H. Doré : Recherches... Troisième partie : Popularisation des trois religions
Section II : Confucius, ses disciples, le confucéisme
A. VIE DE CONFUCIUS
ILLUSTRÉE
B. LES 144 SAGES DU TEMPLE DE CONFUCIUS
d'après les documents chinois
Recherches sur les superstitions en Chine, volume XIII.
Variétés sinologiques n° 49, Zi-ka-wei, 1918. XVI+262 pages + 81 illustrations.
-
Préface : Le peuple ne connaît guère le confucéisme que par la pagode de Confucius, les biographies illustrées,
les images et les tracts; toute sa science est entrée surtout par les yeux : c'est l'enseignement par l'image. Par ailleurs la doctrine sèche et prétentieuse des lettrés le touche assez
peu.
Pour montrer le véritable mode de propagation du confucéisme, il n'est pas de procédé plus logique, que de mettre sous les yeux :
1° Les images populaires, retraçant en détail la vie de Confucius, et les explications qu'en donnent les ouvrages les plus autorisés au point de vue chinois.
2° les notices des 144 sages confucéistes, jointes à leurs portraits, tels qu'ils étaient jadis figurés dans les temples de Confucius.
3° Les traits historiques illustrés, relatifs aux vertus confucéistes.
4° Les instructions morales composées par les lettrés, pour inculquer leur doctrine dans les milieux populaires.
C'est en cela que consiste toute la science du paysan chinois, et de l'immense majorité des lettrés ordinaires. >>>>> Lire la suite
Table des matières de la Vie de Confucius
Extraits : 49 signes — Naissance — Entrevue de Confucius et de Lao-tse — Confucius à
Kia-kou — Confucius et le brigand
Confucius et la trop célèbre Nan-tse — La fin.
Feuilleter la Vie de Confucius
Feuilleter les notices sur Les 144 sages du Temple de Confucius
Télécharger
Suite de la
préface.
Pour comprendre l'influence exercée sur les milieux populaires par les pagodes de Confucius, il suffira de se rappeler que dès l'an 629 ap. J.-C., l'empereur T'ang T'ai-tsong promulgua un décret
ordonnant d'élever des temples à Confucius dans toutes les villes de l'empire. Ces pagodes construites par ordre impérial, avec des souscriptions obligatoires levées par les lettrés eux-mêmes,
étaient ordinairement les plus riches de la ville. La statue de Confucius y figurait, et dans la suite ses disciples, c'est-à-dire les plus célèbres lettrés, prirent place dans ces temples
magnifiques, où leurs statues demeurèrent exposées aux yeux du peuple jusque vers la dernière moitié du XIVe siècle. Le peuple a donc pu visiter pendant 8 siècles ces fastueux temples du
confucéisme, élevés dans toutes les villes de Chine ; il fit ainsi peu à peu connaissance avec ces hommes de lettres et leurs théories, à peu près comme les gens du peuple apprennent à connaître
nos grands hommes, et quelques traits de leur histoire, en contemplant leurs statues sur nos boulevards d'Europe, et en écoutant raconter des particularités de leur vie.
Depuis le décret de Hong-ou, le fondateur des Ming, des tablettes ont remplacé les statues, mais les biographies illustrées, les peintures représentant les anciennes statues ont perpétué la
mémoire de ces sages. Deux ouvrages, célèbres entre tous, ont contribué puissamment à perpétuer ces connaissances, ce sont : Cheng-tsi-t'ou Les vestiges illustrés du saint, ou la vie de
Confucius illustrée, et Cheng-miao-se-tien-t'ou-k'ao Recherches illustrées sur les sages honorés dans le temple de Confucius. Ces ouvrages ont été composés par le lettré Kou
Siang-tcheou pendant la première moitié du XIXe siècle.
Ces deux ouvrages formeront le fond, et presque toute la charpente de la première moitié de ce travail sur la propagation du confucéisme en Chine. Ils réunissent deux qualités à première vue
presque inconciliables c'est-à-dire :
1° La popularité par l'image, car les figures sont très nombreuses et très variées. 2° La sûreté de documentation, puisque ces notices, et l'explication des images, ont été composées par des
lettrés très compétents, et dans un style qui n'est abordable que pour les bons lettrés. Le récit est du reste conforme à celui des ouvrages qui font autorité dans la matière, et dont les noms
seront cités au cours du récit, il n'y a que fort peu de divergence pour certaines dates, le fond est le même. Les notes géographiques et historiques faciliteront l'intelligence du texte.
