Léopold de Saussure (1866-1925)
LE TEXTE ASTRONOMIQUE DU YAO-TIEN
T'oung pao, série II, vol. VIII, 1907, pages 301-390. Et :
L'astronomie chinoise dans l'antiquité — Prolégomènes d'astronomie primitive comparée
Note sur les étoiles fondamentales des Chinois
Trois articles publiés en 1907 dans la Revue générale des sciences, et les Archives des Sciences physiques et naturelles.
-
"Les documents que nous possédons sur les origines de la civilisation chinoise ne sont pas nombreux. Les seules sources de nos
connaissances sont donc celles qui découlent de l'antique littérature nationale...
Le plus ancien des livres canoniques, le Chou-King, est un recueil de textes historiques, dont les premiers se rapportent à des souverains qui auraient précédé les dynasties, antérieurs par conséquent au XXIIIe siècle avant J.-C. d'après certaines chronologies chinoises. Mais les sinologues montrent que ces textes sont suspects. Au delà du XIIe siècle, les annales ne présentent plus de certitude... Quant aux souverains antérieurs, leur histoire est visiblement mythique.
Dans ces conditions, on conçoit que tout document susceptible de fournir un renseignement authentique sur ces temps nébuleux acquière une importance capitale. On ne saurait l'examiner avec trop de soin.
Or, ce document existe : c'est un texte astronomique incorporé au premier chapitre (Yao-Tien) du Chou-King. Il indique les positions sidérales du soleil pour les quatre dates cardinales de l'année correspondant au milieu de chaque saison ; en principe, il fournit donc les éléments d'un calcul chronologique fondé sur la précession des équinoxes. En voici les passages essentiels : "
- « Puis Yao ordonna à Hi et à Ho d'observer avec attention le ciel majestueux et d'appliquer les méthodes du calcul au soleil, à la lune, aux constellations et aux syzygies de conjonction, puis d'indiquer avec soin au peuple les saisons... Le jour moyen et les constellations Niao servent à fixer le milieu du printemps... Le jour le plus long et les constellations Ho servent à fixer le milieu de l'été... La nuit moyenne et la constellation Hiu servent à fixer le milieu de l'automne... La nuit la plus longue et la constellation Mao servent à fixer le milieu de l'hiver... L'année a 366 jours ; par le moyen du mois intercalaire, on détermine les quatre saisons. »
-
"À première vue, ce texte ne paraît guère explicite. Il est muet sur les deux points essentiels : la position des étoiles et la
position du soleil.
Mais l'impression change lorsqu'on apprend, par les traditions continues de l'astronomie chinoise, que ces éléments sont sous-entendus parce qu'il était inutile de formuler des règles bien connues, restées en vigueur jusqu'à nos jours.
L'astronomie chinoise est fondée sur l'observation des passages au méridien. Il s'agit donc ici du passage au méridien des astres Niao, Ho, Hiu, Mao, aux quatre dates cardinales de l'année.
Il ne reste plus à connaître que l'heure à laquelle se rapportent ces passages pour avoir la position correspondante du soleil. Mais les auteurs ne sont pas d'accord sur ce point, et c'est ce qui explique le peu de crédit accordé à ce document unique. L'interprétation à laquelle on s'est arrêté — et qui fait autorité actuellement — lui dénie d'ailleurs presque toute valeur chronologique.
Je me propose ici de démontrer que cette opinion de la critique moderne est complètement erronée ; puis j'essayerai d'en établir une autre, sur des bases indiscutables."
Extraits : L'œuvre du père Gaubil et de J.-B. Biot - Origines de l'astronomie chinoise -
La théorie de Biot - Conclusion
Pierre Puiseux : Le plus ancien monument de l'astronomie chinoise
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Les caractéristiques de l'astronomie chinoise sont : 1° Sa très haute antiquité. 2°
L'originalité de sa méthode foncièrement équatoriale et horaire. 3° Son identité à travers tous les âges, depuis Yao jusqu'à l'avènement de la dynastie actuelle.
Le père Gaubil écrivait à une époque où l'on ne concevait guère la question des origines ; il était imbu, comme ses collègues, de la méthode grecque essentiellement écliptique. Il a compulsé tous
les documents chinois, en a retiré les renseignements intéressants par extraits abrégés ; puis les envoyait à ses correspondants d'Europe, au fur et à mesure, sans chercher à les coordonner, à
les mettre d'accord, à en tirer des vues générales. Par suite de cette manière de procéder, ses ouvrages sont quelque peu chaotiques. « C'est une mine — a dit Biot — mais une mine qu'il faut
savoir exploiter. » — Un astronome étranger aux choses de la Chine, un sinologue peu familiarisé avec celles du ciel, risqueront d'y puiser des idées fort erronées. Le père Gaubil s'étant mis au
travail sans posséder d'abord aucune compétence en astronomie chinoise, se méprend fréquemment, et donne, par exemple, jusqu'à quatre définitions contradictoires des Tchong-ki. Mais ces défauts
apparents sont des gages précieux de l'ingénuité de sa documentation ; et il est fort heureux qu'il n'ait pas cherché à disserter sur les généralités. Nous lui demandons avant tout des documents
originaux et sur ce point, le seul qui importe, il nous satisfait presque entièrement.
