H. Doré : ... Superstitions en Chine. Deuxième partie : Le panthéon. Tome VIII
Variétés sinologiques n° 42, Imprimerie de la Mission catholique, Zi-ka-wei, 1914, VIII+164 pages+40 illustrations.
Extraits : Les héros du Si-yéou-ki : Suen-heou-tse - Cha-houo-chang - Tchou-pa-kiai - T'eng-seng
Le bonze I-hing
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Table des matières (rappel). CHAPITRE III (suite) : Bouddhas. P’ou-sahs. Saints. (Bouddhisme) : XXX. King-kang — XXXI. Pou-k'ong — XXXII. I-hing — XXXIII. Si-yu-seng — XXXIV. P'ou-ngan — XXXV. Tche-hiuen — XXXVI. Ki-kong — XXXVII. Hoa-yen — XXXVIII. Kio-hien — XXXIX. Pao-kong — XL. Tche-tsao — XLI. T'ong-hiuen — XLII. T'an-ou-kié-chan — XLIII. Kien-yuen — XLIV. Ta-tche — XLV. Peng-tsing — XLVI. Fou-seng — XLVII. Yé-ché — XLVIII. Suen-heou-tse (Ou-kong) — XLIX. Cha-houo-chang — L. Tchou-pa-kiai — LI. T'ang-seng (Hiuen-tsang) — LII. Liste et courtes notices de 65 bonzes Saints — LIII. Le bonze Chan-che — LIV. Six bonzes, saints originaux. Section spéciale : Aperçu synthétique des écoles bouddhiques chinoises : Les Écoles de Nieou-t'eou, du pic sacré du Sud, du Nan-yo, de Ts'ing-yuen, de T'ien-t'ai, Hoa-yen-tsong. L'Amidisme.
Suen-heou-tse (Ou-kong)
Les images populaires sont remplies des faits et gestes de Suen-heou-tse ; dans certains
pays on va jusqu'à lui rendre un culte, et dans maintes pagodes, on trouve des représentations, des légendes, où il a été mêlé. C'est le héros du Si-yeou-ki, ou des Annales du voyage au paradis
de l'Ouest, qui ont dramatisé l'introduction des livres bouddhiques en Chine. Voici en deux mots la trame de ce roman, si connu des chinois. Sous l'Empereur T'ang-t'ai-tsong, la treizième année
de l'époque de son règne, désignée sous le nom de Tcheng-koan (639 ap. J. C.), le bonze T'ang-seng partit de Si-ngan-fou, capitale du royaume, pour entreprendre le voyage des Indes, et en
rapporter les livres sacrés du Bouddhisme. Koan-in-p'ou-sah lui adjoignit comme compagnons et protecteurs Cha-houo-chang, Tchou-pa-kiai et le fils du Dragon, roi des mers de l'Ouest, qui prit la
forme d'un cheval blanc et servit de monture à T'ang-seng. Nous dirons quelques mots de ces personnages que tout homme instruit des choses chinoises ne saurait ignorer. Mais le vrai héros de
l'expédition, l'homme de ressource dans tous les cas désespérés, c'est Suen-heou-tse. On le désigne sous différents noms, voici les plus connus : Suen-hing-tché, Suen-ou-k'ong, Mei-heou-wang,
Tsi-t'ien-ta-cheng, Pi-ma-wen, sobriquet, qui avait le don de l'exaspérer, parce qu'il lui rappelait la dignité dérisoire que lui avait conférée Yu-hoang.
Légende de Suen-heou-tse
Au delà des mers, dans le continent oriental, nommé Cheng-chen-tcheou au royaume de Ngao-lai-kouo, se trouve la montagne de Houa-kouo-chan.
Sur les flancs abrupts de cette montagne, se dresse une pointe rocheuse de trente-six pieds cinq pouces de hauteur, et de vingt-quatre pieds de pourtour. Tout au sommet, il se forma un œuf, qui,
fécondé par le souffle des vents, donna naissance à un singe de pierre. Le nouveau-né fit un salut vers les quatre points de l'horizon ; de ses yeux scintillaient des éclairs aux reflets d'or,
qui inondèrent de clarté le palais de la Polaire ; cette éblouissante lumière se tamisa un peu dès qu'il eut pris quelque nourriture.
— Aujourd'hui, s'écria Yu-ti, je viens de parfaire la merveilleuse diversité des êtres, engendrés par le Ciel et la Terre ; ce singe courra en gambadant sur les aspérités des montagnes, se
désaltérant aux eaux des torrents, et mangeant les fruits des arbres, ce sera le compagnon du gibbon et de la grue. Comme les cerfs et les daims, il passera ses nuits aux abords des montagnes, et
pendant le jour on le verra sautiller sur les pics et dans les cavernes : voilà le plus beau décor de la montagne!
Ses exploits le firent vite proclamer le roi des singes. Il se mit alors en quête d'un procédé pour parvenir à l'immortalité. Après dix-huit ans de voyages par terre et par mer, il fit la
rencontre de l'Immortel P'ou-t'i-tsou-che, sur la montagne de Ling-t'ai-fang-ts'uen. Pendant ses voyages, notre singe avait pris peu à peu des manières humaines, sa figure rappelait toujours son
origine, mais sous l'habit d'un homme, il commençait à se civiliser ; toujours est-il que son nouveau maître lui donna un nom de famille Suen et un prénom Ou-k'ong ; il lui apprit ensuite la
manière de voler dans les airs, et de se métamorphoser sous soixante-douze formes diverses ; d'un bond il franchissait 108.000 lys, environ quinze mille lieues françaises.
