Gisbert Combaz (1869-1941)
MASQUES ET DRAGONS EN ASIE — LA CHINE
Extrait des Mélanges chinois et bouddhiques, Institut belge des Hautes Études Chinoises, vol. VII.
Imprimerie sainte Catherine, Bruges, 1945, pages 1-10, 72-92, 172-249 de 329 pages.
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Introduction : "L'archéologie comparée, comme la philologie comparée est un jeu de l'esprit infiniment
séduisant, mais terriblement périlleux, car on y peut faire des liaisons dangereuses à chaque pas, et ce n'est pas sans crainte que l'on ose s'y aventurer.
Elle est malheureusement à la portée de l'historien d'art le moins bien averti, et lui permet d'exprimer nombre de jugements erronés sous l'apparence d'une fallacieuse érudition.
Est-ce à dire que la peur de se tromper doive écarter les recherches dans un domaine qui par ses constatations peut être d'une grande utilité ? Nous ne le pensons pas, parce que d'un grand nombre d'expériences, l'une ou l'autre mieux connue peut éclairer d'un jour inattendu les obscurités d'autres appréciations qui sans elle seraient demeurées tout à fait obscures."
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"Voici un thème très caractéristique : une tête de monstre, aux yeux effrayants, à la langue pendante, aux dents pointues, à
l'aspect féroce, le plus souvent sans corps.
En voici un autre : ce que l'on appelle, assez vaguement d'ailleurs, un dragon : un animal monstrueux, un reptile, une sorte de serpent ou de crocodile, cornu, couvert d'écailles, aux pattes de rapace, de lion ou de saurien, et qui parfois est ailé.
Ces deux thèmes peuvent être associés ou non. Ils gardent généralement les portes ou les entrées ; on les retrouve dans toute l'Asie, des bords de la Méditerranée jusqu'à ceux des mers de Chine."
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"Tout d'abord posons bien le problème :
À travers l'Asie tout entière nous trouvons des thèmes semblables dont nous proposons l'égalité, dans une certaine mesure bien entendu : c'est en Asie grecque la tête de Méduse, le gorgoneion, en Mésopotamie la tête de Humbaba ou celle de Pazuzu, dans l'Inde celle du kīrttimukha, à Ceylan celle de Kibihi, à Java, le kāla, et en Chine le t'ao-t'ie.
En second lieu, un autre thème fréquent dans plusieurs régions de l'Asie est celui de ce que nous sommes convenus d'appeler le dragon : mušhuššu en Mésopotamie, makara, dans l'Inde, long en Chine.
Enfin nous considérerons l'association fréquente de ces deux thèmes pour assurer la garde et la protection des portes et des ouvertures. "
Extraits : Le masque apotropaïque chinois : le t'ao-t'ié - Iconographie du dragon chinois -
La perle
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Le masque apotropaïque a occupé une place très importante dans les arts de la Chine.
Les Chinois le désignent sous le nom de t'ao-t'ie, vocable qui ne remonterait pas plus haut que la dynastie des Han tandis que les monuments remontent jusqu'au IIe millénaire av.
J.-C.
Il y a toute une littérature sur les origines, les formes et le symbolisme du t'ao-t'ie, mais la question en demeure des plus obscures, et ce n'est pas sans inquiétude qu'on s'aventure à
discourir sur un sujet aussi complexe et aussi controversé. La subtilité des savants chinois et japonais, l'imagination d'archéologues occidentaux trop hantés de voir partout des mythes solaires,
lunaires, totémiques... et autres, ont obscurci un problème que la mentalité primitive des hautes époques n'avait certainement pas compliqué ainsi.
Qu'au cours des siècles le thème se soit surchargé d'apports étrangers, justifiés par des relations inter-asiatiques, nul doute.
Que des associations d'idées résultant de ressemblances, fortuites d'abord, volontairement accentuées ensuite, se soient produites, c'est encore une chose très vraisemblable. La mentalité
chinoise s'est toujours complu à des jeux de mots auxquels sa langue et son écriture se prêtaient facilement et sans doute on pourrait étendre cette disposition d'esprit à des jeux de formes
auxquels l'imagination du décorateur prenait plaisir.
Il ne peut être question de signaler ici toutes les opinions qui ont été émises à propos du
t'ao-t'ie, et il suffira de résumer les principales pour constater les divergences d'opinions.
