Henri d'ARDENNE de TIZAC (1877-1932)
L'ART CHINOIS CLASSIQUE
Henri Laurens, éditeur, Paris, 1926, 364 pages, 30 illustrations dans le texte, 164 illustrations hors texte.
- Le peuple chinois reste unique dans l’histoire, parce que, seul, il a su jadis créer une conception purement intellectuelle du monde et de l’homme. Son art a traduit cette conception, et, comme tel, offre lui aussi à nos yeux le seul exemple connu d’un art véritablement et exclusivement rituel... Tel qu’il fut à son état pur, il plaît ou ne plaît pas. C’est pourtant à ce moment-là qu’il fut lui-même, c’est-à-dire le plus proprement chinois ; quand il s’est rapproché de notre goût occidental, ce fut pour perdre sa plus grande originalité, celle qui lui vaut une place à part dans l’histoire humaine.
Table des matières - Extraits : Bronzes - Dalles ciselées et estampages
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- CHAPITRE PREMIER : Les origines. Rôle du Touran.
Formation de la Chine primitive : premières invasions touraniennes. — Le Touran, réalité géographique et historique. — Le Touran et l’Iran. — Le Touran et la Chine. — Difficulté de discuter de l’art primitif chinois. — Premières notions sur la civilisation chinoise. — Exemples d’influx touranien aux époques historiques. — Vue générale de l’influence touranienne. — L’art du Caucase et de la Sibérie. Ses caractères. — Documents correspondants dos régions sino-mongoles. — Principaux documents de cette étude. — Par quelles voies l’art touranien a-t-il atteint la Chine ?
- CHAPITRE II. Le génie chinois.
La conception chinoise du monde est d’origine astronomique. — Le Yang et le Yin. Concordance des cinq Palais, des cinq Régions, des cinq Éléments, des cinq Couleurs. Culte des Ancêtres. — Fonction astronomique de l’Empereur. — Naturisme de l’astronomie primitive. — Autre preuve de ce naturisme d’après les coutumes matrimoniales. — Naturisme de la répartition des Éléments, des Saisons et des Couleurs. — Forme figurative de l’écriture antique. — Origine naturiste de la musique. — Controverse des cinq Empereurs. — Altération des principes. Manie des Concordances. Mystique des Nombres. Influence de ces subtilités sur l’art. — Taoïsme et confucianisme. — L’esprit chinois reste pénétré des vieux principes.
- CHAPITRE III. Principaux ornements de l’art chinois.
Apports mésopotamiens en Chine. Dragon et oiseau dans l’art touranien et dans l’art chinois. — Particularités du dragon chinois. — Exemple d’acheminement d’un type de dragon, du Caucase à la Chine. — Différents aspects du dragon chinois. — Le t’ao-t’ie est un dragon. — Origine et particularités de l’oiseau-phénix. — La cigale. La palmette. — Autres motifs d’ornementation : Animaux divers. — Objets de bon augure. Rébus.
- CHAPITRE IV. Les temps mythiques, les premières dynasties.
Premiers mouvements de peuples sur le sol chinois. — Dynastie des Hia. — Dynastie des Chang ou des Yin. — Institutions et mœurs des temps primitifs. — Archéologie de l’époque néolithique. Fouilles du Ho-nan et du Kan-sou. — Les arts sous les Yin. Fouilles de Siao-t’ouen. Notions d’architecture, sculpture, peinture.
- CHAPITRE V. Époque classique : les Tcheou. État social, mœurs, situation des arts.
Etablissement de la dynastie Tcheou. Féodalité. — L’esprit général. Les institutions. — La poésie. — Qu’est-ce qu’un objet d’art antique ? — L’architecture. — Sculpture et peinture. — Ornementation des chars. — Ornements en bois précieux. — Tissus.
- CHAPITRE VI. Époque Tcheou : les jades.
Connaissance récente des jades classiques. — Nature du jade. — Origine et matière des jades classiques. — Qualités idéales prêtées au jade par les Chinois. — Apogée du jade à l’époque des Tcheou. — Jades religieux : Le pi, symbole du Ciel. — Jades religieux : le tsong, symbole de la Terre. — Jades religieux : les emblèmes des Quatre Régions. — Jades religieux : les vases rituels. — Jades funéraires. — Jades, emblèmes politiques. — Jades d’usages personnels : pendentifs de ceinture. — Autres usages du jade.
- CHAPITRE VII. Époque Tcheou : les bronzes.