Suen-heou-tse, après son retour à Hoa-kouo-chan, tua le diable Hoen-che-mô-wang qui avait molesté ses singes pendant sa longue absence, puis il organisa ses sujets en armée régulière ; ils
étaient au nombre de quarante-sept mille ; ainsi fut assurée la paix du royaume simien. Pour lui, il ne trouvait pas d'armes à son goût, il fut en demander à Long-wang, le roi des mers de l'Est,
nommé Ngao-koang. Ce fut là qu'il trouva la formidable tige de fer, plantée jadis au fond des Océans par le Grand Yu-wang pour régler le niveau des eaux. Il l'arrache, la modifie à sa guise, les
deux extrémités sont cerclées d'or, une inscription est gravée sur la tige de fer : Jou-i-kin-kou-pang Bâton de mes désirs cerclé d'or. Cette arme magique s'accommodait à toutes ses fantaisies,
susceptible de prendre les proportions les plus invraisemblables ; elle se réduisait au volume de la plus fine aiguille, qu'il tenait cachée dans son oreille. Il terrorise les quatre rois des
mers, et se fait costumer à leurs frais. Les rois ses voisins font alliance avec lui ; un banquet splendide, et de trop copieuses libations scellèrent l'amitié des sept rois ; mais hélas !
Suen-heou-tse vida tant son verre, qu'à peine avait-il fait quelques pas pour reconduire ses hôtes, il s'endormit ivre mort. Les croque-morts de Yen-wang, dieu des enfers, à qui Long-wang l'avait
accusé comme perturbateur de son royaume liquide, saisirent son âme, la garrottèrent, et l'emmenèrent aux enfers. Suen-heou-tse se réveille en face de la porte du royaume des morts, brise ses
liens, tue ses deux conducteurs, et armé de sa canne magique, pénètre dans les États de Pluton Yen-wang, où il menace de tout détruire. Il somme les dix dieux infernaux de lui faire apporter les
registres des vivants et des morts, et arrache lui-même la feuille, où étaient écrits son nom et celui de ses singes, puis fait bien promettre aux dieux des enfers, que d'ores et déjà il n'est
plus soumis aux lois de la mort. Yen-wang dut céder devant la force, quoique de mauvais gré, comme on le verra, et Suen-ou-kong revint triomphant de son expédition d'outre-tombe.
Les aventures de Suen-heou-tse parvinrent bientôt à la connaissance de Yu-hoang, le Maître des cieux, et voici comment. Ngao-koang, Dragon des mers de l'Est, députa le Héros Kieou-hong-tsi pour
faire parvenir à Yu-hoang son accusation contre Suen-heou-tse ; de son côté, Yen-wang en avait appelé à Ti-ts'ang-wang Grand Intendant du royaume souterrain, et juste au même moment, Ko-sien-wong
le grand-maître de Taoïstes, porteur de l'accusation de Ti-ts'ang-wang pénétrait aussi dans le palais du Maître des Cieux. Yu-hoang prit connaissance de cette double accusation, puis députa
T'ai-Pé-kin-sing pour appeler au Ciel ce perturbateur de génie.
Finalement il fut convenu que pour l'occuper, il serait nommé Grand Maître des écuries du Ciel, et chargé de nourrir les chevaux de Yu-hoang, Pi-ma-wen. Plus tard, le malin roi des singes eut
connaissance de l'intention qui avait présidé à la création de cette dignité illusoire ; furieux de voir son mérite méconnu, plus irrité encore d'avoir été joué par le Maître des dieux, il
renverse le siège de son tribunal, saisit son bâton, brise la porte Sud du Ciel, et descend sur un nuage dans son ancien royaume de Hoa-kouo-chan. Tel est le fait désigné dans l'imagerie
populaire sous le titre de Suen-heou-tse-nao-t'ien-kong Suen-heou-tse fait du vacarme dans les Cieux, ou des titres similaires.
Yu-hoang dut organiser une véritable campagne, pour faire le siège de Hoa-kouo-chan ; les rois des Cieux, les généraux des armées célestes furent maintes fois repoussés ; Suen-heou-tse s'arrogea
le titre pompeux de Grand Saint Gouverneur du Ciel Ts'i-t'ien-ta-cheng, il fit écrire cette dignité sur ses étendards, et menaça Yu-hoang de porter lui-même le pillage et la ruine jusque dans son
propre empire, au cas où il refuserait de reconnaître son nouveau privilège. Yu-hoang, déjà inquiet sur le résultat des opérations militaires, prit peur et suivit le conseil de T'ai-pé-kin-sing,
il entra en accommodement ; Suen-heou-tse fut créé Grand Intendant du Jardin des Pêchers célestes, dont, les fruits confèrent l'immortalité. La dignité fut acceptée, on bâtit un palais tout neuf,
et Suen-heou-tse entra en charge.
Après avoir pris de minutieuses informations sur les vertus secrètes des pêches, dont on lui avait confié la garde, il les mangea ; dès lors, son but final était atteint, il ne pouvait plus
mourir. Le temps était opportun pour se livrer à toutes ses fantaisies, et l'occasion ne tarda guère. Blessé au vif de n'avoir pas été invité au festin des Immortels, nommé P'an-t'ao-hoei, et
donné chaque année par Wang-mou-niang-niang la déesse des Immortels, il résolut de s'en venger. Quand déjà tous les préparatifs étaient faits, et les mets cuits à point, il jette un sort sur les
servants, les endort, engloutit tous les mets les plus succulents, et absorbe les vins fins préparés pour les hôtes divins. Qu'on juge de la figure de la divine Maîtresse, et des convives
célestes ! Néanmoins, la dose de spiritueux dépassait la mesure ; Suen-heou-tse la tête alourdie et les yeux troubles, se trompa de route pour retourner dans son palais céleste ; il arriva
inopinément à la porte de Lao-kiun, ce dernier était absent de son palais. Entrer, et manger les pilules d'immortalité, renfermées dans cinq gourdes, fut l'affaire d'un instant ; le tour joué,
notre Suen-ou-kong doublement immortel, monte sur la nue et descend de nouveau vers son ancien royaume de Hoa-kouo-chan.
