Georges Cordier (1872-1936)
FOLKLORE DU YUNNAN
Jeux d'enfants et chansons diverses
Bulletin de l'École française d'Extrême-Orient, Paris, 1928, tome 28, pages 349-440.
- Introduction : "Nous donnons aujourd'hui, ici, une brève étude sur les jeux d'enfants, les chansons enfantines, les mélopées villageoises, les chants militaires. On pourrait croire qu'il est aisé de recueillir les chansons ou de noter les jeux des enfants et qu'il n'y a pour cela qu'à observer ou écrire. Ce genre d'investigation présente pourtant quelque difficulté. Il ne faut point songer, par exemple, à s'assurer le concours des lettrés. Ceux-ci, quand on réclame leur aide pour de pareils travaux, sourient avec condescendance."
- "À l'école, les enfants ne se divertissent pas ; ou s'ils s'amusent, c'est contraints par la règle de l'établissement... Le milieu familial ne contribue pas davantage à donner au jeune Chinois un caractère gai, une allure primesautière... Tout concourt, tant dans la famille qu'à l'école ou dans la société, à faire du jeune Chinois un être vieilli avant l'âge. Ce que nous disons là s'entend surtout des enfants des villes ; il reste heureusement ceux des campagnes, qui sont un peu moins comprimés."
- "Aucune anthologie chinoise ne traite de cette matière... Dépourvu de livres et de guide, il faut travailler seul, donc s'armer de patience. Je me suis adressé à mes anciens élèves, partis dans l'intérieur pour y occuper des emplois ; et, de-ci de-là, des cahiers de notes recueillies sur place m'ont été adressés. D'autres ont fait appel à leur mémoire et ont bien voulu noter des chansonnettes dont ils se souvenaient. En possession de tous ces envois, je les ai rapprochés et colligés pour obtenir un texte définitif renfermant le minimum d'erreurs possible. Même travail pour les chants villageois, qui ont été récoltés, eux aussi, à travers les différents districts de la province."
Extraits : Introduction, suite - Jeux d'enfants - Chansons d'enfants - Chansons villageoises
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Dès la naissance, le filet impitoyable des rites emprisonne l'enfant dans ses mailles
serrées et détruit chez lui toute spontanéité, tout geste instinctif : il faut s'incliner de cette façon devant les parents, de cette autre devant le maître ou un ami ; pour un anniversaire, il y
aura telle inflexion du corps, pour un autre, telle génuflexion. Puis la cohabitation des grands-parents, parents et enfants, chacun ayant sa propre famille, amène de continuelles criailleries,
des disputes, voire même des batailles ; et ces scènes pénibles font peser sur tous les membres de la communauté une atmosphère de tristesse et de contrainte.
Par ailleurs, la vie en Chine, pour la majorité des individus, reste incertaine, et l'on y voit peu de gens satisfaits. Les jours heureux, en tout cas, y sont de trop courte durée pour effacer le
souvenir des ruines et des deuils accumulés depuis une cinquantaine d'années par la guerre et la piraterie. Depuis la fin de l'Empire, aussi, les passions se sont exacerbées, avec la lutte des
partis politiques ; chaque faction au pouvoir n'a pu s'y maintenir que par le terrorisme que fait peser sur la population une armée d'espions. Il en existe plusieurs centaines, m'a-t-on affirmé,
pour la seule ville de Yun-nan-fou. Aussi recommande-t-on sans cesse aux enfants de ne rien dire de ce qu'ils ont vu ou entendu à la maison ; on les condamne à porter en eux de lourds secrets, à
devenir renfermés, à dissimuler. Enfin, il faut le dire, le Yunnan reste un pays pauvre et de peu de ressources ; on y habitue donc, dès le plus jeune âge, l'enfant, rentré de l'école ou en
congé, à aider aux travaux de la maison : il va faire des achats, procède aux encaissements à domicile, remplace ses parents au comptoir. Tout ceci tend à donner, non seulement aux garçonnets,
mais encore aux simples bambins, un air de gravité comique, qui les transforme en précoces vieillards ou, tout au moins, exagère en eux le sentiment de leur importance. Puis, avec l'instruction
obligatoire, l'enfant qui va à l'école s'entend dire et répéter que la rénovation de la patrie dépend de lui, qu'il est appelé à délivrer son pays du joug des étrangers, à le rendre libre, à en
faire une grande nation. Ne va-t-on pas jusqu'à les obliger à assister à de longues conférences populaires sur les fameuses « hontes nationales » et l'impérialisme des Blancs ! De là à ce que
notre moutard se croie investi de la plus haute mission, il n'y a qu'un pas, bien vite franchi. Aussi faut-il voir avec quelle componction des mioches hauts de soixante centimètres défilent dans
les rues, un drapeau à la main, les jours de manifestation !
...Les chansons enfantines que nous donnons ici ne se révèlent pas plus puériles que les morceaux analogues chantés partout à travers le monde. Compositions populaires et non œuvres de lettrés,
leur versification demeure aussi faible que celle du Bon roi Dagobert ou de Malborough s'en va-t-en guerre. Le mariage des filles semble un des thèmes les plus recherchés, et nous pouvons ainsi
voir quels sont les cadeaux imposés, par l'usage, au fiancé. Curieuse aussi est la chanson des Sites du Yunnan, car elle nous donne un aperçu des principaux produits de cette province et des
lieux où on les trouve.
