Lieutenant-colonel Verraux
COMMENT ON APPLIQUE LA JUSTICE EN CHINE
À travers le monde. Hachette, Paris, 18 mars 1905, 11e année, pages 81-84.
Au plein cœur du Tchi-li, sur la route qui conduit de Tien-tsin à Pao-ting-fou, existe
une petite localité chinoise qui s'appelle Hioung-hien. Pendant l'occupation internationale de 1900-1901, un poste français y avait été établi comme centre du commandement de la ligne d'étapes
qui reliait ces deux grandes villes occupées par nos troupes. C'est là que notre correspondant eut le loisir d'étudier sur le vif les différentes manifestations de la justice en Chine.
Dans les petites localités chinoises, telles que les sous-préfectures, le tche-hien (tel est le titre du mandarin placé à la tête de l'arrondissement), est tout à la fois administrateur
et juge. Ses audiences n'ont pas lieu à jour fixe, mais sont assez fréquentes ; il rend la justice dans son yamen.
Comme toute habitation chinoise, le yamen se compose d'une succession de cours dont les différents corps de logis constituent les côtés. À Hioung-hien, par exemple, le tribunal est situé au fond
de la deuxième cour. C'est une pièce rectangulaire, fermée sur trois côtés seulement ; la quatrième face est ouverte sur la cour où se tient le public, les jours d'audience, à l'air libre. Seuls
le mandarin et ses assistants, légistes, greffiers, scribes, occupent la pièce. Le plancher est élevé de quelques marches au-dessus du sol, de telle sorte que le juge est comme sur une estrade.
Une table et quelques sièges rustiques constituent tout le mobilier.
Si le mandarin est en principe le chef de la justice dans son district, il n'est en réalité que l'exécuteur officiel des décisions d'un de ses subordonnés, le légiste. Le légiste est un
personnage de haute importance : il a charge d'examiner les affaires qui sont portées devant la justice du mandarin, il tient les dossiers. Il nous confie, d'ailleurs, maintes fois à l'oreille
que le brave Sou n'y entend rien, tandis que lui, outre qu'il possède la loi à fond, il est au courant de toutes les affaires du pays, il connaît tout le monde. De telle sorte que Sou est bien
obligé de suivre docilement ses avis. Au surplus, il se targue d'être inflexible et incorruptible ; mais il le répète trop pour qu'on le croie. Vantant la justice et l'impartialité de la loi
chinoise, il ajoute qu'il est interdit au légiste, dans n'importe quel procès, d'entendre directement les parties. Il doit se borner à donner son appréciation sur le vu des pièces. Sage
précaution !
Il n'y a pas de pays où la justice exige plus de formalités et soit plus vénale qu'en Chine, et cependant il n'en est pas où il y ait eu plus de procès. Quand un individu a quelque contestation
avec un autre et qu'il croit de son intérêt d'en saisir le tribunal, il se rend au yamen, s'abouche avec un greffier et s'arrange à l'amiable avec celui-ci pour lui faire rédiger son accusation ;
celle-ci affecte toujours la forme d'une complainte. De là il va, toujours dans le yamen, au bureau dit de l'administration intérieure, et y dépose sa plainte ; on prend note de son nom, de son
domicile, et en même temps on lui fait verser une petite somme en guise de provision. Le légiste examine la cause, dit s'il y a lieu de la retenir et soumet son avis au mandarin qui décide ou
plutôt qui est censé décider. Cette première instruction traîne aussi longtemps que possible, afin d'impatienter le plaignant et l'inciter à venir plusieurs fois dans les bureaux demander où en
est son affaire. Chaque fois, on lui fait une réponse dilatoire ; mais pour prix du dérangement on exige quelques taels. Quand on estime que la comédie a duré assez longtemps, on se décide à
l'envoyer prévenir que sa plainte est prise en considération. Naturellement, il paie la bonne nouvelle. En même temps les satellites chargés de cette communication sont porteurs d'un mandat de
comparution destiné à la partie adverse. Aux yeux de celle-ci, on fait luire l'espoir d'un acquittement facile et on lui soutire tout l'argent qu'on peut. Le malheureux accusé héberge le
courrier, héberge son cheval s'il en a un, lui rembourse les chaussures qu'il a usées s'il est venu à pied. Il est ensuite conduit au yamen, mais on a soin de ne pas le laisser se rencontrer avec
le mandarin ; on lui fait croire que celui-ci ne le recevra que moyennant une grosse somme, et on ne lui laisse aucun répit qu'il ne se soit dépouillé de tout ce qu'il a. On le met à la portion
congrue, tandis qu'on se régale devant lui, avec les friandises que ses parents et amis lui envoient. On a soin toutefois de ne le voler que par persuasion afin que s'il portait plainte on puisse
lui répondre qu'il n'a donné, somme toute, que ce qu'il a bien voulu. Le Chinois est tellement crédule que, quoique déjà instruit par sa propre expérience et par celle de ses amis, il donne quand
même.