Tant de méfaits soulevèrent l'indignation de tous les dieux et de toutes les déesses ; les accusations pleuvent dans le palais de Yu-hoang : vol des pêches d'immortalité, profanation sacrilège du
festin des Immortels, disparition des pilules alchimiques de Lao-tse ; c'en était trop.
Yu-hoang met en branle les quatre rois des Cieux, Li-t'ien-wang, Na-t'ouo-san-t'ai-tse et
ses premiers généraux ; ordre leur est donné d'aller faire le siège de Hoa-kouo-chan et de lui amener Suen-heou-tse. Les armées entourent la place, un filet est tendu dans les Cieux, des combats
fantastiques se succèdent, les forces entières du Maître des Cieux multiplient leurs assauts, la résistance continuait toujours, énergique, opiniâtre.
Lao-kiun et Eul-lang-chen, neveu de Yu-hoang, entrent en scène ; au moment où le pauvre Suen-heou-tse voit ses partisans décimés à ses côtés, lui résistait vaillamment, mais que faire seul contre
tout le Ciel ! Il change de forme, et malgré le filet céleste, il trouve moyen de s'évader. Vainement on multiplia les recherches, quand Li-t'ien-wang, à l'aide de son Miroir chercheur des
diables, Tchao-yao-king, signala enfin ses métamorphoses à Eul-lang-chen qui se lança à sa poursuite. A un moment donné, Lao-kiun lance son cercle magique, Kin-kang-t'ao, sur la tête du fugitif,
qui trébuche et tombe ; prompt comme l'éclair, le Chien céleste T'ien-keou au service de Eul-lang se précipite, mord le mollet de Suen-heou-tse, et le fait trébucher derechef : c'était la fin du
combat, Suen-heou-tse entouré de toutes parts, est saisi et garrotté, la bataille est gagnée.
Les armées célestes lèvent le siège, et retournent dans leurs quartiers. Survint une difficulté nouvelle et inattendue ; Yu-hoang avait condamné le coupable à mort ; quand on se mit en devoir
d'exécuter la sentence, il fallut bien avouer qu'il était invulnérable ; les sabres, le fer, le feu, la foudre même, ne purent entamer sa peau. Yu-hoang effrayé en demanda la cause à Lao-kiun.
Celui-ci répondit qu'il n'y avait là rien d'étonnant, vu que ce fourbe avait mangé les pêches de vie du jardin des cieux, et les pilules d'immortalité qu'il avait composées d'après les règles de
l'alchimie.
— Livrez-le moi, ajouta-t-il, je le distillerai dans mon fourneau des 8 trigrammes, afin d'extraire de son composé les éléments qui lui confèrent l'immortalité.
Yu-hoang commanda qu'on lui remit le prisonnier, et il fut enfermé séance tenante dans le fourneau alchimique de Lao-tse, où pendant 49 jours, on le chauffa à blanc. Survint un moment
d'inattention, Suen-heou-tse souleva le couvercle, sortit furieux, saisit son bâton magique et menaça de détruire le Ciel et d'exterminer ses habitants. Yu-hoang à bout d'expédients, craignant
même pour sa vie, fait mander Fou Bouddha en toute hâte. Bouddha s'interpose entre les combattants et adresse la parole à Suen-heou-tse :
— Pourquoi veux-tu t'emparer de la royauté des Cieux ?
— N'ai-je pas assez de puissance pour être le Dieu du Ciel ?
— Quelles qualités as-tu à faire valoir, énumère-les moi.
— Mes qualités sont sans nombre, je suis invulnérable, je suis immortel, je puis me changer en soixante-douze formes diverses, je monte sur les nuées du Ciel, et je traverse les airs à mon gré ;
d'un bond, je franchis 108.000 lys etc.
— Eh bien ! fais un pari avec moi, reprit Bouddha, je gage que d'un bond tu ne saurais sauter hors de ma main ; si tu y réussis, alors je te donnerai la souveraineté du Ciel.
Suen-heou-tse monte sur la nue, vole comme la foudre dans l'immensité, et arrive aux confins du Ciel, en face de cinq hautes colonnes rouges, bornes de l'univers créé ; sur l'une d'elles, il
écrit son nom, comme un témoignage irrécusable qu'il a pu arriver jusqu'à cette limite extrême ; ceci fait, au pied d'une des colonnes, il soulage la nature ! puis revient triomphant demander à
Jou-lai-fou, l'héritage convoité.
— Mais, tu n'es pas sorti de ma main, misérable !
— Comment ! je suis monté jusqu'aux colonnes du Ciel, j'ai même eu soin d'écrire mon nom sur l'une d'elles, pour avoir un document au besoin.
— Vois les caractères que tu as écrits.
Il les lit avec stupéfaction sur le doigt de Jou-lai et preuve indéniable, les excréments déposés au pied de la colonne se trouvaient parfaitement entre les doigts de Jou-lai-fou. Bouddha le
saisit, le transporte hors du Ciel, change ses cinq doigts en cinq éléments, or, bois, eau, feu et terre, qui forment instantanément cinq hautes montagnes juxtaposées, et enferme Suen-heou-tse
dans le rocher. Ces montagnes s'appelèrent Ou-hing-chan. Tout le Ciel applaudit et remercie Jou-lai ; Yu-hoang le convie à un grand festin, où tous les dieux prennent place.
