Ernest Francisco FENOLLOSA (1853-1908)

Ernest Francisco FENELLOSA (1853-1908) : L'art en Chine et au Japon Adaptation et préface par Gaston Migeon. Hachette et Cie, Paris, 1913.

L'ART EN CHINE

Extrait de : L'art en Chine et au Japon

Adaptation et préface par Gaston Migeon. Hachette et Cie, Paris, 1913.

  • Introduction : "Tout ce que l'on a écrit sur l'art chinois a dérivé bien plutôt de l'étude de ses sources littéraires que de l'art lui-même, et l'on a cherché à classifier ses créations par ordre de valeurs esthétiques. Nous voudrions détruire cette vieille erreur qui a consisté à regarder la civilisation chinoise comme étant demeurée des milliers d'années à peu près ankylosée ; notre but sera de montrer les milieux de haute culture qui ont permis aux arts de s'y développer et d'y produire à chaque période des floraisons nouvelles et variées."
  • "Je n'ai pas l'intention de traiter toutes les formes ni toutes les phases de l'art, mais seulement celles qui dénotent une activité de l'imagination et une force créatrice. L'art peut être considéré comme un continuel effort, un foyer de production qui dure à travers les âges et qui jamais ne languit ; mais le plus souvent, il n'est que classique et sans puissance créatrice. C'est à rechercher les moments où vraiment il y a eu invention, création originale, qu'est la tâche de l'historien ; et c'est ainsi qu'il peut apporter d'importantes contributions à l'histoire."
  • "Ce ne sont pas des noms, ce sont des forces agissantes que nous suivrons, et quand nous rencontrerons celles qui furent vraiment créatrices et qui dominèrent une époque, nous nous y attacherons. Il nous a paru préférable de dominer ainsi d'assez haut un sujet d'aussi vastes proportions, en cherchant à en dégager plutôt des idées générales."
  • Gaston Migeon : "Fenollosa a certainement été l'Occidental qui le premier a passionnément interrogé les arts anciens de la Chine et du Japon... On peut considérer cet ouvrage comme son testament intellectuel : on y trouvera résumées vingt années d'études, et exprimées ses longues réflexions sur les arts de la Chine et du Japon, plus particulièrement sur la peinture et la sculpture. Ce sont ses notes manuscrites auxquelles sa veuve, Mme Mary Fenollosa, a donné une forme définitive... Sa méthode y apparaît bien plus synthétique qu'analytique, les œuvres n'y étant citées que comme exemples venant illustrer les considérations générales que lui suggèrent les courbes d'évolution historique des arts de ces deux pays. Il ne semble pas qu'il en pût être autrement dans les limites forcément restreintes de cet ouvrage."


Extraits : L'art sous la dynastie des Tang - Les Song du Sud à Hangchow sur le Yangtsé
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L'art sous la dynastie des Tang

La chute d'eau. Ernest Francisco FENELLOSA (1853-1908) : L'art en Chine et au Japon
La chute d'eau, par Wang Wei. 699- ? Époque des Tang.

Ce serait une erreur de croire que l'art bouddhique ait été pour le génie de la Chine autre chose qu'une étape dans son ascension vers les sommets. Et à ne le considérer que comme point d'une des courbes de ce rythme continu, il nous reste à expliquer un des moments les plus émouvants, le moment des Tang. On peut considérer comme en états permanents dans l'âme chinoise l'amour du paysage en poésie et en peinture, excité encore par le long séjour de la cour des Liang dans les provinces pittoresques du Sud, — et le sentiment profondément religieux en peinture, soit tartare dans le Nord avec la préoccupation des taches colorées, soit purement chinois dans le Sud avec Ku K'ai-chih, et s'exprimant puissamment par la souplesse du coup de pinceau. Toutes les traditions écrites sont là pour l'affirmer.