L'esprit lucide de Biot a mis en ordre ce trésor et en a tiré une théorie générale que Gaubil avait déjà indiquée sans avoir su toutefois la formuler nettement.
Inconsciemment persuadé que l'écliptique est la base nécessaire de l'astronomie et du calendrier, le père Gaubil constate pas à pas qu'il en est autrement à la Chine. Mais il doute longtemps de
la généralité du fait : « Il est certain, dit-il, que sous les Han on rapportait les lieux des astres à l'équateur ; mais est-on bien sûr qu'il en fût ainsi dans l'antiquité ? » — Puis enfin,
arrivant à l'éclipse du Chou-king, il proclame que la présence du soleil dans Fang doit s'entendre de la position du soleil moyen dans cette division et que dès l'antiquité « on
rapportait les lieux à l'équateur ».
Biot dira plus simplement : « L'astronomie chinoise est équatoriale. » On voit la nuance : il n'a pas modifié les opinions de Gaubil, il les a condensées sous une forme plus claire.
À mon tour je dis : L'astronomie chinoise est équatoriale et horaire. En cela je ne modifie pas les idées de Biot, ni par conséquent celles de Gaubil, j'en complète seulement la formule dont
l'insuffisance didactique est démontrée par le fait qu'elle n'a pas réussi, depuis un demi-siècle, à retenir l'attention des auteurs. Et comme cette incompréhension ne s'est pas manifestée
seulement chez ceux qui ont écrit sur l'astronomie chinoise, mais tout aussi bien chez les historiens de l'astronomie en général, j'ajoute : À l'inverse de la méthode chaldéo-grecque qui est
écliptique, angulaire, vraie et annuaire, celle de la Chine est équatoriale, horaire, moyenne et diurne.
Comment les particularités caractéristiques de l'astronomie chinoise ont-elles pu échapper à la critique postérieure à Biot ? Il est indéniable, nous allons le constater, que ces auteurs ont fort
peu approfondi les sujets sur lesquels ils prononcent avec tant de désinvolture. Mais leur légèreté ne suffit pas à expliquer une méprise aussi unanime, et il faut reconnaître que Biot, en dépit
de l'élégance et de la clarté de son style, n'a pas bien présenté la dialectique de la question.
D'abord, il n'a pas assez tenu compte du public auquel il s'adressait, composé surtout d'historiens, de sinologues, aussi d'astronomes mais qui n'étaient pas familiarisés comme lui avec
l'historique de la science. Il a omis de résumer ses conclusions dans un chapitre final. D'autre part, la discussion se présentait, de son vivant, sous un jour très différent. Biot n'a pas eu
l'occasion d'écrire, à tête reposée, quelque Traité d'astronomie chinoise. Ses articles de 1840 ne portent même pas un nom, si ce n'est celui de l'ouvrage d'Ideler dont ils constituent un compte
rendu et une réfutation ; ses Études (1862), entreprises à l'âge de 87 ans, sont également une œuvre de polémique contre la théorie du zodiaque lunaire des indianistes.
Enfin, il n'a jamais discuté à fond le texte du Yao-Tien, probablement parce que les mots [][] dont les sinologues lui imposaient une traduction littérale, l'embarrassaient comme
contraires aux principes du calendrier et à sa théorie. Aussi dans ses articles de 1840 laisse-t-il de côté la teneur de ce texte, n'en retenant qu'une conséquence indirecte. À la veille de sa
mort, conduit par le programme de ses Études à s'expliquer sur l'interprétation de ce texte, il semble en aborder pour la première fois les difficultés ; et dans des pages fort
embrouillées il accumule contradictions et invraisemblances.
Son hypothèse sur l'origine stellaire et solaire des divers sieou, qu'il croyait avoir été créés simultanément au 24e siècle, impliquait à la fois la négation et l'affirmation de l'emploi de la
clepsydre. Il a donc éludé, plus ou moins consciemment, la question du garde-temps et l'a présentée sons une forme préalable, accessoire et que le lecteur peut considérer comme
hypothétique.
De ces diverses circonstances résulte que la dialectique de Biot et de Gaubil laisse beaucoup à désirer. On doit y suppléer par une étude attentive et remanier par un travail personnel
l'enchaînement des démonstrations historiques et mathématiques qui assurent notre connaissance de l'astronomie chinoise.
Mais les auteurs qui leur ont succédé n'ont pas pris cette peine. Ils se sont laissé influencer par une prétendue réfutation des théories de Biot et, sans tenir autrement compte de ses travaux,
ils ont échafaudé des interprétations fantaisistes qui depuis 1862 ont étrangement altéré la question. Nous allons montrer qu'elles sont contraires aux faits et aux documents ; contraires aux
caractères de l'astronomie chinoise ; contraires enfin aux lois du ciel et à tout ce que l'on peut induire sur les premières étapes de la science.
À l'opposé de la méthode chaldéo-grecque qui est écliptique, annuaire, vraie et angulaire,
la méthode chinoise est équatoriale diurne, moyenne et horaire. D'où provient cette antithèse ? — Du mobile originel.