Suivant Alfödi, le t'ao-t'ie, traduit par glouton, dériverait d'un carnassier de la région arctique, qui d'après lui serait un animal totémique de quelques populations nomades du
nord.
Cette association du t'ao-t'ie avec le glouton est celle que l'on trouve le plus souvent répétée parce que l'on accepte la traduction de t'ao-t'ie par glouton (l'animal) alors
que le terme signifie vorace, glouton, accapareur, et que ces qualificatifs ne s'appliquent pas plus particulièrement au glouton arctique (Gulo gulo) habitant le nord de l'ancien et du
nouveau continent.
Pour M. Rostovtzeff : « Le t'ao-t'ie a la forme d'un masque animal consistant en une paire d'yeux, une paire d'oreilles, deux cornes et une crête. Il appartiendrait certainement à la
famille des félins. Je suis convaincu qu'il représente le lion-griffon cornu, l'animal le plus populaire de l'art persan. » Si la première partie de cette affirmation est très acceptable,
l'assimilation au griffon persan est plus douteuse.
M. W. Perceval Yetts pense que le masque de monstre désigné sous le nom de t'ao-t'ie ou de glouton est peut-être « un symbole du dieu de la tempête ».
Pour M. G. Borovka, il prend l'aspect d'un masque de lion aux lignes très géométriques, vu de face... ; il se rapprocherait de certaines figurations de l'art des steppes. Notons ici que cette
dernière assertion ne tient pas compte de ce que les t'ao-t'ie de l'époque Yin précèdent leur prototype supposé d'un nombre considérable de siècles.
Pour M. F. Hirth, le t'ao-t'ie serait une sorte de loup-garou tandis que M. K. Ishida pense à le rattacher à des croyances relatives à la puissance magique de l'œil, et que pour M. K.
Hamada, il dériverait d'un masque humain de plus en plus déformé.
Plus récemment, M. Leroi-Gourhan dans quelques études d'une extrême prudence et d'une remarquable ingéniosité a développé des théories dont on trouvera l'écho chez les archéologues de
l'Extrême-Orient : le terme de t'ao-t'ie serait comme un nom générique englobant des animaux de diverses espèces ; il y aurait ainsi un t'ao-t'ie du bœuf, un t'ao-t'ie
du bélier ou du bouc, du hibou, de la chauve-souris.
Sans aucun doute rien ne s'oppose à ce que dès une haute antiquité des animaux divers aient été pris comme symboles apotropaïques — soit en raison de leur nature, soit par un jeu de mots, voire
un jeu de formes, — longtemps avant qu'une théorie quelconque ait été émise à leur sujet. Nous pouvons croire que le confucéisme a recouvert et interprété pour ses besoins des symboles fort
anciens et dont le sens originel se perdait ou s'était déjà perdu.
Ainsi que le fait remarquer très justement M. Leroi-Gourhan : « Les connaissances actuelles
permettent à peine de se représenter la répartition géographique des groupements de la Chine préconfucéenne et de leurs caractères ethniques, à plus forte raison ne sait-on rien ou presque de
leur culture religieuse ».
Cependant est-il acceptable que le terme de t'ao-t'ie, même relativement récent et désignant à coup sûr un être vorace, glouton, accapareur, ait pu être appliqué au bœuf, au bélier, au
hibou, à la chauve-souris et faut-il englober sous le même vocable des animaux si différents ? Nous croyons qu'on pourrait épiloguer à ce sujet. Il n'est pas question, bien entendu de nier la
valeur symbolique de ces animaux, ni leur emploi à des titres divers dans l'art chinois des hautes époques, mais de mettre en doute leur valeur apotropaïque, ce qui est essentiel.
Ce caractère apotropaïque de symbole écartant les mauvaises influences par la terreur qu'il inspire, que nous avons reconnu à tous les masques rencontrés jusqu'ici en Asie, est bien marqué par
l'importance accordée au regard, aux yeux, à la mâchoire garnie de crocs puissants. M. Ishida l'a bien noté en le rattachant à la puissance magique de l'œil.
Ces traits sont essentiels et pour l'artiste oriental les seuls qui comptent. Pour les détails, il peut les modifier à son gré et ne s'en fait pas faute. Il suffit de parcourir les dessins que
nous avons faits de tous ces apotropaia asiatiques pour s'en convaincre.