Quand il s'agit d'un gros délit ou d'un crime, le mandarin est à la fois juge et procureur ; le mandarin se rend de sa personne sur les lieux, dès qu'il en est avisé soit par une plainte, soit
par la rumeur publique. Il est accompagné de tout le personnel du bureau, dit de la justice, qui comprend des greffiers et des experts. L'expert, en cas d'assassinat, est un homme ou une femme,
selon que sa victime est elle-même un homme ou une femme. C'est à lui qu'incombe le soin d'examiner le cadavre. Il détermine si la mort a été naturelle ou violente, si l'assassin s'est acharné
sur sa victime ; ce dernier point est très important, car la peine en ce cas pourra être plus forte, et comme, le plus souvent, elle se traduira par une indemnité allouée à la famille, celle-ci a
tout intérêt à ce que la malheureuse victime ait subi les plus grandes violences. On va jusqu'à payer l'expert pour qu'il conclue dans ce sens, et celui-ci simule alors très habilement des traces
de coups de bâton, de coups de sabre. Par contre, s'il ne reçoit rien, il déclarera que les blessures étaient légères, que l'homme n'aurait pas dû en mourir, et laissera entendre qu'il a eu un
bien mauvais caractère pour trépasser sans raison et qu'il a joué un bien vilain tour à son agresseur, très honorable Chinois, qui lui a donné une simple chiquenaude ; il cherchera même à
s'entendre avec ce dernier, et si celui-ci y met le prix, il affirmera que la mort est le résultat d'un accident, découvrira des traces de roues sur le corps de l'infortuné et verbalisera dans ce
sens.
Rien de moins solennel que les jugements. Le mandarin est assis à une table placée sur l'estrade ; autour de lui, debout, les serviteurs accoutumés. Des greffiers inscrivent les demandes et les
réponses. Dans la cour, au pied du tribunal, à genoux, plaignants et accusés ; ceux-ci sont toujours enchaînés, quelque futile que soit le délit qui leur est reproché. Les séances sont longues,
aussi n'exige-t-on pas de tous ces malheureux agenouillés une tenue extrêmement correcte ; nous avons vu des femmes en jugement allaiter leurs enfants et répondre aux questions, un marmot
suspendu au sein.
Avant l'audience, on entend un grand remue-ménage par tout le yamen : ce sont les appariteurs qui appellent les greffiers, les chefs des bureaux, les bourreaux ; c'est le peuple qui entre, très
friand de pareils spectacles. Le Chinois, toujours prêt à recevoir la bastonnade pour son propre compte, se réjouit de la voir donner aux autres. Aucune cause n'est jugée à huis clos.