Le génie des Tang est exceptionnel par la variété des sources où il puisa, dans leur réaction réciproque au commun contact. La puissance et la richesse n'avaient jamais été si grandes, les constructions plus vastes, les costumes plus beaux, la chère plus riche, le peuple plus heureux, les travaux publics plus grandioses. La capitale de l'Est, Loyang, dans la vallée du Hoang-ho, était assez vaste pour deux millions d'habitants, remplie de merveilleux monuments, de jardins, de palais, en relations de commerce avec tout le monde asiatique ; quelque chose comme furent Bagdad, Damas ou Samarkand.

L'esprit de la Chine et sa littérature s'épanouissaient en floraisons merveilleuses, sous le règne de l'empereur Hsuan Tsung, depuis 713 jusqu'aux insurrections et désastres de 755. Le grand paysagiste poète (qui était aussi un homme d'État) fut Wang Wei qui peignait des scènes de la nature en belle encre noire, dans sa splendide demeure, aux horizons de lacs, à quelques lieues de la capitale. Ce n'était pas une technique qui lui fût absolument personnelle, ni particulière à l'art des provinces du Sud. Mais il la pratiqua avec une force, une hardiesse, qui se manifestent entièrement dans la grande cascade du Chisha-kuin de Kioto, et en font un des plus authentiques chefs-d'œuvre de peinture du monde.

Paysage. Ernest Francisco FENELLOSA (1853-1908) : L'art en Chine et au Japon
Fragment de paysage, par Wu Tao-yüan ou Wu Tao-tzu. VIIIe siècle. Époque des Tang.


Son ami et son rival dans la peinture à l'encre des paysages, dans la tradition de Liang, fut le célèbre Wu Tao-tzu, si remarquable dans les deux paysages du Shinjuan Daitokuji de Kioto, où l'encre est maniée avec une audace et une vigueur singulières, par coups de brosse nerveux d'une étonnante fantaisie, et dont on retrouvera plus tard toute la beauté transmise aux artistes des Song et des Yuen.

Mais c'est dans l'art bouddhique des Tang que nous constaterons les plus fortes et originales créations de l'époque ; ce fut ce sentiment qui fut le soutien de Wu Tao-tzu et lui permit d'atteindre si haut. L'école contemplative pénétrée du bouddhisme de zen, fondée par Daruma, avait conduit à l'art du paysage et à une conception plus humaine des divinités et des scènes sacrées ; l'art septentrional tartare y venait mêler ses propres traditions. Mais voici que dans cet art des Tang un puissant dissolvant s'insinuait à la suite du gréco-bouddhisme. C'était une forme mystique, ésotérique de la foi, qui, fondée sur l'idéalisme philosophique de Nagajuna, Vasubandhu et Asangpo, avait absorbé cette psychologie mystique de l'Inde post-védique, et s'en était forgé une forte discipline, une doctrine. Ce fut en grande partie l'œuvre d'un hérésiarque indien vers l'année 640. Et vers 700 une secte s'était constituée de fervente piété, de puissant patronage, dont le centre était sur la fameuse montagne Tientai. Le maître hindou, Tendaï Daishi (ainsi l'ont nommé les Japonais), avait organisé une école pour propager la doctrine, dans laquelle entrèrent les jeunes seigneurs de Loyang. Dans cet effort pour réaliser l'union mystique avec la divinité, sorte d'extase néoplatonicienne, cette secte ésotérique qui attribue à l'âme humaine un magique pouvoir et un contact direct avec les esprits, fut dite la secte tendaï.

Kwannon assise. Ernest Francisco FENELLOSA (1853-1908) : L'art en Chine et au Japon
Kwannon assise, par Yen Li-pen. VIIe siècle.

