Bernard Vuilleumier
TISSUS ET TAPISSERIES DE SOIE DANS LA CHINE ANCIENNE
Revue de l'art ancien et moderne, Paris. Tome 69, 1936, pages 197-216 et tome 71, 1937, pages 243-245.
- "Une exposition au Musée des Gobelins a été organisée en mars dernier [1936] avec la précieuse collaboration d'un jeune érudit suisse, M. Bernard Vuilleumier, collectionneur et connaisseur en textiles de Chine, qui a prêté une centaine de pièces des plus importantes. Nous avons prié M. Vuilleumier d'exposer à nos lecteurs l'état des connaissances actuelles sur l'art de la tapisserie de soie et des tapis en Chine, dont les titres de noblesse s'étendent sur quelque treize siècles, du VIIe au XIXe."
- "La technique de la tapisserie de soie chinoise fut la même que celle des Gobelins avec cette différence que l'ouvrier chinois exécutait des tapisseries d'une finesse extraordinaire et qu'il se servait quelquefois du pinceau pour l'exécution de certains détails. Ces tissus utilisés pour des robes ou des peintures murales atteignaient de grandes dimensions... Le travail du kosseu est fascinant, puisque nous avons compté de 20 à 24 fils de chaîne au centimètre et jusqu'à 114 fils de trame sur 1 cm de chaîne, tandis que les Gobelins les plus fins n'accusent que 8 à 11 fils de chaîne au centimètre et 22 fils de trame sur 1 cm de chaîne."
- "C'est sous la dynastie T'ang que l'art du textile atteint son plus grand développement. La tapisserie, sous cette dynastie, était souvent plus fine que la peinture elle-même et pouvait être considérée comme une œuvre d'art véritable."
Extraits : La tapisserie de soie : le kosseu — Symbolisme du vêtement de cérémonie — Le tapis chinois
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L'étude des textiles chinois demeure à faire. Nous ne prétendons pas la tenter, dans un article aussi bref, mais du moins nous efforcerons-nous
de donner à des lecteurs que leur culture et leur curiosité peuvent pousser vers l'étude de cet art, si riche et si varié, quelques points de repère et le fruit de nos modestes recherches.
L'Exposition du Musée des Gobelins a permis d'étudier la tapisserie de soie chinoise (qu'on appelle kosseu [k'o-sseu]) depuis l'époque T'ang.
Primitivement, à l'époque pré-Han , le textile ne fut qu'une branche de l'art appliqué, ne servant qu'à la confection d'objets d'usage courant. Son but principal fut de pourvoir à l'habillement
de l'homme. S'il est très difficile de remonter à l'origine de la tapisserie de soie chinoise, nous savons toutefois que le métier utilisé pour la tapisserie était beaucoup plus primitif que
celui qui servait a tisser le brocart de soie. La tapisserie fut certainement le précurseur du brocart. Il serait donc admis que le kosseu exista en Chine avant le grand développement du brocart
de soie qui eut lieu sous la dynastie Han , la période intermédiaire allant jusqu'aux Souei et enfin les T'ang .
Dans les documents littéraires anciens, les termes chinois « kin » — brocart de soie — et « tche-tch'eng » — tissage — furent employés pour mentionner les textiles. Il semble que le terme « kin
», avant la dynastie T'ang, n'ait pas eu le sens étroit qu'il a de nos jours où il désigne exclusivement le brocart de soie ; il signifiait un produit textile de premier ordre. Le terme kosseu à
cette lointaine époque n'existant pas, il semble certain que le mot « kin » ait désigné tout ce qui se rapportait à la tapisserie de soie. D'autre part, le mot « tche-tch'eng » fut un terme
appliqué aux textiles dès l'époque Han, mais faute de documents, nous ne savons pas si ce terme se rapporte au brocart, à la tapisserie ou même à la broderie .
Les kosseu sont toujours composés d'une chaîne constituée par un ensemble de fils parallèles tendus sur un métier et de la duite formée par l'aller et le retour du fil de trame. La technique de
la tapisserie de soie chinoise fut la même que celle des Gobelins avec cette différence que l'ouvrier chinois exécutait des tapisseries d'une finesse extraordinaire et qu'il se servait
quelquefois du pinceau pour l'exécution de certains détails. Ces tissus utilisés pour des robes ou des peintures murales atteignaient de grandes dimensions.
