Henri Cordier (1849-1925)
Histoire générale de la Chine
et de ses relations avec les pays étrangers
Tome II. Depuis les Cinq dynasties (907) jusqu’à la chute des Mongols (1368)
Librairie Paul Geuthner, Paris, 1920, 434 pages.
- Les Cinq dynasties (907-960).
- Les Soung (960-1279).
- Les Mongols et la dynastie Youen (1280-1368) : Tchinguiz, Ogotaï, Tourakina, Kouyouk, Mangkou, K'oublaï (Khan Baliq, conquêtes, organisation, fêtes et chasses...). Décadence des
successeurs.
Missionnaires et voyageurs étrangers (Plan Carpin, Ascelin, Rubrouck, Sempad, Hethoum, Monte-Corvino, Odoric, Marignolli, Marco Polo, Pegolotti...)
Extraits : Les Mongols. Après la Chine, la poursuite des tentatives de conquête
Missionnaires et voyageurs : Jean de Monte-Corvino - Odoric de Pordenone
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Les Mongols. Après la Chine, la poursuite des tentatives de conquête
Japon. Tchampa. Annam. Birmanie. Java. Siam
Le Japon.
Cette ambition effrénée qui poussait K'oublaï à chercher à établir une domination universelle, l'entraîna à une lutte malheureuse contre l'archipel voisin du Japon. Marco Polo appelle cet empire
Jipangou et Zipangou, transcription du chinois Je peun kouo, empire du Soleil Levant, en japonais Nippon, Nihon ; la célèbre famille de Hojo exerçait alors sous le titre de « régents » le pouvoir
à la cour de Kamakura au nom du tenno (empereur) à Kyoto et du Shogoun à Kamakura. Kameyama Tenno était monté sur le trône en 1260 ; Koreyasu était shogoun depuis 1266 ; leur autorité nominale
était toute entière entre les mains du shikken Hojo Tokimune, qui avait remplacé Hojo Tokiyori en 1261 ; c'est à lui que revient la gloire d'avoir repoussé l'invasion mongole.
Les Annales des empereurs du Japon nous apprennent qu'en 1268, « un ambassadeur des Moko (Moung kou) arriva pair mer à Taï saï fou. Il était porteur d'une lettre qui fut envoyée d'abord dans le
Kouanto, et de là à Miyako. Comme cette lettre était conçue en termes grossiers, on n'y fit point de réponse. »
Toutefois, la Corée fut la cause indirecte de la guerre entre la Chine et le Japon, dont les corsaires pillaient les côtes de la péninsule voisine ; ces écumeurs de mer débarquèrent même en 1264
au sud du pays, mais ils furent chassés par le général An Houng.
En 1265, un Coréen nommé Tcho I suggéra au Grand khan ce que celui-ci n'était que trop enclin de faire : exiger du Japon une reconnaissance de vasselage vis-à-vis de la Chine. K'oublaï en
conséquence désigna Heli (Heuk Chuk) et Yin Houng (Eun Houng) pour se rendre dans l'empire du Soleil Levant par la voie de la Corée où ils prendraient Son Kun-bi et Kim Ch'an pour les
accompagner. Un ouragan empêcha la mission d'arriver à destination et les envoyés mongols revinrent à Pe King. K'oublaï, irrité, renvoya Heuk Chuk avec ordre au roi de Corée de le faire
accompagner au Japon ; la mission du Grand khan y fut reçue avec peu de considération et revint au bout de cinq mois.