Suen-heou-tse dompté par Bouddha, ne sortit de sa prison de pierre, que grâce à l'intercession de Koan-in-p'ou-sah, et sur la promesse formelle qu'il servirait de guide et de Mentor à T'ang-seng
le bonze saint, qui devait entreprendre le difficile voyage de 108.000 lys, vers le Ciel de l'Ouest, Si T'ien, pour aller chercher les livres sacrés du Bouddhisme, et les apporter en Chine. Après
sa sortie des prisons rocheuses de Ou-hing-chan, il se mit au service du bonze T'ang-seng, pendant les 14 années que dura ce long voyage, tantôt fidèle, souvent rétif, et indiscipliné, mais
toujours l'homme de dernière ressource pour triompher des quatre-vingt-une tribulations fantastiques, accumulées par l'imagination extraordinaire de l'auteur du Si-yeou-ki.
Ces faits et gestes de haute fantaisie ont été popularisés sous toutes les formes par l'imagerie ; c'est par centaines de millions qu'ont été tirées ces représentations ; pas de famille qui n'en
possède une ou deux de collées sur les murs de sa chaumière.
A côté de Suen-heou-tse on voit figurer Cha-houo-chang et Tchou-pa-kiai, les deux autres compagnons qu'il adjoignit au bonze T'ang-seng le long de leur voyage au Si-t'ien Paradis de
l'Ouest.
Cha-houo-chang, aussi connu sous le nom de Cha-ou-tsing, fut primitivement grand Intendant
des fabriques de stores du palais de Yu-hoang, le dieu du Ciel. Pendant un grand festin donné pour la fête des Pêches, P'an-t'ao-hoei, à tous les dieux et immortels de l'Olympe, il laissa tomber
de ses mains une coupe de verre, qui fut brisée. Yu-ti le fit frapper de huit cents coups, le chassa du Ciel, et l'exila sur terre. Il vivait sur les bords du fleuve Lieou-cha-ho où, tous les
sept jours, une épée mystérieuse venait lui percer la poitrine. Pour subvenir à sa subsistance, il se mit à dévorer les passants.
Lorsque la déesse Koan-in, sur l'ordre de Bouddha, traversa cette région pour venir en Chine chercher le bonze prédestiné, qui se dévouerait à entreprendre le voyage vers les Indes, et à en
rapporter les livres sacrés du Bouddhisme, Cha-houo-chang alla se jeter à ses genoux, et la supplia de mettre un terme à ses maux.
La déesse lui promit qu'il serait délivré par le bonze son envoyé, moyennant qu'il promît de se faire bonze lui-même, et d'entrer au service du pèlerin. De fait, T'ang-seng, à son passage par le
fleuve Cha-ho, le prit à sa suite, comme homme de peine, chargé de porter ses bagages. Yu-ti lui pardonna, en considération du service qu'il rendait à la cause bouddhique.
On le représente souvent ceint d'une écharpe, ou chapelet, composée de neuf crânes enfilés en chapelet, ce sont les têtes des neuf délégués chinois, envoyés dans les siècles passés, pour chercher
les Canoniques bouddhiques, et que Cha-houo-chang avait dévorés sur les bords du Lieou-cha-ho, quand ils avaient essayé de le traverser. Koan-in-p'ou-sah, sur sa promesse de mieux vivre,
l'ordonna bonze elle-même, et lui remit les statuts de ses engagements.
Tchou-pa-kiai le bonze porc, est un personnage grotesque, grossier même, avec tous les
instincts de l'animalité, c'est une création de l'auteur du Si-yeou-ki ; il lui donne matière à plus d'une saillie égrillarde, dont il aime à épicer la description du caractère bas et terre à
terre des bonzes.
Ce personnage, élevé d'abord à la haute dignité de préposé général de la navigation de la Voie Lactée, abusa de la fille de Yu-hoang, un jour qu'il était ivre. Yu-hoang le fit frapper de deux
mille coups avec un maillet de fer, et l'exila sur terre pour y être réincarné.
Sur la route de la métempsycose, il se trompa d'espèce, et entra dans le ventre d'une truie, il naquit mi-homme mi-porc, tête et oreilles de porc, ajustées sur un corps humain ; il commença par
tuer sa mère et la manger, puis il dévora les petits pourceaux ses frères utérins ; après ces exploits, il alla habiter la sauvage montagne de Fou-ling-chan, où, armé d'un râteau de fer, il se
mit à dévaliser les voyageurs et même à les manger.
Mao-eul-tsie, qui habitait la grotte de Yun-tchan-t'ong, se l'attacha comme gérant de ses biens, qui lui furent ensuite légués en héritage.
Cédant aux exhortations de la déesse Koan-in, qui lors de son voyage en Chine, pour négocier l'introduction du Bouddhisme et de ses écrits sacrés dans ce royaume, lui persuada de mener une vie
moins dissolue, il fut admis comme bonze par la déesse elle-même, qui lui donna pour nom de famille Tchou le cochon, et pour prénom : Ou-neng. Ce monstre fut terrassé par Suen-heou-tse quand il
passa la montagne, accompagné de T'ang-seng et se déclara disciple du bonze pèlerin ; il l'accompagna pendant tout son voyage, et fut lui aussi reçu dans le Paradis de l'Ouest, en récompense de
sa coopération à la propagande bouddhique.
Le bonze T'ang-seng, le personnage officiel du Si-yeou-ki, a une origine à la hauteur de
l'entreprise, que l'imagination en délire de l'auteur lui prête dans son ouvrage.
