H. Doré : ... Superstitions en Chine. Deuxième partie : Le panthéon. Tome VII
Variétés sinologiques n° 41, Imprimerie de la Mission catholique, Zi-ka-wei, 1914, VI+102 pages+53 illustrations.
Extraits : Yu-ti et Fan-wang - La mythologie des rois-dragons - La légende des quatre King-kang - Le bonze Kiumarajiva
Feuilleter
Télécharger
Table des matières (rappel). CHAPITRE III (suite) : Bouddhas. P’ou-sahs. Saints. (Bouddhisme) : XI. Tchoen-t'i — XIII. Wei-t'ouo-p'ou-sah — XIV. Yu-ti et Fan-wang — XV. Hiang-chan et Hoa-chen — XVI. Les dix-huit Louo-han (Arhans indiens) — XVII. Les douze Yuen-kia — XVIII. Les quatre grands rois du ciel — XIX. Long-wang, Les rois-dragons — XX. Tong-t'ou-lou-tsou. Les six patriarches — XXI. Ta-cheng — XXII. Tche-kong — XXIII. Fou-ta-che — XXIV. Lan-ts’an — XXV. Hoei-yuen — XXVI. Kiumarajiva — XXVII. Pei-tou — XXVIII. Yuen-koei — XXIX. Ou-wei.
Sur le grand autel de la pagode Ting-hoei-se et sur l'autel de la pagode Hai-yué-se dans la
sous-préfecture de Jou-kao, on peut voir un groupement de personnages qu'on était loin de s'attendre à trouver juxtaposés.
A la place d'honneur au centre de l'autel, sur un trône de feuilles de lotus, P'i-lou-fou, le bouddha Vairocana, le front couronné, est assis majestueusement, les jambes croisées. A sa gauche se
tient le vieux Maha Kashiapa et à sa droite le jeune Ananda, les deux premiers patriarches du bouddhisme d'Occident.
Sur un second plan, inférieur au premier, se dressent Hiang-chen et Hoa-chen, le bouddha thuriféraire à gauche, et le bouddha porteur de lotus en fleur à droite ; enfin sur les deux cornes de la
table d'autel, au-dessous des deux précédents, se tiennent nos deux personnages : Brahma ou Fan-wang à gauche, et Yu-ti le Pur auguste à droite, tous deux le visage tourné vers le centre de
l'autel, comme l'indique la peinture ci-dessous, qui est une reproduction exacte des deux statues de la pagode Ting-hoei-se. Brahma, c'est le grand dieu du brahmanisme, le créateur de l'univers
et des hommes ; Yu-ti, c'est le grand dieu du taoïsme moderne, le Jupiter de leur olympe, le maître du ciel. Le lecteur connaît déjà Yu-ti et mon but n'est point de donner ici la vie de Brahma,
ce travail a déjà été fait par des gens compétents ; je me propose seulement d'attirer l'attention sur deux points pratiques : le premier sur la place qu'occupe Brahma dans les pagodes modernes,
le deuxième sur le rôle du dieu taoïste Yu-ti dans ces pagodes.
1° La place qu'occupe Brahma.
« Les bouddhistes, dit le père Wieger, ont fait de Brahma un simple deva, un humble serviteur de Bouddha. »
Ce que j'ai vu dans les pagodes vient absolument confirmer cette idée, avec Yu-ti son pendant, il occupe le troisième rang sur ces autels, il tient en main un brûle-parfums artistique, orné d'un
long manche sculpté en forme de dragon, et semble présenter au grand bouddha son maître, avec le parfum de l'encens, l'humble hommage de sa vénération. Yu-ti son collègue porte le chapeau
impérial comme dans les temples taoïstes, il présente respectueusement la tablette koei, qui lui donne accès auprès du bouddha P'i-lou, comme autrefois les grands dignitaires se présentaient
devant leur souverain. Somme toute ces deux personnages ont un rôle de vassaux à la cour de Bouddha ; c'est comme une proclamation solennelle de la supériorité du bouddhisme sur le brahmanisme et
sur le taoïsme : la mise en scène est des plus imposantes, les douze maîtres célestes portés sur les nuages, et montant des êtres mystérieux, forment comme une couronne de gloire à Bouddha, dont
l'autel est entouré des dix-huit Louo-han, rangés en demi-cercle au fond du grand hall central.