Je m'efforcerai de conserver le cachet chinois, dans toute son intégrité, même dans les louanges excessives : je m'adresse à un milieu intelligent, qui saura au besoin mettre une sourdine en
temps opportun. D'autres ont fait ce que j'appellerais volontiers la vie savante de Confucius, je ne veux faire que la vie populaire en montrant les images telles qu'on les trouve, mais en les
expliquant, comme le font les plus célèbres auteurs, et dans les termes mêmes dont ils se servent. Le lecteur aura ainsi des personnages bien chinois, qu'aucune main européenne n'a fardés ou
défigurés. En parcourant ce volume, il assistera à une séance de cinématographe, donnée par les lettrés chinois à leurs confrères européens pour leur faire admirer dans la personne de Confucius
et de leurs sages le « beau idéal » de l'humanité !
Après un résumé succinct des principaux points du confucéisme moderne, nous montrerons comment ces vertus philosophiques ont été concrétisées dans des exemples historiques, des tracts moraux, que
l'imagerie a reproduits sous toutes les formes, et qui ont souvent aussi servi à l'illustration d'ouvrages très répandus.
L'ouvrage Cheng-tsi-t'ou commence par énumérer 49 signes caractéristiques observés
dans la structure du corps de Confucius. Ce sont autant de présages de sa haute destinée. Nous en donnerons une brève explication d'après les principes du Siang-li-heng-tchen, ouvrage
chinois en 10 volumes, qui fait loi en matière de physiognomisme.
1° Fan cheou. Vertex en forme d'amphithéâtre, haut de la tête concave, et rappelant le cirque de la montagne de Ni
k'ieou-chan, où sa mère fit un pèlerinage.
2° Tchou mien. Large visage. Signe de richesse.
3° Yué kio. Les deux cornes du front, aux extrémités de l'os frontal, brillantes, luisantes. Présage d'une carrière
glorieuse.
4° Je tchoen. Nez épais, régulier et arrondi. Signe de richesse et d'accès aux dignités.
5° Ho mou. Yeux en forme d'olive, très oblongs. Aura un revenu de 50.000 boisseaux de riz, réalisera une grosse
fortune.
6° Hai k'eou. Bouche largement fendue. Les dignités et les richesses ne lui feront pas défaut.
7° Long sang. Front de dragon, c'est-à-dire de forme carrée. Deviendra grand dignitaire à la cour des princes.
8° Teou tch'oen. Grosses lèvres, le centre du rictus légèrement quadrangulaire, en forme de l'ancien boisseau
chinois qui était de forme carrée. Présage de hautes dignités et de gros revenus.
9° Tch'ang yeu. Cils et sourcils longs, fournis, élégants. Toute sa vie il sera riche.
10° Kiun i. Le bout du menton plat.
11° Fou heou. Large gorge. Il aura du riz à manger à volonté, pendant tout le cours de son existence.
12° P'ien tch'e. Dents rangées deux par deux. Jamais il n'aura à redouter la pauvreté.
13° Long hing. Port majestueux, commandant le respect. Gage d'une réputation universelle.
14° Koei tsi. Épine dorsale en forme de dos de tortue. Deviendra grand mandarin, ses émoluments monteront jusqu'à
20.000 boisseaux de riz.
15° Hou tchang. Palmes des pieds et des mains en forme de la palme du tigre.
16° P'ien lié. Callosités des côtes, os de forme bizarre. Caractère original, talent qui tranchera sur le
commun.
17° Sieou
kong. Appelé en langage de physiognomonisme os de dragon. L'os du bras entre l'épaule et le coude, plus long que chez le commun des hommes. Présage de noblesse.
18° Ts'an ing. Poitrine large, plane. Marque de sagesse, d'un avenir glorieux.
19° Ou ting. Vertex élevé. Volonté robuste.
20° Chan ts'i. Nombril proéminent. Signe d'intelligence. Qu'on se rappelle l'adage chinois Tou li ming pé :
Son ventre est plein d'intelligence. Le chinois place l'intelligence dans le ventre.
21° Ling pei. Dos trapu. Bien fait pour porter, sans fléchir, le poids des dignités et les trésors de la
fortune.
22° I pi. Avant-bras bien fait. Marque d'habileté.
23° Tchou t'eou. Grosse tête. Signe précurseur d'une rare vertu.