À l'heure où la dynastie des Tang s'assimilait le style tartare qui penchait plutôt vers la décoration, la belle synthèse de la ligne et de la couleur pouvait naître. Les célèbres peintres de la cour des Tang antérieurs à l'âge d'or de Hsuan Tsung, Yen Li-pen par exemple et Yen Li-te, pratiquaient sans doute ce style. À ce Yen Li-pen peut être attribuée cette grande Kwannon assise enveloppée d'une riche dentelle, dont nous avons des douzaines de répliques faites sous les Tang et les Song. Au Japon, cette représentation est couramment attribuée à Wu Tao-tzu ; comme on y attribue à Motonobu toutes les peintures japonaises du XVIe siècle. La plus importante et la plus belle réplique de ce type est le Kakémono, dit de Wu Tao-tzu, qui est au Daitokuji de Kioto. Ce peut être de l'époque des Tang, sinon de la propre main de Yen Li-pen. Une plus petite réplique, peut-être Song, d'un original perdu de Yen Li-pen est dans la collection de M. Freer. La figure est assise sur un roc bleu, vert et or, dans une cavité d'où pendent des stalactites au-dessus de sa tête. C'est la Kwannon, le Bodhisattwa de providence, le soutien de l'homme ; et comme dans la plupart des représentations Tang, elle porte une légère moustache. Ce détail et le fait que les Kwannons des Song sont manifestement féminines ont conduit certains savants à conclure que Avalokiteswara était primitivement masculin, et que le changement provenait d'une erreur de sexe faite par le copiste en traduisant quelque terme sanscrit ou pâli. C'est là un point de vue bien faible quand on constate que bien des Kwannons antérieures (celle du Chukuji qui est de 620, celle à onze têtes du lac Biwa qui est de 755) sont nettement féminines. La vérité est qu'un grand bodhisattwa est, de sa nature, de sexe indéterminé, s'étant élevé au-dessus de ces distinctions, ou plutôt ayant réuni en lui-même les grâces spirituelles des deux sexes. Il semblerait que les Tang considéraient la Kwannon comme un élément créateur, un grand démiurge, alors que les Song préféraient lui conserver dominant son caractère maternel. Le trait est d'un coup de pinceau appuyé ; la tunique est retenue sur les jambes croisées par des plis très sculpturaux, différents de ce qu'on voit dans les sculptures de bronze coréennes du type du Toïndo. L'art bouddhiste tartare conserva quelque chose de ce drapé un peu raide et nerveux jusqu'à l'époque des Ming. Les chairs sont dorées, c'est un trait caractéristique de l'art de Yen Li-pen, et qui longtemps, dans l'art du Nord, restera combiné avec la couleur épaisse des costumes. La tête n'est plus grécisante, mais longue et ovale, avec un cou mince. La chevelure est arrangée en tiare de gemmes colorées et de fleurs. Et ce qui est tout à fait particulier, c'est l'enveloppement de ce voile de dentelles qui pend de la tiare et tamise finement de ses tons crèmes les couleurs épaisses qu'il recouvre. Le trait de contour de ce voile commande tout le rythme des lignes. Un vase de cristal est posé sur un rocher à droite. Derrière sont deux halos circulaires, tous deux en beaux traits d'or, un petit pour la tête, un plus grand pour le corps. De l'eau à ses pieds sortent de riches coraux et des lotus, dans le style Tang dérivé de l'art un peu babylonien des Han. Un petit enfant chinois est debout dans le fond sur un rocher, priant les mains jointes. La Kwannon semble laisser tomber sur lui son gracieux regard. Les couleurs sont riches ; les rouges, les carmins, les oranges, les verts et les bleus sont relevés de touches d'or.

Devant de pareilles œuvres, la question se posera toujours : est-ce un original ? est-ce une copie ? Les fameuses œuvres de peinture des Tang et antérieures à eux, devinrent les modèles sur lesquels les maîtres des Tang et des Song formèrent leur style. Ces copies n'ont sans doute pas accaparé toute la beauté technique des originaux. Cependant la beauté esthétique, de sentiment ou de style, et le caractère des types n'en est pas moins pour nous d'une inestimable valeur. N'en est-il pas de même dans beaucoup d'anciennes copies d'originaux grecs que nous ne connaîtrons jamais ?

Un rakan ou arhat. Ernest Francisco FENELLOSA (1853-1908) : L'art en Chine et au Japon
Un rakan ou arhat, par le prêtre Kuan Hsiu. Xe siècle.