Les mélopées villageoises consistent, pour la plupart, en quatrains alternés, le second fournissant la réponse au premier. Ce sont généralement des couplets que filles et gars de la campagne se
lancent en défi, alors qu'ils peinent aux champs, occupés aux travaux d'aménagement des rizières ou à la récolte de la moisson. On les entend encore, ces chants, les jours de marché, sur les
routes, quand les files de paysans et paysannes s'en vont à la ville ou au bourg voisin. Mais ils sont surtout en honneur dans les longues veillées d'hiver ou lors des cours d'amour organisées au
moment des fêtes de village, réunions qui ressemblent fort aux hát trong quàn en usage au pays d'Annam et au then ou sen des Thò. Ce qui montre encore que ces chansons sont du genre duo, c'est
l'alternance des expressions petite sœur ou petit frère qui se retrouvent dans les quatrains, comme aussi la répétition, au 1er vers du 2e quatrain, de l'idée exprimée au 1er vers de la strophe
précédente.
Dans ces pièces, bien entendu, le thème le plus commun est l'amour heureux ou contrarié ; nous avons aussi des demandes de rendez-vous, des échanges de cadeaux, des annonces de départ, des
plaintes d'amants délaissés ou d'amoureuses déçues. Toutes abondent en détails pittoresques sur la vie champêtre.
Assigner une date à ces compositions serait bien difficile. Les unes paraissent de création toute récente, lorsqu'elles parlent, par exemple, du gouverneur militaire du Yunnan ; d'autres, qui
mentionnent le rhinocéros, doivent forcément appartenir à une époque plus reculée, à une période où les anciens n'avaient pas encore perdu le souvenir — transmis par la tradition — de cet animal.
Ne trouve-t-on pas une allusion au rhinocéros dans la légende qui se rapporte à l'édification de la pagode de Kiong-ch'ou sseu, connue des Européens sous le nom de Temple des 500 génies et qui
remonte à l'époque de T'ai-tsong des Tang (627-649) ?
Avec ces morceaux, dont la prosodie laisse parfois beaucoup à désirer, il est certain que nous nous trouvons en présence de poésies dont les auteurs, bien que campagnards, n'en sont pas moins
allés à l'école et ont quelque teinture de lettres. Et ceci se reconnaît aux réminiscences de phrases empruntées aux recueils littéraires : « Imitons le pin et le cyprès éternellement verts » ; «
Les saules au bord de la rivière poussent par rangées parallèles » ; « Les pieds bandés sont des pivoines », etc.
D'autres, par contre, se révèlent comme particulièrement réalistes, et piquants sont les détails qu'ils nous apportent sur le costume des femmes, les cadeaux échangés, les soins touchants, mais
un peu terre à terre, de l'amoureuse pour son galant, ce dernier n'hésitant pas, s'il est nécessaire, à se faire héberger et nourrir par son amie. Dans l'ensemble, ces chants nous montrent que la
Chinoise, comme la plupart de ses sœurs asiatiques d'ailleurs, n'est pas d'une vertu farouche et que jeunes filles ou femmes mariées savent provoquer des rendez-vous, laisser leur porte ouverte à
leurs amants et berner leurs maris dont elles vont parfois jusqu'à souhaiter la mort.
1. K'i tchou ma.
Chevaucher le cheval de bambou. — Jeu des tout petits qui galopent à la queue leu leu, un bambou entre les jambes.
2. Yu t'iao long men. Le poisson franchit la porte du dragon. — Deux des joueurs viennent s'asseoir l'un en face de
l'autre et placent leurs jambes de façon à former un losange. Les autres enfants se rangent en file, l'un derrière l'autre, sur la droite. Le premier de la rangée met son pied droit dans l'aire
du losange, puis essaie de placer le pied gauche à côté du droit. À ce moment, les deux enfants assis s'opposent à ce projet en levant leurs jambes. S'ils réussissent, c'est-à-dire s'ils touchent
le pied qui va pénétrer dans le losange, ils ont gagné, vont se mettre dans la file, et sont remplacés par le perdant et son suivant. Si, au contraire, le premier de la file arrive à entrer dans
le losange, il recommence le même exercice, de l'autre côté, pour la sortie. S'il y parvient encore, toute la file passe de l'autre côté, sans difficulté, et l'on recommence le jeu.
3. Ngo ying tiao ki. L'aigle affamé s'empare des poussins. — Un joueur personnifie l'aigle et un deuxième la poule ;
les autres représentent les poussins. Ceux-ci viennent se placer en file derrière la poule et se tiennent par la robe. L'aigle essaie de toucher le dernier poussin ; mais la poule veille et
s'arrange pour toujours faire face à son ennemi. Si l'aigle enlève tous les poussins, la poule a perdu et reçoit quelques coups sur les doigts.
4. Tchang-hi. Imiter le théâtre. — Se joue dans les 15 premiers jours de la première lune. Les enfants portent des
masques, se déguisent et imitent les acteurs.
5. Ta-tchang. La bataille. — Les enfants divisés en deux camps se battent à coups de pierre. (Jeu interdit par la
police.)