Tandis que la première est née des préoccupations agricoles qui exigent des repères annuels, la deuxième doit son point de départ au désir de mesurer les heures de la nuit ; ce qui l'a
portée à considérer d'abord exclusivement la révolution diurne, à une époque très reculée où l'année était encore réglée par le nombre des lunaisons ou par la planète Jupiter.
J.-B. Biot a découvert et démontré que les divisions équatoriales (sieou) sont en corrélation avec les circompolaires.
Mais il croyait que ce système avait été imaginé à l'époque de Yao et que les sieou stellaires avaient été créés en même temps que l'emploi solaire des sieou mentionnés par le
Yao-Tien. Il a rappelé très succinctement que des documents historiques montrent le grand intérêt que les Chinois portaient aux circompolaires. Mais il n'a guère expliqué leur
utilisation ; il semble qu'il ait senti et éludé l'objection suivante :
« Vous dites que les heures étaient déterminées par la position des astres (sieou stellaires) ; dès lors, comment la position des astres pouvait-elle être définie par l'heure
(sieou solaires) ? »
Mais l'argument n'est pas valable, car la première opération remonte à une phase primitive antérieure à l'invention de la clepsydre, et c'est elle qui a conduit à la seconde et à l'emploi du
garde-temps.
La méthode diurne. « La Grande Ourse, dit Homère, est la seule constellation qui ne se baigne pas dans les
flots de l'Océan ». D'autre part Bailly nous apprend que les Grecs attribuaient à un des héros du siège de Troie, l'idée de fixer la durée de faction des sentinelles au moyen de la rotation des
circompolaires qui, de 6h en 6h se trouvent : verticalement au dessus du pôle, horizontalement à gauche, verticalement au dessous, horizontalement à droite.
Mais tandis que ce procédé est resté secondaire en Grèce, il a été développé en Chine au point de devenir la base de l'astronomie et surtout de la métaphysique du ciel. Aussi en trouvons-nous
l'écho, sous une forme religieuse, chez le duc grand astrologue, Se-Ma Ts'ien.
L'étoile polaire base concrète de l'astronomie chinoise. Il serait un peu candide de supposer, comme le fait
Hœfer, que l'astronomie est née de la curiosité et du raisonnement géométrique. Il faut aux primitifs un objet concret. L'horizon, puis la route oblique parcourue par les astres mobiles, ont
servi de repère sensible à la méthode écliptique. Mais l'équateur est une notion purement idéale et il semble incroyable au premier abord qu'une astronomie équatoriale ait pu se constituer
directement sans passer par la forme zodiacale. Les concordances géométriques découvertes par Biot rendent cependant fort bien compte de la chose, si on l'éclaire par la tradition analogue des
Grecs, comparée aux vieux textes chinois.
De même en effet que l'astronomie zodiacale a pour élément primordial l'horizon, repère naturel qui l'a menée à la notion raisonnée de l'écliptique ; de même l'astronomie diurne
a pour élément primordial le méridien, conçu comme la verticale de l'étoile polaire, repère naturel qui l'a menée à la notion raisonnée de l'équateur (Contour du Ciel).
Si, comme nous l'avons dit, il n'existe aucun repère naturel dans la partie méridionale du ciel, il n'en est pas de même dans la partie septentrionale, où l'étoile polaire objective le centre de
la révolution diurne et où la Grande Ourse lui sert d'aiguille indicatrice.
Genèse de la notion du méridien. Pour apprécier l'instant où une circompolaire passe au dessus ou au dessous
du pôle, il a suffi de dresser un piquet vertical et de se placer derrière lui de manière à masquer la polaire. Mais si celle-ci est voilée par les nuages, renoncera-t-on pour cela à
l'observation ? — Non, car il suffit d'avoir indiqué sa direction par un deuxième signal, ou par une corde fixée au sommet du premier et tendue dans la direction de la polaire. Et si les
circompolaires elles-mêmes sont invisibles, renoncera-t-on pour cela à l'observation ? — Non, car le firmament est un bloc solidaire ; et les Chinois ont remarqué que telle et telle étoile
éloignée du pôle correspond à telle ou telle circompolaire et passe en même temps au méridien. Ainsi s'expliquent les deux corrélations découvertes par Biot. Ainsi s'explique qu'après avoir conçu
le méridien face au nord, les Chinois l'aient employé face au sud en prolongeant jusqu'à l'équateur la direction PA (P étant le pôle et A une circompolaire.)