Un lettré de Hai-tcheou, nommé Tch'en-koang-joei, se rendit à la capitale de Si-ngan-fou au Chen-si, pour subir les épreuves d'admission à l'Académie ; c'était sous le règne de T'ang-t'ai-tsong.
Il fut reçu Tchoang-yuen (Premier). La fille du ministre In-k'ai-chan, nommée Wen-kiao ou encore Man-t'ang-kiao, voyant passer ce jeune académicien en visite chez toutes les sommités de la
capitale, s'éprit d'amour pour lui, et l'épousa. Quelques jours après les noces, l'empereur T'ang-t'ai-tsong nommait Tch'en-koang-joei gouverneur de Kiang-tcheou, (Tchen-kiang-fou actuel) au
Kiang-sou. Après une courte apparition dans son pays natal, il se mit en route pour prendre possession de sa charge. Sa vieille mère, née Tchang, et son épouse, l'accompagnèrent. Arrivés à
Hong-tcheou sa mère tomba malade ; on dut l'installer dans l'hôtellerie des "Dix mille fleurs" Wan-hoa-tien tenue par Lieou-siao-eul. Deux jours, trois jours se passent, la maladie continuait, le
temps fixé pour la remise des sceaux approchait, son fils dut la quitter.
Avant son départ, il aperçut un pêcheur tenant en main une superbe carpe, il l'acheta pour une ligature, pour la donner à sa mère. Soudain, il remarque que ce poisson au reflet doré, a une
physionomie très extraordinaire, il se ravise, et le lâche dans les eaux du Hong-kiang tout en avertissant sa mère de ce qu'il vient de faire. Cette dernière le félicita d'avoir sauvé la vie à un
poisson, et l'assura que cette bonne œuvre aurait sa récompense.
Tch'en-koang-joei remonte sur sa barque avec son épouse et un serviteur ; le chef batelier Lieou-hong et un aide Li-piao accostèrent leur barque, et on procéda à l'embarquement. Lieou-hong, épris
de la grande beauté de l'épouse de Tch'en-koang-joei, médita un crime et l'accomplit avec l'aide de son second. Quand la nuit fut bien noire, il conduisit sa barque dans un lieu retiré, tua le
serviteur et son maître, jeta leurs corps dans le fleuve, s'empara des titres et de la femme qu'il convoitait, se fit passer pour le vrai Tchoang-yuen et prit possession du mandarinat de
Kiang-tcheou. La veuve, qui était enceinte, n'avait que deux partis à prendre, ou la mort, ou le silence ; elle prit le parti de se taire, au moins dans les circonstances présentes. Avant qu'elle
eût mis au monde son enfant, elle vit paraître devant elle T'ai-pé-kin-sing l'Esprit de l'Étoile du pôle Sud ; il était envoyé par Koan-in-p'ou-sah, lui dit-il, pour lui faire présent d'un enfant
dont la renommée remplirait le royaume.
— Fais surtout bien attention, ajouta-t-il, que ton ravisseur Lieou-hong ne le tue pas, car il ne manquera pas de le mettre à mort s'il le peut.
Quand l'enfant eut vu le jour, sa mère, profitant de l'absence fortuite de Lieou-hong, se détermina à l'abandonner plutôt que de le voir massacrer ; elle le porta donc sur le bord du fleuve Bleu,
après l'avoir bien emmailloté dans une chemise. Elle se mordit le doigt et écrivit avec son sang un petit billet qu'elle plaça sur la poitrine de l'enfant, afin d'indiquer son origine. De plus,
elle-même lui mordit un doigt du pied gauche pour servir de marque indélébile de son identité. A peine ces préliminaires furent-ils terminés, qu'un coup de vent poussa une large planche sur la
rive du fleuve ; la pauvre mère lia solidement son enfant sur cette planche et l'abandonna au gré des flots. L'épave alla atterrir au bas de l'ilot de Kin-chan, sur lequel est bâtie la fameuse
bonzerie de Kin-chan-se à Tchen-kiang. Les cris de l'enfant attirèrent l'attention d'un vieux bonze nommé Tchang-lao qui le sauva, et lui donna le nom de Kiang-lieou épave du fleuve ; il le
nourrit avec beaucoup de soin, et garda précieusement le billet que sa mère avait écrit de son sang. L'enfant grandit, Tchang-lao en fit un bonze à qui il donna le nom de Hiuen-tchoang, au jour
de sa profession. Il avait atteint ses dix-huit ans, quand un jour, s'étant pris de querelle avec un autre bonze, celui-ci le maudit, et lui jeta au visage le reproche sanglant qu'il n'avait ni
père ni mère. Hiuen-tchoang, le cœur bien gros, s'en alla trouver son protecteur Tchang-lao :
— L'heure est venue, lui dit ce dernier, de te faire connaître ton origine.
Il lui raconta tout, lui montra la lettre, et lui fit promettre de venger son père assassiné. Pour arriver à ses fins, il se fit bonze quêteur, s'en alla au tribunal, et finit par se mettre en
relation avec sa mère qui y vivait encore avec le préfet Lieou-hong. La lettre déposée sur sa poitrine, et la chemise qui l'avait enveloppé, prouvèrent facilement la vérité de son assertion. La
mère, heureuse d'avoir trouvé son fils, lui promit d'aller le voir à Kin-chan. Dans ce but, elle feignit une maladie, et déclara à Lieou-hong, que jadis dans sa jeunesse, elle avait fait un vœu
dont elle ne s'était pas encore acquittée. Lieou-hong l'aida lui-même à le remplir, en envoyant une forte aumône aux bonzes, et lui permit d'aller elle-même avec ses suivantes faire ses dévotions
à Kin-chan-se. Dans cette seconde visite, où elle put causer plus à l'aise avec son fils, elle voulut constater elle-même de visu, la blessure qu'elle lui avait faite au pied, en lui mordant un
orteil ; cette constatation finit d'enlever le dernier doute. Séance tenante le plan fut combiné.