La profession d'avocat est inconnue en Chine ; cependant, à titre privé, certains individus à la parole facile font office d'intermédiaires entre les plaideurs. Ils cherchent à arranger les
procès, mal vus, d'ailleurs, des gens officiels de justice, qu'ils privent de leurs bénéfices. Ceux-ci finissent cependant par se résigner en extorquant encore quelque somme de ceux qui viennent
retirer leur plainte. Les intermédiaires, pour opérer plus facilement les réconciliations, invitent les adversaires à un repas dont ceux-ci paieront, du reste, les frais ; puis quand ils sont
bien repus et un peu ivres, ils cherchent à provoquer leur hilarité. Ils obtiennent ce qu'on appelle l'éclat de rire forcé ; cet éclat de rire est le signe de la réconciliation. Les
intermédiaires ont encore recours à un autre expédient : ils conseillent à l'accusé de se faire de fausses blessures et d'affirmer que son accusateur, commençant à se faire justice lui-même, l'a
frappé ainsi ; puis ils vont trouver l'accusateur et lui persuadent que le tribunal se laissera influencer par de tels arguments et le déboutera de sa plainte ; celui-ci, devant la perspective
d'un contre-procès, hésite et finalement renonce. Au surplus, sort-il des mains des intermédiaires, c'est pour tomber entre celles des satellites qui lui réclament leur dû pour avoir porté le
mandat de comparution à son adversaire, pour avoir amené celui-ci, pour l'avoir gardé ; se refuse-t-il à payer, on fait évader le prisonnier, ou mieux on le cache, et c'est alors de celui-ci
qu'on exige une rançon. La moitié des Chinois passe son temps à exploiter l'autre moitié, et c'est toujours fortement allégés que plaignants et accusés comparaissent devant le tribunal.
La cause a été examinée à l'avance par le légiste, celui-ci a donné son avis, et les débats, de pure forme, n'y changeront rien. Ils seront conduits de telle sorte, avec tels arguments frappants
à l'appui, qu'il faudra bien que chacun se range à cet avis.
Un accuse nie avec indignation, n'importe, le légiste a déclaré qu'il était coupable, il faut qu'il le soit. On le torturera jusqu'à ce qu'il avoue. D'abord, ce sera la petite torture : l'homme,
couché sur le ventre, est frappé à nu de vingt coups de lame plate. Puis, nouvelles questions, nouvelles dénégations ; alors on recommence : coups sur les mains, soufflets au visage, et de
nouveau cinquante, cent coups de verge, jusqu'à ce que la chair soit à vif et que le sang coule. Moins nerveux que l'Européen, le Chinois résiste d'abord assez stoïquement, mais à la fin la
douleur l'emporte, et il avoue le vol qu'il n'a pas commis. Vite alors on lui fait signer sa soumission, son aveu ; le plaignant signe à côté, et l'affaire est réglée. La justice chinoise est
satisfaite. S'il est riche, on maintiendra le voleur en prison et on le libérera quand sa famille aura remboursé le volé, avec intérêts cela va de soi, et quand elle aura envoyé des
gratifications à tous ceux qui, de près ou de loin, se sont occupés de la cause. S'il est pauvre, il restera enfermé autant de temps que cela conviendra au mandarin, qui peut le libérer dès le
lendemain aussi bien qu'il peut le conserver enchaîné jusqu'à sa mort.
Telle est l'interprétation de la loi chinoise, juste, humaine, quand on n'en considère que le texte ; telle est cette civilisation si renommée, mais qui n'est qu'une apparence.
À Hioung-hien la prison est contiguë au yamen ; elle est ceinte d'un mur épais. Une porte massive donne sur la rue ; on traverse une première cour, puis une seconde, au fond de laquelle est un
pavillon qui sert d'habitation aux geôliers, tous gens de mine patibulaire. Rien d'étonnant, d'ailleurs, ce sont tous d'anciens prisonniers, qui ont monté en grade. De l'autre côté de ce pavillon
est une grande cour carrée, dont les autres faces sont tenues par les logements des prisonniers. Aux angles sont construites les cellules réservées aux plus dangereux. Les prisonniers ordinaires
habitent pêle-mêle, on ne leur coupe ni les cheveux ni la barbe, ils ne se lavent pas. On ne change jamais leurs effets à moins que leurs familles ne leur en envoient. Aussi, pour la plupart,
couverts de haillons, présentent-ils un aspect hirsute et répugnant.
Quelques-uns, toutefois, ceux que leurs parents n'oublient pas, peuvent obtenir à des prix très élevés quelques adoucissements au régime, un local séparé, des ustensiles de toilette, la visite
d'un perruquier. Cette visite n'a d'ailleurs jamais lieu qu'en présence des geôliers, car ils auraient tôt fait de se précipiter sur le rasoir et de se trancher la gorge. Malgré les précautions
prises, le suicide est extrêmement fréquent dans les prisons, comme partout, du reste, en Chine.
Les criminels sont enfermés dans des cellules d'où ils ne sortent jamais ; de grosses chaînes les retiennent par les mains, les pieds et la ceinture, de telle sorte qu'ils peuvent à peine
remuer.