Extension de la méthode diurne aux problèmes annuaires. Le fait saillant qui a attiré l'attention des
Chinois dans la rotation diurne des circompolaires, notamment de la Grande Ourse, c'est d'abord leurs positions cardinales de 6h en 6h, en croix, autour du pôle, puis la modification progressive
et trimestrielle de ces positions (qui avancent insensiblement de 4m par jour) ; par suite de laquelle, si la Grande Ourse, par exemple, se trouve à une date donnée : à droite du pôle à 6 heures
du soir, au dessus du pôle à minuit, etc. ; elle se trouvera trois mois plus tard : au dessus du pôle à 6h du soir, à gauche du pôle à minuit, etc. De telle sorte qu'on peut dresser le tableau de
roulement suivant :
En d'autres termes, une des remarques fondamentales de l'astronomie chinoise est que les quartiers de la révolution diurne concordent tous les trois mois avec les quartiers de la révolution annuelle. Quoique axiomatique, cette constatation, bientôt formulée sous une forme métaphysique, offre une très grande utilité au point de vue didactique ; on devrait même l'enseigner aux élèves de l'École Navale ; car, au moyen de 4 jalons équatoriaux, elle permet de se rendre compte, à toute époque, d'une manière très simple, de la position annuaire du firmament par rapport à la révolution diurne. C'est dans ce but de simplification et de vulgarisation, que l'antique almanach dont le Yao-Tien nous a miraculeusement conservé les débris, rappelle le nom des 4 étoiles qui passent au méridien à 6 heures du soir aux dates cardinales. Pourquoi 6 heures plutôt que 8 heures ou toute autre heure ? — Parce que 4x6 = 24. — 6 heures représentent le quart de la révolution diurne, comme un trimestre représente le quart de la révolution annuelle. Tous les trois mois, les quartiers de la première concordent donc avec ceux de la seconde. Le texte du Yao-Tien équivaut ainsi en quelque sorte au tableau suivant, dont on remarquera l'analogie avec le précédent qui représente la phase primitive de l'astronomie équatoriale et montre l'origine circompolaire de la méthode.
Voilà ce que les interprètes des Han ont expliqué très clairement et ce que les auteurs modernes se sont obstinés à ne pas comprendre.
Biot répondit à Ideler dans le courant de la même année . Il n'avait rien encore publié sur
l'astronomie chinoise, mais l'étudiait depuis longtemps d'une manière approfondie. Il n'a pas seulement tiré parti des travaux de Gaubil : grâce à la collaboration de Stanislas Julien, et de son
fils Édouard Biot, il a découvert et versé au débat des documents inédits de première importance.
Biot a abordé le problème de l'origine des sieou sans idée préconçue et d'une manière parfaitement objective. Le plus ancien document astronomique remontant au 24e siècle (d'après la
tradition), il reconstitua par le calcul, sur un globe céleste, le ciel chinois de cette époque en y portant les 28 étoiles déterminatrices, les positions cardinales du soleil et les
circompolaires principales mentionnées par les anciens textes. La destination primitive des sieou se manifesta alors avec une grande évidence. Je la résume dans un tableau auquel le lecteur
pourra se référer lorsque j'aurai à montrer combien l'exposé de sa théorie a été dénaturé par Whitney.
Catégorie A. La catégorie (A), la plus nombreuse, comprend une vingtaine de sieou
dont la répartition a été manifestement choisie pour correspondre à celle des principales circompolaires. Biot a établi cette concordance sur deux particularités qui entraînent une certitude
inattaquable, mais que Whitney ne mentionne même pas :
1° Aux grandes lacunes dans la répartition naturelle des circompolaires correspondent de grands intervalles corrélatifs dans la répartition des étoiles déterminatrices. Aux
groupements compacts des circompolaires correspondent, au contraire, de faibles intervalles entre les déterminatrices.
2° Les déterminatrices sont diamétralement opposées par couples, et cela avec une exactitude qui élimine d'emblée l'hypothèse d'une coïncidence fortuite. Cette symétrie diamétrale
démontre que l'on observait le passage des circompolaires au méridien supérieur et au méridien inférieur. De telle sorte qu'une même circompolaire (A) se trouvait repérée par
deux sieou opposés (a et a'). L'étoile déterminatrice (a) était choisie sur le prolongement équatorial de la direction P A, tandis que (a') était choisie, à l'opposé, sur le prolongement
équatorial de la direction A P. La remarquable symétrie des déterminatrices (a) et (a') s'explique ainsi par le fait qu'elles ont été choisies, sur le même cercle horaire, au moment des passages
méridiens.
Biot a résumé ainsi ces deux constatations contre lesquelles on n'a fait valoir jusqu'ici aucune objection, si ce n'est celle du silence :
(Correspondance des lacunes.) « On est d'abord frappé de voir que l'ensemble des 28 divisions
chinoises, au temps dont il s'agit, offrent deux grands vides diamétralement opposés et occupant sur l'équateur des intervalles de 26° 28' et de 30° 34'. Ce sont les stations appelées Tsing et
Teou ; elles répondent à deux époques de la révolution diurne pendant lesquelles il ne passait au méridien aucune des étoiles circompolaires que les anciens Chinois observaient spécialement.
Après ces deux stations, les plus étendues sont Ouey et Pi, la première ayant 17° 49' de longueur équatoriale, la seconde 18° 6'. Elles sont aussi opposées en ascension droite et répondent à une
absence de circompolaires. Deux autres encore présentent une étendue presque aussi grande, ce sont Goey 18° 48' et Tchang 16° 39'. Elles offrent la même particularité.