2° Le rôle du dieu taoïste Yu-ti dans ces pagodes.
Yu-ti est placé sur la corne droite de l'autel, c'est-à-dire au-dessous de Brahma, car la gauche, ne l'oublions point, est la place d'honneur en Chine. Les bonzes, nous l'avons déjà vu,
revendiquent Yu-ti comme leur dieu, et nient son origine taoïste. De fait, c'est faire une suprême injure aux tao-che, que de mettre leur dieu supérieur dans une posture si humiliée. Cependant sa
place paraît parfaitement choisie, si comme je l'insinuais, sans oser l'affirmer, Yu-ti est tout simplement Indra, le dieu du ciel, en chinois Ti-che le bouddha souverain, T'ien-ti-che le bouddha
souverain du ciel, que les tao-che auraient emprunté au bouddhisme pour en faire leur dieu, à une époque où ils méditaient le projet d'incorporer à leur panthéon toutes les divinités du
bouddhisme. De cette façon les tao-che n'auraient rien à dire. Indra, on le sait, habite son palais au sommet du Suméru, dans le ciel des "trente-trois", là il règne en attendant le jour où il
rentrera dans le cercle de la métempsycose. Les bouddhistes l'ont pris pour protecteur de leur religion, il est armé de sa terrible massue Vadjra et tient les Asuras en respect. A jour fixé tous
les devas doivent se présenter devant son trône et lui offrir leurs hommages, les quatre grands rois du ciel viennent lui rendre compte des progrès du bien et du mal en ce monde : on le voit,
Indra est encore un dieu puissant, qui joue en partie le rôle du Yu-ti des taoïstes, et il n'était pas nécessaire de faire beaucoup de frais d'imagination pour le transformer en Jupiter
taoïste.
Yu-ti sous forme
féminine.
Dans la grande pagode bouddhique P'ou-t'i-chan-yuen, hors la porte est de la ville de Jou-kao, vivent une vingtaine de bonzes prieurs ; dans la plus grande salle de leur pagode, de chaque côté de
la statue colossale de Che-kia-fou (Çakyamouni) se tiennent : à gauche Fan-wang et à droite Yu-ti de forme féminine ! Les bonzes interrogés sur la raison d'être de cette excentricité, répondent
que dans ses existences primitives, Yu-ti était une femme, qui fut dans la suite réincarnée en homme.
Dans cette pagode il n'y a plus le moindre doute, ce Yu-ti sous forme féminine est Indra ou Ti-che comme l'appellent les bouddhistes ; j'ai moi-même copié son nom et son titre chinois sur une
tablette placée au pied de la statue, et dont l'inscription est ainsi conçue : Ti-che-t'ien-tsuen.
Son pendant Brahma a lui aussi son nom écrit sur une tablette : Ta-fan-t'ien-wang.
Donc dans plusieurs pagodes bouddhiques les bonzes appellent Indra du nom de Yu-ti ou de Ti-che indifféremment. Ceci au moins est un fait incontestable.
*
La mythologie des rois-dragons
A. Le palais du souverain.
1° Tout roi a un palais ; l'ouvrage Lô-yang-k'ia-lan-ki nous indique où se trouve la résidence de ce monarque des eaux.
A l'Ouest de Ou-tch'ang dans les régions de l'Occident, il y a un lac où demeure le roi-dragon. Sur les bords de ce lac s'élève une pagode contenant plus de cinquante bonzes. Chaque fois que le
roi-dragon opère quelque transformation merveilleuse, le roi du pays vient le prier et lui offrir des sacrifices, puis il jette dans les eaux du lac de l'or, des pierres précieuses, et des perles
fines. Toutes ces richesses reviennent ensuite à la surface, et le roi-dragon permet aux bonzes de les prendre pour subvenir à leur entretien et à leur nourriture. Ils vivent ainsi des aumônes du
dieu. Le peuple a nommé cette bonzerie le palais du roi-dragon.