Littérature sur les bronzes. — Bronzes et poteries. — Importance des bronzes antiques. — Causes de leur rareté. — Classement des bronzes. Les vases rituels. — Vases honorifiques. — Cloches et tambours. — Miroirs, monnaies et sceaux. — Inscriptions. — Technique des bronzes. — Formes et ornements.
- CHAPITRE VIII. La Chine féodale.
Concordance de l’état politique et de l’art. — Tableau de la féodalité Tcheou. — Instabilité politique. Échange d’idées et de mœurs. — Mœurs féodales. — Batailles. Massacres. — Assassinats de princes. — Construction de villes et de palais. Mausolées.
- CHAPITRE IX. Les Ts’in.
Vue générale de l’histoire de Ts’in. — Ts’in, barbare de l’ouest. — Caractère guerrier. — Ts’in défend, puis absorbe la dynastie chinoise. — État du royaume de Ts’in à l’avènement de Che Houang-ti. — Coutumes sanglantes, immolations, sacrifices humains. — Rôle capital de l’État de Ts’in dans la formation chinoise. — Che Houang-ti. — L’unificateur de la Chine. — Tentative d’assassinat, par King K’o. — La Grande Muraille. Destruction des livres. — Villes et palais de Che Houang-ti. — Mausolée de Che Houang-ti. — Destruction de Ts’in. — Que reste-t-il de l’art de Ts’in ? — Y eut-il une sculpture Ts’in ? — Jades Ts’in. — Bronzes Ts’in.
- CHAPITRE X. La civilisation des Han.
Vue générale sur l’histoire des Han. — Politique antiféodale. Restauration des Classiques. — Sentiments religieux. — Progrès matériels. Difficultés financières. — Les conquêtes. Expansion vers l’ouest. — Expansion vers le sud. — Apports étrangers. Un exemple : tactique militaire et armement. — Contrastes.
- CHAPITRE XI. L’art des Han. Caractères généraux. Bronzes. Jades.
Caractères généraux. — Les bronzes. Les objets en fer. Les jades. — Les laques.
- CHAPITRE XII. L’art des Han. Poterie.
Généralités. — La poterie. Objets d’usage. — La poterie. Réductions d’édifices et d’ustensiles agricoles et culinaires. — Poteries dérivées des Han. Vases peints. Premiers produits kaolinés.
- CHAPITRE XIII. L’art des Han. Architecture. Peinture.
L’architecture. Architecture civile. — L’architecture. Architecture funéraire. — La peinture.
- CHAPITRE XIV. L’art des Han. Sculpture. Les Chinois sont-ils des statuaires ?
La sculpture ciselée. Généralités et lieux d’origine. — La sculpture ciselée. Technique, principaux motifs. — Les briques décorées. — La statuaire. — Conclusion.
Importance des bronzes antiques. — Respect dont ils sont entourés.
Dès l’antiquité reculée les bronzes furent entourés de respect et on leur prêta des vertus surnaturelles. Le trépied, surtout, fut considéré comme digne d’honneur ; on l’embellit de légendes
merveilleuses. Fou-hi fondit un trépied sacré, symbole de l’unité universelle. Il y eut ensuite les trois trépieds de Houang-ti, figurant le ciel, la terre et l’homme ; ces objets, transmis aux
Hia, puis aux Yin, s’enfoncèrent dans le sol quand les Tcheou perdirent leurs vertus. Houang-ti fut l’auteur d’un autre trépied illustre, dont l’offrande plut tellement au Ciel qu’aussitôt le
trépied achevé, un dragon à la barbe pendante descendit d’en haut, et sur son dos montèrent Houang-ti, ses ministres, ses femmes, en tout soixante-dix personnes : quelques officiers subalternes,
n’ayant pu trouver de places, se cramponnèrent aux poils du fanon, qui cédèrent, et ils tombèrent.