24° Feou kia. Joues arrondies. C'est l'épanouissement du bonheur.
25° Ti kien. Larges épaules. Signe incontestable de richesse et de bonheur.
26° Ti tsou. Coude du pied élevé. Signe avant-coureur d'une grande richesse.
27° Kou k'iao. Les neuf ouvertures du corps kieou k'iao largement perforées. Voilà ce qui constitue un animal de
première qualité, présage de longue vie, et de succès.
28° Lei cheng. Voix forte. Avenir fortuné, les riches et les dignitaires parlent haut.
29° Tche fou. Ventre rebondi dans sa partie supérieure et évasé dans sa partie inférieure. Signe d'une intelligence
élevée et d'une réputation mondiale. (Voir n° 20).
30° Sieou chang. Buste élevé. C'est le présage de l'accès aux dignités fortement rétribuées.
31° Ts'iu hia. Les jambes relativement courtes par rapport au buste. Un tel homme obtiendra le sceau officiel et
réalisera de gros bénéfices.
32° Mô liu. Légèrement courbé en avant. Les rites et la politesse seront sa partie.
33° Heou eul. Le pavillon de l'oreille fuyant, appliqué sur le côté de la tête. Jamais de revers de fortune.
34° Mien jou mong k'i. Face carrée.
35° Cheou tch'oei kouo si. Mains pendantes descendant au-dessous des genoux. Deux sens : 1. Bonheur et richesse
extraordinaires. 2. Héros ou grand conquérant. v. g. Lieou Pei.
36° Eul tch'oei tchou ting. Oreilles tombantes et arrondies en forme de perle. Intelligence supérieure ou grandes
richesses.
37° Mei che eul ts'ai. Poils des sourcils et des paupières en bel ordre, non enchevêtrés. Semblable à l'oiseau qui
plane dans les hauteurs de l'air, un tel homme deviendra grand dignitaire.
38° Mou lou che se li. 64 rides creusées sur ses paupières et le pourtour des yeux. Figure des vertus de fidélité et
de sincérité, quand ces signes se montrent sur le déclin de l'âge ; présage d'un avancement rapide vers les honneurs et la gloire, s'il s'agit d'un jeune homme.
39° Li jou fong tchè. Posture raide et immobile, Sera riche et vivra vieux.
40° Tsouo jou long ts'uen. La majesté du dragon dans la manière de s'asseoir. Richesses et longévité.
41° Cheou ou t'ien wen. Les rides de la paume de sa main formaient le caractère T'ien. C'est la
caractéristique du Saint.
42° Tsou li tou tse. Démarche composée solennelle. C'est la perfection humaine.
43° Wang tche jou fou. De loin il paraît légèrement incliné. Ou noblesse ou richesse.
44° Tsieou tche jou cheng. De près il paraît droit. Même sens que le n° 43.
45° Che jo ing se hai. Yeux brillants capables de fouiller les 4 mers.
46° Kong li k'ien jang. Correct et modeste.
47° Hiong yeou wen : Tche tso tin che fou. Sur sa poitrine était écrite cette sentence : « Sa doctrine fera loi dans
le monde ».
48° Chen tch'ang kieou tch'e lou ts'uen. Il avait 9 pieds six pouces de haut.
49° Yao ta che wei. Le pourtour de son buste, à la hauteur de la ceinture, était particulièrement fort. C'est là
comme la racine de la richesse.
Les ancêtres de
Confucius.
Certaines traditions font descendre Confucius de la famille impériale des Ing ; d'après ces auteurs, son premier ancêtre serait Wei-tchong, deuxième fils de l'empereur Ti-i 1191-1154 av.
J.-C.
Le second empereur des Tch'eou, Tcheng-wang, après avoir fait mettre à mort Ou-keng, fils de l'empereur Tcheou, parce qu'il s'était révolté contre la nouvelle dynastie, nomma duc de Song
Wei-tse-k'i, le fils aîné de Ti-i, afin de perpétuer la lignée de la dynastie déchue. Ce duché de Song s'appelait jadis Chang-k'ieou, c'est la sous-préfecture actuelle de Chang-k'ieou hien, dans
le département du Koei-té-fou, au Ho-nan. Wei-tse-k'i ayant perdu son fils unique, passa le duché de Song à son second frère Wei-tchong, nommé aussi Yen, qui fut le quatorzième ancêtre de
Confucius. D'après ce document, Confucius descend donc à la quatorzième génération de Wei-tchong, second fils de l'empereur Ti-i.