En principe, d'après les lois de l'empire, les prisonniers devraient être traités humainement ; mais en cela comme en tout, la loi est lettre morte, et qui croirait connaître la Chine par ses
textes se tromperait étrangement. Cependant, on prend soin des malades, mais pour cette raison seulement que le traitement se fait aux frais de l'empereur ; le mandarin ne paie pas le médecin, et
dans ces conditions n'hésite pas à l'envoyer chercher. D'autre part, ce fonctionnaire doit envoyer, chaque mois, l'état des décès survenus ; s'ils paraissent trop nombreux, un inspecteur vient
visiter la prison et fait un rapport. Malgré cela, les décès dans ces établissements privés de toute hygiène sont très fréquents. On les dissimule au public, et le corps du défunt n'est jamais
sorti par la porte, mais bien par un trou qu'on rebouche ensuite. Les Chinois d'un certain rang, quand ils se sentent en danger de mort, demandent en grâce de sortir de la prison avant d'expirer,
supplient leurs parents ou amis d'acheter leur rançon quelque prix qu'on leur demande, car ils ne considèrent rien de plus infamant que de passer par ce trou. Une des plus graves injures qu'on
puisse adresser à un Chinois est de lui dire : « Puisses-tu être traîné par le trou de la prison ! »
L'emprisonnement n'est cependant pas considéré comme un châtiment. On ne condamne jamais à tant de jours, de mois ou d'années de prison. C'est tout simplement une salle d'attente, mais
quelquefois une salle d'attente à perpétuité. On y reste jusqu'à ce qu'on ait payé ses dettes, jusqu'à ce qu'on ait remboursé un vol commis ; en général, mais toujours selon le bon plaisir du
mandarin, jusqu'à ce qu'on ait réparé par le don d'une somme suffisante un méfait commis à l'égard d'un individu ou de la société.
Les individus passibles de la peine de mort y attendent également la décision de l'empereur, qui seul peut prononcer cette peine après une série de formalités.
La loi chinoise prévoit une foule de châtiments ; mais les plus usités sont la bastonnade et la cangue. En pratique, d'ailleurs, toute faute peut se racheter à prix d'argent. Le délinquant reçoit
en sus quelques coups de bâton, mais comme disait le mandarin Sou, ceci n'est pas une affaire. Ce genre de correction est plutôt considéré comme paternel ; une vingtaine de coups sont appliqués
pour des fautes légères, pour des paroles trop vives, pour des rixes. Ces rixes sont d'ailleurs rares ; le Chinois discute beaucoup, mais il n'aime pas en venir aux mains. La preuve que cette
bastonnade a un caractère tout paternel, c'est que celui qui vient de la subir doit se prosterner trois fois devant le juge pour le remercier du soin qu'il prend de son éducation, en le
corrigeant comme il le mérite. Par piété filiale, il arrive souvent que le fils se propose pour recevoir les coups de bâton à la place de son père. Enfin cette correction n'a rien d'infamant, et
elle est quelquefois appliquée par ordre de l'empereur aux plus hauts fonctionnaires de l'État.
Lorsqu'un mandarin sort, il est toujours accompagné de satellites, munis de verges, afin de pouvoir relever, séance tenante, les fautes qu'il constate sur son passage. Qu'un homme à cheval, qui
se trouve sur sa route, ne descende pas assez vite de sa monture, aussitôt on l'appréhende au corps et on le fustige cinq ou six fois ; qu'un autre traverse la rue devant le cortège, ce sera
encore quelques coups.