6. Chō tsien. Lancer des flèches (avec des arcs en bambou).
7. Lao hou pao tan. Le tigre défend ses œufs. — Un enfant met trois cailloux sur le sol et les couvre de son corps
penché, les mains à terre. Les autres enfants s'efforcent de prendre les pierres qui sont sous lui.
8. Ts'ai mi mi. Résoudre des devinettes. — En voici quelques exemples :
Dans ma maison il y a une jeune fille : Elle porte un habit rouge. Le 1er et le 15 du mois, elle meurt sur l'autel. — Réponse : la bougie.
Il marche en portant sa maison. Quand il y a du danger, il rentre chez lui. — Réponse : l'escargot.
9. Ta houa tchang. — Deux enfants, les bras tendus en avant, heurtent alternativement les paumes de leurs mains en
chantant ; les coups frappés sur les mains cadencent le chant.
10. Tiao ta houo k'ien. Franchir la grande pincette. — Deux enfants viennent s'asseoir l'un en face de l'autre, les
jambes tendues, les pieds se touchant. Un autre enfant saute par dessus cet obstacle. Ensuite, l'un des deux enfants assis met un pied sur le pied de son camarade ; et le troisième saute.
Maintenant le sauteur a trois pieds l'un sur l'autre à franchir, puis quatre. Finalement les deux enfants assis font un pont avec leurs jambes, pont qu'ils élèvent progressivement et que l'autre
joueur doit franchir d'un saut.
11. Tiao siao houang nieou. Sauter par dessus le veau. — Notre jeu de saute-mouton.
12. Kai fang-tseu. Faire des pâtés de sable ou des maisons en terre.
13. Kai houa p'eng-p'eng.
Changer les dessins du tissage. — Deux enfants prennent un morceau de fil de 0,80 m de long ; ils en nouent les extrémités. L'un d'eux, prenant le fil, qu'il tient des trois doigts de
la main droite et des trois doigts de la main gauche, l'enroule une fois sur chaque main. Ensuite il prend la boucle de la main gauche avec le majeur de la droite et vice versa ; il obtient ainsi
un premier dessin. Un autre enfant vient, et, prenant le fil par dessous avec le pouce et l'index de chaque main, soulève le tout et forme la figure suivante (fig. 1) et ainsi de suite. Ou peut
produire un grand nombre de combinaisons.
14. Hia-tseu mo yu. L'aveugle prend du poisson. — Notre jeu de colin-maillard.
15. Fang jong-tcheng. Lancer le cerf-volant.
16. T'iao che-tseu. Danse du lion. — Un enfant met le pan antérieur de sa robe sur sa tête ; un autre se met sous le
pan postérieur ; puis ils sautent. Jeu imité de la promenade du dragon en Indochine.
17. T'i kien-tseu. Jouer au volant en se servant du pied comme raquette. Le volant se compose de 2 ou 3 sapèques,
attachées ensemble. Le trou des sapèques est garni de plumes ou de papier effiloché.
18. Tieou wai-wai. Jeter des coquilles. — Se joue avec de petits coquillages. Un enfant met quelques coquilles par
terre, coté pile et côté face indistinctement. Le jeu consiste à frapper ces coquilles avec une autre de manière à les retourner toutes du même côté.
19. Ta hiang kouen p'ai. Frapper les tiges des joss-sticks. — On ramasse des baguettes parfumées ayant déjà servi,
et on les dispose en équilibre, horizontalement, sur deux pierres. Les enfants, placés en face, à 2 ou 3 mètres, jettent des pierres pour renverser les joss-sticks.
20. Tsi yeou tcha. Presser l'huile. — Se joue en hiver. Les enfants se mettent l'un à côté de l'autre, le dos contre
un mur et se pressent de droite à gauche et de gauche à droite.
21. Pai kou-tong. Jouer au marchand et à la dînette. — Se joue comme chez nous. Les marchandises sont représentées
par des morceaux de pierre, de briques, de bois, etc. Par superstition et dans le but de ne pas profaner le nom des aliments indispensables à la vie, dans le jeu, le riz s'y appelle man-man au
lieu de mi, la viande se dit ka-ka au lieu de jou : l'eau s'appelle wou-eul au lieu de chouei, etc. Tous mots intraduisibles.
22. Miao si-chouai. Attraper des grillons pour les faire se battre.
23. Ho-chang k'i. Les échecs du bonze. — Se joue sur une figure affectant la forme ci-dessous (fig. 2, A).
L'un des partenaires a 16 pions blancs ; l'autre, le bonze, un seul pion noir. Les pions
blancs sont disposés autour du carré ; le pion noir est au milieu. Le jeu consiste à faire reculer le bonze jusqu'à la pointe extrême du losange inférieur. Le bonze, pour se défendre, peut
prendre des pions, toujours par deux à la fois, et sous la condition que ceux-ci se trouvent à sa droite et à sa gauche et formant avec lui une ligne droite. Ce jeu ressemble à notre jeu d'enfant
dit des moutons et du loup.
24. Lieou tseu k'i. Les échecs à six pions. — Se jouent sur une figure affectant la forme ci-dessus (fig. 2, B). Un
des partenaires a six pions blancs, l'autre six noirs. Les pions ne marchent que verticalement ou horizontalement. Pour prendre un pion, dans l'un ou l'autre sens, il faut que deux pions d'une
même couleur se trouvent toucher un pion de l'autre couleur et que celui-ci ait, derrière lui, une case vide. La case vide peut aussi se trouver derrière les deux pions de la couleur qui
prend.