Tout en préparant une invasion, K'oublaï envoya en 1270 Cho Young-p'il et Houng Ta-gu avec le Coréen Yang Yun-so demander à nouveau la soumission du Japon qui consentit à lui envoyer une
ambassade. Enfin en 1274, les Mongols avaient réuni sur la côte sud-est de Corée, 250.000 Tartares sous les ordres des généraux Wo Tun (Hol Ton), Houng Tch'a-k'ieou (Houng Ta-gu) et Lieou
Fou-t'ing (Yu Pok-hyong) et 15.000 Coréens, commandés par Kim Pang-gyvng, qui devaient être transportés sur 900 bateaux. Arrivées à Iki shima, ces forces engagèrent un combat naval dans lequel
périt Lieou Fou-t'ing, percé d'une flèche, puis elles débarquèrent au nord de Kiu Shiu à l'entrée du détroit de Shimonoseki. Mais les Japonais et un typhon aidant, l'envahisseur fut repoussé,
perdant 13.000 hommes ; le reste regagna la Corée.
En 1275, nouvelle ambassade mongole envoyée à Kama-kura avec Tchou Che-toung à sa tête, accompagné d'un Coréen ; les Japonais le mettent à mort et sa tête est exposée. En 1281, les Mongols
préparent une grande expédition à la tête de laquelle sont placés A la han, Fan Bun-ko (Fan Wen-hu), Kinto (Hinto) et Kosakio (Houng Tch'a-k'ieou) ; cent mille hommes sont réunis. A la han étant
tombé malade au début est remplacé par A ta hai. L'armée mongole, embarquée à Lin Ngan et à Ts'iouen Tcheou se rendit en Corée, puis débarqua à Firando (P'ing Hu) et de là passa à Goriosan
(Ouloungchan). Entourés et écrasés par les japonais, 30.000 Mongols furent massacrés et 70.000 Coréens et Chinois furent réduits en esclavage. On peut lire dans Marco Polo le récit de ce
désastre. Malgré ses insuccès constants, le Grand khan, en 1283, prépara une nouvelle expédition, qui devait être dirigée par A ta hai contre le Japon, mais il fut obligé d'y renoncer devant le
mécontentement général.
Le Tchampa.
Le Tchampa venait de terminer une lutte d'un siècle contre les Khmers qui avaient maintenant à se défendre contre le Siam, mais il allait se trouver d'une manière inattendue en présence d'un
nouvel ennemi, les Mongols. Sur ce pays, séparé des provinces méridionales de la Chine par l'Annam, régnait Jaya Sinhavarman qui, en 1277, prit le nom d'Indravarman VI ; il est désigné par Marco
Polo sous le nom d'Accambale ; prince pacifique, il avait de bonne heure renoué de bonnes relations avec ses voisins du Dai Viêt (An-nam). Dès 1278, le général-mongol Sagatou (Sou Tou, après la
prise de Canton, avertissait K'oublaï qu'Indravarman était disposé à reconnaître la suzeraineté du Grand khan ; en conséquence K'oublaï conféra au roi de Tchampa le titre de Kiun mang (prince du
second ordre) et reçut bien ses ambassadeurs : En 1280, une ambassade comprenant Sagatou fut envoyée au Tchampa pour inviter le roi à venir en personne à la cour mongole. Le roi de Tchampa, peu
désireux d'entreprendre un lointain voyage, se contenta d'envoyer plusieurs ambassades qui ne suffirent pas à satisfaire la vanité enfantine mais tenace de l'empereur. K'oublaï chargea Sagatou,
accompagné de Lieou Cheng, de se rendre au Tchampa qu'ils devaient diviser en circonscriptions ; c'était en réalité la main mise sur le royaume ; devant le mécontentement des habitants, les
commissaires chinois durent se retirer. Irrité, K'oublaï leva une armée de 5.000 hommes qui, sous le commandement de Sagatou (12 juillet 1282), s'embarqua à Canton et débarqua au Tchampa :
l'armée tchame occupait la forteresse de Mou Tcheng fortement défendue et protégée par l'armée du prince Harijit, fils d'Indravarman. Après une tentative de conciliation, Sagatou attaqua les
Tchames (Ier mois, 15e jour 1283) ; le général mongol pénétra dans la citadelle ; Indravarman prit la fuite, et cherchant à gagner du temps, se réfugia dans les montagnes où il restait
inaccessible ; malgré des renforts, les victoires mongoles restaient stériles.