(Opposition diamétrale.) « [Réciproquement, il n'y a pas une seule des étoiles circompolaires
mentionnées plus haut qui n'ait une division équatoriale correspondant exactement ou de très près, à ses passages supérieurs et inférieurs pour cette époque...] Ceci, joint à la fixation
des points solsticiaux et équinoxiaux, produit, dans les ascensions droites des déterminatrices, des oppositions par couples qu'on remarque dans le plus grand nombre d'entre elles et qui les
place alors, deux à deux, dans un même cercle horaire presque exact. Pour que l'on puisse aisément en juger, voici le tableau de ces oppositions, avec la mesure de l'angle compris entre les
cercles horaires des déterminatrices correspondantes :
Quelques sieou, on le voit, ne répondent pas à la symétrie ; on verra plus loin que
ces exceptions confirment la règle. Il faut remarquer, en outre, que cette symétrie diamétrale des sieou n'est aucunement indispensable à la théorie de leur origine circompolaire qui
aurait pu fort bien être basée sur le seul passage au méridien supérieur. C'est une propriété surajoutée prouvant que l'on observait le double passage, et cela avec une
précision qui constitue le plus ancien témoignage d'une méthode scientifique.
Catégories B et B'. Ces deux quadratures englobent les positions cardinales du soleil aux environs du 24e et du 12e siècles. La deuxième B' ne contient aucune circompolaire notable dans
trois de ses divisions et a manifestement été créée dans le but spécial de repérer les positions solaires. La première, B, a sûrement servi à cet usage comme en témoigne le texte du
Yao-Tien ; mais il ne me paraît pas vraisemblable qu'elle ait été créée dans ce but, comme le croyait Biot.
Il admettait, d'autre part, que les catégories A et B avaient été créées simultanément, vers l'époque de Yao, A par des considérations purement stellaires, B par des
considérations à la fois solaires et stellaires. Ce dernier point a donné lieu à la méprise fondamentale de la pseudo-réfutation de Whitney, lequel n'ayant relevé dans un
tableau final que l'emploi stellaire de B a pu ainsi méconnaître son emploi solaire et faire abstraction du témoignage du Yao-Tien.
Quant à la quadrature B', sa création a été attribuée par Biot à l'initiative réformatrice du duc de Tcheou cette hypothèse me paraît presque indubitable.
On peut considérer, en effet, comme démontrée, la corrélation des anciens sieou avec les circompolaires. Cela étant, il est très remarquable que la quadrature B ne contienne
précisément aucune des circompolaires notables mentionnées par les catalogues chinois, sauf dans une seule de ses 4 divisions.
Or, il est établi par une démonstration de Biot que le duc de Tcheou a opéré des déterminations solsticiales et a fixé au 2e degré de Niu le lieu sidéral du solstice d'hiver. Il est donc
extrêmement probable qu'il a créé ce sieou pour repérer cette observation ; car aucune étoile ne convient mieux à ce but ; s'il est exact que les sieou de B (dénués de
circompolaires) n'existaient pas auparavant, les positions cardinales du soleil se trouvaient éloignées de toute étoile déterminatrice et il est fort naturel que ce prince astronome et
réformateur ait désiré les jalonner au moyen d'une quadrature analogue à celle dont les Anciens avaient fait usage à l'époque de Yao.
D'ailleurs, si l'attribution de cette quadrature au duc de Tcheou venait à être décidément réfutée, cela ne modifierait en rien les constatations de Biot relatives aux autres sieou. Il
faudrait seulement considérer alors comme inexpliquée l'origine de cette quadrature et s'émerveiller des singulières coïncidences auxquelles elle se prête.
Confirmations tirées des M. H. Les M. H. qui n'étaient pas encore traduits du temps de Biot, apportent une
éclatante confirmation aux idées qu'il a mises en lumière, tant sur le caractère équatorial de l'astronomie chinoise que sur l'origine des sieou ; ils confirment également mon hypothèse
sur la genèse horo-polaire de cette astronomie, exposée au chapitre III.
On ne peut, en effet, lire le Traité des Gouverneurs du
Ciel sans être frappé par ces traits essentiels :
1° Absence complète de tout mythe solaire, de toute considération écliptique et zodiacale, d'où résulte une physionomie opposée à celle que présenterait un traité analogue chaldéen ou grec.
2° Caractère purement équatorial et horaire des divisions et de la conception générale de l'astronomie.
3° L'équateur placé sous la dépendance du pôle et des grandes circompolaires.
4° Origine lointaine, archaïque, de ces principes qui affectent par conséquent une forme religieuse. (Mythes polaires).
Ainsi, par exemple, les anciens royaumes feudataires devenus provinces de l'empire sont associés astrologiquement à des sieou déterminés. Mais ces influences occultes sont présidées elles-mêmes
par les circompolaires de la Grande Ourse. L'astrologie officielle avait ainsi conservé sous une forme métaphysique le souvenir de la genèse des sieou dont les astronomes ne
connaissaient plus l'intention technique originelle :
« Les 28 mansions président aux 12 provinces ; le Boisseau les dirige toutes ensemble ; l'origine de cela est ancienne. »
« (Le Boisseau) détermine les quatre saisons... il fait évoluer les divisions (horaires) et les degrés (de l'équateur). »
Ces phrases que je n'avais pas encore remarquées, lorsque j'ai été amené à concevoir la genèse astronomique exposée plus haut, la confirment sous une forme métaphysique, mais explicite, qui
résume le sens de nos tableaux des pages 316 et 317.