25. San san k'i. Les échecs des trois carrés. — Se joue à deux sur un échiquier disposé selon la figure ci-dessus
(fig. 2, C). Chaque joueur a 12 pions, les uns blancs, les autres noirs. Ils les placent, sans ordre prévu, sur les 24 points indiqués, mais en les mettant l'un après l'autre et un seul à la
fois. Celui qui arrive à disposer en ligne 3 pions de sa couleur, a le droit de prendre, n'importe où, un pion de l'adversaire. On continue ainsi jusqu'à épuisement des pions.
26. Wou ma kouei sseu kio. Cinq chevaux courent sur quatre angles. — Ressemble à notre jeu des quatre coins.
27. T'ien-ki tong. Le trou de la grenouille. — Deux enfants s'assoient, l'un en face de l'autre, et disposent leurs
pieds en losange. Un autre enfant met la pointe d'un pied dans le losange et prononce les trois mots : « Trou de grenouille ». Au moment où il dit le troisième mot, il doit retirer son pied ;
sinon il est pris et va remplacer un des enfants assis.
28. T'iao hai p'ai. — Les joueurs enlèvent leurs souliers et les disposent, l'un à côté de l'autre, en ligne droite,
avec un intervalle de 30 centimètres entre chaque chaussure. Un enfant saute, sur un pied, entre les souliers, en passant de droite à gauche. Arrivé au bout, il revient sur ses pas pour former un
8. En atteignant le dernier soulier, il doit l'écarter avec le pied, comme on le fait chez nous du palet. Puis il recommence le jeu jusqu'au moment où il a écarté tous les souliers ou lorsque,
par mégarde, il en a heurté un. Dans ce dernier cas, un autre prend sa place. En fin de jeu, on compte, et celui qui a enlevé le plus de souliers a gagné.
......
61. Le devin. — Les enfants, au nombre d'une dizaine, viennent s'asseoir en ligne. L'un d'eux est le maître, l'autre
le devin. Tandis que le maître clôt les yeux du devin avec ses mains, un autre enfant se place devant les joueurs, un caillou dans la main. On ordonne aux enfants de tenir le pan de leur robe en
forme de sac ouvert. Puis, tous chantent : « Serrons hermétiquement le caillou. Serrons les pans de nos robes. » Le chant terminé, celui qui tient le caillou le jette dans une robe, et tous les
enfants ferment rapidement les pans de leur vêtement. Le maître découvre alors les yeux du devin. Si celui-ci peut trouver qui détient le caillou, il a gagné. Quand le devin s'est trompé, on
nomme deux satellites qui l'obligent à subir le verdict des 10 juges infernaux représentés par les 10 joueurs assis. Devant chacun d'eux le devin est interrogé sur ses mérites et défauts. On dit
que ce jeu fut inventé par l'immortel Tchang Souen-fong.
62. Le cercle des moutons. — Le nombre des joueurs est indéterminé ; mais il est bon qu'il dépasse cinq. Supposons
qu'il y ait cinq joueurs. L'un, le bonze, s'assied au milieu ; les quatre autres, les moutons, forment cercle autour de lui. Les moutons chantent, en dansant :
« Les moutons — Sont placés en rond, — Le feu brûle le bateau-dragon, — Ceux qui du riz achèteront, — Dans le bateau fleuri tomberont.
Le chant terminé, ils demandent, ensemble, au bonze : « Avez-vous quitté le lit, Lao che kong ? Le soleil est déjà levé ! — Quelle heure est-il ? reprend l'interpellé. Le vendeur de fards et de
fleurs est-il venu ? — Il est venu. Que faites-vous, Lao che kong ? — Je polis mon couteau. — Pourquoi faire ? — Pour tuer les moutons. » Alors les moutons s'enfuient et cherchent chacun un
refuge, de manière que le bonze ne puisse les atteindre. Finalement celui qui est pris remplace le bonze, et l'on recommence le jeu.
1.
Berceuse.
Dors tranquillement, mon petit,
Ta maman va décortiquer du paddy ;
Si elle en retire trois cheng de son,
Elle t'achètera un petit habit rouge.
2. Berceuse pour endormir un bébé qui pleure la nuit.
Le ciel jaunit,
La terre jaunit ;
L'empereur du ciel me charge de dompter le roi des démons.
Le ciel bleuit,
La terre bleuit ;
L'empereur du ciel me charge de maîtriser les diables.
7. Le forgeron (Chanson des fillettes).
Le forgeron Tchang
Et le forgeron Li
Ont fabriqué les ciseaux que j'offre à ma sœur.
Ma sœur me retient pour m'amuser ;
Je ne le veux pas.
Je veux aller à l'étage de la maison Tchang, apprendre à forger
Jusqu'au premier jour du premier mois.
Où, partout, on promène des lanternes en forme de lion et de dragon;
Jusqu'au deuxième jour du deuxième mois,
Où la dame Sou Yun joue du vieil éventail ;
Jusqu'au troisième jour du troisième mois,
Où les fleurs de tsi-tsai peuvent se comparer aux pivoines ;
Jusqu'au quatrième jour du quatrième mois,
Où quatre sapèques en cuivre ont 8 caractères ;
Jusqu'au cinquième jour du cinquième mois.