K'oublaï voulant en finir se décida à envoyer une armée par terre, qui devait traverser le Dai Viet ; la question tchame allait donc se doubler d'une question annamite.
L'Annam.
La lutte contre les Soung dans les provinces limitrophes de l'empire devait attirer l'attention du Grand khan sur le royaume voisin de Ngan Nan où se réfugiaient d'ailleurs un certain nombre de
vaincus. L'empereur de Ngan Nan (An nam) était Tran Th'anh-tông (Khoan), deuxième souverain de la quatrième dynastie qui régnait sur ce pays, celle des Trân ; il avait abdiqué en 1274 en faveur
de son fils Tran Nho'n-tông. K'oublaï somma ce prince de se rendre à sa cour pour se reconnaître son vassal ; l'empereur d'An nam se contenta d'envoyer une ambassade à la capitale mongole.
En 1280, le général Sou Tou (Sagatou) (Toa do) pénétra au Ngan Nan, à la 6e lune, et s'avança sans résistance jusqu'à Tchen Tchen qu'il ruina. Tran Nho'n-tông lui coupa la retraite et Sou Tou ne
s'échappa qu'après avoir perdu une grande partie de ses troupes décimées par la chaleur et les armes.
Le 26 de la douzième lune de 1285, l'armée impériale passait la frontière, venant de Yun Nan fou au Fou liang kiang ou Ho ti ho (haut fleuve Rouge) et demanda pour se rendre au Tchampa le libre
passage qui lui fut refusé. C'étaient les chaleurs de l'été, les Mongols accoutumés à des climats plus froids, furent obligés de se retirer au Yun-Nan ; ils sont poursuivis dans leur retraite par
les Annamites, commandés par Quoc tuân, et Li Heng est tué d'une flèche empoisonnée. L'armée de Sou Tou qui opérait séparément est coupée à Tay Kiêt et son chef est décapité, tandis qu'un grand
nombre de prisonniers restent aux mains des Annamites.
En 1287, T'o Houan pénètre au Ngan Nan ; victorieux dans dix-sept rencontres, il pille Tchen Tchen, puis rentre au Yun Nan ; l'année suivante, à la troisième lune, T'o Houan rentre dans le Ngan
Nan ; le roi l'amuse par de feintes négociations ; la maladie se met dans l'armée mongole qui, lorsqu'elle est affaiblie, est attaquée par 300.000 Annamites, commandés par Khanh-du', tandis que
Quôc tuan détruit la flotte tartare. T'o Houan, échappé à la débâcle, s'enfuit et est destitué par son père. Le roi de Ngan Nan rentré dans sa capitale, se montra modeste dans son triomphe ; il
envoya au Grand khan une statue d'or en tribut, lui rendit ses généraux prisonniers et lui exprima ses regrets d'avoir été obligé de résister aux armées impériales. Toujours obstiné, K'oublaï
envoya en 1292 une nouvelle ambassade à Tran Nho'n-tông pour lui ordonner de venir lui rendre hommage à sa cour ; le souverain annamite se contenta d'envoyer un ambassadeur, Nguyên dai phap, avec
des présents. Nouvelle ambassade mongole menaçant le Ngan Nan de la guerre, si le roi ne se rend pas à Pe King ; nouvelle ambassade annamite, nouveaux présents ; fureur du Grand khan que la mort
seule empêcha de mettre ses menaces à exécution quoiqu'il fût détourné de ses projets belliqueux par de sages conseillers.
La Birmanie.
En 1271, K'oublaï donna l'ordre aux préfets de Ta Li et de Yun Nan fou d'exiger du roi de Mien (Birmanie), Narasihapati, qui régnait à Pagan sur la Haute et la Basse Birmanie, l'Arakan, le
Tenasserim et les États shans jusqu'à Zimmé, la reconnaissance de sa vassalité à l'égard de la Chine ; dans ce but K'i-t'ai-t'o-yin fut envoyé en ambassade, mais il ne fut pas reçu par le roi qui
le fit accompagner jusqu'à Pe King par un envoyé nommé Kai no ou K'ie po.