Il est bien certain que l'identification des masques chinois est souvent très difficile et l'on comprend qu'on en ait donné des interprétations très divergentes.
Il n'en résulte pas moins que les théories que l'on veut établir sur l'une ou l'autre interprétation reposent ainsi sur des bases très fragiles.
Cette imprécision atteste encore que déjà à une époque reculée les artistes chinois
n'étaient plus très certains de la signification de ces masques qu'ils employaient par routine en ayant perdu le sens symbolique.
Au surplus nous avouons que les spécifications et identifications qu'on veut reconnaître particulièrement dans l'ornementation des bronzes ne nous paraissent pas toujours très convaincantes et
qu'il est souvent difficile de choisir entre les prétendus t'ao-t'ie du bœuf, du bélier ou du hibou.
Par ailleurs tout ce que l'Asie nous a appris au sujet de ces masques prophylactiques, de ces apotropaia, nous montre qu'il s'agit d'un monstre carnassier, glouton, vorace, destructeur, aux
regards fascinateurs et mortels, aux griffes de fauve, quand il en a.
Pourquoi voudrait-on que la Chine qui les a conçus de la même manière et peut-être une des premières, ait étendu cette valeur prophylactique et apotropaïque à des animaux aussi pacifiques que le
bœuf ou le bélier ?
...Très souvent le héros est réduit à un masque grimaçant encadré de deux fauves. Plusieurs masques se superposent marquant bien ainsi le symbolisme prophylactique. — Rappelons également la
connexion de l'histoire de Gilgamesh avec l'histoire du géant Humbaba tué par Gilgamesh et dont la tête est également prophylactique.
...Voici encore deux appliques de bronze de la collection Loo où le masque bien caractérisé du t'ao-t'ie, avec ses grands yeux et ses crocs puissants, est surmonté d'une composition où à
nouveau, le thème de Gilgamesh domptant les fauves est figuré avec plus d'ingéniosité mais tout aussi clairement.
Nous assistons ainsi, une fois de plus, à l'interpénétration des mêmes thèmes dans des régions fort éloignées les unes des autres, sans que nous puissions décider avec quelque certitude comment
elle s'est faite. Cette constatation nous montre les difficultés d'appréciation sur l'originalité et l'interprétation de thèmes semblables.
L'étude de l'iconographie du dragon chinois se heurte à des difficultés et même à des
contradictions nombreuses.
Une des premières, c'est que le dragon peut prendre différentes formes et se métamorphoser à son gré.
Multiplicité des formes du dragon. — Les textes décrivent par exemple un cheval-dragon, comme ayant
une tête et des jambes de cheval ; comme il a des ailes malgré son corps couvert d'écailles, il est capable de marcher sur l'eau sans couler et on le considère comme une divinité de la rivière.
Des formes diverses de dragons sont figurées sur les dalles de Wou Leang ts'eu, où des dragons-chevaux, ailés ou non, des dragons-nuages, des oiseaux-nuages à queue de serpent, se poursuivent
dans une course échevelée.
D'autres fois le dragon peut se transformer en homme ou en femme : M. Elisséeff rappelle un texte, tiré du Tch'eng yi ki de Tchang Kiun-fang (préface de 1003 A.D.) et signalé également par M. W.
de Visser et par M. K. Shiratori :
« Un peintre, assez connu pour ses peintures de dragons, reçoit un jour la visite d'un couple, et apprend de leur bouche qu'« il existe des dragons mâles et des dragons femelles et leur forme
n'est pas la même : le mâle a des cornes proéminentes, des yeux profonds (et sévères), un grand nez, une crinière pointue, des écailles abondantes, le devant du corps important et qui va
diminuant vers la queue ; (il vomit) abondamment des flammes rouges ; la femelle a des cornes à bout coupé, le nez aplati, la crinière droite, les yeux ronds, les écailles rares et une queue
puissante placée sous le ventre. Lorsque le peintre demande comment le couple sait tout cela : « C'est parce que nous sommes des dragons », répondent-ils « et que nous désirons vous montrer notre
forme », et ce disant ils se transformèrent en dragon mâle et en dragon femelle. Bien que le texte soit de l'époque des Song, on peut croire avec M. Elisséeff qu'il y avait là une vieille
tradition.