On ne sait ce qui a pu subsister des grandes œuvres de la peinture ancienne en Chine. Le sait-on mieux, quant à ce qui a pu en être conservé au Japon ? Il est certain qu'on en importa beaucoup aux VIIIe et IXe siècles, et encore aux XIe et XIIe siècles, et au XVe siècle sous les Ashikaga, quand Sesshu eut voyagé en Chine, où on le reconnut à la cour pour un artiste bien plus considérable que tous ses confrères Ming contemporains. Il put lui-même se faire un sens critique singulièrement aiguisé des vieilles peintures chinoises ; et songeons qu'alors pour lui une copie Song n'était vieille que de 200 ans, d'après un original Tang vieux de 700 ans ; le recul n'était plus le même pour lui que pour nous. Et comme les traditions d'esprit dans le criticisme se sont transmises aux maîtres japonais d'âge en âge, leurs copies des maîtres chinois sont encore, malgré tout, pour nous du plus vif intérêt.

La période de Hsuan Tsung à Loyang avait donc vu naître l'un des plus considérables maîtres, Wu Tao-tzu, qui n'avait pas été seulement un paysagiste, mais aussi un grand peintre bouddhiste, exprimant les vastes conceptions de son temps. Plus qu'Yen Li-pen il chercha à être plus direct, plus humain, avec une vision qui le rapproche de nous. Il revint au coup de brosse flexible et souple de Ku-K'ai-chih, s'exerçant sans trêve à passer du coup de pinceau apposant la tache au trait délié et fin, habile aux contrastes de la touche rude et brusque et des plus douces et suaves caresses du pinceau. Ce fut, en art de peindre, une façon d'exprimer la beauté des choses, qui fut bien personnelle au vieil art chinois ; l'idéal d'expression résidait dans le trait, ses proportions, ses formes, le système de ses rythmes, cette convention (tout dans l'art n'est-il pas convention dans le choix de ses moyens d'expression ?) à chercher ainsi des harmonies analogues à celles de la musique, dans cette constante modulation de la couleur qui passait du trait à la tache, de la touche qui marquait puissamment le ton à la ligne qui parfois avait la ténuité d'un poil de brosse.

Wu Tao-tzu fut célèbre en son temps, les mémoires contemporains l'attestent. Il couvrit de grandes surfaces murales par des représentations du ciel et de l'enfer, d'étranges aventures de la vie des saints, des divinités flamboyantes et courroucées, les splendeurs impériales de la cour bouddhiste — d'accord ainsi avec le propre idéal de son temps, comme Phidias. Il n'existe peut-être plus de peinture originale de Wu Tao-tzu, mais pour comprendre son autorité sur l'Orient, et ce que l'Occident peut en saisir, il existe quatre ou cinq types de son génie que des copies nous permettent d'étudier.

Kwannon debout. Ernest Francisco FENELLOSA (1853-1908) : L'art en Chine et au Japon
Kwannon debout, par Wu Tao-yüan ou Wu Tao-tzu. VIIIe siècle. Époque des Tang.

La Kwannon dans ses voiles de dentelles avec l'enfant chinois en est un qui date sans doute de sa première période, et qui le relie à Yen Li-pen et à ses prédécesseurs. Plus d'une version a dû parvenir au Japon. L'une d'elles fut apportée du Japon en 1904 dans la collection de M. Freer, à Détroit (États-Unis), sans doute du pinceau d'un maître Song, qui s'est dépouillé du style de son époque en respectant tous les principaux traits du génie de Wu Tao-tzu. C'est une Kwannon debout, digne et puissante, enveloppée d'un voile de dentelle, et descendant du ciel sur un nuage épais qui se répand en écume d'eau en traversant l'espace ; c'est la plus ancienne façon de représenter l'eau comme le pur symbole élémentaire de Kwannon, qui est habituellement assise entourée des flots de la mer, tenant l'eau sacrée dans un vase de cristal. Un rideau de nuages épars traîne dans le haut de la composition, cachant à demi la tiare, lourde et carrée, et non pointue. La divinité, ici masculine par la moustache, descend vers deux enfants qui jouent sur un nuage à arranger de fraîches fleurs de lotus dans un vase. Ils représentent la nature humaine dans sa spiritualité originaire et son instinct religieux naturel. À droite s'étire un sinistre nuage d'un vert sombre, comme un dragon qui rampe, image du mal. Wu Tao-tzu s'était refusé à représenter un vrai dragon, comme le fit Chodensu dans sa Kwannon de face. Elle abaisse son regard, avec un indéfinissable et bienfaisant sourire, vers les enfants inconscients auxquels elle apporte le salut et l'aide. De la main gauche levée, elle porte une branchette de saule (qui dans d'autres peintures est dans un vase) comme pour asperger ces petits êtres de l'eau du baptême, et de la droite elle porte dans un panier un grand poisson, symbole du soutien spirituel. C'est là un des traits de l'imagination des Song, qui ne devait pas se trouver dans l'œuvre de Wu Tao-tzu. Le caractère de puissance est bien rendu par la masse que forme dans la composition l'image de Kwannon, comme est bien marqué aussi le caractère d'espace que rompent seuls les enfants et le grand poisson. La forme de Kwannon est superbe de vie et de mouvement ; elle prend un solide point d'appui par ses lourds pieds sur le nuage, et sa tête est une des plus belles de tout l'art de l'Extrême-Orient. Si le rythme des lignes dans cette figure est magnifique, la couleur en est moins riche que dans la peinture d'Yen Li-pen.