À la 2e lune de 1273, le Grand khan envoya au Mien une ambassade composée de K'i-t'ai-t'o-yin et de Kan-ma-la-che-li, Lieou Youen et Pou Yun-che, porteurs d'une lettre dans laquelle, après avoir
rappelé qu'il avait reçu lui-même K'ie po, qui lui avait appris que le roi de Mien désirait se mettre sous sa protection, K'oublaï écrit : « Si vous êtes vraiment décidé de remplir les devoirs de
ceux qui servent au plus puissant, (envoyez) ou quelqu'un de vos frères, ou de vos ministres les plus éclairés, pour faire voir à tout le monde que pour mon empire il n'y a rien d'étranger, et
contracter ainsi avec vous une alliance perpétuelle. Ce sera pour vous une action bien éclatante et même très avantageuse. Car, si l'on vient aux armes, qui est-ce qui y gagnera ? Réfléchissez
bien, ô roi, à ce que je viens de vous dire. »
Java.
Dans son désir de domination universelle, qui devait lui causer tant de déboires, K'oublaï envoya des agents à Java pour qu'on y reconnaisse sa suzeraineté. Le roi de Tumapel, dans la partie
orientale de cette île, fit tatouer le visage de Meng K'i, l'ambassadeur du Grand khan, et le traita ignominieusement. En conséquence, à la seconde lune de 1292, K'oublaï ordonna au gouverneur du
Fou Kien, de charger Che pi, Ike Mese (Yi-k'o-mou-sou, Ye hei mi che) et Kao Hing de conduire directement une armée à Java ; les troupes mongoles, embarquées à Ts'iouen Tcheou, passèrent par
Billiton et débarquèrent à Touban, d'où elles gagnèrent l'embouchure de la rivière de Sourabaya sans opposition. Entre-temps, le roi de Tumapel avait été tué par son voisin Adji Katang, roi des
Kalang, qui régnait à Daha (Kediri) ; le vainqueur, qui désirait résister aux Mongols fut facilement battu, grâce à l'aide fournie aux Mongols par Raden Widjaya, gendre du roi de Tumapel ; la
bataille fut livrée le 8 du 3e mois sous les murs de Madja-pahit ; le 19 du même mois, la capitale Daha fut prise. Raden Widjaya n'ayant plus besoin des Mongols se tourna contre eux. La
difficulté de faire la guerre dans ces pays lointains empêcha les Mongols de recommencer les hostilités et, après un séjour de quatre mois dans l'île, ils se rembarquèrent ayant perdu 3.000
hommes.
Le Sien (Siam).
Au quatrième mois de 1293, un ambassadeur alla notifier au royaume de Sien les ordres impériaux ; au septième mois de l'année suivante, « un ordre impérial enjoignit au roi de Sien, Kan-mou-ting,
de venir à la cour ; ou, s'il avait une excuse, de faire venir comme otages son fils, son frère et des envoyés », prétention qui amena la guerre avec Java ; en 1295, supplique du Sien en lettres
d'or ; en 1299, « les royaumes des barbares Sien, des Mo-la-yeou et du Lo Hou vinrent chacun apporter en tribut des produits du pays ».
En réalité le fondateur de la mission de Chine fut Jean de Monte-Corvino, né dans le petit village de ce nom, soit près de Salerne, soit près de Lucera, vers 1247 ; on le trouvé mentionné pour la première fois comme envoyé, déjà franciscain, en 1272, par l'empereur Michel Paléologue au pape Grégoire X, pour porter une communication relative à l'union de l'Église grecque avec celle de Rome. En 1289, Nicolas IV (1288-1292) l'envoya en Chine avec des lettres pour Arghoun khan en Perse, le roi et la reine de Petite Arménie, le patriarche des jacobites et évêque de Tauris, le Grand khan K'oublaï lui-même, et l'adversaire de ce dernier, Kaidou du Turkestan.