Notons en outre que Se-Ma commence sa description du ciel par la région polaire (Le Palais Central) et que l'étoile polaire, appelée le Faîte du Ciel, est considérée comme la résidence
de l'Unité du Ciel.
S'il [Biot] avait pensé à dresser le diagramme ci-dessus, il eût été bien difficile à ses
détracteurs de contester les règles qu'il a énoncées ; en outre, il aurait vu lui-même qu'elles ne souffrent aucune exception, contrairement à ce qu'il croyait.
N'est-il pas évident, en effet, que les étoiles 4 et 16 sont hétérogènes et ont été choisies en vertu d'une règle spéciale et postérieure, dont il reste à découvrir la raison d'être ?
Supprimons donc ces deux étoiles par la pensée et considérons les divisions 3+4, 15+16, comme ne constituant respectivement qu'un seul sieou. Dès lors l'opposition diamétrale ne comporte
plus aucune exception. La symétrie 12—26 laisse à désirer, mais 12 s'oppose néanmoins manifestement à 26.
L'adjonction des étoiles 4 et 16, ainsi que l'inexactitude du couple 12—26, (dont l'œil fait abstraction sur le diagramme) ont entraîné la suppression de 4 couples (sur 14) dans le tableau de
Biot.
D'autre part, Biot a constaté, plus loin, que les étoiles 4 et 16 n'ont aucun emploi circompolaire. Et il a présenté ce fait comme une nouvelle infraction à sa théorie : alors qu'au
contraire il la confirme d'une manière éclatante, puisque ces étoiles hétérogènes qui font exception à la seconde règle sont précisément les mêmes qui font exception à la première. De
telle sorte que si l'on considère ces étoiles comme obéissant à une troisième règle inconnue, la théorie de Biot ne souffre plus aucune exception !
Le caractère spécial des étoiles 4 et 16, certifié ainsi par l'examen astronomique, est en outre historiquement confirmé :
1° par les anciens commentaires qui nous apprennent que Ho=Fang+Sin (ce que nous avions déjà induit du diagramme) ;
2° par les correspondances géo-astrologiques (indiquées sur le pourtour du diagramme, d'après Mémoires Historiques, III, p. 384) qui, des petites divisions 3+4, 15+16, font des
unités astrologiques, attestant ainsi leur situation hétérogène et exceptionnelle.
Frappé de l'aspect équatorial et horaire du texte du Yao-Tien et ayant été amené à
constater les erreurs des interprétations de MM. Legge et Russell, les seules dont j'eusse alors connaissance, j'ai montré dans la R. G. S. ce que l'on peut induire de ce document considéré en
soi, abstraction faite des autres sources de renseignements que nous possédons sur l'ensemble des sieou.
Ce premier travail était en cours de publication lorsque les études de Chalmers, Schlegel et Whitney me furent signalées. Je m'aperçus alors que non seulement le texte de Yao mais tous les
documents relatifs à l'antique astronomie des Chinois se trouvaient actuellement méconnus par suite d'un incroyable dévoiement de la critique, dévoiement dont les conséquences, au point de vue
des origines, sont fort importantes.
Le présent article était ainsi destiné à compléter la réfutation entreprise dans le précédent. Mais avant que l'impression en fût commencée, j'ai constaté que d'autres auteurs (notamment MM.
Kühnert et Ginzel) ont développé et consacré les mêmes erreurs.
D'autre part, j'ai découvert que la prétendue réfutation des idées de Biot par Whitney avait été visiblement suggérée par la lecture des ouvrages de Sédillot, orientaliste arabisant distingué,
dont la partialité tendancieuse a été évidemment le point de départ de cette singulière aventure de la critique moderne.
Avant de réédifier, objectivement, une théorie de l'ancienne astronomie chinoise, il m'a paru nécessaire de faire, au préalable, table rase de toutes les erreurs accumulées depuis soixante ans
dans ce domaine. Il faut donc considérer ce qui précède comme un simple travail préalable de démolition et de déblaiement. Sous ce rapport mes conclusions seront nettes :
Les ouvrages de Chalmers, Legge, Schlegel, Russell, Whitney, Sédillot, Kühnert et Ginzel, pour autant qu'ils concernent le texte du Yao-Tien et l'origine des sieou, doivent être
considérés comme nuls et non avenus. Il n'en reste pas, je pense, pierre sur pierre. Si ces auteurs avaient simplement fait fausse route, cela n'aurait en soi rien d'étonnant ni de blâmable ;
mais ils ont écarté, avec obstination, les judicieux avis de Gaubil et de Biot : Errare humanum est, diabolicum perseverare.
Il est généralement connu que les Chinois ont attaché de longue date une grande importance à
l'astronomie ; que leurs empereurs tenaient à s'entourer d'observateurs officiels ; que les missionnaires européens, au XVIIe et au XVIIIe siècle, ont dû le grand crédit dont ils ont joui à la
cour de Chine à ce qu'ils possédaient, pour prédire les mouvements célestes, des méthodes supérieures à celles de leurs rivaux indigènes.
