Virgile Pinot (1883-1936)
DOCUMENTS INÉDITS RELATIFS À LA CONNAISSANCE
DE LA CHINE EN FRANCE DE 1685 À 1740
Librairie orientaliste Paul Geuthner, Paris, 1932.
- Avant-propos : "Les documents que nous publions dans cet ouvrage se rapportent tous à l'origine et à la formation des connaissances sur la Chine au XVIIIe siècle... La plupart proviennent des papiers de l'astronome Delisle (il signe le plus souvent de l'Isle). Il avait l'intention d'écrire une histoire de l'ancienne astronomie et notamment de l'ancienne astronomie orientale. En vue de ce grand travail, qui d'ailleurs ne vit jamais le jour, il se mit en rapport avec les Jésuites, missionnaires en Chine et aux Indes, et il collectionna une quantité innombrable d'observations et de documents. À la mort de Fréret, il acheta les papiers de Fréret concernant l'astronomie chinoise, et la correspondance de ce savant avec les Jésuites de Chine. Delisle légua à sa mort ses papiers au Dépôt des Cartes et Plans de la Marine (Service hydrographique de la Marine). Mais la Convention décida de partager ce dépôt : c'est ainsi que tous les documents concernant l'astronomie furent transférés à l'Observatoire astronomique de Paris. Les papiers de Fréret se trouvent donc divisés en deux dépôts. Mais tout l'essentiel, surtout la correspondance avec les missionnaires en Chine, se trouve dans les archives de l'Observatoire astronomique."
- "Pour que ces Documents fussent plus complets — et pour plus de justice aussi — il aurait fallu publier les lettres du père Gaubil à Fréret, car les noms de ces deux savants doivent être inséparables pour l'historien des connaissances chinoises en France au XVIIIe siècle. Mais il aurait fallu pour cela plusieurs volumes, et à chaque jour suffit sa tâche. D'ailleurs on peut consulter à cet égard l'excellent article que le père Joseph Brucker a consacré à cette correspondance du père Gaubil : Correspondance scientifique d'un missionnaire, dans la Revue du Monde catholique, t. LXXXVI 1883."
Extraits : Lettre de Fréret au père Gaubil. 1735 - Lettre de Fréret au père de Mailla. 1736.
Lettre de Fréret au père Gaubil. 1737.
Feuilleter
Télécharger/Lire aussi
J'ai reçu cette année 1735 les différentes lettres que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire le 28 octobre 1733 et les 7 septembre, 5 et 6 décembre 1734 avec vos Remarques sur ma dissertation et une longue note sur le Chou-king duquel vous donnez une espèce de Notice.
En conséquence de vos lettres j'ai demandé et j'ai obtenu la communication de votre notice de la chronologie chinoise. Le R. P. de Mailla auquel vous avez eu la bonté de montrer mes lettres et ma
dissertation m'a fait l'honneur de m'écrire pour me marquer qu'il avait mandé au R. P. Morand de me communiquer la préface historique de sa traduction du Tong kiene cang mou [Tong
kien kang mou], et cette préface m'a été envoyée de Lyon par le R. P. Morand. C'est là M. R. P. une nouvelle obligation que je vous ai et de laquelle je ne puis assez vous marquer la vive
reconnaissance dont je suis pénétré. Ce que j'ai vu de son ouvrage m'a instruit d'une infinité de choses importantes que j'aurais ignoré sans sa préface, et quoi qu'il n'ait pas traité sa matière
avec cette critique approfondie et cette précision qui se fait sentir surtout dans la seconde partie de votre notice parce qu'il se propose un objet différent du vôtre et que son but est
proprement comme il le dit lui-même de donner l'histoire des Histoires authentiques de la Chine, en réunissant ces deux écrits je me suis trouvé assez instruit sur cette matière pour ne
désirer presque plus rien. Comme vous me parlez dans vos lettres de différents écrits et que vous me promettez la communication de la plupart, vous trouverez bon que je commence cette lettre que
je prévois devoir être très longue par une liste de ces écrits. Cette liste servira à vous rappeler des promesses que la longueur du temps et la distraction de vos continuelles occupations
auraient pu effacer de votre souvenir. De tous ces écrits je n'ai vu que la Notice de la chronologie et j'oserais vous supplier de marquer formellement au R. P. Souciet que vous souhaitez qu'il
me laisse prendre communication de ceux qui sont entre ses mains. Comme tout ce que vous lui envoyez lui est précieux il n'est pas obligé de m'en croire sur ma parole et il peut avoir quelque
répugnance à laisser voir ce que vous lui adressez.
1° Une histoire complète des Tartares Mongoux depuis Genghiscan jusqu'à Chune-Ti [Chouen ti] leur dernier empereur, avec des notes contenant des éclaircissements sur la Chine et la Tartarie
ancienne et moderne.
2° Un recueil d'observations des occultations des étoiles fixes par les planètes et des apparitions de comètes. Comme j'ai donné quelque chose sur cette matière à notre Académie je serais
extrêmement curieux de voir cet article des comètes.
Vous rapportez à la page 86 de votre Histoire de l'Astronomie chinoise que selon le témoignage du bonze Y Hang [Yi Hing] on vit sous les Tsines [Ts'in], vous ne distinguez pas lesquels,
l'étoile Sinus éclipsée par la planète de Vénus. Il est visible que ce fut une comète que l'on prit pour Vénus parce qu'on commença à la voir auprès du Soleil lorsqu'elle se dégagea des rayons de
cet astre. J'ai rapporté dans la dissertation dont je vous parle un ancien exemple d'une comète prise pour la planète de Vénus (vers l'an 1464 avant J.-C.), d'une autre prise pour une des
Pléiades vers l'an 1193, etc.
Je ne connais point où le père Bouvet et le père d'Entrecolles ont parlé du passage de Hoaï-nane-tze [Houai nan tseu] au sujet de la station et de la rétrogradation du Soleil. Si ces écrits sont
entre les mains du père Fouquet cela méritait bien une note de sa façon ; s'ils ont été publiés il aurait fallu le marquer et les indiquer d'une manière plus exacte. Ce témoignage d'Hoaï-nane-tze
est une chose qui mérite d'être éclaircie aussi bien que la manière dont il aura été instruit du fait. Car pour en conclure quelque chose en faveur de la Religion il faudrait que ce ne fût ni des
juifs ni des mahométans ni des chrétiens qu'il le tînt et en ce cas il serait fort singulier que la tradition en eût conservé le souvenir à la Chine sans que l'histoire authentique en eût fait
mention malgré l'attention des écrivains de cette Histoire à rapporter les singularités astronomiques parmi lesquelles un semblable fait tient sans doute le premier rang.
3° Un écrit sur les anciennes constellations et sur les anciens catalogues chinois des étoiles fixes dans lequel vous donnez les éclaircissements que j'avais pris la liberté de vous demander à ce
sujet et j'espère que vous voudrez bien encore que le R. P. Souciet m'en donne communication.
4° Un écrit sur les anciennes observations des solstices faites à la Chine depuis l'an onze cent onze envoyé en France depuis le mois de juillet 1734 par la voie de Russie. J'ai vu ce que vous
écrivez à ce sujet au R. P. Parrenin pour être communiqué à M. de Mayran et je crois devoir vous rendre compte du nouveau système d'un astronome anglais au sujet du changement de l'obliquité de
l'écliptique, système qui mérite d'autant plus d'attention que nos esprits forts d'Europe abusent étrangement de celui de M. le chevalier de Louville pour établir l'éternité du monde ou du moins
pour lui donner une durée qui ne s'accorde pas avec la tradition religieuse consacrée par l'Écriture sur l'origine du monde. Ils supposent que de ce changement d'obliquité de l'écliptique et du
mouvement très lent par lequel elle s'approche sans cesse de l'équateur on doit conclure que l'écliptique suit une révolution continuelle dans le méridien du mouvement diurne, qu'il y a eu un
temps dans lequel elle a coupé l'équateur à angles droits et qu'après s'être réunie avec ce cercle elle s'en séparera de nouveau en sorte qu'au bout d'un certain nombre de siècles elle le coupera
encore à angles droits. Alors le Soleil se trouvera dans le courant de la même année au zénith de chacun des deux pôles, ce qui durera sensiblement pendant un certain nombre de siècles et fondra
les glaces des pays arctiques et antarctiques, que chacun des différents climats de la Terre aura le Soleil à son zénith dans le cours d'une année et se trouvera dans le plus grand éloignement
possible de cet astre. Pour vous expliquer en détail comment ils trouvent là-dedans les preuves de l'autre partie de leur système qui est la circulation de la mer sur la surface du globe, il
faudrait employer beaucoup de temps, encore ne sais-je si j'en viendrais à bout car nos esprits forts qui ne sont pas gens à idées claires sont sujets à se payer de principes plus obscurs que
ceux qu'ils rejettent. Il est du moins certain qu'ils croient trouver ces preuves dans le changement d'obliquité de l'écliptique et que le jargon astronomique et physique qu'ils emploient en
impose aux gens du monde ; c'est un fait dont j'ai été témoin et il serait fâcheux qu'ils pussent alléguer le témoignage des missionnaires et les anciennes observations des Chinois pour
s'autoriser dans leurs idées.
Le système de l'astronome anglais ne donne pas lieu à conclure la révolution de l'écliptique autour de notre globe. Il prétend que ce changement n'est qu'une variation renfermée dans des limites
assez étroites et dont la révolution se fait dans le même espace de temps que la révolution des nœuds de la Lune dans l'écliptique de cette planète. Dans ce système la variation de l'obliquité de
l'écliptique du Soleil et de celle de la Lune, la libration de cette planète, la révolution des nœuds peuvent venir d'une seule et même cause, savoir d'un changement réel dans l'inclinaison de
l'axe annuel par rapport à l'axe diurne ; car M. Halley et depuis lui M. Godin de l'Académie des sciences ont prouvé qu'il n'est arrivé aucun changement depuis les temps connus dans la situation
de l'axe et des pôles terrestres du mouvement diurne, mais que l'axe du mouvement annuel a changé et que les pôles de l'écliptique de même que la latitude des étoiles voisines de l'écliptique ne
sont plus les mêmes qu'elles l'étaient autrefois. Dans le système de l'astronome anglais ces différences viennent de la différence du temps de la période de 19 ans dans lequel les observations
ont été faites. La plus grande obliquité connue est celle de 23° 50' 14" observée par Pythéas et la moindre est celle de 23° 27' 37" observée en 1686 à Nuremberg par M. Wurtzelbaur.