Où cinq sampans-dragons flottent au bruit du tambour ;
Jusqu'au sixième jour du sixième mois,
Où devant toutes les maisons on met au soleil les objets ;
Jusqu'au septième jour du septième mois,
Où les sept fruits sont doux comme le miel ;
Jusqu'au huitième jour du huitième mois,
Où huit vieillards se sont enfuis ;
Jusqu'au neuvième jour du neuvième mois,
Où l'on boit l'alcool parfumé aux fleurs de chrysanthème ;
Jusqu'au dixième jour du dixième mois,
Où l'on boit du vin à l'Assemblée qui chasse le froid ;
Jusqu'au onzième jour du onzième mois,
Où tombe la neige et souffle la brise ;
Jusqu'au douzième jour du douzième mois,
Où dans toutes les familles on joue à la mourre.
19. Le petit haricot wang.
Le petit haricot wang
Donne des fleurs violettes.
Ma nièce est donnée en mariage à la famille de la sœur de ma mère.
« Merci à grand-papa pour son présent d'une malle rouge ;
Merci à grand-maman pour sa paire de souliers brodés ;
Merci au frère pour le don de deux cloches en or et en jade ;
Merci à la belle-sœur pour une jupe rouge et une tunique doublée de vert. »
Le grand-papa, apprenant l'arrivée de sa petite-fille,
Va la recevoir, appuyé sur un bâton.
La grand-maman, apprenant l'arrivée de sa petite-fille,
Va la recevoir, le dos voûté.
Le père, apprenant l'arrivée de sa fille,
Va la recevoir, la pipe à la bouche.
La mère, apprenant l'arrivée de sa fille,
Va l'accueillir, non sans avoir épousseté les chaises.
Le frère aîné, apprenant l'arrivée de sa petite sœur,
Jette sa composition littéraire pour aller la recevoir.
Le frère cadet, apprenant l'arrivée de sa grande sœur,
Jette son cartable pour aller la recevoir.
40. Établissement d'une fille.
Le petit banc
A un support en terre.
Sur le sol est un vase aux fleurs épanouies.
La sœur aînée, qui a des sous, cueille une fleur et la place sur sa tête.
La sœur puînée, qui n'en a pas, attend sa maman.
La maman va dans la rue
Pour acheter une épingle de tête en or.
Le papa va dans la rue
Pour se procurer une épingle de tête en argent.
Le frère achète du fard ;
Et la belle-sœur des fleurs.
Ainsi une fille est dotée.
Le frère aîné fait monter sa sœur dans le palanquin décoré,
La belle-sœur l'accompagne jusqu'au temple du Dragon jaune.
On porte de gros drapeaux ;
On tire des coups de canon ;
Ou, li, ou, long ! On souffle dans la grande trompe.
41. Le paysan sot et vaniteux.
Dans une maison de thé, située à 10 li de Ta-pan k'iao,
Il est un notable nommé Sou.
Sa tête est recouverte d'une toque
Ornée de corail.
Son corps est enveloppé dans une veste, de 2 pieds et demi,
Garnie d'un jeu de boutons en argent.
Son pantalon est de soie unie ;
Sa ceinture a, sur le devant, une grande poche en cuir.
La montre qu'il porte au bras gauche est en or ;
Sa main droite tient une pipe en ivoire.
Assis sur un tapis, il joue de l'argent.
Devant lui est étalé un tas de billets.
Sous une tasse et dans une assiette en porcelaine,
Sont les trois dés en ivoire qu'on agite.
Malheureusement les dés, au lieu de donner 1, 3 et 5,
Présentent les chiffres 2, 4 et 6.
Ayant perdu bon nombre de billets de banque,
Notre homme change de métier et va jouer aux cartes.
Mais il tire au hasard le siao sseu fou ta wou,
Et doit donner 3 piastres 60 à celui qui tient le pao tseu.
Ce métier ne lui étant pas favorable,
Il va enseigner les enfants.
Mais il ne connaît pas les mots touan ki tch'ou,
Et il écrit comme un charlatan qui trace des talismans.
Ce métier étant trop difficile,
Il va paître les cochons.
Ayant laissé ses cochons pénétrer dans un magasin de soie,
Le commerçant l'injurie : — Cochon malade ! »
Un cochon qui entre, c'est un présage de pauvreté !
Il a donc eu tort d'arriver chez un autre avec ses cochons.
Puis il envahit, avec son troupeau, une maison de thé
Et paie une piastre soixante d'indemnité.
Que fera-t-il ? Ouvrira-t-il une fumerie d'opium ?
Il devient coiffeur. Son premier client est barbu !
Hélas ! Tous les métiers lui sont défavorables.
J'ai peur qu'il ne vende publiquement sa femme, pour quelque temps.
48. Chanson des enfants pour demander la pluie.
Au Kouen-ming, quand la pluie se fait désirer, les enfants, tête et pieds nus, trois baguettes d'encens dans les mains, forment
des processions et vont dans les rues en chantant :
Nous prions le Ciel de nous donner la pluie.
Que, de concert, le vent violent et les averses arrivent !