Dans son « Ko-Ji-Hô-Ten » V.-F. Weber définit le kosseu comme une sorte de mosaïque ou une marqueterie exécutée au moyen de petits fragments d'étoffe, variables en nombre et en dimension, et
travaillés séparément. Tous ces morceaux sont ensuite assemblés sur un fond tissé pour former un ensemble. Il y a ici une erreur. L'artisan ne rassemblait pas de petits fragments juxtaposés. Il
tissait toute la pièce sur une même chaîne, partant d'une lisière et liant successivement par endroit les duites les unes aux autres jusqu'à la lisière opposée. Le travail du kosseu est
fascinant, puisque nous avons compté de 20 à 24 fils de chaîne au centimètre et jusqu'à 114 fils de trame sur 1 cm de chaîne, tandis que les Gobelins les plus fins n'accusent que 8 à 11 fils de
chaîne au centimètre et 22 fils de trame sur 1 cm de chaîne.
En Chine, les tapisseries anciennes sont rares et manquent totalement pour la soie . Les documents de kosseu de haute époque peuvent être considérés comme des reliques. Les musées anglais n'en
possèdent pas. Les explorateurs archéologues les plus célèbres qui rapportèrent des anciens documents de soie chinois de première importance sont : Grünwedel et von le Coq, Kozloff et Borovka,
Pelliot, Stein.
M. Paul Pelliot rapporta de sa mission de 1906 à 1909 à Touen Houang, dans le Turkestan chinois, des documents fort précieux de tapisserie de soie.
Tous les documents de tapisserie de soie conservés par hasard dans les déserts du Turkestan et rapportés par la Mission Pelliot datent de l'époque T'ang (618 à 906 après J.-C.) : une petite
bannière dont deux petites bandes décoratives sont en kosseu, deux couvertures de manuscrit dont les lanières sont en tapisserie et une petite bande de tapisserie de soie (dont un fragment est
reproduit planche II).
Les Chinois considèrent le kosseu comme le tissu le plus précieux.
C'est sous la dynastie T'ang que l'art du textile atteint son plus grand développement. La tapisserie, sous cette dynastie, était souvent plus fine que la peinture elle-même et pouvait être
considérée comme une œuvre d'art véritable. Elle servit aussi à la fabrication de vêtements et à la décoration intérieure. Des documents de kosseu de cette époque se trouvent dans la fameuse
collection du « Shosoin » à Nara (Japon) ; ces exemples sont de styles purement conventionnels. On pourrait dire que les tapisseries antérieures à l'époque Song contiennent les premiers éléments
d un art destiné à atteindre le plus grand essor. Les tapisseries de soie T'ang sont presque toutes entièrement tissées de soie (chaîne et trame). Il peut cependant exister des kosseu de cette
époque dont la chaîne serait constituée par des fils de chanvre : ces exemples sont rares et auraient un but décoratif.
Il faut souligner l'essor prodigieux du kosseu sous l'époque Song (960 à 1279 après J.-C.). Certes le grand développement de la peinture pendant cette époque exerça une influence directe de toute
importance sur la tapisserie. Des tisseurs fameux représentèrent en kosseu non seulement des documents originaux de calligraphes de très grand renom, mais il reproduisirent en tapisserie de soie
les peintures des plus grands maîtres, membres de l'Académie de peinture de l'époque (Pl. III).
Sous les Song, le kosseu fut tissé sur un métier très primitif, le travail fut d'une complication extrême, et c'est justement le métier primitif qui accorda aux artistes une liberté d'action dans
la technique qui leur permit d'exécuter les tapisseries de soie les plus précieuses et les plus prodigieuses. Les divers empereurs de la dynastie Song encouragèrent la peinture et protégèrent
l'art de la tapisserie, dont les plus grands maîtres furent : Tchou K'o-jeou, Tch'en Tsoufan, Wou Hiu, Wou To et Tchou Siang-tong. Leurs travaux remarquables dépassèrent parfois en beauté les
œuvres des peintres les plus célèbres qu'ils copièrent. Sous la dynastie Yuan, de 1280 à 1368, l'art du textile dut beaucoup au développement des échanges avec les pays voisins. Une manufacture
gouvernementale fut établie à Hang-tcheou où des artisans habiles furent recrutés et encouragés.