2° Le Si-yeou-ki, liv. I, page 9, parle du palais de Ngao-koang, dans les mers de l'Est. Il est communément nommé le palais de cristal Choei-tsing-kong. Nombreuses sont les images qui
représentent ces palais fantastiques du roi des ondes. On pourra en voir une ci-dessous.
B.
Divers personnages honorés sous le titre de Long-wang. Nous en indiquerons [quatre] par ordre chronologique.
1° Ngao-koang.
Le Fong-chen-yen-i Liv. 3 p. 17. 26. dit que le roi-dragon s'appelle Ngao-koang et son fils Ngao-ping.
Au temps du tyran Tcheou, le dernier empereur des Yng (1154-1122 av. J. C.), le fils du général Li-tsing nommé Na-t'ouo combattit contre le fils du roi-dragon, le jeune Ngao-ping et le tua.
Na-t'ouo lui arracha les muscles, et en fit une ceinture. Ngao-koang apprenant la mort de son fils, entra dans une violente colère, et s'écria :
— Mon fils était un esprit qui s'élevait dans les nues, voyageait sur les nuages, et développait les germes de vie dans tout l'univers, comment as-tu osé le tuer?
Ce disant, il livra combat à Na-t'ouo mais il fut renversé à son tour.
Na-t'ouo le tint sous ses pieds, lui arracha ses vêtements, et voyant qu'il avait le corps couvert d'écailles, il se mit à les lui enlever ; le sang ruisselait vermeil sur tout son corps. Vaincu
par la souffrance, Ngao-koang demanda grâce. Son vainqueur lui commanda de se transformer en un petit serpent bleu-ciel, qu'il mit dans sa manche, puis il retourna à sa demeure.
2° Le Dragon Blanc
(Dragon bâtard).
A trente lys N. O. de la ville de Sou-tcheou, au Kiang-sou, se trouve la pagode du Dragon Blanc, bâtie sur la montagne Yang-chan. Song-t'ai-tsong, en 977 ap. J. C. fit transférer cette pagode à
Ts'ao-hiang au sud de la montagne. Song-chen-tsong en 1077 la fit de nouveau reconstruire sur le premier emplacement.
Dans cette célèbre pagode se trouve une stèle en pierre, dont l'inscription fut composée par le lettré Hou-wei des Song. Cette inscription nous donne la légende du Dragon Blanc honoré dans ce
temple. Voici le passage qui nous intéresse.
« Sous Ngan-ti des Tsin Orientaux, à l'époque Long-ngan 397-402 ap. J. C., une jeune fille de la famille Liao (Mieou) rentrait chez elle au déclin du jour. Il allait pleuvoir. Sur son chemin elle
rencontre un vieillard qui lui demande son nom et le lieu de sa demeure ; il la fit ensuite entrer dans sa maison pour éviter la pluie. Le matin, elle se trouvait enceinte. Son père et sa mère
irrités la chassèrent, et elle fut réduite à mendier son pain dans le voisinage. Au bout d'une année elle accoucha d'une boule de chair qu'elle jeta à l'eau. La boule se changea alors en un
Dragon Blanc, qui vint se mettre devant sa mère, comme s'il avait quelque chose à lui dire. La jeune femme épouvantée tomba par terre.
Soudain, les éclairs sillonnent la nue, le tonnerre gronde, la terre se couvre de ténèbres, le vent souffle en tempête et la pluie tombe par torrents. Quand le beau temps revint, le Dragon Blanc
monta lentement sur le sommet de la montagne, parcourut l'horizon de son regard, et revint au lieu de sa naissance, où il trouva sa mère étendue sur le sol et sans vie, alors il s'éleva dans les
cieux et disparut. Les gens enterrèrent la mère avec grande pompe sur cette même montagne, qui s'appelle encore le pic du Dragon, ou la demeure du Dragon.
Depuis lors on y vint en pèlerinage pour y prier, pour consulter les sorts et offrir des sacrifices sur ce coin de terre, qui, selon le dicton populaire, a engendré le Dragon Blanc.
