain Jaune, le Souverain Vert, le Souverain Blanc, suivant qu'on sacrifiait à Chang-ti dans l'une ou l'autre de ces directions.

Après les Ts'in, l'empire passa aux mains de Lieou-pang, le fondateur de la dynastie des Han. L'empereur Kao (Lieou-pang) guerrier avant tout, se préoccupait assez peu des traditions. Un jour que les lettrés lui conseillaient de rétablir le Chou-king et le Che-king, il riposta avec humour :

— J'ai conquis l'empire de dessus mon cheval, je suis devenu votre maître sans votre Che-king et votre Chou-king, qu'ai-je besoin de vos livres ?

Cependant l'empereur n'ignorait point la tradition que nous venons de rapporter à propos des Quatre Souverains, car après sa victoire sur Chang-tsié, en rentrant dans la vallée de la Wei, 205 av. J.-C., il posa cette question à ses ministres :

— À quel souverain les Ts'in faisaient-ils les sacrifices à Chang-ti ?

On lui répondit :

— Aux Quatre Souverains, au Souverain Blanc à l'Ouest, au Souverain Vert à l'Est, au Souverain Jaune au Centre, au Souverain Rouge au Sud.

L'empereur qui avait déjà résolu de changer cette manière de faire, répliqua avec une pointe de raillerie :

— Moi, j'ai ouï dire qu'au ciel il y a cinq souverains, que me parlez-vous de vos quatre Souverains ?

On ne sut que lui répondre.

— Moi je sais, continua-t-il, qu'on m'attendait pour créer le cinquième.

Et sur l'heure il créa le Souverain Noir du Nord, puis il donna ordre de lui sacrifier sur un tertre au Nord. Son fils puîné, qui régna sous le nom de Wen-ti, offrit pour la première fois le sacrifice kiao (dans la banlieue) à Yong, 165 av. J.-C. et visita les Cinq Souverains.

Grande est l'indignation des lettrés en commentant ce passage de l'histoire, ils considèrent cet acte comme un crime de lèse-tradition.

« Or, disent-ils, il n'y a qu'un seul ciel, dire qu'il y a cinq souverains, c'est émettre une proposition contraire à toute l'antiquité. »

C'est depuis l'an 165 seulement que les sacrifices impériaux ont été offerts sur les cinq tertres.

Che l'origine, la première fois, affirme l'histoire T'ong-kien-kang-mou, pour bien faire ressortir que l'empereur se rendit coupable d'une innovation contre la tradition universelle. Puisqu'il n'y a qu'un seul souverain, continue le commentaire, pourquoi dire qu'il y en a cinq ? L'empereur Wen-ti passa par-dessus les remontrances des lettrés, et pour bien affirmer sa volonté, il érigea un temple spécial au cinq Souverains, au Nord de la Wei. Désormais plus de doute, ce n'est plus un seul Souverain Chang-ti qui est honoré sur les cinq esplanades du Nord, du Sud, de l'Est, de l'Ouest et du Centre, mais bien cinq souverains distincts, cinq dieux. Les derniers vestiges du monothéisme étaient officiellement effacés.

L'an 32 av. J.-C., l'empereur Tch'eng-ti, sur les instances réitérées du lettré K'oang-heng, supprima cette innovation antitraditionnelle, mais l'empereur Ngai-ti, l'an 5 av. J.-C., la remit en vigueur à l'occasion d'une maladie qui vint l'affliger. Donc à l'avènement du Christ, le polythéisme était définitivement et officiellement reconnu en Chine. Ces cinq divinités sont encore connues de nos jours, et les tao-che dans certaines de leurs cérémonies, les prient quand ils affichent leurs pétitions aux quatre points cardinaux et au centre. Le Si-yeou-ki fait mention de ces souverains du ciel.