En raison du rôle que joua alors le lamaïsme tibétain, des images religieuses de style hindou furent représentées en grand nombre. Des
décorations de temple furent très demandées. La grande influence de l'Asie centrale se fit sentir et la caractéristique des textiles Yuan fut l'emploi très prononcé de fils d'or et d'argent allié
à une grande richesse de décors. Les Mongols, sans force dans le domaine de la haute culture et sans personnalité créatrice, suivirent la trace si longtemps développée par les Han. L'usage du
pinceau pour relever quelques détails des motifs de kosseu débuta probablement, mais très discrètement, sous la dynastie Song ; cette méthode de simplification fut aussi employée sous les Yuan
pour marquer certains détails très fins. Ce moyen s'accentua pendant certaines périodes de la dynastie Ming (1368 à 1644). Cependant la « tapisserie imitant la peinture » continua à ressembler à
celle de l'époque Song.
Voulant se débarrasser du formalisme compliqué du style de la dynastie précédente, l'empereur Hong-wou (1368 à 1398) institua des restrictions concernant la fabrication des textiles et défendit
l'emploi de la tapisserie. Toutefois, sous le règne de l'empereur Siuan-tö, la fabrique de soie gouvernementale et la manufacture de broderies reprirent leur activité. À côté de ces institutions,
le « Mei-tsao-so » fut établi, et cet art fut protégé et encouragé. On négligea le style Yuan et l'on prit pour modèles les styles T'ang et Song. Les produits de premier ordre de cette époque
sont ceux de Ying-t'ien (Nan-kin), Sou-hang (Sou-tcheou et Hang-tcheou), Song-kiang et Hou-tcheou. Les époques où les fabrications de textiles furent les plus prospères sont celles de Hong-wou
(1368 à 1398), Siuan-tö (1426 à 1435), Tch'êng-houa (1465-1478), Kia-tsing (1522 à 1566).
Si les artisans Ming se servirent davantage du pinceau pour relever les motifs de leur kosseu, c'est qu'il est très difficile d'obtenir par le tissage un parfait rendement des détails très
minutieux ainsi que des dégradés de peinture. Il était presque impossible à l'artiste tisseur le plus habile de faire ressortir la vie et le mouvement.
Ce fut dans le but d'y remédier que le pinceau fut si souvent employé. Par la suite, l'artiste en vint à éviter le travail le plus difficile du tissage et l'usage du pinceau devint très courant.
Ce fut si simple qu'on alla jusqu'à tisser les parties essentielles du dessin pour les terminer à l'aide de la peinture, ce qui fut très courant à la fin de la dynastie des Ming et se propagea
sous celle des Ts'ing.
L'étude de la tapisserie de soie de la dynastie des Ts'ing (1644 à 1911) nous met en contact avec cette culture brillante et fastueuse, qui,
malheureusement, n'eut ni la force de créer ni celle d'éviter la décadence. Certaines tapisseries du XVIIe siècle sont d'une finesse extraordinaire, quelquefois sans rehauts de peinture, mais la
trame ne fut jamais si serrée et, dans les pièces les plus fines de cette époque, nous n'avons pas compté plus de 90 fils de trame sur 1 cm de chaîne.
Si les pièces montées en kakemono furent passablement rehaussées de peinture, il semble que les artistes vouèrent plus d'attention aux robes impériales officielles de sacrifice et de cérémonie,
considérées en Chine comme de véritables œuvres d'art, ainsi qu'aux objets pouvant servir à l'empereur. Ces tapisseries nous font penser à l'atmosphère raffinée des époques K'ang-hi et
Yong-tcheng.
Les documents de kosseu de l'époque K'ien-long prouvent la somptuosité poussée à outrance qui est le caractère de cette époque superficielle. Le
travail est magnifique encore, mais les pièces de la fin de ce règne sont d'une technique moins serrée ; les couleurs sont plus vives, sans charme. Il semblerait cependant que seuls les documents
du début du XIXe siècle révèlent une dégénérescence certaine de travail et de technique.
Les kosseu de l'ère Hsien-fong semblent prouver une reprise dans la tradition d'exécuter des tapisseries sans rehauts de peinture, mais la qualité de la teinture de ces documents ne permet pas la
méprise.