Le premier des ancêtres de Confucius qui porta le nom de famille K'ong, fut son sixième ascendant, K'ong Fou-k'ia, mis à mort par Hoa che. Pour éviter le même sort, son fils K'ong Fang-chou dut
s'enfuir hors du duché de Song et vint se fixer dans la principauté de Lou, où il devint mandarin de Fang. Toute la famille se fixa définitivement dans ce duché de Lou qui fut la patrie de
Confucius.
Son père fut K'ong Chou-liang, appelé encore K'ong Ko. Chou Liang était son prénom, Ko était son nom ordinaire.
K'ong Chou-liang exerçait la charge de sous-préfet dans la ville de Tseou, du duché de Lou. Cette ville de Tseou était située à 60 lis est de Se-choei-hien et dépendait de la préfecture de
Yen-tcheou-fou, au Chan-tong. Son épouse légitime nommée Che, lui donna neuf filles et pas un seul garçon. D'une concubine il eut un fils Mong-p'i, surnommé Pé-ni, perclus des jambes. Pour cette
raison, il demanda en mariage une des filles d'un nommé Yen, qui en avait trois, la plus jeune s'appelait Tcheng-tsai. Monsieur Yen s'adressa à ses trois filles, et leur dit :
— Ce mandarin est d'une famille de lettrés, et compte des rois parmi ses premiers ancêtres, il a dix pieds de haut et est robuste, son âge avancé n'a en rien diminué ses forces, soyez sans
inquiétude. Laquelle d'entre vous accepte d'être son épouse ?
Les deux aînées gardèrent le silence ; alors Tcheng-tsai s'avança et dit :
— La volonté de mon père suffit, qu'est-il besoin de demander la mienne ?
— Sois donc son épouse puisque tu y consens, reprit le père.
C'était l'année Ki Yeou, 552 av. J.-C.
Pèlerinage de la mère de Confucius à Ni-k'ieou-chan.
Tcheng-tsai s'étant rendue au temple des ancêtres pour y sacrifier, il lui vint à la pensée que son mari déjà âgé de soixante-dix ans, ne lui donnerait probablement pas d'enfant mâle ; aussi
entreprit-elle un pèlerinage à la montagne de Ni-k'ieou-chan, à cinquante lis S.E. de K'iu-feou-hien, dans la préfecture de Yen-tcheou-fou, pour demander au ciel la grâce de mettre un fils au
monde. Quand la jeune femme monta sur cette montagne, les feuilles des plantes et des arbres de la vallée s'élevèrent d'elles-mêmes vers le ciel, à son retour, toutes s'inclinèrent vers la terre.
Lorsque Confucius vint au monde, on remarqua qu'il avait le sommet de la tête concave, et que le pourtour du vertex s'élevait en amphithéâtre, comme la montagne de Ni-k'ieou-chan ; c'est pour ce
motif qu'on le nomma K'ieou colline, et son prénom fut Tchong-ni, en reconnaissance de la faveur, que sa mère croyait avoir obtenue, pendant son pèlerinage à cette montagne de Ni-k'ieou.
La licorne apparaît à K'iué-li.
Avant la naissance de Confucius, une licorne (k'i-lin) parut à K'iué-li, au Chan-tong, 3 lis S. O. de K'iu-feou-hien. Cet animal mystérieux portait dans sa gueule une tablette de jade, qu'il
rejeta à terre, on y trouva écrite la sentence « Fils de Choei-tsing-tse, roi sans sceptre à la décadence des Tcheou ».
Surprise de cette apparition, sa mère saisit un ruban de soie et le lia à la corne de l'animal, comme témoignage du fait.
Après deux nuits la licorne disparut. Tcheng-tsai accoucha au bout de 11 mois.
L'année Koei Wei, la seconde année de l'empereur King-wang, 518 av. J.-C., Confucius, âgé de
34 ans, partit avec ses disciples pour demander une audience à Lao-tse, alors grand dignitaire à Ho-nan-fou. Il obtint une entrevue avec le vieux sage, et reçut aussi une leçon bien frappée
:
— Un marchand intelligent, lui dit Lao-tse, n'expose pas à tous les yeux ses marchandises de grand prix, et le vrai sage ne fait jamais parade de ses vertus. Défaites-vous, croyez-moi, de ces
airs prétentieux, de cette ambition, de cette conduite fastueuse et errante, ce sont là des choses plutôt nuisibles. Je n'ai rien autre chose de bien particulier à vous dire.