Elle dit à Hiuen-tchoang qu'il devait tout d'abord aller trouver à Hong-tcheou, la grand'mère laissée jadis dans l'auberge des Dix mille fleurs, puis de là se rendre à Tchang-ngan (Si-ngan-fou)
pour remettre à son père In-k'ai-chan, une lettre écrite de sa main, afin de le mettre au courant des hauts faits de son ravisseur Lieou-hong et de le prier de la venger.
Elle lui donna un bâton d'encens, avec charge de le remettre à sa belle-mère. La vieille était devenue aveugle à force de pleurer, et vivait en mendiante dans une misérable masure à la porte de
la ville. Le bonze la mit au courant de la fin tragique de son fils, puis il lui toucha les yeux avec le bâton d'encens, et ses yeux se rouvrirent à la lumière.
— Et moi, s'écria-t-elle, qui ai tant de fois accusé d'ingratitude mon fils que je croyais vivant !
Il la reconduisit dans l'hôtellerie des Dix mille fleurs, régla les comptes de location, puis partit en toute hâte pour la capitale. Arrivé au palais de In-k'ai-chan, il demande et obtient une
audience, exhibe sa lettre et le met au courant des évènements passés.
Le jour suivant un rapport était présenté à l'Empereur T'ang-t'ai-tsong, qui donna des ordres pour saisir et exécuter le meurtrier de Tch'en-koang-joei ; ce fut son beau-père qui fut chargé de
diriger l'expédition.
In-k'ai-chan se rend en toute hâte à Tchen-kiang, où il arrive de nuit, il cerne le tribunal, et s'empare du coupable, qu'il fait conduire à Hong-kiang-k'eou, au lieu même où il avait tué son
gendre ; on lui arrache le cœur et le foie qui sont sacrifiés à sa victime.
Là survint un évènement inattendu, car Tch'en-koang-joei qu'on croyait tué et noyé, avait été sauvé par Long-wang. On se rappelle la carpe qu'il avait relâchée ; eh bien ! cette carpe n'était
autre que la figure d'emprunt du dieu du Fleuve, qui parcourait son empire sous cette apparence, et était tombé dans le filet d'un pêcheur. Long-wang apprenant que son bienfaiteur avait été jeté
dans le fleuve, le sauva, et le nomma officier à sa cour. Aujourd'hui que son fils, son épouse et son beau-père sont sur la rive du fleuve, et sacrifient le cœur de l'assassin à ses mânes, au
lieu même où il avait reçu le coup mortel, Long-wang commande qu'on lui rende la vie. Son corps apparut soudain à la surface des eaux, flotta en se rapprochant de la rive du fleuve, se vivifia,
et sortit plein de vie et de santé : qu'on juge de la joie de cette famille réunie dans des circonstances si inespérées ! Tch'en-koang-joei et son beau-père retournèrent à Tchen-kiang où il prit
possession de sa charge officielle, dix-huit ans après sa nomination.
T'ang-seng devint le bonze favori de l'empereur, il fut comblé de dignités et d'égards à la capitale Tchang-ngan ; finalement ce fut lui qui fut choisi pour le fameux voyage au Paradis
d'Occident, où Bouddha en personne lui remit les livres sacrés du Bouddhisme, qu'il destinait à la Chine.
En récompense il devint Bouddha ou Illuminé. Suen-heou-tse, Cha-houo-chang et Tchou-pa-kiai furent enlevés dans les airs, et admis aux joies de l'Élysée Occidental de Bouddha.
Appendice. Pé-ma, le cheval blanc de T'ang-seng
Au départ de la capitale, l'empereur T'ang-t'ai-tsong avait fait présent à T'ang-seng d'un beau cheval blanc qui devait lui servir de monture pendant son long pèlerinage. Un beau jour, arrivé à
Ché-p'an-chan près d'un torrent, un dragon sort du lit profond du fleuve et dévore le cheval y compris la selle ; que faire ? Suen-heou-tse essaya vainement de trouver le dragon, il dut
finalement avoir recours à Koan-in-p'ou-sah qui expliqua tout le mystère.
Yu-long-san-t'ai-tse, fils de Ngao-joen, le Roi Dragon des mers de l'Ouest, coupable d'avoir brûlé une perle précieuse sur le dôme du palais de son père, fut dénoncé à Yu-hoang, qui le fit
frapper de trois cents coups, et le suspendit dans les airs. Là il attendait la mort, quand vint passer Koan-in-p'ou-sah en route pour son voyage en Chine ; le malheureux dragon la supplia
d'avoir pitié de lui. Koan-in alla trouver Yu-ti et le pria de lui faire grâce de la vie, moyennant qu'il consentît à servir de monture au bonze pèlerin, qu'elle allait chercher en Chine pour
l'expédition du Paradis d'Occident. Un cheval ordinaire ne saurait affronter une telle dose de fatigue, ce sera pour le coupable une bonne et salutaire pénitence. La faveur fut accordée, un grand
de la Cour de Yu-ti alla délier le Dragon et le confia aux mains de Koan-in. La déesse lui désigna le torrent profond, où il devait habiter, en attendant le passage du bonze San-ts'ang. C'est ce
dragon qui dévora son cheval au passage, et qui sur l'ordre de Koan-in se changea en cheval de même pelage pour le porter au lieu de son pèlerinage. Il eut l'honneur de porter sur son dos les
livres sacrés que Bouddha remit au délégué de T'ang-tai-tsong, et la première pagode bouddhique bâtie à la capitale porta le nom de Pé-ma-miao, Pagode du cheval blanc.