A Tchang-cha-fou, au Hou-nan, on lui a aussi bâti un temple sur le sommet d'une montagne, et chaque année, le 18 du troisième mois, le Dragon revient pour y chercher sa mère.
Dans la décade qui précède, le ciel devient froid et glacé, il pleut dans les montagnes ; mais subitement, le beau temps revient le jour de la naissance du Dragon. Parfois, il apparaît long de
dix pieds, parfois il se montre et disparaît alternativement sur le sommet des montagnes, ou bien il se montre sous la forme d'un petit lézard, comme on l'a représenté dans son temple. Par ces
faits on peut juger de son pouvoir sur la température, les vents, le tonnerre et les pluies. »
3° Le roi-dragon Tchang du Yn-tcheou-fou. Voici maintenant la notice sur le roi-dragon Tchang vénéré dans la
pagode Tchang-long-kong-se située à 30 lys est de Yng-tcheou-fou.
Ce personnage naquit au début de la dynastie des Soei, et habitait le village de Pé-che, dans la sous-préfecture de Yng-chang-hien dépendante de Yng-tcheou-fou au Ngan-hoei. A seize ans il
possédait à fond ses livres canoniques. Sous le règne de T'ang-tchong-tsong 708 ap. J. C., il fut fait sous-préfet de Siuen-tch'eng-hien dans la préfecture du Ning-kouo-fou au Ngan-hoei. Il s'y
fit un nom par ses grands talents. Son épouse, née Che, donna le jour à neuf garçons.
De Siuen-tch'eng-hien il retourna dans son pays natal, où il prit l'habitude d'aller pêcher à Tsiao-che-t'ai. Un jour, il vit dans ce lieu un temple à étage, il y entra, et s'y fixa. Depuis lors,
il en sortait de nuit et revenait le matin tout mouillé et glacé. Son épouse effrayée, lui en demanda la cause.
— Je suis un dragon, lui répondit-il. Tcheng-siang-yuen de Liao est lui aussi un dragon, et il me dispute ce domicile ; demain je devrai lui livrer combat, et mes neuf fils devront me prêter
main-forte. Ils me reconnaîtront à ce signe : j'aurai en bouche un ruban rouge, et lui un ruban bleu.
Le jour venu, les neuf fils, armés d'arcs et de flèches, tirèrent sur le dragon au ruban bleu, il fut percé et prit la fuite. Tchang poursuivit le fugitif qui traversa la vallée de la rivière et
entra dans la Hoai ; de là, il put encore atteindre une montagne à l'Ouest de Ho-fei-hien, dans le Liu-tcheou-fou, à 130 lys de cette ville, c'est là qu'il expira.
Depuis cette époque, la montagne est connue sous le nom de Caverne du Dragon : Long-hiué-chan.
Les neuf fils Tchang furent changés en dragons, leur mère Che fut enterrée dans l'îlot de Koan-tcheou. Le frère aîné de Tchang devint officier de cavalerie, et ses descendants habitèrent la
sous-préfecture de Yng-chang, où se trouvent encore leurs tombeaux.
Depuis l'époque King-long du règne de T'ang-tchong-tsong, 707-710 ap. J. C., ses compatriotes lui offrirent des sacrifices à Tsiao-che-t'ai.
4° Le roi-dragon
d'or.
Le grand roi-dragon d'or IV, porte le nom de Sié et le prénom Siu ; il vécut à Ngan-ki dans le Ts'ien-t'ang-hien sous préfecture de Hang-tcheou-fou au Tché-kiang.
Il était neveu de l'impératrice Sié, l'épouse de Song-li-tsong 1225-1265 ap. J. C. Quand les armées victorieuses des Yuen entrèrent à Hang-tcheou, et emmenèrent captifs vers le Nord l'impératrice
Sié et son fils, le prince héritier Sié-siu vivait alors en ermite sur la montagne de Kin-long-chan ; et pour ne pas tomber lui-même aux mains de l'ennemi, il se noya dans le torrent T'iao-ki,
qui coule dans le sud de Yu-hang-hien au Tche-kiang.