Quelques siècles plus tôt il est probable que les rôles eussent été renversés et que les astronomes de l'Occident auraient pu venir demander à la Chine des leçons utiles. Il résulte en effet d'un
document mis en lumière par le père Gaubil, mais récemment encore mal interprété, que, deux mille ans avant notre ère, les Chinois avaient déjà fondé la description du ciel sur des bases
rationnelles et précises. Ils savaient déterminer la durée de l'année, les dates des saisons. Ils rattachaient ces dates à l'observation de certaines étoiles, aussi judicieusement choisies que
nous pourrions le faire aujourd'hui. Et, pour arriver à ce résultat, ils devaient noter les heures de passages d'étoiles par le méridien, posséder des garde-temps (horloges ou clepsydres), en un
mot employer la méthode devenue chez nous, depuis deux siècles, la base de l'astronomie de précision, mais dont les Égyptiens, les Chaldéens, les Grecs et les Arabes ne semblent avoir tiré aucun
parti.
Telle est la thèse hardie que M. Léopold de Saussure développe dans les quatre études récentes dont nous avons donné les titres et dont la dernière résume [c.a. : Le texte astronomique du
Yao-Tien] et complète les autres.
Cette entreprise, si le succès la couronne, intéressera vivement les astronomes, en leur montrant qu'ils ont eu, dans l'application de leurs méthodes actuelles, des devanciers longtemps
insoupçonnés. Elle constituerait aussi pour l'érudition française une véritable victoire. En effet, si la théorie de M. de Saussure est, par certains côtés, nouvelle, elle emprunte ses arguments
essentiels aux écrits déjà anciens de deux de nos compatriotes, le père Gaubil et Jean-Baptiste Biot. Le caractère spécial de l'astronomie chinoise est peut-être noyé chez le père Gaubil dans des
développements un peu confus, mais il est affirmé avec force par Biot dans de lumineux articles insérés au Journal des Savants en 1839 et 1840.
Bientôt après, un phénomène étrange s'est produit. D'assez nombreux érudits, à la suite de Biot, ont traité de l'astronomie chez les anciens peuples de l'Orient. Ce sont, pour les nommer à peu
près dans l'ordre d'apparition de leurs travaux, Sédillot, Chalmers, Whitney, Schlegel, Legge, Russell, Ginzel. Tous ont pris, dans ce problème, une position nettement contraire à celle de Biot.
Pour eux, le document fondamental du Yao-Tien est controuvé. Il ne peut remonter à la date vénérable qu'on lui assigne, car tous les recueils scientifiques chinois ont été englobés au
IIIe siècle avant notre ère dans une destruction générale. Les étoiles équatoriales que le vieux texte mentionne, que la tradition subsistante permet d'identifier, et dont Biot a signalé le choix
intentionnel et précis, ne sont qu'un plagiat, une adaptation malhabile du zodiaque lunaire des Indiens. Devant cette quasi-unanimité de la critique, l'opinion de Biot a été comme submergée ;
depuis de longues années elle n'avait pas trouvé de défenseurs.
M. de Saussure n'a pas craint de se placer en travers de ce courant, d'apparence irrésistible. Pour lui l'explication de Biot n'est pas renversée, ni même ébranlée. Il suffit de la compléter
quelque peu pour qu'elle s'impose avec une force invincible. Si l'on peut, nous dit-il, reprocher quelque chose à l'illustre auteur, ce n'est pas d'avoir méconnu ou forcé le sens du texte chinois
; c'est de s'être contenté d'une démonstration trop sommaire et de n'avoir pas barré la route par avance aux objections qui devaient surgir.
Mais si la version du père Gaubil et de Biot, la première en date, a la vérité pour elle, d'où vient que des hommes éminents, à des titres divers, dans la science et la critique, se sont trouvés
d'accord pour la rejeter ?
Dès que l'on y regarde d'un peu près, cet accord cesse d'être imposant. Les historiens modernes de l'astronomie chinoise ont trop souvent suivi leurs prédécesseurs sans les contrôler. Tous ont
écrit sous l'empire de cette idée que l'étude du ciel, chez les anciens, est essentiellement zodiacale et écliptique, qu'elle est née du désir d'assigner la route des astres mobiles parmi les
étoiles. Et cela, en effet, peut se soutenir si l'on ne parle que des races indo-germaniques.
Partant de cette notion, on ne peut guère manquer de trouver le texte du Yao-Tien obscur ou suspect. On sera tenté de diminuer son autorité, de lui contester sa date ; par exemple
d'admettre avec le professeur Weber, de Berlin, que la destruction des livres ordonnée par l'empereur Tsin-Che-Hoang-Ti a eu un effet radical, de sorte que nous ne savons rien de ce que les
Chinois ont pu noter dans le ciel antérieurement au IIIe siècle avant notre ère.
Mais l'interprétation de Biot fait intervenir comme élément essentiel la haute antiquité du Yao-Tien. Quatre étoiles y sont désignées comme marquant les milieux des saisons. Ces quatre
étoiles divisaient l'équateur en quadrants égaux 2.200 ans avant notre ère. Elles ne remplissaient pas cette condition mille ans avant ni mille ans après, moins encore aux dates plus récentes. On
rejettera donc, comme fondée sur une erreur historique, la version de Biot, et l'on se croira dispensé d'examiner les concordances qu'il emprunte à l'astronomie. De fait les commentateurs
modernes passent à côté de ces preuves sans leur faire l'honneur de les discuter.