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Le roi du Soleil et la reine de la Lune

Henri Doré : Recherches sur les superstitions en Chine. Deuxième partie : Le panthéon. Tome XII. Le roi du Soleil et la reine de la Lune.  — Variétés sinologiques n° 48. Zi-ka-wei, 1918.
Les 2 statues de la pagode Tong-yo-miao. T'ai-in-hoang-kiun, l'esprit de la Lune. T'ai-yang-ti-kiun, l'esprit du Soleil.

Tch'e-tsiang-tse-yu, le roi du Soleil, vécut sous le règne du premier Hien-yuen-hoang-ti, qui le nomma intendant de tous les travaux de construction et d'ameublement.

Lorsque Hien-yuen entreprit le voyage de la montagne de Ngo-mei-chan, Tch'e-tsiang-tse-yu demanda et obtint la permission de l'y accompagner. Leur but était de s'initier à la doctrine de l'immortalité.

Le génie qui habitait cette célèbre montagne était T'ai-i-hoang-jen : ce fut lui qui donna des leçons à l'empereur, puis quand le souverain fut sur le point de repartir, il le pria de bien vouloir laisser Tch'e-tsiang-tse-yu sur la montagne avec lui. Le nouveau solitaire allait tous les jours sur la montagne cueillir des plantes en fleur qui constituaient la seule alimentation de son maître T'ai-i-hoang-jen, lui-même se mit aussi à manger de ces fleurs et son corps se subtilisait peu à peu.

Un jour T'ai-i-hoang-jen l'envoya couper des bambous sur le sommet de la montagne de Ngo-mei-chan, éloigné de plus de trois cents lys du lieu qu'ils habitaient. Quand il fut arrivé au pied du pic, soudain trois pointes vertigineuses se dressèrent devant lui, même les singes ou les animaux sauvages n'osaient s'y aventurer. Il s'arma de courage, grimpa sur la pente abrupte, et à force d'énergie parvint au sommet. Il coupa ses bambous, puis voulut descendre, mais le rocher était taillé à pic de tous côtés, comme un mur, pas le moindre sentier praticable. Tch'e-tsiang-tse-yu, chargé de ses bambous, se précipita dans le vide, porté sur l'aile des vents ; il se trouva sain et sauf au bas du pic, et courut porter ses bambous à son maître. De ce fait, il fut jugé assez avancé pour être admis à écouter ses leçons.

L'empereur Yao, la 12e année de son règne, 2346 av. J.-C., rencontra un jour dans les rues de Hoai-yang un homme portant un arc et des flèches ; une bande d'étoffe rouge était enroulée autour de son arc : c'était Tch'e-tsiang-tse-yu. Il dit à l'empereur qu'il était archer habile, et pouvait voler en l'air porté par les vents. Yao, pour s'assurer de son adresse, lui ordonna de décocher une de ses flèches dans un sapin, au haut d'une montagne voisine. Le génie tira une flèche qui transperça l'arbre de part en part, puis monta lui-même sur une rafale de vent et alla chercher sa flèche. L'empereur lui donna alors le surnom de Chen-i, archer divin, l'emmena avec lui, puis lui conféra la fonction d'ingénieur en chef de tous les travaux en bois. Il ne mangeait plus de céréales, les fleurs étaient sa seule nourriture.

Des calamités terribles désolaient alors tout l'empire : dix soleils apparurent dans les cieux, dardant leurs rayons embrasés sur les moissons qui étaient brûlées sur pied ; des ouragans et des typhons déracinaient les arbres et renversaient les maisons ; des inondations ravageaient les pays du Nord, les fleuves sortis de leurs lits submergeaient les campagnes. Dans les parages de Tong-t'ing, un serpent long de mille pieds dévorait les gens, enfin des sangliers d'une taille énorme causaient de grands dommages dans les contrées de l'Est. Yao ordonna à Chen-i d'aller tuer tous les diables et les monstres, auteurs de tant de désastres, il lui donna trois cents hommes pour exécuter ce projet.