Vers la fin du XIXe siècle, les Chinois importèrent de l'Europe les couleurs chimiques, leurs textiles hélas ! le prouvent. Ces documents tardifs constitués par des fils de soie passés à
l'aniline représentent non seulement la fin de l'évolution, mais la complète décadence d'un art qui réalisa un des essors les plus prodigieux qu'il nous ait été donné de connaître.
1. Le soleil. — 2. La lune. — 3. Les étoiles. — 7. Les vases du culte des ancêtres. — 8. L'herbe aquatique. — 11. La hache sacrée. — 12. Le symbole fu. — 16. Le disque sacré (puissance infinie). — 17. Les montagnes sacrées (centre du monde). — 18. Le caractère wan shou (longévité indéfinie). — 20. La branche de corail. — 21. Le swastika, cœur de Bouddha (dix mille : infini). — 22. La chauve-souris dont le mot fu se prononce comme fuh bonheur. — 24. Le dragon impérial.
4. Les montagnes. — 5. Les dragons opposés. — 6. Le faisan. — 9. Les grains de millet. — 10. Le feu. — 13. Le ciel. — 14. La terre. — 15. L'eau. — 19. Le caractère shou (longévité). — 23. La corne de la licorne.
L'art ancien de la Chine est une narration symbolique. L'empereur lui-même est un symbole : Fils du Ciel, il représente la puissance suprême,
surhumaine, d'essence divine.
Les écrits classiques de la Chine donnent la signification symbolique du vêtement :
La rondeur des manches rappelait (à celui qui portait ce vêtement) que lorsqu'il levait les mains (pour saluer) en marchant, ses manières devaient être élégantes (comme une figure circulaire). La
rectitude de la couture du dos et les angles droits du collet lui rappelaient que son administration devait être correcte et sa justice incorruptible. On lit :
dans le I king :
« Dans l'hexagramme de la Terre, le deuxième trait marque un mouvement qui va de la ligne droite au carré.
Le bord inférieur, horizontal comme le fléau d'une balance, rappelait que la volonté devait être ferme et le cœur toujours en équilibre (calme). »
dans le Li Ki :
« Le long vêtement réunissait ces cinq conditions ; aussi était-il porté par les souverains les plus sages. La forme ronde et la forme carrée leur rappelaient l'intégrité, le désintéressement
qu'ils devaient avoir. La couture du dos, qui ressemblait au cordeau du charpentier, était pour eux l'image de la rectitude ; et le bord inférieur, horizontal comme le fléau de la balance,
l'image de l'égalité de l'âme. Aussi ce vêtement était-il grandement estimé des anciens souverains.
Pendant les cérémonies, le vêtement impérial officiel isole le souverain pontife de la souillure terrestre ; il le met en contact avec l'énergie céleste et les civilisations successives de la
Chine revivent dans sa décoration symbolique. Des trois éléments primitifs de l'univers, la terre et l'eau figuraient sur tous les vêtements d'honneur, mais le ciel n'était représenté que sur les
robes de l'empereur ou exceptionnellement sur celles des plus hauts dignitaires. »
La robe impériale officielle de cérémonie figure un horizon circulaire. Son cycle symbolise le ciel, l'infini. Au bas, l'eau bouillonnante évoque
les forces libres de la nature. Au-dessus, tous les emblèmes du pouvoir et de la domination indiquent la force bienfaisante de l'empereur dont la compréhension et la force surnaturelle assurent
l'ordre et répandent le bonheur en dépit du néant de toutes choses (voir Planche IV). Le Fils du Ciel ne prend figure de souverain que dès qu'il se donne pour but d'élever son peuple tout entier
vers le plus haut idéal de culture et de morale. La vie de l'empereur comportait d'innombrables cérémonies officielles ; il était le seul trait d'union entre le ciel et la terre : prêtre
national, il était l'Homme Universel qui, seul, avait le droit de sacrifier à l'Empereur suprême, le Ciel souverain.
Le Sacrifice sur l'Autel du Ciel, au solstice d'hiver, était la cérémonie officielle la plus importante. Tous ceux qui devaient y prendre part, y compris l'empereur, se préparaient à l'avance par
le jeûne, c'est-à-dire que pendant les trois derniers jours (autrefois le jeûne durait 10 jours), ils se retiraient dans le palais du Jeûne, s'abstenant de certains mets, de musique et de tous
plaisirs sensuels.