Avant de mourir, il prononça cette sentence imprécatoire :
« Quand vous verrez l'eau remonter le cours du torrent T'iao je serai devenu Esprit ; quand le cours du Hoang-ho remontera vers sa source, le temps de ma vengeance aura sonné. »
On recueillit ses dépouilles mortelles, et on les inhuma sur la montagne de Kin-long-chan.
Plus tard, quand Ming-t'ai-tsou, le destructeur de la dynastie des Yuen, fit le siège de Liu-liang, Sié-siu pour se venger fit fondre une nuée d'abeilles sur les soldats des Yuen, qui furent
obligés de prendre la fuite. Le fondateur des Ming reconnaissant de sa protection, le gratifia du titre de "Grand roi-dragon d'or IV".
Pourquoi cet appellatif de IV ? C'est que son père avait quatre fils, qui s'appelaient : Ki, Kang, T'ong et Siu. Siu étant le dernier, on l'appela le IVe Dragon.
Le plus ordinairement, c'est ce personnage qui est honoré de nos jours dans les pagodes sous le nom de roi-dragon.
*
La légende des quatre King-kang
Grands rois du ciel qui habitent sur les versants du mont Su-Méru, dans le cinquième orbe des cieux bouddhiques, entre le ciel de Indra et le ciel stellaire.
[Leur mort lors du combat entre les Chang et les Tcheou]
Kiang-tse-ya et le général Hoang-fei-hou défendaient la ville et la montagne de Si-ki. Les
partisans des Chang firent appel aux quatre génies Mô qui habitaient Kia-mong-koan et les supplièrent de venir à leur secours. Ceux-ci acceptèrent, levèrent une armée de 100.000 soldats célestes,
puis, traversant villes et campagnes, escaladant les montagnes, ils arrivèrent dans moins d'une journée à la porte nord de la ville de Si-ki où Mô-li-ts'ing établit un camp retranché pour y
caserner ses troupes.
A cette nouvelle Hoang-fei-hou court avertir Kiang-tse-ya du danger qui les menace.
— Les quatre grands généraux qui viennent d'arriver à la porte du Nord, dit-il, sont des génies d'une merveilleuse puissance, versés dans tous les secrets de la magie, et ayant à leur service des
charmes mystérieux, il est bien à craindre que nous ne puissions leur résister.
L'aîné se nomme Mô-li-ts'ing, il est haut de 24 pieds, il a une figure couleur de crabe, les poils de sa barbe ressemblent à des fils de cuivre, il est armé d'une lance et combat toujours à pied.
Son sabre magique, le "Nuage bleu", porte un talisman gravé sur le milieu de la lame, avec ces quatre caractères : Ti, choei, houo, fong, terre, eau, feu, vent. Il produit un vent noir, qui
projette des dizaines de milliers d'engins de guerre ; tout homme heurté par cette colonne de vent, a les membres coupés en morceaux. Ce sabre est aussi producteur du feu, l'air se remplit de
serpents d'or ignés, de terre sort une trombe de fumée noire qui aveugle les yeux et brûle les hommes, impossible d'échapper.
Le second est Mô-li-hong, qui tient en main un parapluie merveilleux, appelé le "parapluie
chaotique" formé d'une enfilade de perles transcendantes v. g. la mère perle Lou, la mère perle Pi, la perle lumineuse des nuits, la perle antidote de la poussière, la perle antidote du feu, la
perle antidote de l'eau, la perle aux neuf contours, la perle fixe-couleurs, la perle fixe-vent. Ce parapluie est orné de quatre caractères formés par une mosaïque de perles fines. On n'ose pas
l'ouvrir, car dès qu'il est ouvert, le ciel et la terre se couvrent de ténèbres, le soleil et la lune s'obscurcissent, et il suffit de l'agiter pour faire trembler l'univers.
Le troisième Mô-li-hai est armé d'une lance, sur son dos est suspendue une guitare à quatre cordes, elle exerce une influence supranaturelle sur la terre, l'eau, le feu et le vent : il suffit de
faire vibrer ses cordes pour soulever les vents, dans les mêmes conditions que le sabre merveilleux de Mô-li-ts'ing.