Ce système peut servir à rendre raison de la variété des observations de l'obliquité de l'écliptique car ces observations la font successivement croître et décroître. Ce système qui n'est encore
qu'ébauché demande une suite continue d'observations exactes. L'astronome anglais a commencé de les faire mais si vous avez comme je le crois un grand nombre d'observations suivies faites selon
la même méthode et avec les mêmes précautions dans des lieux dont la latitude soit bien exactement connue vous serez en état de vérifier cette hypothèse.
Je finis cette longue digression pour reprendre ma liste.
5° Vous promettez d'envoyer un éclaircissement sur le Tsou chou plus étendu que ce que vous en avez dit dans votre notice et vous me faites espérer que vous me l'enverrez à la première
occasion.
6° Vous me promettez un calcul des jours d'un intervalle de 70 ans rapporté dans Tchune tsieou [Tch'ouen ts'ieou].
7° Vous me promettez de me faire voir votre traduction du Chou-king avec des notes étendues.
8° Vous annoncez une traduction du Chi-king [Che King] avec des Remarques sur les choses nécessaires à l'intelligence de ce livre.
9° Vous me faites espérer une notice des livres et des fragments des anciens livres échappés à l'incendie. Vous pourriez y joindre ceux qui furent publiés sous les Hanes lors du renouvellement
des Lettres.
10° Vous me promettez une dissertation du père Régis sur les Kings, sur leurs éditions, sur leurs premiers interprètes etc. Vous m'apprenez que cette dissertation a été envoyée en France
il y a quelques années mais on n'en a point ouï parler.
11° Il faut en dire autant de la dissertation sur les sectes philosophiques de la Chine par un ancien missionnaire ; elle est totalement inconnue. On n'a vu là-dessus outre ce qui est dit dans
les Relations imprimées que ce qu'en dit le père Couplet dans sa préface du Confucius et il n'y a rien d'approfondi ni d'exact dans cet ouvrage auquel d'ailleurs on a fait de grands
retranchements lors de l'impression.
Ce que vos lettres m'apprennent des différents écrits envoyés en Europe me confirme dans la pensée où j'étais déjà que vos Pères d'Europe tiennent bien des trésors enfouis. Je me flattais que le
R. P. du Halde en aurait profité pour son grand ouvrage sur la Chine mais mon attente a été trompée. Vous verrez sans doute cette collection cette année-ci et vous jugerez par vous même si le
public a tort d'être mécontent de ce qu'on lui fait payer 200 l. d'un ouvrage dont on semble avoir cherché à grossir le volume sans en augmenter la matière et dans lequel il ne trouve presque
rien qu'il n'eût déjà dans des livres communs.
J'espère que vous me pardonnerez cette liberté avec laquelle je parle de l'ouvrage du père du Halde, à mon zèle et à mon amour pour la littérature chinoise. Je crains que le mauvais succès de ce
livre ne contribue à dégoûter nos libraires qui ne sont pas déjà trop bien disposés pour les entreprises qui concernent l'érudition chinoise. Le R. P. É. Souciet s'est plaint à moi de leur
tiédeur pour imprimer la suite des Observations de vos Pères. Peut-être aussi aurait-il pu donner à cet ouvrage une forme un peu plus attrayante pour le public et plus satisfaisante pour les
lecteurs. Vous savez M. R. P. que nous autres Français sommes un peu sensibles à cet article, nos esprits sont en même temps vifs et paresseux, et nous voulons que les auteurs par la disposition
méthodique des matières nous épargnent une partie de la fatigue qui accompagne la lecture des ouvrages abstraits.
Vous me marquez que vous n'aviez pas écrit votre Histoire de l'astronomie chinoise pour être imprimée mais seulement pour donner à Messieurs Cassini et Maraldi les éclaircissements
qu'ils avaient paru désirer. Je vois par là M. R. P. avec quelle bonté vous avez reçu le jugement que j'avais pris la liberté de porter sur la forme de votre ouvrage, et rien au monde n'était
plus propre à me confirmer dans l'opinion que je me suis formée de votre modestie, qu'il est rare de trouver des écrivains qui aient le courage de convenir qu'il peut manquer quelque chose à leur
ouvrage et la générosité de pardonner à ceux qui ont la hardiesse de le leur dire. Je compte tellement sur cette bonté M. R. P. que je ne craindrai point de vous exposer ce que je désirerais dans
votre notice mss des écrivains de la chronologie chinoise. Cet ouvrage excellent pour le fonds et rempli de choses également curieuses et instructives pourrait avoir besoin d'être remanié pour la
forme : 1° on désirerait que les différents articles fussent un peu plus liés qu'ils ne le sont et la chose serait facile en y joignant la notice des différentes Histoires authentiques publiées
par le Tribunal, ce qui pourrait se faire aisément sans copier ce que le R. P. de Mailla en a dit dans sa préface historique parce que vous pourriez entrer dans des discussions qui n'étaient pas
de son objet.
2° Il semblerait nécessaire de donner une notice exacte de tout ce qu'il y a d'historique dans les Kings, dans l'Y-king [Yi king], dans le Chou-king et même dans les
livres moraux, en distinguant ce qui est du texte de Confucius, ce qui est de ses disciples et ce qui est des anciens interprètes de ces ouvrages ; quoique nous ayons quelques traductions latines
des livres moraux elles ne dispensent pas de ce travail soit parce que le public aime trouver les choses réunies, soit parce que la traduction des six livres par le R. P. Noël est infiniment
rare. (J'ai été obligé de la faire chercher à Prague et je ne sais pas encore si je pourrai l'avoir) et celle de trois de ces six livres publiée par le père Couplet ne distingue pas assez le
texte d'avec les gloses. D'ailleurs il n'est pas facile d'aller chercher dans ces livres le nom d'un roi duquel on ne dit souvent qu'un mot par occasion. Il serait encore important de remarquer
les endroits où il est fait mention de certains faits comme rapportés dans les anciens livres afin de constater d'une manière indubitable pour les Européens l'existence des livres antérieurs à
Confucius.
3° Il semblerait encore nécessaire de faire mieux connaître certains ouvrages historiques antérieurs aux Hanes dont on voit les titres dans votre Notice, par exemple le Tso chouene [Tso
tchouan] de Tso kieou mine [Tso kieou ming], le Chi-Pene [Che pen], le Coue Yu [Kouo Yu] que le R. P. Parrenin attribue (le R. P. de Prémare en fait autant dans la préface de sa
grammaire chinoise qu'il m'a envoyée en trois volumes in-4°) à Tso Kieou mine dans son écrit à M. de Mayran, etc. Ces ouvrages étant la base de la chronologie chinoise, il importerait extrêmement
de les connaître un peu en détail et de savoir jusqu'à quel point ils ont pu servir à constater soit la suite soit la durée des règnes soit même l'existence de certains rois. Je vois par
plusieurs passages de votre notice que le Tso chouene doit contenir bien des choses pour l'ancienne Histoire. Si vos occupations dont je connais toute l'étendue et auxquelles je
comprends a peine que vous puissiez suffire vous en laissaient le temps vous pourriez rendre avec ces additions votre notice un des ouvrages de critique des plus parfaits que l'on ait jamais
vus.
J'espère que vous recevrez par les vaisseaux de cette année un exemplaire des huit volumes de nos mémoires de la part de notre Académie. On en imprime deux autres que vous recevrez à la première
occasion. Si j'avais été sûr que des lettres de correspondance avec l'Académie qui ne peut mettre au rang de ses membres que des régnicoles vous eussent convenu, vous les auriez reçu avec nos
Mémoires car quelqu'inconvénient que les compagnies imaginent d'ordinaire à faire les premières avances votre mérite nous ferait passer par dessus tout. Ce n'est pas avec des personnes telles que
vous qu'il faut songer à disputer le terrain. Mandez-moi ce que vous pensez là-dessus. En conséquence de cette association votre traduction du Chou-king avec les éclaircissements, votre
notice retouchée suivant les idées que j'ai pris la liberté de vous proposer, vos remarques sur l'ancien usage des cycles et les conséquences que vous en tirez pour la chronologie etc. pourraient
être adressés à l'Académie et alors on ne dépendrait plus du caprice des libraires. Ces ouvrages pourraient être placés à la suite ou dans le corps de nos mémoires et l'Académie serait engagée
par cette démarche à faire valoir des travaux dont le mérite n'est peut-être pas suffisamment connu en Europe.
Vous savez M. R. P. que les témoignages domestiques sont tous jours un peu suspects. D'ailleurs cette disposition où sont les esprits et de laquelle je vois par une de vos lettres que vous
ressentez les effets jusqu'à la Chine fait que l'on est porté à se méfier de ceux que vos R. P. peuvent vous rendre et c'est peut-être là une des raisons pour lesquelles on ne fait point ici
assez d'attention aux missionnaires de Chine. Peut-être aussi ne font-ils pas de leur côté tout ce qu'il faudrait pour convaincre le public de l'injustice de cet oubli dans lequel on les laisse.
Je n'en veux d'autre exemple que celui de la carte de Chine et de Tartarie. Cette carte paraît destituée de tout ce qui pourrait lui donner quelque crédit et lui procurer une certaine publicité
qui produit la réputation. 1° elle ne se sépare point d'un livre extrêmement cher que peu de personnes sont en état d'acheter et qui par son volume demeurerait enseveli dans les Bibliothèques
quand bien même le prix n'effaroucherait pas les acheteurs ; ainsi elle ne sera jamais vue que de très peu de gens ; 2° Elle est absolument destituée de preuves et de détails des opérations
géographiques et astronomiques sur lesquels elle est fondée. On donne une liste des longitudes et des latitudes sans marquer les observations qui les ont données et sans désigner les longitudes
déterminées astronomiquement, soit par les éclipses de lune, soit par celles des satellites, des longitudes déduites des opérations trigonométriques et de celles que l'on a conclu par voie
d'estime des distances itinéraires, car il est impossible que dans la carte d'un aussi vaste pays que la Chine il n'y en ait pas un grand nombre de cette dernière espèce ; pour peu que l'on
connaisse l'appareil que demandent les observations de longitude et les difficultés qui les accompagnent on sent que la chose ne peut être autrement...