Le Ciel nous accable de sécheresse. Que faire ?
Nous mourrons tous de faim, si la récolte manque.
Levons nos petites mains, enfants, et saluons l'azur.
La pluie torrentielle va tomber.
Après chaque couplet, les enfants se mettent à genoux ou se prosternent sur le sol.
1
— L'herbe du « cheval fatigué » a de longues étamines.
Mais d'où viennent ses racines ?
J'ai déjà parcouru au moins treize provinces,
Les chants villageois qui sortent de ma bouche sont classés parmi les premiers.
— Si vous voulez chanter des chants villageois, venez avec moi ;
J'arrangerai adroitement la chose, là-bas.
Les prix en or et argent du concours sont déjà prêts.
Allons, commencez et chantez un couplet.
— Un fil de soie est suspendu au flanc de la falaise.
Puisque vous êtes artiste en matière de chant, chantez !
Oui, si vous êtes si habile, commencez donc pour voir un peu !
Dans le cas contraire, ce n'est pas la peine de chanter.
— Nous sommes séparés l'un de l'autre, par un ravin et une falaise,
Qui vous empêchent de venir jusqu'ici,
Et moi d'aller vers vous.
Voulez-vous commencer un chant villageois que vous jetterez de ce côté ?
À peine l'amant a-t-il fini son chant que l'amante commence le sien.
Ils sont comme le fil de soie que retient l'aiguille à broder.
Si vous êtes pareille à l'aiguille à broder, marchez devant ;
Et moi, le fil de soie, je suivrai vos traces.
— Je ne veux plus traverser ! Je ne veux plus traverser !
Voulez-vous chanter un morceau que vous lancerez vers moi ?
Ce que j'espère vivement, c'est que nos cœurs s'accorderont ;
Alors, j'entrerai dans votre petit jardin, d'un seul saut.
2
Je vois de loin la petite sœur debout qui s'agite.
Ses seins menus ressemblent à deux pêches.
Si vous étiez une pêche magique, je vous cueillerais ;
Si vous étiez une fée, je vous emporterais.
Du ciel, des gouttes de pluie tombent sur la terre et je crains de glisser.
Je vois de loin la petite sœur qui retourne chez sa mère.
Elle est coiffée d'un chignon sombre comme le nuage noir,
Elle porte dans les bras un petit enfant.
Je vois de loin la petite sœur semblable à une fleur.
Elle est habillée de rouge ; sa tête est ornée de vert.
Puisque vous rentrez chez vos parents, je vous laisse partir ;
Je viendrai vous retrouver dans un moment.
Je vois de loin la petite sœur qui vient en suivant le chemin.
Je lui demande : — Où êtes-vous allée vous promener,
Que votre chignon est défait
Et que vos petits souliers sont à demi chaussés ?
Je vois de loin la petite sœur qui vient vers moi en suivant le chemin ;
Je lui dis : — L'aiguille d'or de vos cheveux,
C'est moi qui vous l'ai donnée.
Pourquoi votre robe blanche vous sert-elle d'enseigne ?
Je vois de loin la petite sœur qui porte des souliers rouges ;
Elle s'approche doucement de moi, à petits pas.
— Vous allez vous promener au carrefour, lui dis-je ;
Allez-y seule, n'attendez pas un compagnon pour partir. »
Je vois de loin la petite sœur ; elle n'est pas grande :
— Je viendrai embrasser votre cou, et vous, ma sœur, mes hanches.
Je me pencherai pour baiser votre cou.
Pour embrasser mes hanches, vous vous lèverez sur vos petits pieds. »
Je vois de loin la petite sœur dont les joues sont si joliment fardées.
Je la guette dans un chemin étroit,
Où nous pouvons passer l'un à côté de l'autre.
Elle avance alors devant moi, sans parler ; c'est une personne bien élevée.
Je vois de loin la petite sœur qui ressemble à une fleur.
Bien que n'ayant pas d'argent sous la main, je la regarde tout de même un peu.
Je suis en train de faire du fromage de haricot ;
Les résidus serviront à cultiver les fleurs.
Je vois de loin la petite sœur ; elle ne semble ni très forte, ni très robuste.
Pourquoi se fait-elle suivre par tant de jeunes gens ?
En voilà qui sortent, en voilà d'autres qui entrent :
On dirait des frelons qui viennent rendre visite à leur reine.
Je vois de loin la petite sœur habillée de bleu.
À cheval elle joue de la guitare et du tricorde.
J'ai l'intention de lui jouer quelques morceaux sur ces instruments.
Mais, si contourner une montagne est facile, traverser un cours d'eau ne l'est guère.
Je vois de loin la petite sœur vêtue de blanc.
Pourquoi portez-vous robe blanche et pantalon blanc ?
L'amant, quand il est ainsi vêtu, attire les aboiements des chiens ;
Mais la petite sœur, dans cet appareil, provoque l'attention des galants.
Je vois de loin la petite sœur qui descend la montagne.
Je lui demande : — De quoi n'êtes-vous pas satisfaite ?
Je voudrais me marier avec vous ; et vous, désirez-vous m'épouser ?
La bûche sèche qui est sous mon vêtement demande à servir.
Je vois de loin la petite sœur blanche comme un nuage.