Lao-tse lui fit poliment la conduite et ajouta en le congédiant :
— Les riches de ce monde ont coutume de faire des présents en reconduisant leurs hôtes, les sages préfèrent leur donner un bon conseil. Que d'hommes, soi-disant intelligents, détournent les yeux
de leur piteux état, pour se payer le plaisir de critiquer les autres ; que de prétendus sages se cachent à eux-mêmes leurs propres défauts, et passent leur vie à pérorer sur les travers d'autrui
!
— Merci de vos instructions, répondit Confucius.
Il fut peu flatté de cette entrevue, comme bien on le pense, car il avait moissonné plus d'humiliation que de gloire ; aussi dit-il ses disciples, en parlant de Lao-tse :
— Je sais que l'oiseau vole, je sais que le poisson nage, je sais que les bêtes sauvages s'enfoncent dans les profondeurs des bois, mais je ne puis étudier la nature du dragon, qui monte dans les
cieux, porté sur les vents et les nues. Li Lao-tse est aussi insaisissable que le dragon !
Quelques-uns seraient tentés de nier l'existence de cet entretien, j'avoue qu'un argument m'a toujours paru insoluble. Comment expliquer, en effet, que tous les lettrés chinois, si intéressés à
conserver la haute réputation de Confucius, n'aient pas nié purement et simplement le fait, en prouvant que Lao-tse et Confucius ne furent pas contemporains ? La réponse eût été sans réplique.
Puisqu'ils ne l'ont point fait, c'est sans doute qu'ils ne croyaient pas pouvoir le faire sans heurter l'opinion commune des historiens. Pourtant il est croyable que tant d'hommes érudits
connaissaient leur histoire, et leur prudence doit nous inspirer une judicieuse réserve.
Confucius à
l'entrevue de Kia-kou.
L'an 500 av. J.-C., la 10e année du règne du duc Tin, les deux princes de Ts'i et de Lou eurent une entrevue à Kia-kou ; Confucius était un des délégués du royaume de Lou. Le banquet terminé, le
chef des chœurs de musiciens du royaume de Ts'i demanda la permission au duc de rassembler ses musiciens pour un concert. Immédiatement les drapeaux, les piques enrubannées, les tambours
parurent, et le vacarme commença.
Confucius monta sur les degrés du trône où étaient assis les deux ducs, abaissa ses manches, fit la révérence et dit :
— À quoi bon ces chants et ce désordre pour signer un accord, j'ose vous prier de bien vouloir écarter tous ces musiciens.
Le duc de Ts'i, fort rusé, ordonna qu'on les renvoyât, mais quelque temps après, sur la demande d'un de ses officiers, on introduisit sur la scène des chanteuses et des danseuses habillées
richement, et alors commencèrent des jeux et des chants lascifs. Confucius revint à la charge.
— Ces impertinentes, s'écria-t-il, exercent une influence néfaste sur toute l'assemblée, elles méritent la mort. Je supplie le duc de Ts'i d'ordonner qu'on les châtie d'une manière
exemplaire.
Le duc King, un peu confus, imagina de les offrir en présent au duc de Lou. Confucius fit alors cette réflexion à Liang K'ieou-kiu :
— Ignorez-vous donc la dépravation des deux duchés de Lou et de Ts'i ? La musique a pour but de manifester la vertu, quand la vertu a disparu dans un royaume, mieux vaut s'abstenir de
musique.
Le duc de Lou n'accepta pas les musiciennes que voulait lui offrir le duc King.
Le diplomate.
Cette fameuse entrevue à Kia-kou semble avoir été un guet-apens tendu au duc de Lou ; la prévoyance de Confucius, qui avait commandé à l'intendant militaire d'accompagner le duc avec une forte
escorte, conjura le danger. La clause qui fit insérer le duc de Ts'i dans la pièce officielle où était stipulé cet accord, montre clairement ses intentions. Voici la teneur de cette clause
additionnelle : Quand les troupes de Ts'i sortiront des frontières du duché pour une expédition militaire, le royaume de Lou devra leur adjoindre trois cents chars de guerre. Confucius était
encore présent à l'entrevue, quand cet article fut surajouté ; il se récria et dit :
— Je refuse d'accepter cette clause, à moins que le duc de Lou ne bénéficie du même droit ; et qu'on nous rend le territoire de Se-choei et de Wen-Yang.