Si la carte dressée sur vos observations a été publiée à la Chine ce serait une chose à envoyer en France ; j'en verrais un exemplaire avec un grand plaisir. Je suis persuadé même que ce serait
un présent agréable à M. le comte de Maurepas qui n'a pu obtenir du père du Halde un exemplaire séparé de celle qu'il a fait graver. M. le Comte aime, connaît et protège les sciences et ne
néglige rien pour les faire fleurir, ainsi il n'y aurait rien de mieux que de lui faire connaître ce qu'il peut attendre de vous. Une copie des cartes détaillées des côtes de la Chine et des îles
voisines lui serait encore très agréable. Il travaille à faire une collection de cartes pour la navigation et je sais que l'on n'a rien sur cet article.
Vous auriez encore un autre moyen de lui faire votre cour. Il s'applique beaucoup à enrichir le jardin du roi et le cabinet d'histoire naturelle qui y est joint. Je ne vous parle point d'envoyer
des plantes ou des arbustes, la longueur de la traversée ne rendrait la chose praticable qu'avec des ordres précis de la compagnie, encore ne suis-je pas sûr si elle pourrait réussir ; mais rien
ne serait plus facile que d'envoyer des graines des plantes, soit médicinales, soit à fleurs, soit bulbeuses, soit à racines, et surtout de celles qui par leur fruit, par leurs feuilles ou par
leurs fleurs, peuvent avoir quelque chose de singulier, aussi bien que les semences des différents arbres fruitiers ou autres, etc. On a en Hollande l'arbrisseau du thé ; mais il faudrait envoyer
la graine des différentes espèces de cet arbuste, celle des différentes espèces de rhubarbe, celle du gine seng [jen sin] et les plantes qui viennent dans un climat froid pourraient probablement
réussir au jardin du roi. Vous y pourriez joindre quelques échantillons des diverses matières minérales de la Chine avec la note de leurs propriétés, usages, préparations, etc., des échantillons
des matières employées dans les teintures avec des éclaircissements sur la nature de ces matières, et des instructions sur la manière de les employer serviraient à les comparer avec les nôtres et
nous mettront peut-être en état de perfectionner nos arts. Quelques premiers envois bien choisis avec un mémoire détaillé de ce qu'il y aurait à faire feraient connaître ce que l'on peut attendre
des missionnaires et le tort que l'on a de ne pas les mettre en état de rendre aux sciences et peut-être même aux arts et au commerce des services importants.
Vous voyez par là M. R. P. quelle attention j'ai fait aux divers articles de vos lettres où vous me parlez de la situation des missionnaires. Tout ce que je puis faire est de vous donner des
ouvertures sur les moyens que vous pouvez employer pour faire changer cette situation. Renfermé dans mon cabinet, cultivant les lettres pour elles-mêmes, étudiant pour le seul plaisir d'augmenter
mes connaissances, je suis très peu répandu dans le monde et j'ai d'autant moins d'occasions de vous servir d'une autre façon que content de la médiocrité de ma fortune, je fuis surtout le
commerce des grands et des gens en place, commerce dans lequel il n'y a que le besoin ou l'ambition qui puisse nous soutenir.
Je passe aux articles qui concernent la littérature chinoise dans vos différentes lettres. Par votre dernière du 6 novembre 1734 vous me demandez des nouvelles de ce que l'on débite sur le
travail que l'on fait à Paris, à Rome, à Londres, à Berlin, à Pétersbourg. Il n'a encore rien paru là-dessus qu'un ouvrage de M. Bayer dans lequel ce qu'il peut y avoir de bon est tiré d'un dict.
ms. chinois qui est dans la bibliothèque de Berlin. Avec ce secours et avec celui de quelques Russiens qui ont servi d'interprètes dans les ambassades de czar en Chine, il a composé deux volumes
in-8° dans lesquels il n'y a pas grand chose d'exact ni d'utile. Vous connaissez ce M. Bayer, mais je ne sais si ses lettres ressemblent aux dissertations qu'il a publiées, je ne connais rien de
plus vague, de plus confus et de plus mal fait, c'est un vrai travail que d'y démêler ce qu'il a voulu établir et quand on en est venu à bout il faut un nouveau travail pour découvrir quelque
liaison entre ses preuves et son objet. M. Bayer me fait l'honneur de me citer et il donne de grands éloges à ma capacité dans le chinois, mais ce sont ces éloges mêmes qui me montrent combien il
est peu instruit et combien il faut se défier de ces réputations qui ne sont pas appuyées sur des faits. Les conférences que j'eus il y a 20 ans avec un jeune Chinois amené en Europe par M. de
Rosalie m'ont donné à la vérité quelques notions sur ces matières plus exactes qu'on ne les a communément en Europe, j'y ai joint quelques réflexions sur le philosophique des langues par
lesquelles j'ai appliqué les notions particulières aux principes généraux et voilà tout ; j'ai donné à l'Académie deux dissertations l'une sur la langue parlée, l'autre sur la langue écrite, mais
j'ai eu soin de me tenir dans les généralités. Si dans l'extrait d'un petit écrit sur la poésie rimée des Chinois que j'avais communiqué sans dessein de le rendre public, notre secrétaire a donné
lieu de me prendre pour un homme profond, ça été sans ma participation et je me suis plaint plus d'une fois parce que rien n'est plus mortifiant pour l'amour-propre que les éloges non mérités et
que les éloges peuvent occasionner de vrais désagréments.
Nous avons ici à Paris M. Fourmont de notre Académie qui a beaucoup travaillé sur le chinois, qui même y doit passer pour habile si l'on a égard au peu de secours qu'il a eu, quoique ces secours
aient été plus grands qu'il ne le dit. Personne ne le sait mieux que moi, mais tout cela ne peut-être d'aucune utilité réelle ; ce n'est qu'à la Chine que l'on peut apprendre le chinois et se
mettre en état de l'enseigner aux autres par des grammaires et des dictionnaires bien faits. Lorsque les missionnaires nous auront donné de semblables ouvrages peut-être pourra-t-on s'appliquer
avec fruit à l'étude du chinois ; mais je suis convaincu que sans cela on ne fera que perdre son temps.
...À l'égard de ce que vous me dites sur les générations de la dynastie des Hia et de celle des Chang, j'ai trouvé qu'elles étaient les mêmes dans votre extrait de Sematsiene que dans les abrégés
des annales, et les 30 règnes successifs des Changs ne forment que 17 générations à cause des successions collatérales, et même que ces 17 générations ne doivent en former que 16. Car Taï Kia
petit-fils de Tching tang [Tch'eng T'ang] succéda à son aïeul, et comme celui-ci n'a régné que 13 ans, Taï Kia était né avant le commencement de la dynastie. La durée naturelle des générations
dans les pays connus est d'environ 30 ans et c'est une chose dont je me suis convaincu par un nombre infini d'exemples ; mais je n'appuie pas sur cela comme sur une preuve décisive, nous ne
sommes pas réduits dans la chronologie chinoise à cette évaluation conjecturale, nous avons des méthodes plus assurées.
Lorsque j'écrivis ma Dissertation j'ignorais ce que j'ai appris dans votre Notice que Confucius eût fait expressément mention dans son commentaire sur l'Ye King des règnes de Fohi, de
Chinnong et de Hoangti et que Tso-kieou mine [Tso Kieou ming], contemporain de ce philosophe, parlait de ceux de Chao Hao, de Tchouen Hio [Tchouan Hiu], de Tico [Ti kou], de Tchi [Tche] et de
Yao. Si je l'avais su je me serais exprimé différemment. Je croyais que parce que Confucius commence son Chou-king au règne d'Yao, ce prince était ce qu'il connaissait de plus ancien. La
préface du R. P. de Mailla dit que Confucius qui remonte jusqu'à Fo Hi parle encore des temps antérieurs où l'on se servait de cordelettes nouées en guise de caractères et même de ceux
dans lesquels la plus forte barbarie régnait à la Chine puisque non seulement on ignorait l'art de bâtir mais que l'on se nourrissait des herbes et de la chair crue des animaux et que l'on en
buvait le sang. Tout cela ferait remonter bien haut le passage de la première colonie à la Chine, car ceux de cette colonie n'ont pu tomber tout d'un coup dans cette profonde barbarie. Cependant
il serait à souhaiter que le R. P. de Mailla eût rapporté le passage de Confucius ou que du moins il l'eût indiqué.
Vous convenez que si la contingence de l'éclipse de Tcheng cang [Tchong K'ang] à l'an 2155 n'est pas démontrée, on peut rabaisser l'époque de Yao de 160 ans. Vous ajoutez seulement qu'il serait
pourtant à souhaiter qu'on pût mettre des empereurs en Chine avant Yao et vers l'an 2400 ou 2500 avant J.-C. Je suis, mon R. P., totalement de votre avis là-dessus. Le témoignage de Confucius ne
permet pas de douter que Fohi, Chinnong et Hoangti n'aient successivement régné à la Chine avant Yao. Il est encore prouvé par le Tso chouene que Yao n'a pas succédé à Hoangti et qu'il y
a eu au moins deux règnes entre eux, savoir ceux de Tchouene Hio [Tchouan Hiu] et de Tyco. Le Tsou chou ne compte point le règne de Chao Hao en quoi il est conforme à Sematsiene. Il est
cependant marqué par le Chi Pene [che pen] à ce que vous dites, et c'est l'opinion plus communément suivie. Le Tsou chou donne 251 ans de durée aux règnes antérieurs à Yao et si ce
prince a commencé l'an 2205 comme le demande sa chronologie, le commencement de Fouhi tombera à l'an 2456 avant J.-C. Si l'on ajoute le règne de Chao Hoa auquel Hoang Foumi [Houang Fou-mi] donne
cent années de durée on aura l'an 2556.