Une des formes sous lesquelles se présente le plus souvent le dragon est celle d'un serpent
interprété avec plus ou moins de fantaisie et de liberté : nous avons vu combien partout le serpent est lié à l'humidité et le dragon dispensateur des pluies ne pouvait manquer de s'extérioriser
sous un aspect serpentiforme. Par ailleurs, l'éclair accompagnant l'orage devait en donner l'image puisque pour nous-mêmes il se présente sous la forme d'un serpent de feu.
Mais des textes signalent encore l'apparition du dragon sous l'aspect d'un chien, d'un rat, d'une vache, voire même d'un objet.
Cette faculté du dragon de pouvoir se métamorphoser sous différentes formes est à retenir, car elle est de première importance : elle explique pourquoi le Chinois peut désigner sous le nom
dragons des êtres aussi différents que le cheval ou le serpent et lui donner parfois une tête de fauve ; elle nous fait également comprendre pourquoi certaines formules peuvent s'adorner
d'additions comme des plumes sans pour cela former une nouvelle catégorie de dragons, différente des autres, mais tout simplement pour souligner telle qualité particulière sur laquelle on veut
insister.
Il n'y aurait donc pas lieu de constituer diverses espèces de dragons, mais plutôt de se convaincre de l'impermanence de leurs formes et de leurs perpétuels changements.
Il n'est pas douteux que celles-ci ont subi l'évolution des croyances et des légendes, mais il est à remarquer que leur caractère le plus accentué et qui deviendra la règle générale, c'est son
aspect allongé, son caractère serpentiforme, qui met le dragon en relations à la fois avec la terre, le ciel et l'eau.
Si c'est bien là le caractère le plus général du dragon chinois, il n'en demeure pas moins que ses formes sont très variables et que, en conséquence, il est très dangereux d'étendre certains
caractères à toute la famille en s'appuyant sur des particularités relevées seulement sur certains d'entre eux.
Le dragon d'après les textes. — Voici maintenant comment les textes nous renseignent sur la forme et la
terminologie de différents dragons.
M. K. Shiratori, d'après le dictionnaire Kouang ya de l'époque Wei (386-534) nous donne :
1. Le dragon couvert d'écailles s'appelle kiao long.
2. Celui qui est pourvu d'ailes s'appelle ying long.
3. Celui qui a des cornes s'appelle k'ieou long.
4. Et celui qui est dépourvu de cornes s'appelle tch'e long.
Wang Fou, un auteur de l'époque des Han, nous apporte une description plus détaillée du dragon. « On représente le dragon avec une tête de cheval et une queue de serpent. De plus, il existe des
expressions telles que « les trois articulations » et « les neuf ressemblances » (du dragon), soit : de la tête aux épaules, des épaules à la poitrine et de la poitrine à la queue. Telles sont
les articulations. Les neuf ressemblances sont les suivantes : ses cornes ressemblent à celles d'un cerf, sa tête à celle d'un chameau, ses yeux à ceux d'un démon, son cou à celui d'un serpent,
son ventre à celui d'une huître, ses écailles à celles de la carpe, ses serres à celles de l'aigle, les plantes de ses pattes à celles du tigre et ses oreilles à celles de la vache. Sur sa tête
il a quelque chose comme une large proéminence appelée tch'e mou. Un dragon sans tch'e mou ne peut monter au ciel ».
Cette description offre le très grand intérêt d'insister sur la composition hétéroclite du dragon qui n'est pas un être réel, vivant dans la nature, mais un être surnaturel, empruntant à divers
animaux les éléments qui expriment le mieux ses différentes qualités.
Influences diverses
en Sérinde. — D'autre part quand on se transporte dans la Chine extérieure, dans cette Sérinde qui fut toujours la voie terrestre de communication interasiatique et le lieu de
rencontre de l'Orient avec l'Extrême-Orient nous ne p.198 serons pas surpris de voir le dragon se rapprocher tantôt de la Chine tantôt de l'Orient. C'est ainsi qu'une peinture murale de Kïzïl
[ci-dessus], du VIIIe siècle environ nous montre un dragon que l'on verrait sans étonnement transpercé par la lance de saint Georges sur une miniature irano-byzantine.