Le duc de Ts'i voyant ses plans découverts, s'en retourna dans son duché, fit venir son ministre Yen Ing, et lui dit :
— Le duc de Lou a des officiers intelligents qui le renseignent parfaitement, pour moi, je suis privé du même avantage. Mes officiers ont fait outrage au duc de Lou, je vous commande de faire
rendre de suite au duché de Lou, le territoire de Se-choei et de Wen-Yang.
Rencontre de
Confucius et de Yang Houo.
Yang Houo désirait s'entretenir avec Confucius, mais ce dernier évitait toujours l'entrevue. Il prit donc le parti de lui envoyer un morceau de viande pour le mettre dans la nécessité de lui
faire une visite de remerciement. Confucius profitant d'un jour où Yang Houo était absent, partit pour la visite ; le sort voulut qu'il le rencontrât sur la route.
Yang Houo le fit venir chez lui, et lui tint ce langage moitié sérieux moitié railleur :
— Porter en soi des trésors de sagesse, et ne pas les utiliser pour tirer sa patrie de l'aveuglement où elle est plongée, est-ce là de l'humanité ?
— Non, reprit Confucius.
— Celui qui est doué de merveilleuses aptitudes pour le gouvernement, et qui laisse s'échapper les occasions favorables pour se promouvoir, est-ce un sage ?
— Non, ajouta Confucius.
— Les jours se succèdent, les mois et les années nous échappent.
— Eh bien ! dit Confucius, je me ferai mandarin.
. . . . . . . . . . . . .
Les gens de Koang prennent Confucius pour le brigand Yang Houo.
Après un premier séjour dans le duché de Wei Confucius voulut aller dans le royaume de Tchen (actuellement le Tch'en-tcheou-fou du Ho-nan).
Quand il voulut passer par le pays de K'oang, les habitants le prirent pour Yang Houo qui avait ravagé leur pays, et qui ressemblait à Confucius à s'y méprendre. On l'entoura pendant cinq jours
entiers, et plusieurs voulaient lui faire un mauvais parti. Tse Lou finit par faire la paix. Confucius jouait tranquillement du luth pendant ces journées où il était détenu comme
prisonnier.
Le Luen-yu semble moins affirmatif. Confucius était triste, y est-il dit, cependant il se consolait en ajoutant ces mots :
— Puisque Wen-wang est mort, est-ce que sa doctrine sublime ne reste pas ici en ma personne ? Si le ciel détruisait cette sublime doctrine, où nos descendants la trouveraient-ils ? Non, le ciel
ne la fera pas disparaître de ce monde ; que peuvent contre moi les gens de K'oang ?
Confucius se considérait comme l'incarnation vivante de la doctrine de Wen-wang, et le seul mortel dépositaire de ce trésor doctrinal. Lui disparu, c'en était fait de la doctrine des sages
!
Cette aventure se passait l'an I Se, 496 av. J.-C., la 24e année de King-wang.
Confucius reçu avec égards par le duc de Wei.
Après son aventure à K'oang, Confucius retourna dans le duché de Wei et le duc Ling vint au-devant de lui, jusque dans les faubourgs de sa capitale, afin de lui manifester tout le plaisir qu'il
éprouvait de le revoir.
Pendant ce second séjour, Confucius habita chez le beau-frère de Tse Lou, cet homme se nommait Yen Tchouo-tcheou. Le duc de Wei lui fit donner pour sa subsistance, la même quantité de riz, que le
duc Tin lui faisait remettre pendant qu'il habitait le duché de Lou. Bref le duc Ling était plein de bienveillance pour son hôte, et s'il se fût présenté une occasion favorable, Confucius eût pu
obtenir une charge officielle dans ce royaume.
Par malheur cette occasion tant désirée, si impatiemment attendue, ne se présenta point, la suite nous le fera voir.
Confucius et la trop célèbre Nan-tse.
Une seconde fois Confucius quitta le royaume de Wei, il se rendit à la ville de P'ou (Tchang-yuen-hien, dans le département de Ta-ming-fou, au Tche-li). Après un mois environ, il revenait pour la
troisième fois dans le duché de Wei où il prit logement dans le tribunal d'un mandarin nommé Kiu Pé-yu.