Je pense encore comme vous mon R. P. au sujet de la chronologie des Septante. L'examen que j'ai fait et que je fais tous les jours de ces matières m'a convaincu qu'il est impossible de réduire
l'intervalle de la vocation d'Abraham au Déluge à 347 ans comme fait la Vulgate, non seulement parce que le Déluge se trouverait par là de l'an 2594 avant J.-C. et postérieur au commencement des
Égyptiens, des Chaldéens et des Chinois, mais encore parce que la dispersion des peuples sous Phaleg n'aurait précédé que de 266 ans la vocation d'Abraham, ce qui ne peut s'accorder avec l'état
ou était alors la Terre selon l'Écriture. Si j'ai paru suivre le calcul abrégé de la Vulgate dans ma dissertation, c'est que me proposant d'établir la certitude de la chronologie chinoise par sa
partie historique qui ne remonte pas au delà du règne de Yao, il me suffisait de montrer que ce prince était au plus contemporain des rois élamites qui possédaient alors un assez grand empire et
que l'on ne pouvait proposer contre l'existence de la monarchie chinoise au temps d'Abraham aucune difficulté qui ne tombât également sur celle des Élamites prouvée cependant par
l'écriture.
Dans le manuscrit des Samaritains et dans quelques-uns de ceux de la version des Septante l'intervalle de la naissance de Phaleg à la vocation d'Abraham est de 676 ans et selon d'autres mss. de
796 ans. Suivant les premiers la dispersion des hommes et l'origine des nations sera de l'an 2822 avant J.-C., suivant les autres elle sera de l'an 2942. Si le commencement de Fo Hi est de l'an
2456, il sera postérieur de près de 500 ans à la dispersion des peuples, et certainement il ne faut pas un moindre temps pour que les hommes, qui n'ont pu peupler la Terre que de proche en
proche, aient pénétré jusqu'à la Chine en traversant des montagnes impraticables et des fleuves aussi considérables que ceux qui se trouvent sur la route de la Babylonie à la Chine, y aient assez
multiplié pour former une nation nombreuse et soient tombés dans la barbarie où ils étaient avant le temps d'Yao. J'avoue même que 500 ans ne me paraissent pas suffisants pour tout cela dans un
temps où la puberté était tardive et où la vie des hommes étant très longue, les Pères étaient en état de communiquer à leurs descendants toutes les connaissances qu'ils avaient apportées du pays
dont ils sortaient. Cette difficulté qui est générale pour l'origine de tous les peuples me semble encore plus forte pour les Chinois que pour les autres nations.
Vous me demandez M. R. P. un détail du système du père Fouquet et je ne suis guère en état de vous satisfaire car je ne connais ce système que très imparfaitement. Il n'a point encore publié les
écrits dans lesquels il promet de traiter la matière en forme. Dans ceux que j'ai vu de lui, il suppose ses principes déjà établis et sans les développer il se contente d'en tirer quelques
conséquences. Je n'ai aperçu dans ces écrits aucune connaissance approfondie de l'antiquité chinoise, nul choix dans les autorités qu'il allègue, en un mot nulle critique. Sa méthode et la vôtre
sont encore plus différentes que vos opinions ne le sont. Il confond avec les Kings des ouvrages qu'il convient lui-même être regardés à la Chine comme fabuleux et parce que ces livres lui
semblent favoriser ses idées de la conservation de l'ancienne religion antédiluvienne, ils deviennent pour lui d'une autorité respectable. Je me souviens d'y avoir remarqué des exemples bien
singuliers de l'usage que font de l'analyse des caractères les disciples du père Bouvet. Le caractère qui signifie barque, bateau, etc. peut se résoudre en d'autres caractères simples parmi
lesquels on trouve celui qui exprime le nombre de huit. C'en est assez pour lui faire voir là l'arche de Noé et les huit personnes enfermées dedans. Parmi les caractères dont l'assemblage sert à
former celui qui désigne le collet d'un habit il s'en trouve un qui signifie un serpent. Le père Fouquet voit là dedans une allusion manifeste à l'histoire de la séduction d'Ève par le serpent,
séduction dont les suites imposèrent à l'homme la nécessité des vêtements. Comme il y a déjà six ou sept ans que j'ai lu cet écrit, il ne m'en reste qu'une idée très confuse. Je ne lis que pour
m'instruire et les choses qui ne sont ni instructives ni raisonnables ne forment dans mon esprit que des traces peu durables. D'ailleurs je ne vois jamais qu'avec chagrin ces sortes d'exemples
des travers dans lesquels tombent des gens qui ont d'ailleurs beaucoup de mérite.
M. l'abbé de Rothelin de notre Académie et qui a connu le père Fouquet pendant qu'il était à Rome avec M. le cardinal de Polignac m'a comme forcé d'envoyer à ce Père ma dissertation sur la
chronologie chinoise. Je l'ai fait à regret et par pure complaisance, persuadé qu'il y aurait peu de chose à gagner dans un commerce littéraire avec l'auteur d'un système tel que le sien. Après
plus de 18 mois de silence il annonce enfin des observations sur mon écrit qu'il doit, dit-il, envoyer incessamment. Si elles arrivent à temps et qu'il y développe son système je tâcherai de vous
en envoyer une copie.
J'éviterai toute controverse littéraire avec lui. Nous convenons trop peu de principes lui et moi. Il est trop persuadé de la vérité de son système pour lequel il a une espèce de persuasion
religieuse et ce système me paraît trop absurde pour espérer que cette controverse puisse produire aucun éclaircissement.
L'un des plus grands obstacles à la découverte de la vérité est la persuasion trop vive et trop prompte de l'avoir trouvée. Dans les sciences qui n'ont pas un objet susceptible de la certitude
géométrique un esprit philosophique sent que les motifs des opinions entre lesquelles les hommes sont partagés ne diffèrent presque jamais que du plus au moins et dans le temps même qu'il se
détermine pour un sentiment il reconnaît que ce qui lui paraît seulement une raison de douter peut devenir pour un autre et peut-être pour lui-même placé dans un autre point de vue une raison de
décider. Il me semble M. R. P. que voilà de quelle manière nous nous conduisons vous et moi dans nos recherches sur la chronologie chinoise. Dans les points sur lesquels nous sommes partagés vous
reconnaissez qu'il peut y avoir de fortes raisons pour l'opinion contraire à la vôtre, et de mon côté si d'autres considérations me font résister à la force de vos preuves elles ne m'empêchent
point d'en sentir toute l'étendue. La conclusion que je tire de mes principes n'est chez moi qu'une opinion vers laquelle j'incline davantage mais un degré de plus ajouté à l'opinion contraire
changerait ma détermination.
La contingence de l'éclipse du Chou-king à l'an 2007 avant J.-C. donnée par le calcul forme une preuve ce me semble démonstrative de la chronologie du Tsou chou et de la
nécessité de l'addition d'un cycle entier à la durée des règnes des Tcheou ; avec cette addition tout cadre dans cette chronologie. L'éclipse de Tchang cang, la note cyclique de la 12e lune de la
première année de Taï kia et celles des années de Tcheou cang et de Taï-Cang [Taï K'ang]. Le commencement de Yao sera de l'an 2205 et postérieur de 17 ans à la naissance d'Abraham, le
commencement d'Hoangti sera de l'an 2455 et celui de Fouhi même en donnant 200 ans à la durée de son règne et de celui de Chinnong sera de l'an 2655 avant J.-C. et se trouvera encore postérieur
de 168 ans à la naissance de Phaleg et à la dispersion des hommes selon les Septante et les Samaritains ou même de 288 suivant d'autres mss. Par ce moyen la chronologie chinoise des plus anciens
auteurs de cette nation se conciliera d'elle-même avec celle de l'Écriture qui est [même abstraction faite du respect que nous inspire pour elle la Religion] le monument le plus authentique et le
plus incontestable que nous ayons de l'ancienne Histoire...
À Paris ce 1er novembre 1736
J'ai lu avec un grand plaisir et un grand profit votre savante et obligeante lettre du 23 mai 1735, et je vous rends des grâces infinies de la bonté avec laquelle vous avez bien voulu examiner le
détail de ma dissertation. Je ne l'ai jamais regardée que comme un moyen d'obtenir de plus amples et de plus exactes connaissances au sujet de la chronologie chinoise. La déclaration que j'en
faisais dans cette même dissertation était sincère et le succès que j'en pouvais attendre a passé de bien loin toutes mes espérances. Ainsi loin d'avoir eu quelque peine de voir mes opinions
attaquées par des raisons solides et même plusieurs d'entre elles absolument détruites, je ne puis que me féliciter d'une démarche dont les suites me sont si avantageuses puisqu'elles me
procurent des connaissances dont j'étais privé.
Une partie de vos savantes remarques ne m'étaient plus nécessaires pour reconnaître les erreurs où m'avaient jeté les mémoires de vos Pères de Canton, mais ces remarques contiennent des
éclaircissements si importants pour l'érudition chinoise que je ne les ai pas lues avec moins de profit que si j'en avais eu encore besoin pour sortir de mon erreur. Ces mémoires de vos Pères de
Canton m'étaient je vous l'avouerai très suspects dans le temps même que je les employais, soit parce qu'ils étaient peu concordants entre eux, soit parce qu'ils supposaient ou du moins
insinuaient plusieurs des principes des figuristes ; mais dans le dessein où j'étais d'exciter vos Pères de Péking à éclaircir la matière, je crus que le petit scandale auquel ces principes
donneraient lieu serait un bon moyen d'animer leur zèle. Ce petit artifice m'a trop bien réussi pour que je puisse m'en repentir.
La communication de votre préface historique m'avait mis au fait d'une infinité de choses également importantes et curieuses au sujet de l'histoire littéraire des annales chinoises et des
différentes parties qui les composent. L'éclaircissement que vous ajoutez dans cette lettre sur l'ouvrage de Lopi [Lo Pi] m'a instruit de plusieurs choses que j'ignorais sur les ouvrages des
tao-sse [Tao sseu], mais cette connaissance redouble encore le désir que j'aurais de voir une notice plus détaillée des Kings ou livres sacrés de cette secte, du temps dans lequel ils
ont paru, de celui dans lequel on prétend qu'ils ont été composés et des principaux commentaires qui en ont été donnés. Il serait peut-être bon d'y joindre aussi une notice un peu détaillée des
ouvrages que l'on publia sous les Hanes comme des livres anciens et qui ne furent point reconnus come authentiques. Par quelques passages des écrits du R. P. Fouquet que j'ai vus, il me semble
qu'il se sert beaucoup de ces sortes de livres. Il est important de mettre les Européens au fait là-dessus et de prévenir l'impression que pourraient faire les ouvrages que le père Fouquet a
composés et qu'il promet de publier. Il faut montrer d'avance que les difficultés contre l'histoire et la chronologie chinoises fondées sur de semblables auteurs n'ont pas plus de force qu'en
auraient contre la certitude de l'histoire de France des difficultés tirées de nos vieux romans de chevalerie.