Malheureusement ses grands pieds n'attirent pas l'amour des hommes.
— Quand vos pieds, bien emmaillotés, seront devenus tout petits,
Si je ne vous épouse pas, qu'on ne me considère plus comme un homme ! » p.386
Je vois de loin la petite sœur habillée de blanc.
Ses seins menus ressemblent aux deux poids de la balance.
Le jour, elle se laisse téter par son enfant,
Et la nuit caresser par son amant.
Je vois de loin la petite sœur habillée de bleu.
Son visage est blanc, et les fleurs de sa tête, très parfumées.
— Sur votre tête exposée au vent ne mettez pas des fleurs aussi odorantes ;
Leur senteur pourrait me griser.
3
La lune, après son lever, est toute noire ; je m'écrie :
— Petit frère, écoutez-moi. Si vous ne me croyez pas sincère,
Je veux prononcer le serment solennel suivant :
« Que je meure ou que je sois considérée comme née anormalement ! »
La lune, après son lever, est toute noire ; je m'écrie :
— Petit frère, écoutez-moi !
Je veux bien partir avec vous,
Mais je crains que vous ne me soyez pas fidèle, plus tard.
La lune, après son lever, est toute jaune.
Le rhinocéros regarde la lune, et vous, mon amie, votre amant.
Le rhinocéros regarde la lune, puis se tourne vers la mer ;
Vous, petite sœur, en regardant votre amant, vous vous tournez vers votre chambre dorée.
La lune, après son lever, est éclatante de clarté ;
Elle éclaire la colline de Wou-houa.
La colline de Wou-houa abrite le gouverneur militaire du Yunnan,
Alors que le bas du pantalon de la petite sœur abrite deux pivoines.
La lune, après son lever, jette une grande clarté ;
Elle éclaire la forêt des plantes fleuries du jardin postérieur.
— Les fleurs de fève s'épanouissent deux à deux, le savez-vous, ma sœur ?
Et votre fleur qui va s'épanouir sera-t-elle double aussi ?
La lune, après son lever, est toute blanche.
Ce sodomite, je le connais bien ;
Hier soir, encore, il vendait son corps,
Et cette nuit, il court déjà les filles.
La lune, après son lever, est très blanche.
— Je connais parfaitement votre famille,
Car j'ai passé la nuit chez vous.
Je n'y ai vu aucune natte, pas même un matelas de paille. »
La lune, après son lever, n'est pas claire.
Je vois la petite sœur qui retourne chez ses parents.
— Ah ! ma sœur, que je voudrais m'en aller avec vous !
Mais j'ai peur de la voisine, la tante Wan. »
La lune, après son lever, est toute jaune ; je m'écrie :
— Petit frère, écoutez-moi ! Allons habiter la même maison.
Ainsi, je n'aurai pas besoin de toujours penser à vous, ni vous à moi,
Et vous serez toujours à ma disposition. »
La lune, après son lever, est parfaitement ronde,
Encore une année qui vient de passer bien tristement.
Elle se pare et fait des préparatifs pour partir avec son ami ;
Elle passera chez lui quelques jours à teindre et à blanchir ses vêtements.
Le croissant de la lune, après son lever, est bien pointu,
Une poule d'or en volant, passe sur la Montagne du Phénix.
La poule a passé en volant, et personne ne l'a vue.
Et moi, je ne vois pas, ma sœur, que vous partiez pour la promenade.
Le croissant de la lune, après son lever, est bien pointu.
Un nuage noir cache la moitié du ciel.
J'espère que le nuage noir laissera tomber une ondée,
Qui me retiendra ici, près de ma petite sœur, durant quelques jours.
8
Au troisième mois, au troisième jour du troisième mois,
Trois petits poulets sauvages ont franchi la montagne en volant.
Les trois petits poulets sauvages sont passés ;
Deux se sont déjà accouplés, le troisième reste malheureusement seul.
Au troisième mois, au troisième jour du troisième mois,
La laine de mouton, très blanche, est propre à faire des couvertures.
Je n'aime pas la couverture en laine de mouton,
Je n'aime que le poignet de la petite sœur, plus blanc que la laine.
Au huitième mois, toujours le coq d'or chante tard le matin.
Mon pauvre coq, je te tuerai certainement :
Hier soir, j'avais mon amant ici, et tu as chanté trop tôt ;
Cette nuit, où j'étais seule, alors tu as chanté trop tard.
Au huitième mois, toujours le coq d'or est pressé de chanter,
Pauvre coq, tu ne le trompes pas, ni moi non plus ;
Car tous deux nous nous aimons passionnément d'amour.
S'il fatigue ses yeux à me regarder, je fatigue mon corps aux étreintes.
On passe joyeusement le huit du huitième mois.
Une jeune fille, sur sa couche, ne peut arriver à dormir ;
Elle écrit à son fiancé : « Venez vite m'épouser.
Nous aurons alors de joyeux moments sur le lit d'ivoire. »
11
La porte du temple du génie tutélaire s'ouvre les premier et quinze de chaque lune.
On y voit, de chaque côté, des satellites à tête de bœuf ou de cheval.
Le juge de l'enfer tient à la main le livre de nos destins,
Et le petit démon, la plaque de réclamation des âmes des trépassés.