On en trouve encore beaucoup en Chine, qui portent ce nom ; il est au moins intéressant de connaître l'origine première de cet appellatif. Le récit romantique fait évidemment allusion au fait
historique que les bonzes venus des Indes, firent leur entrée solennelle à la capitale Lô-yang montés sur des chevaux blancs, et que la première pagode en l'honneur du Bouddhisme fut élevée à la
capitale de l'Est, sous le nom de Pé-ma-miao, Pagode du Cheval Blanc.
[Sur le Si-yéou-ki, on pourra se reporter avec profit à l'article d'Atsuhiko Yoshida, Analyse structurale d'un roman chinois, le Si-yeou-ki, Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1962, vol. 17, n° 4, pages 647-662, disponible sur Persée.]
I-hing est son nom de bonze ; dans l'état séculier il se nommait Tchang-soei ; c'était un
des petits-fils du duc de T'an-kouo, Tchang-kong-kin, et il naquit à Kiu-lou, ou à Nei-hoang, suivant un autre auteur. Doué d’une mémoire merveilleuse, il n'oubliait plus ce qu'il avait vu ou lu
une seule fois. Devenu bonze, il eut pour maître le fameux P'ou-tsi qui enseignait alors à Song-chan (pic central). P'ou-tsi convoqua un jour tous les bonzes des alentours ; quand ils furent
réunis dans sa pagode, on fit fête, tous se mirent à chanter les prières, à sonner les cloches etc. Il avait préalablement invité un lettré de marque, nommé Lou-hong, à composer une pièce
littéraire, sorte d'ode-prière, qui devait être lue à cette occasion. Il vint donc déposer sur une table le manuscrit qu'il venait d'écrire, et dit à P'ou-tsi :
— Cette composition contient plusieurs milliers de caractères ; vous devrez me désigner un bonze fort intelligent, que je puisse diriger pour la lui faire déclamer d'une façon convenable.
I-hing vint prendre le manuscrit, le parcourut rapidement et le remit en place en esquissant un petit sourire moqueur qui blessa le lettré. Les bonzes se réunirent pour prendre leur repas ; un
peu avant la fin, I-hing sortit du réfectoire et commença à déclamer à haute voix toute la composition de Lou-hong sans en manquer un seul caractère. Lou-hong resta comme interdit :
— Vous ne pourrez pas enseigner un pareil homme, ajouta-t-il, en s'adressant à P'ou-tsi, il faut lui permettre de voyager pour parfaire ses études.
I-hing se livra à l'étude des calculs astrologiques relatifs au calendrier, et alla chercher un maître qui pût lui enseigner cette science. Il arriva à la pagode de Kouo-ts'ing-se à
T'ien-t'ai-chan ; un ruisseau coulait devant la porte, il entra dans le vestibule et entendit des bonzes qui étaient réunis dans une pièce donnant sur la cour intérieure, et apprenaient
précisément la science qu'il venait étudier. Leur maître s'interrompit brusquement et dit à ses élèves :
— Aujourd'hui doit arriver un bonze qui désire étudier avec moi la science que je vous enseigne. Il doit même être à la porte en ce moment, pourquoi ne vient-on pas m'avertir ? Le ruisseau qui
passe devant la pagode vient de changer son cours, et coule maintenant vers l'Ouest, certainement le bonze doit être arrivé.
A ce moment précis I-hing entrait dans la cour intérieure, et après s'être prosterné devant le maître, il le pria de l'accepter comme disciple. Dès que le bonze lui eut appris tous ses procédés,
le ruisseau reprit son cours habituel vers l'Est.
I-hing devint une célébrité, si bien que sa réputation de savant arriva jusqu'au palais de Tsing-hiuen-tsong qui le fit venir à sa cour.
— Quelle est votre spécialité ? lui demanda le monarque.
— J'ai une mémoire heureuse, dit le bonze, je retiens tout ce que je lis.
L'empereur fit apporter le registre où étaient couchés tous les noms des dignitaires, et le lui donna à lire. Après une première lecture il le récita en entier sans erreur. Hiuen-tsong descendit
de son trône et le complimenta en disant :
— Vous êtes un saint.
La 10e année de l'époque K'ai-yuen, 721 ap. J. C., le grand astrologue informa l'empereur que le calendrier était fautif sur plus d'un point, et qu'il était urgent de le modifier. I-hing fut
chargé d'y faire les corrections jugées nécessaires, et le nouvel exemplaire porta le titre de K'ai-yuen-ta-yen-li.
I-hing alla voir le tao-che In-tchong et lui emprunta un recueil de prières intitulé Yang-hiong-t'ai-hiuen-king ; quelques jours après il le lui rapportait. Le tao-che, surpris, lui demanda s'il
avait compris ces prières ?
— Pour moi, ajouta-t-il, je les ai méditées longuement, et je ne les comprends pas encore complètement.
— Pour moi, je les comprends, répliqua le bonze, voilà deux ouvrages que j'ai composés pour les expliquer,
et il lui présenta le Ta-yen-hiuen-t'ou et le volume I-kiué. Le tao-che le compara à Yen-tse, disciple de Confucius.
I-hing quoique descendant d'une grande famille était très pauvre, et une de ses voisines appelée Wang-mou lui avait fait l'aumône de plusieurs dizaines de ligatures de sapèques pour lui permettre
d'étudier alors qu'il était encore jeune enfant. Quand I-hing eut été admis au palais impérial, il arriva que le fils de cette vieille voisine fut jeté en prison pour homicide et allait être
condamné à la peine capitale.
La vieille courut se jeter aux genoux du bonze et le supplia de sauver son fils.