Vous attaquez vivement M. R. P. l'autorité du Tsou chou dans votre lettre. Celui dont j'emploie la chronologie après le R. P. Gaubil est le Tsou chou ki niene [Tchou chou Ki
nien]. Ainsi ce que vous rapportez du Mou tiene tse tchuene [Mou t'ien tseu tchouan], autre Tsou chou ou tsou chu, ne prouve rien contre le ki niene [Ki nien], mais en
accordant que ce ki niene contient des fables et des absurdités dans les détails des récits historiques, cela ne fait rien à la chronologie contenue dans le dernier chapitre. Il ne
s'agit ici que de regarder le témoignage de l'auteur du ki niene comme celui d'un homme qui rapporte les opinions communément reçues de son temps. Or la suite chronologique des empereurs chinois
et la durée de leurs règnes était alors une chose sue de tout le monde et qu'il trouvait partout. Si nous avions d'autres ouvrages antérieurs aux Hanes qui donnassent cette chronologie, si du
moins Sse mat siene [Seu-ma Ts'ien] avait trouvé dans les mémoires historiques sauvés de l'incendie des livres de quoi la déterminer depuis Hoang ti ou du moins depuis Yao jusqu'à son temps, on
pourrait, en cas d'opposition entre eux, se servir de ces considérations générales sur le caractère de l'auteur du ki niene comme d'une présomption qui nous déterminerait à lui préférer le
sentiment de Sse mat siene et l'autorité des mémoires qu'il aurait eu entre les mains.
Mais nous ne sommes point dans ce cas-là. Sse mat siene ne trouva rien dans ses mémoires qui pût remonter avec certitude au-delà de l'époque Cong ho ou de l'an 841 avant J.-C. Les passages de
Confucius, de Tso kieou ming, de Mengtse et des autres écrivains antérieurs par lesquels on peut déterminer l'intervalle de Yao à Vou vang ne donnent que des à peu près exprimant seulement des
nombres entiers et marquant qu'ils négligent d'exprimer des fractions (mille ans et plus, cinq cents et plus). D'ailleurs il est équivoque si les intervalles comprennent les deux extrêmes ou
s'ils les excluent. Par exemple Mengtze compte mille ans et plus entre Chune et Ven Vang et cinq cents ans et plus entre Confucius et Vou Vang, fils de Ven vang ; ces deux intervalles qui font
1.500 ans et plus doivent-ils se compter en remontant de l'an 551, naissance de Confucius, à la naissance de Vou Vang vers l'an 1051, et de là à la naissance de Chune vers l'an 2051 et plus ? Ou
doit-on les compter du temps auquel Confucius florissait c'est-à-dire de l'an 500 ?
C'est avec ces intervalles que nous devons comparer la chronologie du Tsou chou ki niene, c'est par le rapport qu'elle aura avec ces sommes d'années que nous jugerons de sa certitude.
Supposons que les mille ans et plus de l'intervalle de Chune à Ven Vang commencent à l'association que l'empereur Yao fit de Chune et finissent avec le règne de Ven Vang sur le roi de Lou qui fut
suivi du règne de son fils Vou Vang sur toute la Chine. Ce dernier règne ayant commencé l'an 1122 au plus tôt, les mille ans et plus remonteront jusqu'à l'an 2200 au plus et comprendront le règne
de Chune soit avec Yao, soit seul, soit avec Yu.
La chronologie du Tsou chou déterminée non par les sommes totales ou par les durées particulières qui sont manifestement altérées mais par les notes cycliques qu'il marque en plusieurs
endroits, met le commencement de Yao à l'an 2205 avant J.-Christ, le commencement de Chune seul à l'an 2105 ; donnant 28 ans à la durée de son association avec Yao, elle aura commencé l'an 2133 ;
ôtant de cette année l'an 1122 première du règne de Vou vang la mort de Vene Vang arrivée l'an 1123 sera postérieure de 1.010 ans, ou de mille ans et plus à l'association de Chune ou au
commencement de son règne.
Si l'on place avec le Tong kiene cang mou [tong Kien Kang mou] le commencement d'Yao à l'an 2357 avant J.-C., l'association de Chune sera de l'an 2285 et l'intervalle de là à la mort de
Vene Vang sera de 1.143 ans au lieu qu'il n'était que de mille ans et une fraction selon Mengtze.
La différence de la chronologie du Tsou chou et celle du Tribunal pour le commencement du règne d'Yao sera donc de 152 ans, différence de 2357 et de 2205.
L'éclipse observée dans la constellation Fang sous le règne de Tchong cang et marquée dans le Chou-king doit servir à décider la question et à déterminer entre ces deux calculs. Les
astronomes chinois en ont trouvé une au jour qui répond au 12 octobre de l'an 2155 avant J.-C., au premier jour de la dernière lune d'automne et le Soleil étant non dans la constellation Fang
comme le dit le Chou-king, mais très proche de cette constellation. Le Soleil était au premier degré de Libra, ce qui peut former une difficulté parce que la dernière lune de l'automne
est celle dans le cours de laquelle le Soleil entre dans le signe du Scorpion, ce qui ne put arriver que 30 jours après l'éclipse et par conséquent dans la lune suivante. Il faudrait supposer que
cette année fut intercalaire et qu'il y eut deux neuvièmes lunes ; en ce cas la lune de l'éclipse serait la première. Une nouvelle observation importante est que l'éclipse calculée fut une
éclipse horizontale de moins d'un doigt et par conséquent très peu considérable, ce qui est formellement opposé au détail du Tsou king qui suppose que cette éclipse qui n'avait point été
prédite étant aperçue par les petits mandarins et par le peuple, elle causa une espèce d'épouvante.
L'année 2115 est celle qui convient avec la chronologie du Tong kiene cang mou, mais quelque chose que l'on veuille dire, cette éclipse n'a point les caractères de celle du
Chou-king, soit pour la grandeur et la sensibilité de l'éclipse, soit pour le lieu du Soleil dans l'écliptique et pour sa situation dans la constellation Fang. Ces raisons m'ont fait
douter longtemps que cette éclipse pût être celle du Chou-king, et elles m'ont engagé à prier M. Cassini de vouloir bien calculer dans les années du règne de Tchong cang selon le
Tsou chou. Il a eu la bonté de le faire et il a trouvé pour l'an 2007 avant J.-C. au 23 octobre une autre éclipse de Soleil qui a dans la précision astronomique tous les caractères de
celle du Chou-king. Elle fut très considérable et de neuf doigts ou des trois quarts du disque du Soleil en sorte que l'observation fut très sensible. Le milieu de l'éclipse arriva à 8 h
26 minutes du matin au lieu de la résidence de l'empereur. Le Soleil était alors au 15e degré de Libra en sorte que dans le cours de cette lune le Soleil passa dans le signe du Scorpion. Par
rapport aux constellations étoilées, il était alors à deux degrés seulement d'Antarès ou du cœur du Scorpion et par conséquent dans la constellation Fang, car vous m'apprenez M. R. P. que le nom
de Fang désignait au temps de Confucius les étoiles de la tête et du cœur du Scorpion.
Cette éclipse postérieure de 148 ans à celle de l'an 2155 convenant mieux aux circonstances de celle du Chou-king peut-être regardée comme une preuve que c'est à cette année 2007 qu'a
commencé le règne de Tchong cang et en cela elle déciderait en faveur de la chronologie du Tsou chou.
À l'égard de la conformité que l'on trouve entre la chronologie de ce livre et celle de Sse mat siene elle ne prouve point que le Tsou chou soit postérieur à Sse mat siene ni que ce soit
une copie de cet historien. Les fragments et les ouvrages antérieurs à la destruction des anciens livres qui ont été conservés nous montrent qu'avant les Tsines et sous les Tcheou l'étude de la
chronologie avait été cultivée, que l'on avait soit des histoires générales soit des abrégés chronologiques. Supposons qu'un de ces abrégés ou une de ces histoires générales eût été sauvée par
quelque hasard et qu'elle eût été découverte depuis Sse mat siene, je vous demande M. R. P. si vous croyez que la chronologie de cet ouvrage serait nécessairement différente de celle de Sse mat
siene. Cet historien qui avait travaillé avec beaucoup de soin et suivant les règles de la plus sévère critique n'avait pas voulu remonter au-delà de l'époque Cong Ho, parce que ses mémoires ne
lui fournissaient aucune date précise au-delà de cette époque. Et la certitude de ses mémoires est constatée par la comparaison de sa chronologie soit avec les éclipses qu'il rapporte et qu'il
n'était nullement en état de calculer par la fausseté des hypothèses astronomiques reçues alors, soit avec les notes cycliques des jours de quelques lunaisons dont la place dans l'année chinoise
est connue de même que la note cyclique de ces années. Deux mesures prises avec soin quoiqu'en différents temps de la même distance doivent se trouver conformes si elles sont exactes, et s'il
s'agit de la mesure d'un intervalle chronologique, comme cette mesure est déterminée par la nature même, la conformité doit être parfaite. Le raisonnement du Tribunal au sujet de la chronologie
du Tsou chou est donc absolument faux et il fallait conclure précisément le contraire, savoir qu'il faut porter le même jugement de la partie de cette chronologie antérieure à l'époque
Cong Ho que de la partie postérieure à cette époque, et que la conformité de cette partie avec la chronologie démontrée vraie de Sse mat siene doit faire regarder la partie antérieure comme ce
que nous aurions de plus exact et de plus certain s'il ne s'était pas glissé des fautes dans les nombres des durées particulières. Mais comme au moyen des notes cycliques marquées à plusieurs
années (notes dans lesquelles les erreurs de copistes ne peuvent se glisser facilement à cause que les caractères en sont moins semblables les uns aux autres que ceux des chiffres) il n'était pas
impossible de corriger les fautes de copistes, c'était à cela que ceux du Tribunal auraient dû s'attacher. C'est là M. R. P. ce que j'ai taché de faire et je crois y avoir réussi.