La duchesse Nan-tse, épouse du duc Ling, femme tristement célèbre par ses mœurs trop faciles, demanda à voir Confucius. D'abord il refusa, mais il dut se rendre à ses désirs ; il entra donc dans
la salle d'audience. Dès que Confucius entendit le son des pierreries dont elle était ornée, il tourna le visage vers le nord, fit les cérémonies d'usage, et demeura les yeux baissés pendant tout
le reste de la visite.
Déjà Tse Lou manifesta sans détour son mécontentement pour cette conduite qu'il trouvait peu digne.
Nan-tse entreprit de le mener à sa suite par toute la ville, elle monta sur un char et s'assit à côté du duc Ling.
L'officier Yong Kiu, à cheval, accompagnait le char ducal.
Confucius, monté sur un char, suivait ce cortège, qui traversa toutes les rues de la capitale.
Les disciples de Confucius ne cachèrent plus leur indignation, et lui-même tout couvert de confusion s'enfuit du duché.
— Que le ciel me rejette ! que le ciel me rejette ! si j'ai mal fait, disait Confucius pour s'excuser.
C'était le cas d'appliquer sa sentence : « Je ne connais personne encore qui aime autant la vertu que la beauté ».
Capture et mort de la licorne.
La 14e année de règne du duc Ngai, 481 av. J.-C., Confucius composa son Tch'oen-ts'ieou.
Ce fut cette même année que reparut la licorne dont le triste sort présagea la mort de Confucius. Voici le récit de cet épisode.
Le duc de Lou entreprit une partie de chasse dans les pays de l'Ouest, à Ta-yé ; le conducteur du char de Chou-suen apprit qu'un bûcheron venait de prendre un animal inconnu, qui avait un corps
de cerf et une queue de bœuf ; une excroissance charnue couronnait sa corne ; le bûcheron le prit pour un monstre, lui brisa la patte gauche et le tua.
On le chargea sur un char, et on le jeta sur la route qui passait à Ou-fou, tout près du monticule où était inhumé K'ong Chou-liang, le père de Confucius. On pria ce dernier de bien vouloir
indiquer le nom de cet animal étrange. Confucius alla l'examiner et dit :
— C'est une licorne.
En regardant plus minutieusement, il vit le ruban de soie que sa mère avait jadis enroulé autour de la corne, lors de son apparition au village de K'iué-li.
Le vieillard poussa un long soupir et dit :
— La licorne ne se montre qu'aux époques de gloire et de prospérité, maintenant que l'administration est en désarroi, pourquoi viens-tu ?
Ce disant, un torrent de larmes inonda son visage, si bien que la manche de son habit, dont il se servit pour les essuyer, en fut complètement mouillée. Il ajouta tristement :
— Ma doctrine aura le même sort qu'elle, c'est la fin !
Il commanda à ses disciples d'enterrer la licorne sur un tertre d'une quarantaine de pas de large, à l'est de la vieille ville de Kiu-yé.
Confucius prit son luth, et commença la composition de l'ode intitulée : La prise de la licorne Houo-lin-ts'ao. En voici un petit passage :
« Pendant l'ère de prospérité des empereurs Choen et Yu, le phénix et la licorne apparaissaient sur notre terre ; hélas ! ce n'est plus maintenant pour vous le temps de revenir. Licorne, ô
licorne, que mon âme est pleine d'angoisse !
Confucius prédit sa mort prochaine.
L'an Jen Siu, 479 avant J.-C., le 11 de la 4e lune au matin, Confucius se leva, puis, une main appuyée sur son bâton, et l'autre derrière le dos, il s'avança majestueusement jusque devant la
porte de ses appartements, et se mit à prononcer en cadence les paroles suivantes :
— La montagne sainte de T'ai-chan va s'écrouler, la maîtresse poutre de l'empire va se rompre, le sage va mourir !
Après la récitation rythmée de cette solennelle prédiction, il revint se placer au milieu de la porte d'entrée. Tse-kong, qui venait d'entendre ce monologue, se présenta et lui dit :
— S'il en est ainsi, que deviendrai-je ?
— Cette nuit, reprit Confucius, j'ai rêvé que j'occupais un siège au centre vers le sud, entre les deux tombeaux des Hia et des Tcheou ; dans un temps si désastreux, où on ne compte plus un seul
bon souverain, qui pourrait bien me donner cette place d'honneur ? Évidemment il ne peut s'agir que de ma mort.
Le dernier soupir.
Confucius s'alita, et après 7 jours de maladie, il rendit le dernier soupir, le 18e jour de la 4e lune, vers l'heure de midi ; il avait 73 ans.