Or ces preuves, mises sous forme graphique par M. de Saussure, sont au contraire tellement précises et claires qu'elles nous obligent à reporter à la date traditionnelle au moins une partie du
Yao-Tien. Ce document n'aurait pu être forgé à une date ultérieure que par un faussaire sachant appliquer correctement la précession des équinoxes. C'est une hypothèse qu'il n'y a pas
même lieu d'envisager.
Cela ne veut pas dire que le texte nous soit parvenu inaltéré. M. Chavannes dont l'autorité est grande en ces matières, y voit des fragments d'un ancien almanach, enchâssés dans un traité plus
récent. Gaubil et Biot, conduits par un heureux instinct, sont allés droit au plus important. Leurs successeurs se ont laissé égarer par un contexte de valeur moindre, plutôt fait pour obscurcir
la pensée primitive. Mais un astronome, même étranger à l'exégèse des textes chinois (tel est notre cas, nous devons l'avouer), ne manquera pas de retenir comme capitale la mention de quatre
étoiles qui, observées au méridien, à la même heure solaire, au milieu des saisons, conduisent à quatre dates concordantes pour le règne de Yao. Toutes les tentatives faites pour assigner à
l'observation de ces quatre étoiles une heure solaire variable, comme celle du crépuscule, aboutissent à un échec manifeste. Le calcul fait correctement donne alors pour les quatre dates
correspondantes du Yao-Tien des écarts de 20 à 30 siècles.
En l'absence de tout autre renseignement, on pourrait dire que l'on est en présence d'une coïncidence heureuse, mais fortuite. À cela M. de Saussure oppose de nombreux indices qui témoignent dans
le même sens : la tradition, d'abord, qui place précisément à 42 siècles de nous le règne de Yao ; les nombreux textes qui ont amené Gaubil à reconnaître, malgré lui en quelque sorte, que les
anciens Chinois rapportaient les étoiles à l'équateur, et non à l'écliptique, comme tout l'Occident le faisait récemment encore ; enfin, d'autres livres mis en lumière depuis Biot et qui montrent
la persistance de cette pratique. Ainsi dans les Mémoires historiques de Se-Ma Ts'ien, publiés par M. Chavannes en 1895, l'étoile polaire est appelée le Faîte du Ciel, la région polaire le Palais
Central. Ils attribuent aux étoiles circompolaires des influences occultes, une prédestination religieuse. Ils ne font intervenir aucun mythe solaire, aucune considération écliptique et
zodiacale.
Mais tous ces arguments empruntés à l'érudition, et que nous n'avons point qualité pour apprécier, pouvaient être laissés de côté, tant est précise la preuve astronomique, tirée de la situation
des étoiles fondamentales usitées à toutes les époques et auxquelles une tradition constante a gardé les mêmes noms.
En effet, ainsi que Biot l'a reconnu et que M. de Saussure le montre avec encore plus d'évidence, ces étoiles fondamentales, toutes à proximité de l'équateur, se partagent en trois groupes :
quatre étoiles qui passaient au méridien, au milieu des saisons, en même temps que le soleil moyen; quatre autres introduites longtemps après pour remplacer les premières, quand l'arrangement
primitif eut été troublé par la précession des équinoxes ; vingt étoiles enfin qui correspondent en angle horaire aux circompolaires principales, soit à leur passage supérieur, soit à leur
passage inférieur. Les cercles horaires ainsi matérialisés se succèdent à des intervalles très inégaux. Mais c'est la distribution même des circompolaires existantes qui impose cette
irrégularité.
Telle est la rigueur de ces coïncidences que toute théorie qui veut, sans en tenir compte, motiver autrement le choix des étoiles fondamentales, doit être considérée comme faisant fausse route.
L'astronomie chinoise, loin d'être une importation indienne, est profondément originale. Elle a devancé de loin tout l'Occident dans la voie ouverte pour nous par Römer et qui a donné bientôt
après de si éclatants résultats entre les mains de Bradley.
Ainsi, à une époque où l'Europe ne possédait ni science ni histoire, l'étude du ciel avait déjà provoqué en Asie des efforts considérables dans deux directions bien diverses. L'observateur
primitif, s'il a l'imagination vive et le goût poétique, sera surtout frappé du spectacle changeant des grands luminaires, soleil, planètes et comètes. Il voudra en prédire la marche et les
conjonctions. Ainsi naîtra l'astronomie zodiacale et écliptique. L'homme chez qui dominent l'humeur paisible et le sens pratique verra dans la révolution diurne des étoiles une horloge naturelle
destinée à régler ses actes. Il s'efforcera de construire des machines qui se conforment à ce mouvement régulier. Il trouvera ensuite dans ces machines elles-mêmes un moyen de suppléer les astres
devenus invisibles et finalement de décrire le ciel. Les deux tendances sont, au même degré, naturelles et légitimes. Et si quelque chose, en cette matière, doit être un sujet d'étonnement, ce
n'est pas que la Chine ait si vite acquis les notions de l'équateur et du méridien, c'est plutôt que l'Occident ait mis si longtemps à en reconnaître la puissance.