Ce 8 août 1737
Mon R. P.
J'ai reçu les différentes lettres que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire : savoir celle du 19 octobre, celle du 29 contenant 20 pages in-folio, les éclaircissements que vous avez joints sur
la manière de dresser des tables pour trouver les jours des cycles répondant aux jours de l'année julienne et la manière de se servir de ces tables...
Je passe à votre lettre M. R. P. et je commence par vous rendre de très vives et très sincères actions de grâces de toutes les choses importantes dont m'instruisent vos lettres auxquelles je
dois, aussi bien qu'aux mémoires dont vous m'avez procuré la communication, le peu que je sais maintenant sur cette matière, et ce peu est bien considérable si on le compare avec ce que je savais
et ce que peuvent nous apprendre les mémoires publiés jusqu'à présent, si l'on en excepte votre histoire de l'astronomie chinoise. Vous me promettez la communication des diverses pièces qui sont
entre les mains du père Souciet et c'est un nouveau bienfait dont je sens tout le prix et dont je compte tirer un grand profit.
J'attends avec grande impatience ce que vous me promettez sur le Tsou chou ainsi que la traduction du Chou-king et la notice des livres chinois échappés à l'incendie ainsi que
le détail du passage de Hoaynantze. Je verrai avec plaisir la traduction du Chi-king mais quelque soit ma curiosité sur cet article c'est à moi à attendre une faveur que je recevrai
toujours comme une pure grâce.
J'ai lu avec une extrême satisfaction ce que le père Régis m'a envoyé ; c'est là un ouvrage bien fait, la connaissance quoique très imparfaite que j'ai du système dont il veut détruire les
fondements sans le réfuter en forme m'a fait sentir dans ces deux dissertations un art qui échapperait peut-être au commun des lecteurs quoiqu'il fît sans doute sur leur esprit tout l'effet qu'il
s'est proposé. Cet ouvrage du père Régis, avec la traduction du King, la dissertation sur les sectes, la traduction du Chi-king et celle du Chou-king serait j'en suis
sûr très bien reçue du public. Peut-être cette publication aurait-elle été plus utile et plus agréable que celle de la nouvelle histoire de la Chine qui ne peut rien apprendre aux gens de lettres
et qui ne donne presque aux gens du monde que ce qu'ils avaient dans des livres communs.
Je ne reçois aucune nouvelle du père Fouquet. Je vois qu'il craint de donner trop de publicité à ses opinions mais comme on vous l'a mandé il les débite en particulier à des auditeurs dont il
effraye l'imagination par la citation de quelques textes de chinois et par le spectacle de caractères qu'ils croient tirés du grimoire. Je sais ce détail d'original par le rapport d'un de mes
amis revenu de Rome depuis peu et qui était très infatué de ce système. Par ce moyen ce Père ne laisse pas de se faire des partisans et trouve le secret de n'avoir point de contradicteurs et de
là il est à craindre qu'il ne résulte dans l'esprit de la plus grande partie non que son système est raisonnable mais que l'histoire et la chronologie chinoise sont des choses supposées, que les
livres de cette nation ne méritent aucune croyance et que l'érudition chinoise est une chose absolument vaine.
Le père Castel dont vous me parlez est sans doute un homme de beaucoup d'esprit au sens que l'on donne en France à ce mot. Il est doué surtout d'une forte et vigoureuse imagination, mais comme la
Providence observe toujours dans la dispensation des dons qu'elle nous fait les lois d'une sorte de compensation, je ne sais s'il n'aurait pas reçu une partie de son jugement en imagination. Ceux
que cette Providence a le plus favorisés sont ce me semble ceux en qui les différentes facultés de l'esprit gardent entre elles un certain équilibre qui les rend plus propres à l'usage pour
lequel elles nous sont données. Vous êtes en vérité bien bon mon R. P. de faire tant d'attention à ce que je vous avais mandé sur la forme de votre livre. Elle ne m'a pas empêché d'en sentir tout
le mérite. Je vous parlais d'une délicatesse outrée qui n'est pas mon sentiment. Plût à Dieu que tous les livres que je suis obligé de consulter ne fussent pas autrement faits que les
vôtres.
Vous avez vu par ma lettre de l'an passé que je m'étais trop flatté lorsque j'avais cru que l'Académie vous enverrait ses mémoires. J'en ai été honteux et j'ai cru que c'était à moi à réparer la
faute qu'elle commettait. Ce que j'ai fait en cette occasion est la moindre chose que je pouvais faire pour reconnaître vos bontés pour moi. Si vous vouliez même me prouver que vous les continuez
vous me marqueriez avec confiance quels sont ou les livres ou les curiosités d'Europe qui pourraient vous faire plaisir. Je ferais ce que je pourrais et je verrais si je serais plus heureux pour
engager d'autres à faire le reste.
Mais si vous me voulez obliger pleinement et ne me point ôter la liberté de m'adresser à vous, vous trouverez bon que je vous rembourse des frais auxquels pourraient aller les commissions dont je
prendrai la liberté de vous charger.
Je vous parlais l'an passé de la facilité que l'on m'avait dit être à la Chine de faire copier au papier transparent de l'écriture européenne par des Chinois qui n'entendent ni la langue ni les
caractères. Je crois en avoir vu des preuves dans la copie que m'a envoyée le père Régis. Vous pourriez sans perdre un temps précieux à copier ce que vous voudrez bien m'envoyer vous servir de ce
moyen et me marquer ce qu'il en aura coûté.
Si comme je n'en doute point la nouvelle carte de la Chine et celle de la Tartarie sont gravées à la Chine et publiques, vous m'obligeriez de m'en envoyer un exemplaire ou une copie aux mêmes
conditions que les copies des mss. Mais il faudrait que ces cartes fussent sur plusieurs feuilles séparées et sur du papier un peu fort. Car des cartes et plans chinois que j'ai reçus il y a
quelques années de Canton sont sur du papier si faible qu'il est presque impossible de le coller avec notre colle de farine. Si les Chinois ont une autre colle vous me feriez plaisir de me
l'apprendre avec la manière de l'employer. Nous avons ici beaucoup d'encre de la Chine mais elle n'est propre que pour laver et n'est pas assez noire pour écrire ou pour tirer des lignes à la
plume, et comme je m'en sers quelquefois lorsque je dresse des cartes sur les itinéraires anciens et modernes pour mon usage, quelques morceaux de celle dont vous vous servez pour écrire et qui
est plus noire que la nôtre me seraient d'un grand usage.
Je ferai mon possible auprès de M. le comte de Maurepas. J'ai déjà rendu compte de vos lettres à un ami particulier de M. le Comte afin que dans les conversations particulières il en fasse
l'usage qu'il croira convenable...
Après ce détail je viens aux articles scientifiques :
1° J'ai trouvé dans l'écrit du père Régis que j'avais eu raison de soupçonner que l'Y King était un reste des anciens caractères qui succédèrent aux cordes nouées et je vois que vous et
vos Pères de Pékin êtes de même avis. Que pensent ceux d'entre eux qui se sont plus appliqués à l'étude grammaticale des caractères de l'idée que j'avais eu que cet[te] ancienne inscription
contenait les éléments et les principes de cette écriture. La combinaison de deux espèces de traits — et — — qui entrent dans cette écriture ne pouvant être portée fort loin sans trop multiplier
le nombre de ces traits, on leur substitua pour éviter la confusion ceux de l'écriture d'aujourd'hui composés de la ligne droite de la ligne courbe et du point dont les combinaisons et
multiplications ont formé les 214 caractères simples ou radicaux dans lesquels les dictionnaires chinois distribués par clefs ou par racines décomposent les 70 ou 80 mille caractères ou mots de
la langue écrite. Au temps de Vene Vang les coua de l'Y King n'avaient plus d'autre usage que celui de servir à une espèce de géomance. C'est le père Régis qui me l'apprend.
Cependant on les regardait comme une chose très ancienne et à ce titre on les respectait beaucoup.
Vous trouverez dans ce paquet un ectype d'une ancienne inscription gravée sur quelques parties des ruines de l'ancienne Persépolis nommées aujourd'hui Istakre ou Tchelminâr à quatre ou cinq
lieues de Chiras en Perse. Les caractères de cette inscription sont encore plus simples que ceux de l'Y King puisqu'ils sont formés par la répétition de la même figure, et qu'ils diffèrent
seulement par la grandeur, par la situation et par le nombre de ces figures. Les anciens guèbres ou Parsis ont une écriture alphabétique et je crois avoir découvert que c'est sur cette écriture
qu'a été formée dans le cinquième siècle celle des Arméniens, laquelle n'a pas une plus grande antiquité, ces peuples s'étant servis jusqu'alors de l'écriture syrienne et grecque. J'ignorais cela
lorsque je fis ma dissertation sur les diverses écritures anciennes et je n'ai été conduit à le penser que par la lecture d'une histoire arménienne du cinquième siècle par un Moïse de Chevene,
imprimée en Angleterre l'année dernière en arménien et en latin.
La vraie intelligence des caractères de l'ancien Y king étant perdue, Vou Vang s'en servit comme d'un chiffre pour débiter ses vues morales et politiques, d'autres y ont trouvé d'autres
idées, et l'on y peut trouver de même tout ce que l'on voudra comme le fait bien voir la dissertation du père Régis.
Ce que je vous ai mandé de la période de 1992 n'a rapport, de même que les autres périodes persanes, qu'à des cycles ou périodes chronologiques qui n'ont qu'un simple usage historique et
civil...