Sur celle-ci on lit : « Arrêtez de suite la prostituée. »
On m'a conduite au palais du roi des enfers, qui m'a condamnée à revivre fille ;
Mais j'ai protesté, disant que je préférais être bœuf ou cheval
Plutôt que fille publique, et voici pourquoi.
Quand j'avais un ou deux ans, j'étais constamment dans les bras de ma mère ;
À trois ou quatre ans, je marchais toute seule.
Vers cinq ou six ans, alors que j'étais déjà un peu grandelette, on me délaissa ;
Puis, à 7 ou 8 ans, je fus vendue à une tenancière de maison publique.
Lorsque j'entrai, pour la première fois dans le lupanar,
Je levai les yeux pour observer ce qu'il y avait dans cette maison.
Et je vis, aux murs, des guitares et des mandolines.
On me fit apprendre à jouer de ces instruments et à chanter.
Puis, à l'âge de 13 ans, je fus contrainte de me livrer aux hommes.
Quand je possédais de l'argent, la matrone me cajolait ;
Quand je ne gagnais rien, je recevais des coups d'un fouet en cuir.
Frappée deux fois par jour, en trois jours, cela faisait six corrections.
À 13 ou 14 ans, déjà je tombais malade ;
Le mal gagna tout mon corps, quand j'eus 15 ou 16 ans.
Après être restée trois jours sans manger le riz de cette terre,
Mon âme fut conduite devant le roi des enfers.
De la terrasse de l'autre monde, d'où l'on peut voir celui-ci.
Je regardai afin de constater comment la matrone traiterait mon corps après ma mort.
Je vis que, d'abord, on me roula dans une vieille natte.
Puis on me transporta hors de la ville dans un terrain vague.
Là, on ne creusa même pas une fosse pour m'enterrer, et l'on m'abandonna ainsi.
Mes vêtements, délabrés, cachaient à peine mes seins et mon sexe.
Ah ! les filles de débauche sont de leur vivant beaucoup aimées ;
Mais après leur mort, personne ne veut plus les voir.
Pendant leur vie, elles ont nombre de sœurs adoptives et d'amies ;
Après leur mort, qui vient brûler des papiers votifs sur leur tombe ?
Pensez, mes sœurs, à ne pas imiter les filles de débauche,
Dont les chiens viennent déchiqueter les cadavres,
Lorsqu'ils ne sont pas foulés aux pieds par les bœufs.
15
Mon ami est allé abattre du bois dans la haute montagne ;
Il tient à la main sa cognée.
D'un seul coup, il abat l'éléococca :
Le perroquet et le phénix ne viendront plus s'y poser.
Mon ami, de bon matin, fait paître ses bœufs dans la haute montagne ;
Et moi, je lave mon pantalon au bord de la rivière.
Je le ferai sécher sur le bord du cours d'eau, en disant :
« Mon ami, dans l'avenir, soyez moins audacieux. »
Mon ami, monté sur un cheval blanc, va pénétrer dans la forêt de pins.
La bride de l'animal est faite de brins de soie multicolore.
Le volage monte à cheval et s'éloigne ;
Il ne tourne même pas la tête pour jeter un regard vers son amie.
L'amant est allé chercher du bois mort dans la montagne.
Chez elle, la petite sœur brode des souliers.
Si vous voulez avoir des souliers brodés, prenez cette paire ;
Si vous voulez cueillir la fleur, venez ce soir.
Mon chéri est allé abattre du bois dans la montagne.
La famille de mon fiancé a déjà apporté les présents de mariage.
Il y a grande quantité d'étoffe et de paille, mais peu d'argent.
Ce qui me laisse prévoir que des jours bien malheureux vont venir pour moi.
29
Les cannes à sucre sont vertes le 15 de la huitième lune
Mon mari n'est pas aussi aimable que mon amant :
Mon mari, quand il parle, ressemble à un tambour frappé ;
Lorsqu'il parle, mon amant peut séduire les femmes.
Les cannes à sucre ont des nœuds noirs au huitième mois.
L'amante, parlant à celui qu'elle aime, lui dit :
— Je suis naturellement votre femme ;
Pourquoi me regardez-vous comme une truie débauchée ?
Les cannes à sucre ont des nœuds qui deviennent noirs à la huitième lune.
Je me sens comme abruti ;
Mais je n'ai pas besoin de réfléchir beaucoup
Pour dire que jamais une femme ne doit se jouer de son mari.
Savoureuse est la canne à sucre, mais difficile à peler !
La petite sœur est bien jolie, mais combien difficile à enjôler !
J'ai dit, avec elle, quelques dizaines de milliers de douces paroles,
Mais elle ne veut jamais enlever son pantalon.
53
Trois anneaux cerclent le seau en bois blanc.
Je ne suis pas contente de mon mari !
Et je demande au ciel qu'il abrège ses jours, bien vite ;
Grâce à mon jeune âge, je pourrai prendre un deuxième époux.
74
Au lieu d'orner leurs têtes de fleurs, ils se parent de branches de cyprès.
Mais qu'attendent donc ces jeunes gens qui n'aiment pas les plaisirs de l'amour ?
Combien d'années seront-ils encore jeunes, ceux-là qui n'aiment pas le plaisir ?
La jeunesse est une période de la vie qu'on ne peut acheter, même à prix d'or.