Le quatrième s'appelle Mô-li-cheou, il est porteur de deux fouets et d'une bourse contenant un monstre assez semblable à un rat blanc, et nommé Hoa-hou-tiao. Mis en liberté, il prend la forme
d'un éléphant blanc, ailé, et avale tous les hommes.
Les pages suivantes racontent les péripéties émouvantes des combats épiques livrés entre ces quatre grands rois et les génies protecteurs des Tcheou. D'abord les King-kang furent vainqueurs grâce
à leurs armes magiques, surtout le redoutable Hao-hou-tiao jetait la terreur dans les rangs ennemis et dévorait les plus intrépides guerriers ; Kiang-tse-ya était au désespoir.
Mô-li-cheou lâche une dernière fois le monstre, dans l'espoir qu'il dévorerait Kiang-tse-ya et Ou-wang, alors la victoire eût été complète.
Par malheur cette brute, qui dévorait sans discernement tous ceux qui se trouvaient à sa portée, s'avisa d'avaler Yang-tsien (le gendre de Yu-hoang). Ce génie, en entrant dans le corps du
monstre, lui brisa le cœur, l'étendit mort, puis le coupa en deux tronçons. Comme il pouvait se transformer à son gré, il prit la figure du Hoa-hou-tiao et s'en alla auprès de Mô-li-cheou, qui le
remit sans défiance dans sa bourse en peau de panthère.
Cependant, les quatre rois faisaient fête pour célébrer leurs triomphes, après avoir bu copieusement, ils se livrèrent au sommeil. Pendant la nuit, Yang-tsien sortit de la bourse de peau, avec
l'intention de s'emparer des trois armes magiques des King-kang ; il ne réussit qu'à demi dans son entreprise et emporta le parapluie de Mô-li-hong. Dans un engagement subséquent, Na-t'ouo brisa
l'anneau de jade de Mô-li-ts'ing : bref, les malheurs succédèrent aux malheurs ; les King-kang, privés de leurs armes mystérieuses, commencèrent à perdre confiance. Pour comble d'infortune,
Hoang-t'ien-hoa, tombé sous les coups de Mô-li-ts'ing, fut ressuscité par le génie Tao-té-tcheng-kiun, et revint leur livrer bataille avec une arme magique hors pair : c'était une pointe de sept
pouces cinq lignes de longueur, renfermée dans un étui de soie, et appelée : Pointe perce-cœur. Elle projetait un faisceau de lumière si intense, que les yeux en étaient éblouis. Telle fut l'arme
transcendante qui triompha des quatre redoutables guerriers.
Hoang-t'ien-hoa serré de près par Mô-li-ts'ing tira de son étui le clou mystérieux, le lui
lança en pleine poitrine, et lui traversa le cœur. Le géant poussa un grand gémissement et tomba inanimé.
Mô-li-hong se précipite pour venger son aîné, mais au moment où il brandissait sa lance, la pointe magique s'échappe derechef de la main de Hoang-t'ien-hoa, lui perça le cœur de part en part, et
l'étendit à terre sans vie.
Mô-li-hai rendu furieux par la mort de ses deux frères, s'écria avec colère:
— Brute ! quelle est donc cette arme avec laquelle tu viens de tuer mes deux frères ?
Avant même qu'il fût arrivé en présence du terrible adversaire, le clou redoutable l'avait déjà atteint au cœur, et couché mort. L'heure fatale avait sonné pour les grands King-kang, leur fin
était décrétée !
Dans ce péril extrême, il ne restait plus au seul survivant que l'espoir en son Hoa-hou-tiao. Mô-li-cheou mit sa main dans la poche de peau pour l'en retirer, il ignorait que ce n'était plus
qu'une transformation de son ennemi Yang-tsien. Celui-ci le mordit à la main si cruellement qu'il lui coupa le poignet ; au moment où il voulut le prendre, il ne resta qu'un tronçon d'os.
Si vive fut la douleur, que Mô-li-cheou ne pensa pas même à se mettre en garde, et le mystérieux clou le frappa en plein cœur, il tomba baigné dans son sang. Ainsi périrent les quatre grands
frères Mô.