— Je veux bien vous rendre au décuple l'argent que vous avez dépensé jadis pour moi, mais d'obtenir le pardon de votre fils auprès de l'empereur, ce n'est pas chose facile.
Wang-mou aveuglée par son amour maternel invectiva le bonze.
— Ne vous fâchez pas, lui dit I-hing, je sauverai votre fils.
Dans une pagode nommée Hoen-t'ien-se, monastère Trouble-ciel, habitaient plusieurs centaines d'ouvriers ; I-hing alla les trouver et leur demanda de bien vouloir lui laisser une chambre libre ;
au milieu de cette chambre il fit placer une grande jarre en terre, puis il appela un bonze occupé aux travaux du monastère et lui tint ce langage :
— Dans tel lieu, dans tel quartier, tu trouveras un vieux jardin en friche, tu t'y rendras tel jour vers midi, et tu attendras l'arrivée de sept êtres qui y viendront certainement. Voici une
poche, tu les mettras dedans tous les sept. Fais bien attention qu'il n'en manque pas un seul, sans quoi tu auras affaire à moi !
Le bonze serviteur attendit jusqu'au soir vers six heures ; alors il vit arriver une troupe de petits cochons ; il y en avait sept bien comptés, il les empocha et courut porter sa trouvaille à
I-hing. Celui-ci le félicita de lui avoir obéi ponctuellement, puis lui ordonna d'aller mettre les petits cochons dans la grande jarre de la pagode. Le bonze adapta un couvercle en bois sur la
jarre, fit mettre une forte couche de terre glaise sur le couvercle et sur les bords supérieurs de la jarre, il scella minutieusement ce couvercle, et y écrivit une dizaine de caractères indiens
avec du vermillon. Tout cela se passait en secret, personne n'y comprenait rien. Le matin suivant un officier du tribunal astronomique venait informer l'empereur T'ang-hiuen-tsong que les sept
étoiles de la constellation du Nord avaient disparu. L'évènement était grave, l'empereur fit venir I-hing, et lui demanda s'il n'aurait pas de moyen de les faire revenir.
— Pour conjurer les malheurs que présage un pareil prodige, il faudrait, reprit le bonze, donner un jubilé dans tout l'empire.
Hiuen-tsong accorda ce grand pardon et le fils de Wang-mou, sa bienfaitrice, fut mis en liberté. Personne ne soupçonna le stratagème imaginé par le bonze.
Pendant les sept jours qui suivirent, chaque jour il lâcha un des petits cochons enfermés dans la jarre, et tous les soirs une des sept étoiles de l'astérisme du Nord reparaissait au ciel ; au
bout des sept jours les sept étoiles avaient toutes reparu.
L'empereur en causant avec I-hing lui demanda combien d'années il serait empereur, et s'il pouvait sans inconvénient entreprendre un voyage dans l'empire.
— Jusqu'à dix mille lis, lui répondit le bonze, inutile de revenir, il ne vous arrivera aucun évènement fâcheux.
— Pourquoi cela ? reprit l'empereur.
I-hing garda le silence, mais il remit à l'empereur une petite boîte en or, et lui dit :
— Quand vous serez arrivé à dix mille lis, la réponse se trouvera dedans.
L'empereur ouvrit la boîte par curiosité, il y trouva une petite tige de l'herbe médicinale nommée Tang-koei.
Dans la suite Ngan-lou-chan se révolta. T'ang-hiuen-tsong dut se sauver à Tch'eng-tou au Se-tch'oan, et quand le souverain fut arrivé au pont Wan-li-kiao, le pont des dix mille lis, il comprit le
sens de l'énigme du bonze, et retourna sur ses pas pour rentrer dans ses États. C'était là le sens indiqué par l'herbe Tang-koei que lui avait donnée I-hing. Tang-koei au sens ordinaire de ces
deux sons veut dire : "Il faut retourner". Le sens de cet énigme était donc : "Arrivé au pont des dix mille lis il faudra retourner." Sa règle de conduite était tracée s'il eut obéi au
bonze.
Vers les dernières années de la période K'ai-yuen, un mandarin du Ho-nan nommée Fei-koan, bouddhiste convaincu, vint se mettre sous la direction de P'ou-tsi ; pendant qu'ils s'entretenaient
ensemble, P'ou-tsi dit à son hôte qu'une affaire pressée le demandait ailleurs. Il alla droit à la salle de la pagode, y alluma de l'encens et se mit en méditation. A peine y était-il depuis
quelques instants qu'on frappa à la porte, et une voix dit:
— Le grand maître I-hing arrive.
De fait, il entra de suite, salua son maître et lui dit quelques mots en secret. P'ou-tsi fit simplement un signe de tête en signe d'assentiment. De nouveau I-hing se prosterna et lui fit trois
révérences, alors son maître lui accorda sa demande ; ceci fait, il se rendit dans la salle du Sud, et ferma la porte. P'ou-tsi appela ses disciples et leur commanda de sonner la cloche, parce
que I-hing partait pour le paradis de l'Ouest. Les bonzes coururent voir et le trouvèrent mort. Fei-koan revêtit des habits de deuil.
Le jour de sa sépulture, tous les bonzes le conduisirent hors de la ville ; il avait 45 ans quand il mourut. L'empereur le pleura et en guise de deuil suspendit ses audiences pendant trois jours.
Son cercueil resta exposé pendant 21 jours ; le mort avait toutes les apparences d'un homme vivant. Son épitaphe fut gravée par ordre de l'empereur, qui accorda cinq cent mille pièces de monnaie
pour la construction d'une tour et l'érection d'une statue en cuivre. I-hing fut honoré du titre posthume de Ta-hoei-chan-che Bonze très intelligent.