Chen-i alla se poster à l'est sur la montagne de Ts'ing-k'ieou, afin d'étudier la cause des coups de vent violents qui s'abattaient sur le pays : il reconnut que ces ouragans étaient déchaînés par Fei-lien, l'esprit des vents qui sous la forme d'une poche soufflait la tempête. Ce combat épique a déjà été raconté ; Fei-lien terrassé demanda grâce, jura fraternité avec son vainqueur, et les ouragans cessèrent.

Après cette première victoire, Chen-i conduisit sa troupe sur les rives du fleuve Si-ho à Lin-chan. Ses perquisitions l'amenèrent à découvrir que sur chacun des trois pics voisins, neuf oiseaux extraordinaires soufflaient du feu, et formaient dans le ciel neuf soleils. Chen-i lança neuf flèches, transperça les oiseaux, à l'instant les neuf faux soleils se fondirent en nuages rouges et se dissipèrent. Chen-i et sa troupe se mirent à la recherche des neuf flèches, ils les trouvèrent enfoncées dans neuf pierres rouges, au sommet des montagnes.

Chen-i conduisit sa petite troupe à Kao-liang où les eaux du fleuve formaient un immense torrent, il tira une flèche dans la masse d'eau, qui instantanément remonta vers sa source. Dans les flots il aperçut un homme tout habillé de blanc, montant un cheval blanc et accompagné de douze serviteurs ; vite il lui décoche une flèche dans l'œil gauche, et le cavalier s'enfuit rapidement. Une jeune femme l'accompagnait, et s'enfuyait éperdue, c'était la sœur cadette de Ho-pé, l'esprit des eaux, elle se nommait Heng-ngo. Chen-i lui planta une flèche dans son chignon, la jeune femme se retourna et remercia le génie de lui avoir fait grâce de la vie :

— Je consens à être votre épouse, ajouta-t-elle.

Déjà T'a-i-hoang-jen lui avait prédit cette rencontre, il l'emmena donc avec lui, et après avoir rendu compte de ses succès à l'empereur Yao, il se maria avec elle.

Trois mois déjà s'étaient écoulés depuis les fêtes du mariage, Yao commanda à Chen-i de se remettre en campagne pour tuer le serpent de Tong-t'ing. Il perça l'œil gauche du monstre avec une flèche, et le tua raide. Il employa ensuite sa petite troupe à confectionner des filets qu'il fit tendre dans les défilés, puis la nuit venue les sangliers s'y engagèrent sans défiance, les soldats les tuèrent tous.

Au retour de ces expéditions heureuses, l'empereur Yao lui accorda le titre de marquis pacificateur des campagnes.

T'ai-ou-fou-jen, la troisième fille de Si-wang-mou

Vers cette époque, T'ai-ou-fou-jen s'était retirée dans un ermitage de la montagne de Nan-min-chan, au nord de Lô-feou-chan, où se trouvait le palais de sa mère. La jeune ermite montait un dragon pour aller rendre visite à sa mère, mais sur tout son parcours, elle laissait comme un sillage lumineux dans les airs. Un jour l'empereur Yao du haut du mont K'ing-yun-chan vit cette traînée de lumière, et appela Chen-i pour lui demander la cause de ce phénomène insolite. Le génie monta sur la colonne d'air qui produisait le sillage, se laissa porter au gré des vents et fut transporté sur la montagne de Lô-feou-chan, devant la porte de la montagne, qui était gardée par un monstre transcendant. Dès que Chen-i se présenta, le monstre rassembla des phénix et des oiseaux de grande taille qu'il lança sur le visiteur importun. Une flèche les mit à la raison, ils s'envolèrent, puis une porte s'ouvrit, une dame suivie d'une dizaine de servantes se présenta ; c'était Kin-mou en personne. Chen-i lui fit une prostration, lui indiqua en deux mots la raison de sa visite imprévue, puis fut introduit dans le palais de la déesse, où il fut fêté.

— J'ai appris, lui dit Chen-i, que vous avez ici des pilules d'immortalité, je vous prie de bien vouloir m'en donner une ou deux.