Nous apprenons par une lettre de Monte-Corvino, datée de Khan-Baliq, 8 janvier 1305, qu'il était resté seul au Cathay pendant onze ans, et que, deux ans avant sa lettre, un frère Arnold, de
Cologne, était venu le rejoindre ; il serait donc arrivé en Chine en 1292, c'est-à-dire avant la mort de K'oublaï. Ces chiffres ne concordent pas tout à fait avec le reste de sa lettre, puisqu'il
nous dit qu'il quitta Tauris en 1291, qu'il séjourna treize mois aux Indes dans l'église de Saint-Thomas (Méliapour), où il perdit son compagnon de voyage, le dominicain Nicolas de Pistoie. Jean
nous dit qu'il présenta la lettre du Pape au Grand khan qui lui fit bon accueil quoiqu'il l'eût invité à embrasser la foi catholique.
Il eut beaucoup à souffrir des mauvais procédés des nestoriens ; surmontant néanmoins toutes les difficultés, en six ans il construisit une église à Khan-Baliq, y ajouta une tour dans laquelle il
plaça trois cloches ; il avait baptisé à cette date environ 6.000 personnes ; il en aurait baptisé plus de 30.000 sans l'hostilité des nestoriens ; il avait acheté cent cinquante petits païens
qu'il baptisa et auxquels il enseigna le grec et le latin ; il écrivit pour eux des psautiers ; trente recueils d'hymnes et deux bréviaires ; onze de ces enfants purent former un chœur que
l'empereur aimait à entendre. Il croit que, s'il avait eu deux ou trois compagnons, le Grand khan serait déjà baptisé ! Il y avait douze ans qu'il était sans nouvelles d'Occident ; deux ans
auparavant était arrivé un médecin lombard qui avait dit tout le mal possible de la cour de Rome, des franciscains et de la situation en Europe en général ; il demande au général de son ordre de
lui envoyer, avec un antiphonaire, la Vie des Saints, un Graduel et un Psautier avec la musique ; car il n'avait qu'un bréviaire de poche avec la lectio brevis et un petit missel ; il dit que,
quoiqu'il n'eût que cinquante-huit ans, il était vieux et grisonnant, fatigué par les labeurs plus que par l'âge ; il connaissait la langue et les caractères des Tartares et avait traduit dans
cette langue le Nouveau Testament et le Psautier ; de plus, il avait un arrangement avec le roi George pour traduire tout le rituel latin.
Malheuseusement ce prince était mort, laissant un fils nommé Jean, que l'on espérait voir suivre les traces de son père. Jean de Monte-Corvino ajoute qu'il ne croit pas qu'il y ait dans le monde
de roi ou de prince qu'on puisse comparer à Sa Majesté le khan quant à l'étendue de ses possessions, le nombre de leur population, et la somme de ses richesses.
Dans une seconde lettre datée de Khan Baliq, le dimanche de quinquagésime, en février 1306 (13 février) et adressée à ses supérieurs et à ses frères de la province de Perse, Jean de Monte-Corvino
exprime son étonnement que, depuis le temps qu'il réside en Chine, on n'ait pas reçu de lettre de lui et que lui-même n'ait pas eu de nouvelles de ses frères ; il était d'autant plus attristé
qu'on avait fait courir le bruit de sa mort. Il raconte qu'au mois de janvier de l'année précédente, il avait écrit à ses frères de Gazaria et qu'il a appris qu'une copie de cette lettre, qui
donnait la situation de sa mission, avait été transmise à son supérieur. Il avait fait fabriquer six images représentant des scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament destinées à l'instruction
des ignorants, avec des explications en caractères latins, tarsiques et persans ; les auteurs varient sur la signification donnée au mot tarsique ; je pense qu'il s'agit de caractères en
estranghelo. Il annonce que depuis son arrivée en Tartarie, il avait baptisé plus de 5.000 âmes, chiffre moindre que celui qu'il avait donné dans sa première lettre. En 1305, il avait commencé,
vis-à-vis la porte du palais du Grand khan, dont elle était séparée par la largeur de la rue, une nouvelle église sur un terrain dont lui avait fait don le marchand chrétien Pierre de Lucalongo,
qui avait été son compagnon de voyage depuis Tauris ; il y avait près d'une lieue entre ses deux églises.