Sous le règne de Che-tsou Fou-kien des Ts'in antérieurs, vers 380 ap. J. C., vivait au Si-yu
dans l'Inde un bonze célèbre, nommé Kiumarajiva, en chinois Kieou-mô-louo-che. Son père, nommé Kieou-mô-louo-yen favori du roi Pei-choen de Koei-tse-kouo, (du royaume de Koei-tse), fut un des
premiers ministres de l'État. La sœur cadette du roi, alors âgée de vingt ans, s'éprit d'affection pour ce sage ministre, qui du fait devint gendre du roi ; de cette union naquit Kiumarajiva. Il
n'avait encore que sept ans quand son père mourut ; sa mère se fit bonzesse et lui même devint bonze. Il avait une si heureuse mémoire qu'il pouvait apprendre dans un jour mille versets de
prières, de trente deux caractères chacun, et il comprenait le sens en même temps qu'il retenait la lettre. Il prêcha le bouddhisme avec grand succès dans tout l'Ouest et les plus hauts
dignitaires se mettaient à genoux devant lui pour le prier de leur expliquer le sens caché des prières.
Le roi Fou-kien envoya Liu-koang combattre le roi de Koei-tse-kouo, la 18e année de Kien-yuen l'an 382 ap. J. C., et avant son départ, il lui fit cette recommandation :
— J'ai entendu dire, lui dit-il, que dans ce pays il y un bonze appelé Kieou-mô-louo-che très instruit dans la doctrine bouddhique et fort habile dans l'art de la divination, je désire l'avoir à
ma cour ; si vous remportez la victoire, amenez-le moi.
Le bonze apprit qu'une armée nombreuse approchait du royaume de Koei-tse ; il conjura le roi de négocier une entente ; celui-ci ne voulut rien entendre. Il fut vaincu et mis à mort ; son frère le
prince Tchen fut mis à sa place par le vainqueur. Liu-koang trouva Kieou-mô-louo-che et sa mère ; voyant qu'il était encore tout jeune, il s'amusa à essayer de le marier avec une des filles du
roi ; le bonze refusa énergiquement tout d'abord, mais l'ayant ensuite invité à un banquet, il lui donna à boire d'excellent vin, puis le fit enfermer dans une chambre avec la jeune fille, et le
bonze consentit à la prendre en mariage.
L'armée victorieuse reprit le chemin du retour ; arrivé au pied d'une montagne, le général fit camper ses soldats sans tenir compte des conseils de Kieou-mô-louo-che, qui lui prédisait un danger
qu'il pouvait facilement éviter en disposant ses troupes sur le versant de la montagne. La nuit suivante une trombe d'eau se précipita dans la vallée, et plusieurs milliers d'hommes perdirent la
vie. Liu-koang désolé de ce malheur, était sur le point de reprendre la route du royaume de Koei-tse pour s'y faire proclamer roi. Le bonze l'en dissuada, et lui dit qu'à mi-route il pourrait
trouver une contrée heureuse où il s'établirait.
De fait, arrivé à Liang-tcheou au Kan-sou en 385, il prit le titre de gouverneur et en 389 celui de roi, établit sa capitale à Kou-tsang et devint le fondateur des Liang postérieurs.
Kieou-mô-louo-che resta à la cour du nouveau monarque où il fut traité avec beaucoup d'égards. Après la mort du roi et celle de son fils Liu-tch’ao qui ne régna que quelques jours, le trône
revint à Liu-tsoan, qui se montra bienveillant à l'endroit du bonze indien. A cette époque on remarqua une série d'évènements étranges. Deux dragons sortirent d'un puits, à l'Est des appartements
royaux, un dragon apparut aussi à la porte du palais. Dans le parc impérial on constata, non sans étonnement, l'apparition subite de loups blancs, de chevaux blancs, de faisans et de paons
blancs, de tourterelles blanches. Enfin un porc engendra un enfant à trois têtes. L'empereur tout à la confiance persistait à ne voir là que d'heureux présages, le bonze était moins enthousiaste.