Ces récits légendaires nous acheminent vers les neuf trépieds de Yu, restés célèbres dans l’histoire chinoise, et dont la réalité semble certaine. Les délégués des neuf provinces ayant offert au
fondateur des Hia les cartes géographiques de leur pays, avec le dessin des produits de chaque région, Yu fit fondre ces trépieds à l’aide des métaux que les délégués avaient apportés en même
temps. Sur chacun d’eux on grava ou bossela les particularités d’une province. Yu en usait pour cuire les victimes du sacrifice. Ils jouaient à l’origine un rôle magique, écartant les mauvais
génies par la représentation figurée des objets réels ; leur premier but fut d’éloigner ainsi les maléfices, du peuple des neuf provinces. Dans la suite, ils devinrent les emblèmes du pouvoir, la
sauvegarde de la dynastie. On les nommait « les trois pieds et les six oreilles », chacun ayant trois pieds et six anses. Ils étaient les gardiens sévères des vertus du prince, « lourds »,
c’est-à-dire stables, par la pratique des devoirs, « légers » quand la conduite dissolue d’un Souverain les forçait de passer en d’autres mains. Réclamer les trépieds équivalait à une demande
d’abdication. Ils quittèrent successivement les Hia pour les Yin, les Yin pour les Tcheou. En 403, ils furent frappés de la foudre. Che Houang-ti, fondateur des Ts’in, les enleva en 258 au
dernier des Tcheou; l’un d’eux s’envola et tomba dans la rivière Se, où il resta introuvable, malgré les recherches de plusieurs milliers de plongeurs. Dès ce moment se perd dans l’histoire la
trace des neuf trépieds.
Mais l’exhumation d’un bronze antique resta comme un prodige d’heureux augure. Sous les Han, sous les T’ang, cette découverte suffisait pour qu’on changeât le nom de règne de l’Empereur ou tout
au moins le nom de la localité honorée par la trouvaille. On prêtait aux bronzes précieux, ensevelis dans la terre ou dans le lit d’un fleuve, le pouvoir de dégager des émanations, perçues par
des hommes sortant du commun. Cette croyance fut l’origine de mainte supercherie, et l’on peut lire dans les Annales l’histoire d’imposteurs abusant d’un Souverain affamé de prodiges, pour le
conduire à une place où ils avaient au préalable enfoui quelque vase.
A partir des Song la recherche des bronzes anciens devint plus active, mais perdit tout caractère miraculeux. On les considéra toujours avec respect, mais aussi comme objets d’études, au point
que l’on ne craignît pas d’ouvrir les tombeaux des familles nobles. Néanmoins, les bronzes d’antiquité certaine restèrent exceptionnels.
Causes de leur rareté. — Cette rareté étonne peu si l’on songe aux dangers qu’ils ont traversés pour arriver à nous. P’an Tsou-yin, cité par Ferguson, énumère
ainsi leurs vicissitudes dans son ouvrage sur les inscriptions de la collection P’an Kou-lou : 1° l’édit de Ts’in Che Houang-ti détruisant, en plus des livres, tous les vases et toutes les armes,
dont il fondit douze statues (année 213 avant notre ère ; nous verrons ce qu’on doit penser de cette mesure, présentée comme l’acte inconscient d’un barbare enivré d’orgueil) ; 2° la décision de
Tong Tchouo (mort en 192) qui, pour soutenir la fortune chancelante des Han, fondit toutes les statues des deux capitales, ainsi qu’un grand nombre de vases, pour fabriquer des monnaies ; 3° la
fonte, sous Wen-ti, des Souei (en 590), de grandes cloches et d’un grand nombre de vases des Ts’in et des Han, enlevés au royaume de Tchên ; 4° l’édit de Tchi Tsong (en 955) ordonnant la
destruction de tous vases ou objets de bronze, à l’exception des objets rituels de la cour, des objets d’usage militaire ou officiel, des miroirs, et des cloches de temple ; 5° l’édit de 1158,
détruisant tous les anciens vases pris dans les expéditions contre les dynasties Liao et Song ; 6° l’édit de Kao Tsong (1131-1163) réquisitionnant tous les vases de bronze entre les mains des
particuliers ; 7° enfin, le pillage des temples et palais de K’ai fong fou, à la fin de la dynastie des Song du Nord.
A ces actes officiels on doit ajouter les pillages des armées européennes, et, de tout temps, la cupidité des paysans chinois qui, découvrant un trésor de vases antiques, n’hésitaient pas à
briser les plus beaux objets pour en extraire l’or, l’argent ou les pierres précieuses qui y étaient incrustés.
Les dalles ciselées des Han nous sont fort bien connues grâce aux nombreux estampages qui en ont été rapportés en Europe, et publiés ou exposés.
Ce moyen de l’estampage donne des images d’une fidélité parfaite et mérite d’être expliqué.