Enfin copie d'une troisième lettre de Monte-Corvino fut envoyée de Maabar le 22 décembre 1292 ou 1293 par le dominicain Menentillus, de Spolète, au dominicain pisan Barthélémy de
Santo-Concordio.
Le succès de la mission de Monte-Corvino avait été si grand qu'en 1307, le pape Clément V lui envoya sept frères mineurs, ayant rang d'évêques, qui devaient sacrer Monte-Corvino comme archevêque
de Khan Baliq et primat de tout l'Extrême-Orient, et être ses suffragants. Trois de ces missionnaires, Nicolas de Bantra, Pietro de Castello et Andruzio d'Assise moururent aux Indes ; un
quatrième, Guillaume de Villeneuve, retourna en Europe, où il devint en 1325 évêque en Corse et mourut en 1331. Les trois derniers seuls, André de Pérouse, Gérard et Peregrin, arrivèrent à Pe
King, en 1308, où ils consacrèrent en grande pompe Monte-Corvino. Ces missionnaires restèrent cinq ans à Pe King après la consécration de l'archevêque, vivant d'un alafa, subvention de l'empereur
pour leur nourriture et leur habillement. Dans le Fou Kien, où ils se rendirent à Zaïtoun (Ts'iouen Tcheou), une dame arménienne éleva à ses frais une grande et belle église, qui fut transformée
par Monte-Corvino en une cathédrale dont la généreuse donatrice pourvut à tous les frais, et Gérard en fut le premier évêque ; quand il mourut, Monte-Corvino offrit sa succession à André, qui la
déclina ; l'évêché échut alors à Peregrin, qui mourut le 7 juillet 1322 ; cette fois, André de Pérouse, qui avait quitté quatre années auparavant, avec huit cavaliers fournis par l'empereur, Khan
Baliq, ou il se trouvait mal pour s'établir à Zaïtoun, fut bien obligé d'accepter l'évêché.
Une lettre d'André datée de Zaïtoun, janvier 1326, nous donne l'historique de cette mission. Du vivant de Peregrin, il avait fait construire une belle église à une petite distance de la ville,
avec les bureaux nécessaires à vingt-deux frères et quatre appartements suffisants pour un ecclésiastique de n'importe quel rang. André y vivait avec l'alafa impérial, qui l'avait suivi à Zaïtoun
et qui lui servit en partie pour la construction de son église ; quand il fut nommé évêque, il passa une partie de l'année dans la résidence urbaine de la mission. Il était libre de prêcher ; il
avoue dans sa lettre qu'il n'avait réussi à convertir ni juifs ni musulmans et que, parmi le grand nombre d'idolâtres qu'il avait baptisés, beaucoup ne suivaient pas le sentier de la vertu
chrétienne ; il parle des quatre martyrs de la Tana et il constate que, des évêques envoyés par Clément V, il était le seul survivant.
Odoric est désigné tantôt par le lieu de sa naissance en 1286, Pordenone (Portu Naonis), sur le Noncello, dans la province d'Udine, entre Conegliano et Codroipo, sur la ligne du chemin de fer qui, de Trieste à Venise, contourne le nord de l'Adriatique, Pordenone, dont nos vieux auteurs ont fait Portenau, d'ailleurs le nom allemand de Pordenone, tantôt par celui de sa mort, Udine, enfin par celui du pays dans lequel sont situées ; ces villes, le Frioul, en latin Forum Julii, qui s'applique en particulier à Cividale. Son nom de famille aurait été Mattiussi. Il est probable qu'il fit profession de bonne heure, vers 1300, dans sa quinzième année, chez les Franciscains d'Udine. Soit sur sa demande, soit sur le choix de ses supérieurs, Odoric fut l'un des franciscains désignés pour se rendre en Asie, et contribuer aux succès obtenus par Monte-Corvino et ses collaborateurs. Odoric eut pendant ses voyages, tout au moins pendant une partie, comme compagnon, un frère irlandais, Jacques, qui lui survécut.