Le dragon, disait-il, est un être qui vit niché ; quand il se montre trop, c'est mauvais signe. L'empereur lui dit de prier pour lui et ne se préoccupa plus de ces présages.
Un jour que le bonze jouait aux échecs avec l'empereur, ce dernier disait en riant à chaque fois qu'il prenait une pièce à son partenaire :
Tuons le bonze ! Tcho-hou-nou !
Hou-nou, reprit le bonze, sabrera lui aussi une tête d'homme.
Liu-tchao le cousin de l'empereur s'appelait précisément Hou-nou de son petit nom, ce fut lui qui tua l'empereur, et son frère Liu-long monta sur le trône. Ainsi s'accomplit la prophétie du
bonze.
En 403 Liu-long fit sa soumission à Kao-tsou-yao-hing des Heou-ts'in, et la troisième année de Hong-che 401 ap. J. C. Kieou-mô-louo-che était admis à la cour de Kao-tsou à Tchang-ngan où il reçut
le titre de Kouo-che et toutes sortes d'honneurs, car l'empereur était fervent bouddhiste. Il installa le nouveau venu dans la pagode Si-ming-ko avec tous les bonzes de la capitale ; l'empereur
aimait à lui faire expliquer les prières bouddhiques. Kieou-mô-louo-che constata que la traduction des prières indiennes était remplie de fautes, il confronta tous les livres de prières des huit
cents bonzes de la capitale et des environs, avec le texte indien qu'il possédait et avec un vieux texte que possédait l'empereur, puis il fit une traduction exacte. Il ajouta ensuite des
commentaires et des dissertations, plus de trois cents livres furent ainsi composés par ses soins en collaboration avec le bonze Seng-lio et les autres.
Restait à traduire le Liu-ts'ang. Kieou-mô-louo-che entendit dire que le bonze Touo-louo était très versé dans la connaissance de ces règles, il le fit mander à la cour, et avec lui il traduisit
en chinois les deux tiers de cet ouvrage. Touo-louo mourut avant la fin du travail. La 7e année de Hong-che 405 ap. J. C., le bonze Lieou-tche de Tan-mou arrivait en Chine ; ce fut avec son
concours que la traduction du Liu-ts'ang put être terminée.
L'empereur lui accorda le titre honorifique de San-ts'ang-fa-che et le combla d'honneurs, les grands mandarins l'avaient aussi en grande estime.
Il raconta à l'empereur qu'il venait de voir dans le parc impérial deux enfants lui monter sur les épaules, et insinua délicatement au souverain qu'il avait la tentation de prendre une femme.
L'empereur lui dit en souriant :
— Vous qui surpassez tout le monde par votre intelligence, comment pourriez-vous rester sans postérité ?
Il lui envoya deux femmes de son harem ; le bonze se maria avec elles et en eut deux fils. L'empereur Yao-hing lui donna encore dix autres femmes. Kieou-mô-louo-che quitta la pagode des bonzes,
se construisit une demeure particulière, où il habita avec sa famille.
Les autres bonzes le voyant prendre femme voulaient aussi l'imiter ; alors Kieou-mô-louo-che mit des aiguilles dans une écuelle et les avala.
— Celui d'entre vous, dit-il, qui pourra manger des aiguilles, pourra m'imiter, j'y consens.
Personne n'osa tenter l'aventure, et les bonzes ne parlèrent plus de se marier.
Kieou-mô-louo-che tomba malade, il récita les prières San-fan- chen-tcheou et les fit aussi réciter par ses disciples, mais la santé ne revint pas. Sentant sa fin proche, il dit adieu aux bonzes,
et dit solennellement devant tous :
— Si toutes les traductions que j'ai faites sont exactes, que ma langue reste intacte après que vous aurez procédé à la crémation de mon corps !
Il mourut le 22e jour de la 8e lune, la onzième année de Hong-che 409 ap. J. C. Après la crémation dans le Siao-yao-yuen la langue fut trouvée intacte.
Sur les images de Kiumarajiva on voit très souvent un lion et un oiseau, c'est une allusion aux prodiges observés dans le parc impérial avant l'assassinat de l'empereur Liu-tsoan.