Un autre type créé par Wu Tao-tzu a été l'objet de répliques de Yeiga, de Chodensu, et de Motonobu ; c'est la Kwannon assise de face. Une des plus près de Wu Tao-tzu, celle de Motonobu, est passée des trésors du marquis Hachisuka aux mains de M. Fenollosa. Elle était célèbre sous les Ashikaga et les premiers Tokugawa, car les archives des Kano en conservaient une superbe copie de Tanyu.

Sakya-Muni. Ernest Francisco FENELLOSA (1853-1908) : L'art en Chine et au Japon
Sakya-Muni, par Wu Tao-yüan ou Wu Tao-tzu. VIIIe siècle. Époque des Tang

Quant à la grande figure de Sakyamuni de Wu Tao-tzu, il en existe deux versions. L'une serait le centre du triptyque du Tofukuji, que les critiques japonais ont toujours considéré comme un vrai Wu Tao-tzu et son chef-d'œuvre. Si c'était une copie Song, elle ne pourrait être que de Li Lung-mien. Cette œuvre a influencé Sesshu et tous les autres grands artistes du Japon. Le Bouddha est assis les jambes croisées sur un rocher, les mains réunies sous la robe en un geste symbolique des doigts, mystique et secret. La robe est d'un rouge tranquille qui devient orangé dans les angles ; le visage est d'un ton tout à fait vénitien. La grandeur des lignes, la solidité de la tête en font quelque chose d'impressionnant et dont la force idéale vous pénètre...

...L'art des Tang, gréco-bouddhiste au VIIe siècle, au plus haut point de grandeur avec Wu Tao-tzu au VIIIe siècle, déclina aux IXe et Xe siècles. L'art ne reprit vraiment bon essor qu'avec les conquérants Song en 960.

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Les Song du Sud à Hangchow sur le Yangtsé

Villa en hiver sous les bambous. Ernest Francisco FENELLOSA (1853-1908) : L'art en Chine et au Japon.
Villa en hiver sous les bambous. Par Ma Yuan. Début du XIIIe siècle.

Bien loin que l'esthéticisme excessif de Kiso ait été une cause de réaction, le nouveau gouvernement d'Hangchow se plongea dans les délices des arts avec une nouvelle ardeur. L'Institut Impérial d'art devint un organe même des services de la cour, avec une suite d'examens et un rang hiérarchique analogues à ceux des Belles-Lettres. Et ce qui est stupéfiant, c'est que des artistes officiels comme Ma Yuan ou Hsia Kuei aient pu, dans cette dépendance, rester aussi libres et peindre avec autant de fantaisie personnelle et de personnalité respectée. Au fond, ils étaient à la cour comme Phidias devant Périclès, ou les quattrocentistes devant les Médicis.