Je répondis l'an passé au sujet de la période des 60 années du cycle contenant 742 lunaisons. Je vous marquai que le nom de période n'était employé là que pour signifier cycle ou période de
comput. Selon les règles du calendrier chinois les 60 ans du cycle civil ne peuvent contenir ni plus ni moins de 742 lunaisons pour être les plus cycles à 60 années solaires qu'il est possible en
contenant un nombre complet de lunaisons. Il ne s'agit point de ce qu'ont dit ou n'ont pas dit les astronomes des Han. Il s'agit du fait et de la grandeur qu'ont dû avoir et qu'ont eu les années
civiles à la Chine, celles du règne des empereurs, celles qui se comptaient pour les usufruits, les fermages, la durée des magistratures, etc. lesquelles commençaient et finissaient avec les
lunes ou mois lunaires composées de jours entiers. Malgré la grande approximation des 60 révolutions solaires et des 142 révolutions lunaires, il y avait une différence de 3 j 19 h 57' et dans le
lieu du Soleil il s'en fallait plus de 3 degrés qu'il ne fût au même point du ciel auquel avait commencé le cycle de 60 ans. Cette différence accumulée a dû faire remonter au bout d'un certain
nombre de cycles la première lune du nouveau cycle dans l'année solaire de façon que le commencement de l'année civile ne sera plus tombé au tchouki [tchou ki] auquel il avait été fixé
mais au tchouki précédent, en sorte que supposé le lieu de la première fixation du sine niene [Sin nien] ou Nouvel An connu et la quantité du precès de ce sine niene dans une
certaine époque il sera facile de déterminer dans la plus grande exactitude la date de cette fixation et l'on aura par là une démonstration astronomique de l'ancienneté de la chronologie et de
l'établissement du calendrier chinois. Les deux éléments que j'ai supposé sont certains par l'aveu unanime des Chinois et par les monuments, donc ma conclusion est d'une certitude nécessaire. Il
n'est pas question ici de savoir si les Chinois ont pensé à cela sous les Hanes pour rendre raison de ce precès du sine niene. S'ils ne l'ont pas fait je serai toujours surpris qu'une
chose si simple ne se soit pas présentée à leur esprit, mais cela ne m'empêchera pas de regarder cette preuve comme démonstrative pour convaincre nos Européens de l'antiquité du calendrier
chinois.
Vous montrez que dès le temps d'Yao et du temps des Hanes on connaissait l'année de 365 j 1/4 et qu'on la croyait égale à la vraie durée de l'année solaire. Vous montrez que l'usage de la lune
intercalaire est aussi ancien qu'Yao mais vous ne marquez rien sur la durée de la lunaison et l'on ne sait pas au juste quelles étaient les hypothèses des temps antérieurs aux Hanes. Ainsi on ne
peut déterminer si ce precès du sine niene est arrivé en conséquence des hypothèses des premiers astronomes du temps de Yao ou si c'est faute d'avoir observé quelque intercalation
extraordinaire ordonnée pour prévenir cet inconvénient. Vous pensez que le precès est venu de la négligence des astronomes postérieurs, mais comme je l'ai déjà observé dans ma lettre précédente
il serait fort singulier que cette négligence fût venue de la part des astronomes de la cour et de ceux qui étaient chargez du calendrier impérial tandis que dans quelques provinces on observait
la règle prescripte par Yao. Je vous avoue que j'ai peine à digérer cela surtout que l'on n'en a aucune preuve. Il me semblerait plus probable que les astronomes impériaux se seraient tenus à la
lettre du règlement primordial et que ceux des provinces auraient fait une addition en conséquence de leurs observations. Il me semblerait même qu'il faudrait dans votre opinion supposer les
hommes bien avancés au temps d'Yao. Serait-ce par leurs observations faites à la Chine qu'ils auraient acquis ces connaissances ? En ce cas il faudrait supposer des observations suivies de
plusieurs siècles ? et des observations faites par des hommes déjà instruits. Avaient-ils apporté [avec eux] ces notions du pays dont étaient sorties les premières colonies, mais s'ils les
avaient conservées jusqu'au temps d'Yao comment avaient-ils perdu celles des événements les plus singuliers et les plus importants comme le Déluge universel, duquel on ne trouve point de mention
distincte dans l'antiquité chinoise. Je reviendrai peut-être dans la suite à l'inconvénient où nous jetterait par rapport à l'histoire de Moïse, même en admettant la chronologie des Septante, la
trop grande antiquité que donne aux Chinois le calcul chronologique des Annales...
Vous me reprochez les corrections que je fais à la durée des règnes dans le catalogue du Tsou chou ki niene et vous dites qu'après cette correction ce n'est plus la chronologie du
Tsou chou mais plutôt la mienne. À cela M. R. P. je réponds que les corrections sont de deux espèces :
1° les plus considérables sont celles qu'il faut faire pour faire cadrer les durées des règnes avec les notes cycliques apposées à certaines années de ces mêmes règnes, et je ne fais à cet égard
pour le Tsou chou que ce que vous-même prescrivez de faire au sujet de la chronologie de Sse matsiene dans l'article de votre notice mss. qui concerne cet historien des Hanes...
La seconde correction par laquelle j'ajoute un cycle entier de 60 ans à la durée des Tcheou peut souffrir quelque difficulté, parce qu'elle n'est pas absolument nécessaire mais qu'elle est
seulement possible, c'est-à-dire qu'elle ne cause aucun dérangement dans les notes cycliques ou dans le système du Tsou chou. Mais en cela je ne fais que suivre l'exemple que vous me
donnez. Vous êtes obligé après le bonze Y Hang de réformer la durée des Tcheou dans tous les systèmes pour faire tomber la 12e année du règne de Cang vang [K'ang wang] à l'an 1056 avant J.-C. et
la 7e de la régence de Tcheoucong [Tcheou Kong] à l'an 1098 afin de faire cadrer les notes cycliques marquées dans le Chou-king aux chapitres Pi-ming et Tchao-mo ; pourquoi me
refuserez-vous la liberté que vous prenez ? Ces années sont déterminées par les notes cycliques des deux jours marqués par le concours des notes cycliques avec le quantième de la lune.
Il m'est indifférent que ce soit là une erreur des copistes du Tsou chou ou de son auteur qui a pu se tromper de même que les chronologistes postérieurs, car ce livre ne doit et ne peut
être considéré que comme un témoin d'une opinion particulière suivie avant la perte des livres. Je puis et je dois même assujettir cette chronologie aux époques dont la certitude est démontrée.
Si les dates résultantes des calculs du Chou-king, de Tso kieou ming, de Mengtze et autres écrivains antérieurs se trouvaient dans le même cas j'aurais le même droit. Car il faut très
certainement distinguer entre les faits dont ils parlent pour avoir été témoins ou pour les tenir de témoins contemporains : comme les dates des éclipses, soit de Tchong Cang, soit des rois
postérieurs, la durée des règnes marqués dans les histoires originales, les dates de certains événements notées par les jours du cycle, etc. et les calculs chronologiques, les durées générales
des dynasties, les longs intervalles entre deux hommes etc. Dans ce dernier cas
1° Ils pourraient s'être trompés, surtout ne traitant pas expressément de chronologie et ne parlant de ces durées que par occasion et pour donner des exemples de l'application de leurs règles de
morale et de politique.
2° Ils ont pu négliger une précision absolument indifférente à leur objet et qui d'ailleurs était inutile dans un temps où les chroniques originales et les suites historiques étaient entre les
mains de tout le monde.
3° Il est sûr qu'ils ont négligé cette précision. Par exemple Mengtze partie seconde du Li Leou marque mille ans et plus entre Chune et Vene vang. [Vous dites dans votre notice mss. que cet
intervalle se doit prendre entre la naissance de l'un et celle de l'autre, et par cette hypothèse le commencement de Yao tombera vers l'an 2262 ou 2264...] À la page 72 de votre histoire imprimée
vous ne donnez cette manière d'expliquer le passage de Mengtze que comme une interprétation dont il est susceptible ; à la page 40 vous marquez simplement que Mengtze met cet intervalle de mille
ans et plus entre Chune et Vene Vang. D'où je conclus que l'expression de Mengtze est équivoque et qu'il n'est pas sûr que l'intervalle ne renferme pas les deux termes. Or dans le doute il
suffira pour qu'un calcul quelconque ne soit pas opposé à Mengtze qu'il puisse cadrer avec une des interprétations dont ses paroles sont susceptibles, et par là son autorité se pouvant alléguer
en faveur de différents calculs, elle ne sera décisive pour aucun d'eux en particulier. Il en sera de même de la durée des Changs. Le nombre précis de 600 ans suppose des fractions négligées dans
une occasion où il n'était nullement question de donner la chronologie des Changs...
Les 600 ans que Mengtze donne à la durée des Tchangs ne doivent donc pas être pris littéralement comme une durée précise mais comme un nombre approchant de la durée de cette dynastie. Dès lors il
faudra déterminer par voie de raisonnement et par d'autres preuves la véritable durée des Changs. Il faudra peser et examiner ces preuves en elles-mêmes et tout ce que l'on pourra exiger c'est
que l'on compte plus de 500 ans et moins de 700. C'est ainsi que la plupart des chronologistes chinois semblent avoir pris ce passage de Mengtze.
Quant à l'éclipse de Tcheng cang, celle que vous avez trouvée à l'an 2155 n'a aucun avantage sur celle de l'an 2007 calculée par M. Cassini... Vous demandez seulement dans votre dissertation
imprimée page 144 Histoire de l'astronomie, que l'éclipse soit arrivée près de Fang et j'en suis plus près que vous. Il y a même cette différence que dans votre éclipse le Soleil était
encore dans la constellation Ti qui a toujours été très distinguée de Fang, au lieu que dans la mienne le Soleil était dans la constellation Sine [Sin] qui de votre propre aveu a été jointe avec
la constellation Fang sous le nom de Tachine [ta chen] et de Taho [Ta ho]. Confucius donne le nom de Ho à la constellation Fang, les étoiles de Sine sont même si voisines de celles de Fang et
elles sont tellement liées avec elles qu'elles ont été jointes ensemble par presque toutes les nations...