— Vous êtes un architecte de renom, reprit Kin-mou, je vous prie moi aussi de me bâtir un palais à mi-côte de cette montagne.

Ensemble ils allèrent examiner un site merveilleux nommé Pé-yu-koei-chan : la montagne de la blanche tortue de jade, et ils le choisirent pour l'emplacement du nouvel élysée. Tous les esprits de la montagne furent convoqués et travaillèrent sous la direction de Chen-i. Les murs furent construits en pierres de jade, des bois odoriférants servirent pour la charpente et les boiseries, le toit fut en verre, et des pierres d'agathe formèrent le perron. Avant un demi-mois, seize palais juxtaposés s'étalaient avec magnificence sur le versant de la montagne. Kin-wang-mou donna à son architecte une pilule merveilleuse qui lui conférerait l'immortalité et lui donnerait la faculté de voler dans les airs, absolument à son gré.

— Seulement, ajouta-t-elle, il ne faut pas la manger maintenant, une préparation alimentaire, et des exercices répétés pendant une année doivent précéder, sans quoi elle ne produirait pas tous ses effets.

Chen-i remercia la déesse, prit congé d'elle, et retourna auprès de l'empereur à qui il raconta tout ce qu'il venait de voir.

De retour dans sa demeure, l'archer cacha sa précieuse pilule sur une poutre, de peur qu'on ne vînt à la trouver, puis il se mit au régime pour se préparer à l'immortalité.

Sur ces entrefaites il parut dans le Sud un homme étrange, nommé Tsouo-tch'e, Dent en ciseau ; il avait des yeux ronds et une longue dent en saillie, c'était un malfaiteur insigne. Yao envoya Chen-i et son petit corps de braves combattre ce nouvel ennemi. Cet homme extraordinaire habitait une grotte ; à l'arrivée de Chen-i et des siens, il sortit de son antre, brandissant un cadenas. Chen-i lui brisa sa longue dent d'un coup de flèche. Tsouo-tch'e jette son cadenas et veut fuir, mais une seconde flèche lui perce le dos et l'étend à terre. Le vainqueur emporta la dent brisée comme trophée de sa victoire.

Heng-ngo, pendant l'absence de son mari, vit une lueur blanche qui semblait sortir de la poutre de la maison, une odeur des plus suaves embaumait tout l'appartement ; à l'aide d'une sorte d'échelle, elle se hissa jusqu'à l'endroit d'où elle semblait sortir, elle trouva la fameuse pilule et la mangea. Elle sentit subitement tout son corps presque affranchi des lois de la pesanteur, comme si des ailes lui étaient poussées et allait s'exercer à voler, lorsque Chen-i revint de son expédition. Il eut beau chercher sa pilule, il ne la trouva plus, alors il demanda à Heng-ngo ce qu'elle était devenue.

La jeune épouse saisie de crainte, ouvrit la fenêtre et s'envola dans les airs. Chen-i saisit son arc et la poursuivit. La lune brillait dans son plein, la nuit était des plus pures, il voyait son épouse fuir rapidement devant lui, elle avait à peu près la grosseur d'un crapaud. Au moment où il redoublait de vitesse pour la rejoindre, un coup de vent l'abattit sur terre comme une feuille morte.

Heng-ngo montant toujours arriva dans une sphère lumineuse, brillante comme du verre, immense et très froide ; pour toute végétation elle n'y trouva que des canneliers, pas un être vivant. Tout à coup ses voies respiratoires se trouvèrent bouchées, elle vomit l'enveloppe de la pilule matrice d'immortalité, qui fut changée en un lapin blanc comme la jade la plus pure, c'est l'ancêtre de la transcendance du In. Heng-ngo sentit de l'amertume dans sa bouche ; elle but de la rosée, quand elle eut faim elle mangea de la cannelle, elle fixa sa demeure dans cette sphère.