Il s’agit d’un véritable tirage d’estampes sur pierre. Sur la surface à estamper, nettoyée avec soin, on étend une feuille de papier de riz dont on a éprouvé la qualité ; cette feuille est
mouillée ; l’entière adhérence du papier à la pierre, s’obtient en le frappant à coups de maillet de bois, mais les coups ne sont portés qu’à travers un morceau de feutre, de façon à ne dégrader
ni la feuille ni la pierre ; on pousse ensuite le papier dans les creux au moyen d’un pinceau aux longues soies douces. La feuille ayant ainsi épousé le moindre relief, doit sécher lentement ;
elle garde sa souplesse et ne se brise pas aux contours. Dès qu’elle est sèche, on la frotte également et légèrement avec un coussinet bourré de coton ou de soie, que l’on a chargé d’encre de
Chine pulvérisée. Le motif sculpté se détache en lignes blanches sur un fond noir ou rouge selon la couleur de l’encre employée.
L’estampage est donc un véritable art. Le tirage d’un bon estampage est une opération aussi délicate que le tirage de toute autre gravure. L’un vaudra par l’extrême légèreté de touche, l’autre
par des moelleux, un troisième par son accent robuste.
Certaines épreuves remontent au XIIe siècle ; on les recherche pour un certain ton plus enveloppé qu’elles tiennent du temps, et aussi parce que les sculptures, étant moins endommagées à cette
époque, ont donné des feuilles plus lisibles ou plus complètes. L’estampage, répété à force, altère en effet les pierres que l’on y soumet ; un coup de maillet maladroit fait sauter une partie du
motif, les reliefs s’usent, les creux s’encrassent. Si bien que pour préserver les sculptures de vieille époque, l’autorité chinoise a dû interdire leur reproduction.
Quelles sont donc les scènes le plus souvent ciselées sur les pierres des Han ? Leur variété est extrême.
. . . .
Le sculpteur des Han ne pouvait négliger les spectacles de guerre ; il les avait si souvent sous les yeux ! Voici d’abord un combat livré par un
sous-préfet à des personnages que leur costume et leur coiffure désignent comme des étrangers. L’un des occupants du char principal, placé au sommet du pont, est tombé dans la rivière, où il
combat encore ses adversaires montés dans des barques, tandis que des pêcheurs continuent paisiblement leur besogne, et que des échassiers poursuivent des poissons.
Empruntons à Chavannes cette description d’une bataille des plus mouvementées.
« A droite, un campement de tentes ; à l’intérieur de chaque tente, un archer. En avant du rang le plus bas des tentes, est assis un personnage derrière le dos duquel on lit les deux mots « le
roi des Hou... » Nous aurions ici la représentation de l’armée des barbares Hou de l’Asie Centrale, ayant à sa tête son roi. Les péripéties de la bataille sont intéressantes à suivre : les
archers barbares sortent des tentes ; l’un d’eux, la tête tranchée, tombe en arrière de son cheval ; un autre cheval galope en sens inverse sans cavalier ; peut-être l’homme qui le montait
était-il celui dont le cadavre privé de tête gît un peu plus loin, et peut-être celui qui a décapité ce corps n’est-il autre que l’homme à pied, vêtu d’une cuirasse et tenant un sabre, qui est
debout entre le cheval abandonné et le guerrier mort. Un peu plus loin, dans le haut, un cavalier en poursuit un autre et le tire en arrière avec sa hallebarde pour le faire tomber ; plusieurs
cavaliers, armés les uns d’arcs, les autres de hallebardes, galopent de gauche à droite ; derrière eux, un cavalier plus grand dont le cheval est au pas, paraît être le général qui dirige le
combat contre les barbares. Plus à gauche, trois prisonniers se présentent agenouillés, les mains liées derrière le dos, à un personnage qui va décider de leur sort ; au-dessous d’eux, un cadre
de bois, à chaque extrémité duquel est dressée une hache, porte deux (peut-être trois) têtes coupées qui sont suspendues par les cheveux à la traverse supérieure ; elles ont sans doute été
tranchées par le personnage porteur d’un glaive, qui se tient debout auprès du support. Si nous revenons à droite, nous voyons devant le roi barbare un homme agenouillé derrière lequel se
tiennent debout trois archers revêtus de cuirasses. Derrière ces archers, deux petits personnages agenouillés paraissent frapper sur une sorte de tambour avec trois baguettes munies chacune de
trois boules.
Nous possédons moins d’indications sur bien des batailles qui se sont livrées sur notre sol, et dans un temps plus rapproché ! Ici encore la composition des scènes sculptées se rapproche
remarquablement du style de la peinture.
Ouvrage numérisé grâce à l’obligeance des Archives et de la
Bibliothèque asiatique des Missions Étrangères de Paris. http://www.mepasie.org