Jamais l'amour de la nature et la passion du paysage ne furent plus ardents. Cette cour des Song était là dans son milieu natif. Non loin était cette rivière pathétique où Butei de Rio avait conçu ses créations bouddhiques dans l'ancienne Nanking. Non loin s'élevaient les grandes chaînes de montagnes, étincelantes de leurs lacs, où Tao Yuan-ming et Shareiun avaient trouvé l'inspiration de leurs plus célèbres poésies naturistes. Ç'avait été toujours cette puissante imagination du Sud qui avait soutenu l'inspiration du Nord ; et elle revenait à ses sources les plus pures après cinq siècles d'absence. Elle y reprit un bain salutaire et vivifiant ; et l'on vit ce prodige d'un peuple entier exprimant, par l'art, ses plus intimes émotions, ses rêves et ses méditations, comme avait été chrétien l'art du cinquecento italien, comme avait été bouddhique l'art des Fujiwara à Kioto. Mu Ch'i était digne d'entrer dans la société de Fra Angelico ou de Yeishin Sozu.

Ce furent donc ces Song du Sud qui ont continué avec leur originalité propre la contemplation de la nature de la secte zen. Elle réalisait tout ce que le taoïsme avait pensé et interprété, tout ce que Kuo Hsi avait expliqué dans les développements symboliques et poétiques de son grand Essai. Chaque moine zen, chaque abbé devient un peintre de paysage et imagine des figures qui sont substance même de ces paysages et ne pourraient plus en être isolées. On a continué d'écrire sur la nature, on a continué à faire des vers, mais le vrai génie de l'époque s'était tout entier adonné à la peinture.

Villa sous les pins. Ernest Francisco FENELLOSA (1853-1908) : L'art en Chine et au Japon.
Villa sous les pins. Par Ma Yuan. Début du XIIIe siècle.

Ce fut vraiment le règne du quatrième empereur de Hangchow, Nin Tsung, qui fut l'apogée du resplendissant génie des Song (1195-1224). Mais cette belle période comprit aussi la fin de règne du deuxième empereur et le court règne du troisième, si bien que cette grande ère historique et artistique peut être ainsi divisée : la vie de Koso, 1127-1187 ; l'âge de Nin Tsung, 1187-1225 ; le règne de Riso, 1225-1264.

L'âge de Nin Tsung, qu'avaient préparé l'ère Senkwa et l'époque de Koso, vit la consécration définitive et le triomphe de la pensée philosophique et de Tchu Hi ; époque de raffinement intellectuel et d'intelligente compréhension féminine. Ce fut le moment des grands peintres du Sud Ma Yuan, Hsia Kuei et Mu Ch'i.

Ma Yuan était d'une famille qui, à de bien lointaines générations en arrière, avait produit des artistes. Son grand-père Ma Hsing-tsu avait été un des grands critiques, et un des fondateurs de l'Académie du Sud. Son père Ma Che-jong avait occupé un rang élevé sous le second empereur. Son oncle était le célèbre Ma Kong-hien. Lui-même devint un des plus célèbres professeurs, et ses peintures, fameuses déjà de son temps, étaient encore l'objet des études passionnées des Ming. Il fut le premier à peindre les trois grands fondateurs de religions et de philosophie de la Chine, Sakyamuni (ou Bouddha), Confucius et Laotse, que le professeur Giles avait pris pour un portrait du Christ et de ses disciples ! Ce fut peut-être d'après Ma Yuan que Kano Masanobu reprit le même sujet. À la composition s'applique exactement la description d'un critique des Song, qui parle de Shaka se promenant et se retournant vers Laotse et Confucius qui marchent ensemble. L'influence bouddhique de l'Inde en découle encore formellement. — Ma Yuan fut le second à peindre les huit fameuses vues du lac Shosei, que seul Sobunshi avait peintes un peu avant lui ; mais l'œuvre de Ma Yuan, beaucoup plus belle, est devenue typique dans la suite pour tous les artistes chinois et japonais.

Tout ce que Ma Yuan peignait pour l'empereur Nin Tsung portait le commentaire délicatement poétique, et la calligraphie de la jeune sœur de l'empereur, Yokei, preuve de la haute situation de Ma Yuan à la cour, et de l'influence délicate des femmes.