Quant à Chen-i il fut transporté par l'ouragan jusque sur une haute montagne, se trouva devant la porte d'un palais, où on l'invita à entrer, c'était le palais de Tong-hoa-ti-kiun ou en d'autres termes, de Tong-wang-kong.

Le dieu des Immortels dit à Chen-i :

— Vous ne devez pas vous irriter contre Heng-ngo, le destin de chacun est fixé, votre labeur touche à sa fin, vous allez devenir immortel. C'est moi qui ai déchaîné ce cyclone pour vous apporter ici ; Heng-ngo grâce à l'emprunt qu'elle a fait des forces qui vous étaient dues, est maintenant immortelle dans le palais lunaire. Pour vous, vous avez bien mérité en combattant contre les neuf faux soleils, il convient que vous receviez en récompense le palais solaire : ce sera le mariage du in et du iang.

Ceci dit, Tong-hoa-ti-hiun commanda à ses serviteurs d'apporter un gâteau rouge de salsepareille de Chine, avec un talisman lunaire.

— Mangez ce gâteau, reprit-il, il vous préservera contre le feu du foyer solaire, en portant sur vous ce talisman vous pourrez aller à volonté dans le palais lunaire de Heng-ngo mais la réciproque n'est pas vraie, votre épouse n'aura pas accès dans le palais solaire.

C'est pour ce motif que l'éclat de la Lune naît de la réflexion du Soleil et son décours de l'éloignement du Soleil, de sorte que la Lune est brillante ou obscure selon que le soleil vient ou s'en va. Chen-i mangea le gâteau de salsepareille, se colla le talisman sur le corps, remercia le dieu, et se prépara à partir. Tong-wang-kong lui dit :

— Le Soleil se lève et se couche à des heures fixes, vous ne connaissez pas encore les lois du jour et de la nuit, il vous faut absolument emporter l'oiseau aux plumes d'or, qui chantera pour vous avertir de l'heure exacte du lever, du midi et du coucher du soleil.

— Où se trouve cet oiseau ?, demanda Chen-i.

— C'est celui que tu entends crier ia ! ia ! C'est l'ancêtre de la transcendance du yang ; à force de manger le principe actif du Soleil, il a pris la forme d'un oiseau à trois pieds, qui se perche sur l'arbre Fou-sang au milieu de la mer de l'Est. Cet arbre a plusieurs dix milliers de pieds de haut, et est d'une grosseur prodigieuse. Il se tient près du bassin de l'aurore, et le matin dès qu'il voit le Soleil prendre son bain, il pousse un cri qui ébranle le ciel et réveille tous les hommes, c'est pourquoi j'ai ordonné à Ling-tchen-tse de le mettre en cage à T'ao-hoa-chan, sa voix est devenue moins stridente. Va le prendre et porte-le dans le palais solaire, alors tu connaîtras toutes les lois du mouvement diurne.

Il écrivit un talisman qu'il devait présenter à Ling-tchen-tse afin qu'il ouvrît la cage et lui remît l'oiseau doré.

Ling-tchen-tse en voyant le talisman, ouvrit la cage ; cet oiseau aux plumes dorées avait une voix sonore et un port majestueux.

— Tout oiseau, dit-il, dont le regard se rencontre avec le sien est fécondé, et des œufs qu'il pond naissent des petits à la crête rouge, qui lui répondent chaque matin dès qu'il se met à chanter. On l'appelle vulgairement le coq du ciel, et les coqs d'ici-bas qui chantent matin et soir sont les descendants de ce coq céleste.

Chen-i monta l'oiseau céleste, traversa l'atmosphère et arriva sur le disque du Soleil juste à midi ; il se trouva transporté au milieu d'un horizon immense, grand comme la Terre, et ne sentait aucunement le mouvement rotatoire du Soleil. Là il jouissait sans souci et sans trouble. La pensée des heures délicieuses passées en compagnie de son épouse Heng-ngo revint à son esprit, et porté sur un rayon solaire il vola jusqu'à la Lune, vit les canneliers et l'aspect glacé de l'horizon, arrivé à un lieu très retiré, il y trouva Heng-ngo assise toute seule. Elle voulut fuir à son approche, mais Chen-i s'avança, lui prit la main, et la rassura.