Le duc Ngai dans l'éloge qu'il fit de Confucius après sa mort, s'écriait :
— Pourquoi le ciel me ravit-il ce vieillard, l'appui de mon trône souverain ? Hélas ! que profonde est ma tristesse, ô vieillard Ni !
Tse-kong ajoutait cette double réflexion, qui ne manque point de justesse :
— Puisque vous avez refusé ses services pendant sa vie, pourquoi le pleurez-vous après sa mort ? Puis, n'est-ce pas l'empereur seul qui possède le trône souverain et qui est le premier homme de
l'empire ?
CHAPITRE I : Naissance et jeunesse : Hors d'œuvre. — Les ancêtres de
Confucius. Tableau généalogique — Pèlerinage de la mère de Confucius à Ni-k'ieou-chan — La licorne apparaît à K'iué-li — Prodiges à la naissance de Confucius — Naissance de Confucius — L'enfant
et l'écolier.
CHAPITRE II. De vingt à cinquante-cinq ans : Confucius contrôleur des greniers publics — Confucius gardien des pacages — Naissance de Pé-yu — Confucius et le sous-préfet de
Tan-tch'eng — Épisode de voyage sur la route de Tan-tch'eng — Confucius prend des leçons de luth — Entrevue de Confucius et de Lao-tse — Tch'ang-hong fait l'éloge de Confucius — Les seaux
symboliques — Les peintures murales — La statue d'or à la bouche scellée — Confucius reçoit la visite du duc de Ts'i — Les harmonies musicales font perdre à Confucius le goût des viandes —
Confucius éconduit du royaume de Ts'i — Rencontre de Confucius et de Yang Houo — Confucius maître d'école — Confucius donne une leçon de politesse à Pé-yu — Confucius sous-préfet de Tchong-tou —
Confucius nommé grand juge fait exécuter le fonctionnaire Mao — Confucius à l'entrevue de Kia-kou — Le diplomate — Confucius ministre du duché de Lou — Confucius donne sa démission.
CHAPITRE III. La vie errante : Visite du gardien de la frontière de Wei — À Koang, on prend Confucius pour le brigand Yang Houo — Confucius reçu avec égards par le duc de Wei —
Équipée avec la trop fameuse Nan-tse — Hoan-teou menace de tuer Confucius — Confucius en panne à la porte de la ville de Tch'en — Origine d'une flèche — Le serment de Pou. Séjour dans le duché de
Wei — Confucius sur les bords du Hoang-ho — Réflexions philosophiques de Confucius en contemplant l'eau — Confucius sauve la vie à trois fonctionnaires du duché de Tch'en — Le duc de Wei regarde
les oies sauvages — Confucius cerné par les habitants du pays de Yé — Théorie de Confucius sur le bon gouvernement — Confucius et les deux laboureurs — Confucius évincé pour l'apanage de Chou-ché
— Le vaudeville du Phénix — Si je traversais les mers... ? — Députation du royaume de Lou pour rapatrier Confucius — Élégie de l'orchis.
CHAPITRE IV. Retraite forcée et mort : Confucius doit se résigner à la vie privée — Trouvaille en creusant un puits — La rotule — Le fruit aquatique p'ing-che — Le chang-yang
précurseur des pluies — Le bon délégué — Scènes de table — Les réjouissances populaires — Confucius consulte les sorts — Confucius pendant les exorcismes — Confucius sent ses forces diminuer —
Confucius et Yuen Jang — L'enfouissement du chien de Confucius — Confucius et la Grande Ourse (Ouvrages de Confucius) — Scènes au village de Hou-hiang. — Capture et mort de la licorne. Confucius
prédit sa mort prochaine — Sépulture de Confucius — Les soldats de Ts'in Che-hoang ouvrent le tombeau de Confucius — Sacrifice de Han Kao-tsou sur le tombeau de Confucius — Découverte de livres
canoniques dans les murs du temple de Confucius — Tchong-li ouvre une cassollette de Confucius — L'arbre planté de la main de Confucius — Sacrifice de Song Tchen-tsong dans le temple de Confucius
— Vicissitudes du culte de Confucius (résumé historique).
Appendice : Les représentants officiels de la famille de Confucius.
*
La Vie de Confucius
*
Les 144 sages du Temple de Confucius
Ouvrage numérisé grâce à l’obligeance de la
Bibliothèque asiatique des Missions Étrangères de Paris. http://www.mepasie.org