Sur l'Autel du Ciel, l'Homme-Dieu, enveloppé de son manteau officiel sacré rappelant l'origine céleste et le passé des empereurs bienfaisants disparus, disait la prière sublime debout sur un
disque de jade qui le préservait du contact de la terre. Ainsi, le Fils Unique, s'unissant au Ciel souverain, incarnait les aspirations parfaites du peuple parmi les peuples dont la sagesse
répudiant la guerre cherchait à civiliser le monde sous les arts de la paix.
Douze ornements symboliques, énumérés par les commentateurs de la dynastie des Song, ornent les vêtements officiels de sacrifice de l'empereur et de la noblesse. Ces ornements emblématiques
classiques sont : le soleil, la lune, les étoiles, les montagnes, les dragons opposés, le feu, le faisan, les deux vases de temple, la hache sacrée, l'herbe aquatique, les grains de millet, le
symbole « fu » (voir Planche V).
1. Le soleil. — 2. La lune. — 3. Les étoiles. — 4. Les montagnes. — 5. Les dragons opposés. — 6. Le faisan. — 7. Les vases du culte des ancêtres. — 8. L'herbe aquatique. — 9. Les grains de millet. — 10. Le feu. — 11. La hache sacrée. — 12. Le symbole fu.
Seules les robes impériales portaient les douze symboles. Les trois premiers, le soleil principe actif, puissance fécondante, la lune avec le
lièvre, principe passif et symbole du sacrifice total, la constellation des trois étoiles nommée « shin », image du cœur de la Chine et du Fils du Ciel étaient exclusivement réservés à
l'empereur.
Malgré son aspect monstrueux, le dragon à cinq griffes personnifie la force bienveillante, non la puissance aveugle, mais le pouvoir surnaturel, le secours du protecteur suprême. C'est le dragon
jaune que l'empereur légendaire Fou-hi avait chargé de composer les huit trigrammes qui sont censés être à l'origine de l'écriture chinoise. Dès lors, le dragon, déjà vénéré depuis les temps les
plus reculés, devint, de dynastie en dynastie, l'emblème national de l'empire. La noblesse chinoise était une élite intellectuelle. D'examens en examens ses membres gravissaient les neufs degrés
de la hiérarchie civile ou militaire. Des grades supérieurs étaient conférés aux lettrés que leur science exceptionnelle mettait au rang des grands serviteurs de l'État. Tout noble avait sa robe
officielle de cérémonie marquant son rang, le nombre d'emblèmes croissant avec la dignité. Le droit de revêtir ces vêtements privilégiés venait de l'empereur lui-même. Tout port abusif était
sévèrement réprimé. Le candidat nouvellement admis au rang de la noblesse était présenté à l'empereur. Pour cette cérémonie, il était revêtu d'une robe officielle recouverte d'un surtout de soie
couleur prune orné d'un « p'ou-tseu » porté sur le dos et sur la poitrine et correspondant à son rang.
D'après le Li ki, l'empereur, Fils du Ciel, devait porter lors des cérémonies officielles de sacrifices, de la prière pour les moissons, de la prière pour la pluie et lors des cérémonies
officielles, des vêtements rituels spéciaux constitués par le tissu le plus précieux : le kosseu ou la broderie de tout premier ordre. Le travail, toujours original, valait par la pureté de
dessin et dans le choix et le groupement des couleurs habilement juxtaposées ; il rivalisait avec l'œuvre des peintres. Dans le ciel, c'est-à-dire dans toute la partie supérieure du vêtement,
dragons, nuages, montagnes formaient autant de petits tableaux d'un fini achevé. Ce ne sont que fils de soie entrecroisés et pourtant chaque morceau vit intensément dans l'exquise harmonie
d'ensemble de mille couleurs chatoyantes.
Le Musée des Gobelins présente ainsi une série de manteaux impériaux officiels de sacrifice et de cérémonie dans le cadre somptueux qu'ils
méritent.
Un vêtement en kosseu datant probablement de l'époque Yuan (voir Pl. VI) est caractéristique par son « p'ou-tseu » de ministre civil surmonté d'une application décorée d'un Bouddha sortant d'une
fleur de lotus.