— Maintenant, lui dit-il, je suis dans le palais du Soleil, que le passé ne te trouble plus.

Chen-i coupa des canneliers pour en faire des bois de construction, tailla des pierres précieuses et construisit un palais ; il grava ces mots au frontispice : Koang-han-hong Palais de l'immensité glacée. Depuis lors, tous les mois le quinze de la lune, il vient la visiter dans son palais et c'est la conjonction du in et du yang, du principe masculin et du principe féminin, qui donne naissance au vif éclat de la Lune à cette époque.

Chen-i de retour dans son royaume solaire, y construisit un merveilleux palais, qu'il nomma : palais du parc solitaire.

À partir de cette époque le Soleil et la Lune eurent chacun leur souverain. Cette constitution date de la 49e année du règne de Yao.

On avertit l'empereur que Chen-i et son épouse étaient tous deux montés au ciel, le vieil empereur fut très affligé de perdre cet homme qui lui avait rendu tant de services signalés ; il lui accorda le titre posthume de tsong-pou, gouverneur des campagnes.


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Tchang-fei

À la porte du Nord, hors les murs de Jou-kao, il y a une pagode appelée San-i-ko, temple des trois frères jurés, où sont honorés Lieou-pei, Koan-ti et Tchang-fei, qui se jurèrent mutuelle assistance dans le verger de pêchers de Tchang-fei, avant de se mettre en campagne contre les Turbans jaunes.

Tchang était son nom de famille, il avait pour nom personnel Fei, et pour prénom I-té ; ce colosse, haut de huit pieds et d'une force herculéenne, était originaire de Tchouo, où il possédait de riches propriétés ; il tenait aussi une boucherie et un débit de vin. Ce fut dans son verger de pêchers que les trois amis se jurèrent une éternelle fraternité, 189 ap. J.-C., la première année de l'époque dite Tchong-p'ing. Après s'être fabriqué une cuirasse et des armes, ils travaillèrent activement aux préparatifs de l'expédition contre les Turbans jaunes ; cinq cents villageois furent enrôlés, et Tchang-fei commença à les armer à ses frais.

Les Annales des Trois royaumes sont remplies du récit de ses hauts faits ; nous en glanerons quelques-uns à titre d'exemples. Tchang-fei enfermé dans la ville de Siu-tcheou, et assiégé par une armée ennemie, s'était enivré, il gisait ivre mort. Ses hommes le réveillèrent ; le danger était imminent, Liu-pou avait ouvert les portes de la ville et les ennemis étaient entrés. L'imminence du péril le tire à moitié de son inconscience, il se réveille furieux, se jette sur sa lance longue de 18 pieds, monte à cheval et aperçoit les cavaliers de Liu-pou. Son état d'ivresse paralyse trop ses forces pour qu'il puisse les attaquer de front, mais Liu-pou qui connaissait par expérience sa bravoure n'osa pas le charger à fond et le pousser à bout. Dix-huit officiers fidèles entourent Tchang-fei, lui font un rempart de leurs corps et parviennent à le faire sortir de la ville par la porte de l'Est. Ts'ao-pao remarqua la faiblesse de son escorte, et sachant par ailleurs qu'il était ivre, il se précipita à sa poursuite avec une centaine de cavaliers. Tchang-fei se voyant serré de près, se retourne contre ses agresseurs, les accule au bord d'une rivière, perce Ts'ao-pao d'un coup de lance et le jette dans la rivière où il mourut noyé avec son cheval.

Lieou Pei envoya Tchang-fei, Koan-ti, Tchou-ling et Lou-tchao avec une armée de cinquante mille hommes livrer combat aux deux généraux ennemis Ki-ling et Yuen-chou. Le combat s'engagea près de la ville de Siu-tcheou ; on dut le succès de la journée à la vaillance de Tchang-fei qui attaqua le général Ki-ling, et lui perça le corps de part en part. Les troupes ennemies se voyant privées de leur chef se débandèrent.