Le mandarin n'est pas seul à avoir qualité pour faire fouetter les gens ; le professeur a les mêmes droits vis-à-vis de ses élèves, grands et petits, le père à l'égard de ses enfants, le maître
sur ses domestiques. Au contraire, le mandarin est seul dans son district à posséder le droit de prescrire le châtiment de la cangue. On connaît ce supplice : le condamné, le cou emprisonné dans
un large carré de bois, ne peut plus ni voir ses pieds ni porter ses mains à la bouche ; il a besoin de quelqu'un pour manger. Il porte ce fardeau nuit et jour. Sur le plateau, on colle une bande
de papier sur laquelle on écrit en gros caractères la nature du délit et le degré de la punition. Les condamnés au supplice de la cangue doivent rester parfois libres, parfois enfermés en un
endroit fixé, qui est toujours un endroit fréquenté, afin que l'infamie de leur châtiment soit plus complète et serve mieux d'exemple à leurs concitoyens. La cangue est donc un véritable
supplice, et il y en a qui en meurent, soit que la douleur causée par le poids du fardeau, l'impossibilité de se nourrir soi-même si on n'a pas de parents ou d'amis qui s'en chargent, ou encore
le manque de sommeil les terrassent ; soit, enfin, que certains succombent à la honte. Mais il faut bien dire qu'il est souvent difficile, surtout dans les grandes villes et la nuit, de
surveiller les nombreux porteurs de cangue. Les uns font soutenir l'appareil aux quatre coins par des amis, d'autres l'appuient au bord d'un mur ou au dos d'un siège. Il y a encore des loustics
qui se couchent sur le ventre, laissent reposer un des côtés de la cangue par terre et se servent des trous par lesquels leur tête est passée comme d'une fenêtre par laquelle ils regardent
effrontément tout ce qui se fait dans la rue. Quand la punition est expirée, on amène le coupable au mandarin, il lui fait une petite semonce, on lui applique quelques coups de bâton et on le
congédie.
Les femmes participent si peu à la vie publique qu'il est rare que le mandarin soit appelé à les juger et à les punir. Pour les fautes commises à la maison, le mari ou les beaux-parents s'en
chargent. Rien n'empêche, cependant, de leur mettre la cangue et de les emprisonner.
Pour les lettrés, une punition consiste à apprendre par cœur certains textes d'auteurs fameux !
Le bannissement est encore une peine assez commune ; on l'emploie surtout à l'égard des rebelles, des pirates, ou encore des grands personnages qui ont déplu à la cour. Il est à temps ou
perpétuel. Le condamné n'est, d'ailleurs, pas banni de tout le territoire de l'empire, mais seulement d'une ou de plusieurs provinces ; il est ordinairement relégué dans les pays plus ou moins
sauvages, qui sont encore placés sous la domination chinoise, en Mongolie, par exemple.
La peine de mort ne se subit pas, pour tous, de la même façon. Les hauts mandarins, condamnés pour crimes politiques, ont ordinairement la faveur d'être autorisés à se faire mourir eux-mêmes, par
la corde, le poignard ou le poison. Les homicides par imprudence sont étranglés dans la prison. Les assassins ont la tête tranchée ; peine bien plus sensible, car le Chinois, par piété filiale,
tient à conserver intactes toutes les parties de son corps. Quand un criminel doit être exécuté, il comparaît devant le mandarin qui lui fait servir un léger repas ; il lui lit ensuite la
sentence. Si le condamné se répand en invectives, on le bâillonne ; le cas n'est, du reste, pas fréquent, et la plupart du temps le Chinois accueille stoïquement la nouvelle à laquelle il est
depuis longtemps préparé. S'il est d'une classe un peu élevée, on le conduit au lieu du supplice, souvent fort éloigné, en voiture ou en chaise. L'homme du peuple va à pied. Près du supplicié, on
place une petite cage à claire-voie, destinée à recevoir sa tête dès qu'elle sera tranchée et à être suspendue ensuite à quelque mât, aux portes de la ville...
Particularité curieuse : tous les condamnés à mort sont exécutés en Chine, dans toute l'étendue de l'empire, au même jour, fixé en automne.
On trouve en Chine des lois très douces, très humaines, toutes les garanties données à l'accusé, une procédure à plusieurs degrés, une révision de l'accusation par plusieurs cours successives, la
condamnation sur l'aveu seulement ; tout cela serait parfait si, justement, le point capital, l'aveu n'était pas extorqué par les tortures les plus cruelles. Le code chinois est peut-être le
meilleur qui existe : il semble que les législateurs n'ont rien oublié, qu'ils ont prévu les moindres cas ; ils n'ont omis qu'une chose, c'est d'indiquer le moyen d'appliquer les lois. Or ceux
qui en ont charge, avides et cruels, ne songent qu'à emplir leur bourse, et d'un bout à l'autre de l'échelle gouvernementale, ce n'est que mensonge et fourberie.