Entre d'autres vêtements de l'époque K'ang-hi se trouve un vêtement impérial officiel pour cérémonie militaire dont le kosseu à fond brun très foncé est décoré d'une quantité de dragons dont
l'expression violente est de style K'ang-hi.
Une tunique impériale de chasse, constituée par les cinq tissus précieux conventionnels dont le velours lamé représente le pelage du tigre, symbolise le courage. Ce document date du XVIIe siècle
(voir Pl. VII).
Il y a parmi d'autres manteaux impériaux de sacrifice un vêtement de kosseu à fond bleu et jaune représentant le ciel (bleu) et la terre (jaune), dont les motifs sont entièrement constitués en
fils d'or jaune et brun et en fils d'argent. Ce document très précieux date du XVIIIe siècle (voir Pl. VIII).
Comme vêtements tardifs, signalons une robe de mariage d'impératrice qui date de la fin du XIXe siècle et dont le kosseu à fond mauve parsemé d'une stylisation de swastikas d'or n'est absolument
pas relevé de peinture ; elle est décorée d'innombrables caractères « joie double » et de plantes de lotus, dont la racine est le symbole de l'indissolubilité (voir Pl. IX).
On n'a guère de précisions sur les origines du tapis chinois qui, dès la plus haute antiquité, fut appelé t'an en Chine. Les très vieux fragments
de tapis trouvés dans les déserts du Turkestan chinois sont encore à identifier. Nous avons, toutefois, dans l'actuelle exposition, essayé d'établir une classification qui sera un point de départ
pour les études ultérieures plus poussées.
D'après certaines indications de source chinoise, il paraîtrait que les tapis chinois primitifs, c'est-à-dire allant jusqu'à l'époque Song, avaient une chaîne entièrement composée de fils de
chanvre. Sous les Ming, il fut fabriqué des tapis dont la chaîne était de coton. Il appert cependant que pendant cette époque, les artisans exécutèrent aussi, mais rarement toutefois, des tapis à
chaîne de laine ou de chanvre. Sous les Ts'in déjà (221-206 av. J.-C.), le peuple fabriqua des tapis de soie à décors de plantes et d'animaux polychromes.
Les tapis chinois vraiment anciens ont les deux caractéristiques suivantes bien définies : le tissage très lâche et les fils de laine très courts ; il convient de les distinguer en deux groupes :
1° ceux qui furent travaillés dans le Turkestan chinois ; 2° ceux de fabrication purement chinoise.
Les premiers sont désignés sous les noms de Samarkand, Yarkand, Kashgar, Khotan et Turfan ; ils ont un ensemble de couleurs riches, et sont décorés de motifs rappelant le style des tapis du
proche Orient, mais ils ont souvent quelques dessins géométriques d'influence chinoise.
Les tapis spécialement chinois dénommés généralement de « Mongolie », dont la laine de cette provenance fut envoyée à Pékin, furent fabriqués pour la plupart dans cette ville. Ces tapis sont
décorés de motifs de style symbolique purement chinois. Les couleurs utilisées pour les fonds sont plus spécialement le jaune, le bleu ou l'orangé. Les centres les plus importants où furent
fabriqués les tapis de la province de Kansou sont Ning-hia et Sou-tcheou. Le grand renom acquis par les tapis de Ning-hia est dû à l'emploi de laine de première qualité. Au XVIIe siècle,
l'empereur K'ang-hi, qui protégea toutes les branches de l'art, encouragea la fabrication des tapis.
Les tapis du XVIIIe siècle sont magnifiques et luxueux. Les tribus mongoles firent de nombreux présents de tapis à l'empereur K'ien-long. La plupart des tapis des palais de Pékin datent de ce
règne. Vers 1900 une École industrielle « Kong-yi-kiu » pour la fabrication des tapis fut établie à Tsinanfou (province de Chan-tong).
Ce n'est qu'au milieu du XIXe siècle que les tapis chinois furent régulièrement importés en Europe, importation qui prit son extension à partir du dernier quart du siècle. On comprendra
immédiatement par ces dates récentes, pourquoi le tapis chinois est encore si peu connu, alors que les tapis de Turquie et de Perse, dès le XVe siècle, ont été très goûtés des amateurs
européens.