Il y avait alors deux routes pour se rendre dans l'Asie orientale : l'une plus courte et moins sûre par terre, celle de Marco Polo ; l'autre, par terre et par mer, par la Perse et l'océan Indien,
plus longue, mais offrant plus de ressources avec de nombreuses et florissantes chrétientés sur le parcours. Odoric partit de Padoue en avril 1318, et s'embarqua à Constantinople, à Pera, disent
quelques textes, traversa la mer Noire, et arriva à Trébizonde, d'où il suivit la route d'Arménie par Erzeroum et le mont Ararat jusqu'à Tauris, en Perse. La route de Perse était alors prise de
préférence à celle d'Égypte, grâce au contraste qu'offrait la tolérance des Ilkhans mongols avec les vexations des sultans mamelouks d'Égypte. Les sultans mamelouks qui, par Suez, le Caire et
Alexandrie, servaient d'intermédiaires entre les marchands musulmans qui leur apportaient les produits de l'Inde, de la Chine, de l'archipel Indien et des Moluques, et les Vénitiens, les Génois,
les Catalans, qui remportaient ces mêmes marchandises dans l'Europe et dans l'Asie mineure, voyaient vers l'époque du passage d'Odoric une grande partie du trafic leur échapper. L'importance de
Baghdad, à la suite des guerres mongoles, avait singulièrement diminué, et Tauris était devenu le principal entrepôt de l'Asie occidentale. D'autre part, la route de Perse abrégeait beaucoup le
parcours par mer pour certaines épices delicates ; ainsi, d'un côté, la bonne volonté des khans mongols, d'un autre une route plus courte, l'avantage d'échapper aux exigences des sultans
mamelouks d'Egypte, enfin les persécutions suscitées contre les chrétiens par Melik en Naçir Mohammed (1310-1341), qui éloignèrent les voyageurs et les pèlerins de contrées ravagées par la guerre
et dans lesquelles leur sécurité était sans cesse menacée par le fanatisme des musulmans, faisaient prendre de préférence, aux voyageurs venant d'Europe et se rendant aux Indes et en
Extrême-Orient, la grande route de Tauris, Sulthanyeh, Yezd, Ormouz, où l'on s'embarquait.
Odoric traverse la Perse, par la route ordinaire de Tauris, Sulthanyeh, Kachan, Yezd, Persépolis, puis il fait un crochet ; par le Fars et le Khouzistan jusqu'en Chaldée, revient au golfe
Persique et s'embarque à Ormouz pour les Indes. Après vingt-huit jours, de traversée, il arrive aux Indes à Tana de Salsette, peu de temps après le martyre des quatre franciscains (avril 1321),
ce qui nous donne une date de l'itinéraire. Odoric recueille les ossements de ses confrères et les transporte en Chine à Zaïtoun. Odoric constate à Tana la présence de chrétiens nestoriens.
C'était un gros crève-cœur pour l'excellent moine de rencontrer partout sa religion enseignée par des gens condamnés par l'Église ; cependant schismatiques et orthodoxes paraissaient fréquemment
faire bon ménage, car c'était justement chez un nestorien qu'étaient logés à Tana Thomas de Tolentino et ses compagnons.