Le Japon possède encore, dans les vieilles familles de Daimios et dans ses temples, de nombreuses peintures de Ma Yuan. Il s'y montre digne héritier de Hin-Tsung dans les paysages, et aussi de Li Lung-mien dans les figures. On retrouve peu dans ses œuvres les grands effets par taches de brumes, de nuages et de feuillées que réussirent les premiers Song, Kuo Hsi et Li Ch'en. Sa touche est plus claire, nette et ferme, sans heureux hasards, mais volontaire. Sa couleur est très légère, faite de quelques teintes transparentes, juste assez pour modifier le ton de l'encre et du papier. Il est le vrai maître de l'école Kano au Japon. Il aimait à peindre les charmantes villas qui entouraient le lac de l'Ouest, et qui étaient serties comme des pierres précieuses, dans la vallée. Il savait aussi supérieurement placer un arbre dans sa composition, en en cherchant attentivement et passionnément le dessin, jusqu'à lui donner une vraie individualité.

Le poète Rinnasei. Ernest Francisco FENELLOSA (1853-1908) : L'art en Chine et au Japon.
Le poète Rinnasei. Par Hsia-Kuei. Début du XIIIe siècle.


Hsia Kuei peut être considéré comme un des plus grands paysagistes de l'art chinois, et peut-être même du monde entier. Il était un vrai disciple de Kuo Hsi, et continua à poursuivre ces effets de brumes où les oppositions du blanc et noir sont cherchées avec une subtilité de touche et une franchise, également dignes de Whistler et de Manet. Il fit rarement des figures ; ce fut un pur paysagiste étonnamment impressionniste. Il aima peindre les vues de côtes de l'estuaire de Sientang, tout près de Hangchow. Une peinture célèbre, que Sesshu connut bien, montre ainsi un pavillon au bord d'une crique, un fond de montagnes dans le brouillard de l'autre côté de la baie, avec de superbes groupes d'arbres, grands pins, chênes et saules.

Une autre série d'œuvres montre Hsia Kuei surprenant les brumes flottant sur les plaines marécageuses, desquelles se dégage la forme tordue d'un arbre (très caractéristique de Hsia Kuei).

Une œuvre fameuse était un long rouleau, suite panoramique de la rivière Yangtsé, ses sources en ruisselets, son passage dans des gorges, son embouchure. Telle partie, avec ses pics sauvages, est comme une grande étude géologique, conçue avec l'emportement d'un Turner. Il peignait encore de merveilleuses cascades, (Tanyu en copia une) avec sa poussière d'eau et ses brumes. Une copie du temps des Yuen ou des premiers Ming nous révèle de Hsia Kuei un magnifique aspect de la côte chinoise, une cité entourée de murs, au bord d'une petite baie ; et tout est rendu dans la distance et dans l'atmosphère avec une vérité poétique et un art tout à fait rares.

Parmi les artistes qui, sous l'empereur Nin Tsung, entouraient Ma Yuan et Hsia Kuei, nous connaissons Mao Yih, le grand peintre de tigres. Il y eut Ma K'uei, le jeune frère de Ma Yuan, Ma Lui et Hsia Lui, les fils de Ma Yuan et de Hsia Kuei ; Rinshonen était célèbre pour ses paysages de fermes et ses scènes de tissages, imitées par les Kanos, et pour ses scènes enfantines. Sa couleur riche, dans les bleus, les verts et les rouges, a eu une très certaine influence sur les Ming.

Un ermite de la montagne. Ernest Francisco FENELLOSA (1853-1908) : L'art en Chine et au Japon
Un ermite de la montagne. Par Liang Chieh. XIVe siècle.


Li Sung était un charpentier, qui s'éleva peu à peu dans la hiérarchie académique. Il peignait des paysages du lac Seiko. Yen Tzu ping rappelle Hsia Kuei, mais plus dur et anguleux. Hsia Ming Yuan faisait de grandes architectures dans des paysages colorés. Liang Chieh enfin, peintre de figures, d'une suprême habileté et d'une touche violente dans ses coups de pinceau audacieux.