Dans une autre bataille mémorable livrée à Sin-yé, Koang-ti commandait l'aile gauche, et Tchang-fei l'aile droite ; le général Liu-siang, chargé vigoureusement par la cavalerie de Koan-kong, s'était retiré dix lys plus loin. Tchang-fei tombe sur lui, massacre son armée et l'étend mort sur le champ de bataille.

Lieou Pei pour récompenser les loyaux services de son compagnon de fortune, nomma Tchang-fei chef d'intendance des convois et de la cavalerie, l'honora du titre de marquis des provinces de l'Ouest et le créa préfet de Lang-tchong. À peine venait-il d'être promu à cette haute position qu'il apprit la mort de son malheureux compagnon Koan-ti ; des larmes de sang coulèrent de ses yeux, il fut inconsolable. Ses généraux connaissant son faible pour le vin, lui en donnèrent en abondance, mais l'ivresse le rendait plus furieux encore. Quiconque s'avisait de le contredire était fouetté rudement, et bon nombre moururent sous les coups. Il fixa un laps de trois jours pour tous les préparatifs de deuil ; au bout de ce temps, les drapeaux blancs, les cuirasses blanches et les vêtements de deuil pour l'armée entière devaient être confectionnés. Deux officiers secondaires, Fan-kiang et Tchang-ta chargés des fournitures de l'armée, s'avisèrent de lui représenter l'impossibilité d'exécuter ce travail dans un si court espace de temps, et le prièrent de prolonger un peu le temps fixé. Tchang-fei entra dans une violente colère et s'écria :
— Je voudrais dès demain fondre sur l'ennemi pour assouvir ma vengeance.

Il commande à ses soldats d'attacher les deux officiers à un arbre et de leur donner cinquante coups de fouet.
— Si demain soir, ajouta-t-il, tout n'est pas préparé je vous ferai couper la tête.

De retour au camp, les deux petits officiers vomissaient le sang à pleine bouche, parce qu'ils avaient été trop durement battus. « Que faire ?, se dirent-ils. Impossible de terminer ces préparatifs pour demain soir, il ne nous reste plus qu'à tuer Tchang-fei ou à mourir. »
— Et le moyen de l'aborder ?, reprit l'autre.
— Quand il sera ivre, peut-être pourrons-nous réussir. Si nous le trouvons ivre c'est une chance de salut; s'il n'est pas ivre, c'est que le destin a fixé notre malheureuse destinée.

La nuit venue, armés d'un poignard soigneusement dissimulé dans leurs habits, ils vont droit à la tente de Tchang-fei, sous prétexte de lui communiquer un secret de haute importance ; il venait justement de noyer son chagrin dans de trop copieuses libations, et il s'était étendu sur son lit dans un état d'ivresse absolue. Les deux officiers, d'abord impressionnés par son aspect féroce, n'osaient le frapper, mais enfin, l'entendant ronfler comme un tonnerre, ils s'armèrent de courage, s'approchèrent du lit, et lui percèrent le cœur d'un coup de poignard ; il exhala un profond gémissement et tomba inanimé. Les deux assassins lui coupèrent la tête, et s'enfuirent prestement avec une dizaine de leurs amis, vers le camp ennemi qui se trouvait à Tong-ou.

Ainsi mourut Tchang-fei, ce géant farouche, mélange singulier de franchise et de férocité, grand batailleur et grand buveur, si nous en croyons la légende.

Henri Doré : Recherches sur les superstitions en Chine. Deuxième partie : Le panthéon. Tome XII. Yo-fei/Ou-mou-wang, vénérable roi guerrier.  — Variétés sinologiques n° 48. Zi-ka-wei, 1918.
Yo-fei, honoré sous le titre de Ou-mou-wang, vénérable roi guerrier.


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