Bien au contraire à Bäzäklik [ci-dessous] sur une peinture du IXe siècle environ, jaillit au milieu d'un lac entouré de montagnes un dragon cornu tel que l'art des T'ang l'a finalement
conçu.
Il nous reste à dire un mot de la perle ou du joyau que l'on voit souvent devant la gueule
du dragon et qu'il semble vouloir avaler. À la vérité, de même que la terminaison du dragon en queue de poisson, la perle n'apparaît qu'assez tardivement dans l'art chinois.
On a naturellement donné de ce thème des explications très divergentes.
Certains ont voulu y voir l'image du soleil caché par les nuages, et les pluies du printemps ; d'autres ont cru y trouver la lune : « Quand le dragon tient sa perle, il cesse de dormir ». Enfin
on a pensé que ce pouvait être l'image de la foudre. Il n'est pas impossible que chacune de ces explications ait pu être vraie dans l'un ou l'autre cas, car sans aucun doute cette perle pouvait
prêter à confusion.
On pourrait peut-être beaucoup plus simplement faire un rapprochement avec les perles et joyaux associés au makara, le congénère indien du dragon chinois. Nous avons vu plus haut que
cette opinion se basait sur la croyance en la force productrice de richesses du monstre marin. Légendes indiennes et japonaises le montrent provoquant des naufrages de navires chargés de joyaux,
pour reprendre son bien.
M. de Visser cite un texte du Chou yi ki (VIe siècle), qui fait mention de
perles-dragons crachées par des dragons, comme les perles-serpents le sont par des serpents.
Il est vrai que De Groot note également les perles du tonnerre qui s'échappent goutte à goutte de la bouche des dragons et sont lumineuses la nuit.
Il n'est pas douteux que le dragon chinois ne soit en connexion avec les phénomènes météorologiques, l'orage, la pluie, la foudre, ce qui justifierait aussi cette dernière interprétation.
Il est vraisemblable que le problème de la perle ou du joyau, comme tant d'autres, comporte plusieurs solutions et que le tort de tous les auteurs est de n'en accepter qu'une seule suivant leur
préférence.
S'il est vrai que la perle n'apparaît qu'assez tardivement associée au dragon, à l'époque des Han, sa présence sollicite cependant une explication et l'on doit retenir celle que donne Éd.
Chavannes.
« Qu'est-ce alors », dit-il, « que le disque si improprement appelé « la perle » par le vulgaire ? On a prétendu que c'était le soleil que les nuages pluvieux s'efforcent de cacher.
Hirth a proposé une explication plus vraisemblable ; il appelle notre attention sur la petite volute qui se trouve toujours à l'intérieur du disque [ci-dessous] ; cette volute est marquée aussi
dans certains dessins sur les tambours que le dieu du tonnerre frappe à tour de bras ; elle est l'image du roulement du tonnerre : de fait le caractère de l'écriture qui désigne le tonnerre était
formé primitivement d'une simple ligne enroulée sur elle-même. Le disque avec lequel joue le dragon est donc le tonnerre ; les lignes sinueuses qui l'entourent sont les nuages, et c'est un vieux
mythe de l'orage qui est ainsi figuré ».
Quant à nous, nous inclinerions à croire que souvent ces lignes sinueuses à l'entour du
disque figurent plus clairement ou des flammes ou les sinuosités de l'éclair.
À ce propos nous signalerons la curieuse analogie avec un ornement en forme de flammes (flying dame) fréquemment employé dans la décoration à Bali, à Java, en Birmanie, au Cambodge et sur lequel
M. H. Marchal a attiré l'attention.
Cet ornement interprété avec beaucoup de variété aurait d'après M. H. Marchal un caractère magique et représenterait plastiquement la puissance énergétique et spirituelle de certains êtres,
dieux, héros, prêtres, et serait ainsi l'expression matérielle de leur puissance. Cette conception s'appliquerait également bien à l'ornement se trouvant devant le dragon.
Faut-il ne voir dans cet ornement qu'une seule et même signification ? Son identification n'a-t-elle pas changé au cours des siècles ?
Dans ces conditions sphère ou cercle, entouré ou non de lignes sinueuses, ont très bien pu être interprétés soit comme une perle, soit comme un disque lunaire ou solaire, soit comme la foudre,
soit enfin comme expression d'une puissance magique et il y avait assez de légendes pour justifier l'une ou l'autre de ces interprétations.