Sous le règne de Li Tsung, paraissent Wang Hui, peintre de villas, imitateur de Ma Yuan ; Fan an-jen, peintre de poissons ; Ma-Lui et Hsia-Lui. Renshiren a laissé une splendide peinture, au temple japonais Shokokuji, d'une cigogne volant devant un fond de montagne, qui semble avoir été un des grands modèles de ce genre pour les Japonais.

Mais celui qui domine vraiment cette troisième époque est Mu Ch'i, avec ses élèves les prêtres zen, étrangers à l'Académie, qui poussèrent encore plus loin l'impression passionnée de Liang Chi. Dédaigné des critiques chinois, à cause de son indépendance, nous savons peu de chose de lui. Il est le suprême impressionniste de l'encre, car il ne peignit pas avec les couleurs. Il n'a sans doute pas la violence et l'audace hasardeuse du coup de brosse. Son pinceau est subtil et doux ; pour rendre les impressions poétiques de la nature, il n'a pas de rival. Il a été le grand modèle des Japonais, de Sesshu et de Noâmi ; Kano Motonobou, dans son style adouci, procède de lui, comme toute l'école Kinkakuji de Kioto. Il fut le centre d'une école d'artistes religieux, que les confucianistes voulurent ignorer, et qui par son pur esprit zen fut intégralement adoptée par les Japonais. On trouve dans son œuvre des moineaux sur une branchette, des groupes de hérons dans les lotus, ou un héron dont le vol s'abat sous une averse de pluie, une poule et ses poussins, des raisins pendant à la vigne ; et quand il peignait de purs paysages, il n'était pas inférieur aux plus célèbres, de même que dans ses figures de rakans ou de Daruma, il a la noblesse qu'apportait Millet dans ses fusains.

Kwannon assise. Ernest Francisco FENELLOSA (1853-1908) : L'art en Chine et au Japon
Kwannon. Par Mu Ch'i. XIe siècle. Époque des Song.


Cinq peintures sur soie de Mu Ch'i sont au Daitokuji de Kioto : deux cigognes et des bambous, un tigre grognant à la pluie, la tête d'un dragon émergeant d'un nuage, une guenon à longs bras et son petit perchés au sommet d'un arbre enguirlandé de vignes, toutes peintures inspiratrices des artistes des Ashikaga, sans excepter Sesshu. Mais la cinquième de ces peintures est sans doute, avec celles de Wu Tao-tzu et de Li Lung-mien, une des plus grandioses compositions que la peinture chinoise nous ait révélées : c'est la Kwannon blanche, assise dans une caverne rocheuse, avec les flots qui baignent ses pieds ; un vase de cristal dans lequel trempe une branchette de saule est posé sur un roc à gauche ; des herbes retombent de la voûte de la caverne. De légères nuées blanchâtres traînent dans l'espace. La plus absolue beauté réside dans la figure même de la Kwannon, infiniment gracieuse dans sa pose un peu inclinée en avant, comme si elle prêtait l'oreille aux voix des marins en détresse qui lui arrivent sur les flots, figure toute féminine comme on la voit sur les porcelaines modernes. Figure toute plastique aussi, exécutée dans la pureté et la fermeté de ses formes comme une statue de marbre, et d'une expression tendre que n'ont jamais eue les figures semblables de Li Lung-mien.

...La logique et le souci d'être complet pourraient amener à consacrer deux chapitres isolés à l'art des deux dynasties qui suivirent les Song, à celui des Yuen qui suivit, et au long apogée des Ming. Serait-ce un juste souci de proportion ? Le XIVe et le XVe siècle produisirent certes de notables œuvres d'art, mais la beauté des formes en sera désormais trop souvent absente. Les grandes époques sont passées...

La fin de la dynastie Song est une époque tragique dans l'histoire de l'humanité, celle de la conquête mongole, houle dévastatrice, des rivages du Danube et de la Baltique aux rives des mers de Chine. Et cependant il en résulta ceci, qui est important, le contact direct entre Chine et Europe.



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