Sur toute sa route, Odoric trouva sa doctrine enseignée, mais sous la forme d'hérésie nestorienne, qui faisait la plus sérieuse concurrence à la doctrine de l'Église romaine. Lorsqu'Odoric arriva
aux Indes, il y avait grande lutte dans la presqu'île pour la prépondérance religieuse, partant pour la prépondérance politique. Le brahmanisme avait chassé devant lui le bouddhisme ; le
christianisme, sous forme nestorienne, faisait de nombreux prosélytes sur le littoral indien et particulièrement sur la côte de Malabar. L'islam, de bonne heure, avait cherché à s'implanter dans
la presqu'île hindoustane et dès le milieu du VIIe siècle et le commencement du VIIIe siècle, le Croissant avait fait son apparition soit par mer, du côté de Bombay, soit par terre, vers l'Indus.
À la dynastie de Mahmoud de Ghazni (XIe-XIIe siècles) avaient succédé différentes dynasties musulmanes, et quand Odoric débarqua aux Indes, c'était la cinquième dynastie mahométane qui cherchait
à imposer son joug sur le nord de l'Hindoustan. La dynastie de Tughlak qui dura de 1320 à 1414, avait pour fondateur un ancien esclave d'origine turke, devenu gouverneur du Pendjab, Ghiyas ed-din
Tughlak, qui régna jusqu'en 1324 et qui était le potentat musulman dont les agents firent martyriser les franciscains à Tana de Salsette.
Odoric parcourt ensuite la côte de Malabar, décrit la manière de récolter le poivre, visite Fandaraïna, Cranganore, Coulam, remonte la côte de Coromandel, s'arrête à Meliapour au tombeau de saint
Thomas, à Ceylan, se rend à Sumatra, dont il visite quelques royaumes, puis à Java, touche au sud de Bornéo à Bandjermasin, de là se rend au royaume de Tchampa et parvient enfin en Chine, à
Canton. Il visite successivement les ports du Fou Kien, entre autres Zaïtoun, et du Tche Kiang, où il arrive à la capitale, Hang Tcheou, la Quinsay de Marco Polo ; de là, il se dirige dans
l'intérieur, visite Nan King, puis Yang Tcheou et se rend par la voie du Grand Canal par Lin Ts'ing et Tsi Ning jusqu'à Khan Bâliq la capitale du Grand khan. Monte-Corvino était encore archevêque
de cette ville, Odoric y séjourna trois ans ; il nous décrit la résidence d'été du Grand khan, la manière de voyager de ce prince, les postes, les chasses, etc.., et comme les Mongols étaient
gens fort tolérants, il voyait à leur cour aussi bien des bouddhistes que des musulmans, des nestoriens que des catholiques.
Odoric revient en Europe, par le Chan Si, le Chen Si, le Se Tch'ouan et le Tibet, quoique ce dernier point ait été discuté ; il était de retour en 1330. Ainsi donc nous n'avons que deux dates
sûres pour cet itinéraire : celle du départ (1318), et celle du retour (1330). Nous savons également qu'Odoric a séjourné trois ans à Khan Bâliq et nous pouvons supposer qu'il est passé en 1321 à
Tana de Salsette. C'est donc un voyage de douze ans ; tout le reste n'est qu'hypothèses, qu'aucun fait ne vient justifier.
Rentré en Italie, Odoric, sur les instructions de son supérieur, le frère Guidotto, ministre de la province de Saint-Antoine, dans la Marche Trévisane, dicta au mois de mai 1330, dans le couvent
de son ordre, à Padoue, le récit de ses voyages au frère Guillaume de Solagna. Odoric était en route pour Avignon, se rendant auprès de Jean XXII pour lui faire le récit de ses voyages, lui
demander son aide, et l'envoi de cinquante nouveaux missionnaires dans l'Extrême Orient, lorsqu'arrivé près de Pise, saint François, sous la forme d'un vieillard, apparut à Odoric et lui ordonna
de retourner sur ses pas, car il devait mourir dix jours plus tard. En conséquence, Odoric rebroussa chemin et retourna à son couvent d'Udine, où il mourut, âgé d'environ quarante-cinq ans, le 14
janvier 1331.
Ouvrage numérisé grâce à l’obligeance des Archives et de la
Bibliothèque asiatique des Missions Étrangères de Paris. http://www.mepasie.org