...Je suis très persuadé que les anciens Chinois ont été théistes ou adorateurs du Souverain être, et très éloignés de l'athéisme de ceux des siècles postérieurs. Quoiqu'en disent nos esprits
forts, cet athéisme est un état violent pour l'esprit humain où il ne peut se maintenir que par un effort continuel et dans lequel il ne s'est mis que par le désir de se délivrer du joug des lois
naturelles ou tout au plus par un abus du raisonnement philosophique. Blessé des absurdités de détail dont les hommes avaient chargé ce fond du système religieux, ils n'ont pas su distinguer ce
fond des détails étrangers qui le défiguraient. Cudworth a très bien prouvé dans son Système intellectuel que c'était par là que l'athéisme s'était introduit dans la Grèce et qu'il était
une corruption de l'ancienne philosophie primordiale. Mais de ce que les hommes d'après le déluge avaient conservé l'idée d'une divinité et de la nécessité du culte religieux, idée qu'ils
défiguraient par le mélange des fables les plus absurdes et les plus indécentes et par l'addition des pratiques superstitieuses les plus opposées aux principes du culte naturel, s'ensuit-il
qu'ils avaient aussi conservé des connaissances abstraites et des principes scientifiques que l'on ne voit pas trop avoir été connus avant le Déluge.
Si la date du règne de Tchong cang était constatée par les anciens monuments de l'histoire chinoise, si du moins les différents chronologistes étaient d'accord sur cet article, celle des deux
éclipses qui se trouverait conforme au calcul devrait peut-être l'emporter sur l'autre, mais nous ne sommes point dans ce cas. Votre ouvrage imprimé, votre notice mss. et vos lettres contiennent
trop de preuves de leurs variétés sur cette date. Ainsi cette éclipse doit seulement servir à vérifier le système chronologique qui sera proposé. Tout système dans lequel on ne trouvera pas une
éclipse à la neuvième lune près de Fang au commencement du règne de Tchongcang devra être rejeté. Votre système et le mien en donnent une, donc ils peuvent être tous deux reçus mais ils
n'ont point d'avantage à cet égard l'un sur l'autre car je veux bien ne pas faire attention à l'heure et à la très petite quantité de moins d'un doigt de votre éclipse horizontale.
Les calculs de jours désignés par les notes cycliques de Taï kia etc. ne sont de même pour moi comme je crois l'avoir déjà dit, des vérifications de ma chronologie, ils serviront tout au plus à
me déterminer quand les choses étant d'ailleurs à peu près égales j'ai besoin d'un nouveau motif pour faire cesser la suspension.
J'ai dit plus haut que si le calcul des chronologistes au sujet de l'époque de Tchong cang était uniforme, le rapport de ce calcul avec la date de l'éclipse de 2155 avant J. C. devrait
peut-être l'emporter. Ce peut-être vous aura sans doute paru un peu étrange M. R. P. mais voici ma raison.
Dans l'examen que nous faisons vous et moi de la chronologie chinoise et de l'époque d'Yao, nous partons l'un et l'autre d'un point commun, c'est-à-dire de la supposition que la chronologie de
l'Écriture doit être la règle de toutes les autres et que c'est par leur accord avec elle que nous devons juger de leur vérité. Ainsi nulle hypothèse ne doit être admise par nous si pour la
retenir il faut faire quelque violence à l'Écriture et lui donner une interprétation forcée ou peu naturelle. Je ne confond pas ici l'Écriture avec les systèmes imaginés pour en donner la
chronologie, parce que les systèmes ne sont pas nécessairement la chronologie de l'Écriture, ils la sont tout au plus probablement. Je reconnais encore que parmi les différents calculs proposés
pour la chronologie de l'Écriture il faut en général préférer les plus étendus. C'est par cette raison que je compte avec le ms. hébreu 480 ans de la dédicace du temple à l'exode et 430 ans de
l'exode à l'entrée de Jacob en Égypte, car le mss. des Septante qui compte ces 430 de l'exode à la vocation d'Abraham a tout l'air d'avoir été altéré par l'addition d'une glose. De l'entrée de
Jacob à la vocation d'Abraham, 215 ans, total des trois intervalles 1125 ans, de la vocation d'Abraham à la naissance 75 ans, ainsi la dédicace du temple est postérieure à la naissance d'Abraham
de 1200. Cette dédicace est au plus tard de l'an 1010 et au plus tôt de l'an 1030 av. J.-C. Donc la vocation d'Abraham en 2155 environ et sa naissance en 2230.
Au delà de la naissance d'Abraham, la différence des 3 mss. rend la chronologie de l'Écriture très incertaine quand au nombre des années mais non quand à celui des générations. Tous s'accordent à
mettre Abraham le 6e après Phaleg, ou à compter cinq générations de l'un à l'autre. Le texte hébreu donne 251 ans à cet intervalle, celui des Samaritains et deux éditions des Septante lui en
donnent 541, une autre édition des Septante donne 645 ou même 671. Enfin si l'on veut former la durée de cet intervalle en choisissant dans tous les mss. les plus longues durées de chaque
génération particulière, on aura pour l'époque de la naissance de Phaleg l'an 721 avant la naissance d'Abraham ou l'an 2951 environ avant l'ère chrétienne. Les chronologistes chrétiens n'ont
point recours à cet expédient, je ne sais par quelle raison, car dès que l'on ne donne plus la préférence au texte hébreu, dès que l'on admet des altérations dans les nombres des mss., on peut
choisir dans chaque mss. la leçon qui paraîtra la plus convenable. Je m'arrête à Phaleg parce que l'Écriture dit, Genes. chap. X, vers. 20, que de son temps la Terre fut divisée ou
partagée, ce qui arriva de la manière que l'Écriture le rapporte en détail au chap. 11 suivant où elle marque que l'objet de ceux qui bâtirent la tour de Babel était de prévenir une
dispersion et une séparation. Faciamus nobis nomen (héb. sem) ne forte dispergamur. Sem comme l'a montré Perizonius (Origin of Babylonic) signifie probablement une
marque, un signal, et cette tour qui aurait été visible de très loin dans les plaines de Sinh-har aurait pu leur servir comme d'une balise pour se rejoindre au même lieu.
Jusque là, dit l'Écriture, les hommes n'avaient formé qu'une même nation et qu'une même famille. L'origine des nations ne peut donc remonter plus haut que la naissance de Phaleg au temps
duquel arriva la première division ou dispersion des hommes, tel est le sens naturel que présente la narration de l'Écriture. Ainsi l'histoire d'une nation qui remonterait au-delà du temps de la
dispersion devrait être regardée comme fabuleuse au moins dans sa première partie.
Il faut même observer que les peuples établis dans les lieux les plus proches de Sennaar comme ceux de Babylone, ceux d'Elam et ceux d'Égypte, peuvent bien remonter avec raison jusqu'à Phaleg et
jusqu'aux temps voisins de sa naissance, mais qu'il n'en peut être de même des nations éloignées comme est celle des Chinois. La face de la Terre bouleversée par les suites de l'inondation
universelle étant restée déserte et en friche devait être presqu'impraticable, il fallait remonter le long de leurs bords les fleuves que l'on rencontrait pour les aller traverser proche de leur
source. Il fallait côtoyer les chaînes de montagnes pour aller chercher les gorges et les défilés praticables et on ne pouvait reconnaître ces défilés qu'après en avoir sondé plusieurs qui ne
l'étaient pas.
D'ailleurs les hommes ne se devaient répandre que de proche en proche à mesure que les pâturages venaient à manquer à leurs troupeaux ou que les querelles, les divisions ou la simple envie de
changer de lieu les portaient à se séparer. Les colonies ne devaient pas être fort nombreuses, et cependant elles devaient marcher avec beaucoup d'appareil, conduisant leurs femmes et leurs
enfants, leurs troupeaux avec elles et portant leurs meubles, leurs outils, etc.
Si vous joignez à cela la distance de Babylone à la Chine et la nature des pays qui les sépare quelque chemin que l'on prenne, soit qu'après avoir traversé les plaines désertes de plusieurs
journées qui s'étendent à l'orient de la Perse depuis la mer Caspienne jusqu'à celle des Indes on traverse l'Oxus et le Tanais et que l'on entre dans la Tartarie, soit que l'on traverse l'Indus
et le Gange et que l'on marche à pied de la grande chaîne de montagnes sur le sommet de laquelle sont les vastes plaines de la Tartarie, vous conviendrez qu'il a fallu aux premières colonies qui
ont pénétré dans la Chine plusieurs siècles pour arriver dans ce pays.
Lorsque ces colonies y furent, elles durent se disperser et se séparer dans les différentes provinces de cette vaste région dont les habitants soit par la langue, soit par la figure extérieure,
soit par le caractère et l'humeur, ont conservé beaucoup de traits de leur origine commune. Cette dispersion et la séparation dans laquelle les hommes vivaient les uns à l'égard des autres
occasionna la barbarie dont Confucius faisait mention, le père de Mailla le dit dans sa préface, et de laquelle Fohi, Hoamty et les premiers souverains de ce pays tirèrent les hommes en les
engageant à se réunir pour former des sociétés.
Vous me marquez dans un des écrits sur ma dissertation qu'il serait à propos que l'on pût mettre des empereurs en Chine avant Yao et au temps qui répond à l'an 2400 ou même 2500 av. J.-C. Dans ma
lettre de l'an 1735 je faisais remonter le règne de Fou hi jusqu'à l'an 2450 ou même jusqu'à 2500 av. J.-C. C'est-à-dire 450 ou 500 ans après Phaleg mais c'est 1° en choisissant les durées les
plus longues dans les différents textes pour en former l'intervalle de Phaleg à Abraham, ce qui ne sera peut-être pas reçu de tout le monde ; 2° en mettant la naissance d'Abraham à l'an 2230
avant l'ère chrétienne.
Si le commencement de Yao est de l'an 2357 avant J.-C. et qu'il ait pour prédécesseurs Tchi [Tche], Ty cho [Ti Kou], Tchou-nehu [Tchouan Hu]), Chaohao [Chao Hao], Hoamgti [Houang ti], Chinnon
[Chen nong] et Fouhi [Pou hi], comme plusieurs de ces sept règnes ont été très longs et que leur durée dans le Tong kiene Cang mou est de 596 ans on remontera à l'an 2953 et Fou hi qui a
régné à la Chine se trouvera contemporain de Phaleg. Or je ne vois pas comment on peut concilier cette ancienneté de Fou hi avec la chronologie de l'Écriture, avec ce qu'elle nous apprend de la
séparation des nations au temps de ce même Phaleg...