Stephen W. BUSHELL (1844-1908)
L'ART CHINOIS
Traduction et annotations d'Henri d'Ardenne de Tizac.
Henri Laurens, éditeur, Paris, 1910, IV+360 pages, 240 gravures hors texte.
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S. Bushell : "Il m'a semblé que la meilleure méthode était de reproduire et de décrire avec exactitude quelques spécimens typiques de l'art chinois, en
les empruntant à nos musées, puis de donner au passage un certain nombre de renseignements à leur sujet, et de renvoyer enfin aux sources d'information capables d'éclairer le lecteur sur leur
origine et sur leurs rapports."
- H. d'Ardenne de Tizac : "L'art chinois, et tout l'art chinois, réclame sa place dans les investigations occidentales ; ce que cette place doit être, un avenir prochain se chargera de nous l'apprendre. Peut-être, alors, la Chine apparaîtra-t-elle comme étant véritablement « l'Empire du Milieu », celui vers qui l'Orient a convergé depuis les époques les plus anciennes, et qui continue à exercer sur l'Asie une domination morale. Les apports de l'Inde bouddhique en Chine il y a deux mille ans et leur influence sur l'art chinois, prendront une moindre valeur que celle qu'on leur donne à l'heure actuelle, tandis que le Japon semblera avoir évolué plus étroitement dans l'orbite chinois."
Table des matières : Introduction historique — La sculpture sur pierre — L'architecture — Le bronze — Sculpture sur bois, ivoire, corne de
rhinocéros, etc. — Les laques — Jades sculptés — La poterie — Le verre — Les émaux : cloisonnés, champlevés et peints — Les bijoux — Les tissus : soies, broderies, tapis — La peinture.
Extraits : L'origine de la porcelaine - Les émaux - L'institutrice de la cour écrivant son livre - Le
Printemps au Palais impérial de la dynastie des Han
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L'opinion générale admet que la porcelaine apparut tout d'abord en Chine ; mais les autorités différent de beaucoup quant à la date de son
apparition.
Les Chinois l'attribuent à la dynastie des Han ; un nouveau caractère, ts'eu, fut alors forgé pour désigner vraisemblablement une substance nouvelle. Le mémoire officiel sur « l'Administration de
la porcelaine », contenu dans la topographie de Fou-leang, dont la première édition parut en 1270, relate que, selon la tradition locale, les fabriqués de céramique de Sin-p'ing (nom ancien de
Fou-leang) furent fondées au temps de la dynastie des Han et ont toujours fonctionné depuis. Ce point est confirmé par T'ang Ying, le célèbre directeur des Poteries impériales, nommé en 1728, qui
affirme dans son autobiographie que d'après ses propres recherches la porcelaine fut fabriquée en premier lieu sous la dynastie des Han, à Tch'ang-nan (King-tö-tchen) dans le district de
Fou-leang. Ce que nous savons des industries de cette époque rend cette théorie plausible dans une certaine mesure ; étant donné que l'on importait alors de Syrie et d'Égypte des quantités de
verreries, il semble naturel que des expériences aient été tentées dans les poteries chinoises pour produire des objets analogues.
L'éminent critique d'art japonais, Kakasu Okakura, dans son ouvrage Ideals of the East, avance d'autre part l'idée que les alchimistes de la dynastie des Han, au cours de leurs longues recherches
pour trouver le breuvage de vie et la pierre philosophale, ont pu de façon ou d'autre arriver à cette découverte ; il en vient à la conclusion suivante, « que nous pouvons attribuer l'origine de
la merveilleuse glaçure de la porcelaine de Chine à leurs découvertes accidentelles.»
Sous la dynastie des Wei (221-264) qui fut contemporaine de la petite dynastie des Han (époque des trois royaumes), il est question pour la première fois d'un céladon verni fabriqué à Lo-yang
pour l'usage du palais. Sous la dynastie des Tsin (265-419), nous voyons mentionner la porcelaine bleue, fabriquée à Wen-tcheou, dans la province de Tchö-kiang, qui donna naissance aux vernis
bleu ciel teintés de cobalt, si fameux par la suite. La courte dynastie des Souei (581-617) se distingue par une espèce de porcelaine verte (lu ts'eu) inventée par un Président du ministère des
Manufactures, nommé Ho Tcheou, pour remplacer le verre vert dont la composition avait été perdue depuis son introduction par des artisans de l'Inde septentrionale en 424 après Jésus-Christ. . .
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Période K'ang-hi (1662-1722). — Nous arrivons maintenant à la période la plus parfaite de l'art céramique chinois ; tous les avis concordent sur ce point, aussi bien en Orient
qu'en Europe. L'éclatante renaissance artistique qui distingue le règne de K'ang-hi se manifeste de toutes façons : dans les couvertes monochromes, « qualité maîtresse de la céramique », dans les
décors de grand feu, dans les émaux de feu de moufle, pareils à des joyaux, et dans leurs multiples combinaisons ; enfin toutes les nuances du bleu prennent une surprenante vigueur dans
l'inimitable porcelaine « bleue et blanche ».
Lang T'ing-tso était vice-roi des provinces unies du Kiang-si et du Kiang-nan au début du règne ; son nom sert à distinguer deux glaçures, dérivées toutes deux des silicates de cuivre, le vert
pomme Lang Yao si rare, et le rouge rubis Lang Yao plus célèbre encore, le « sang-de-bœuf » des Français ; on peut, à la vérité, considérer ce dernier comme une réplique du « rouge de sacrifice »
du règne de Siuan-tö et comme un précurseur de la coûteuse fleur-de-pêcher ou « peau de pêche » qui fut composée des mêmes éléments au cours du règne qui nous occupe, mais un peu plus
tard.
L'éclat dont l'art céramique brilla sous K'ang-hi fut pourtant dû surtout à Ts'ang Ying-hiuan, secrétaire du ministère métropolitain du Travail ;
il fut nommé en 1683 directeur des manufactures impériales de King-tö-tchen, qui venaient d'être reconstruites. Pour ce qui est de ses succès céramiques, et en particulier des nouvelles couvertes
monochromes introduites sous sa direction, on peut consulter les nombreux ouvrages qui ont été écrits sur la porcelaine chinoise ; on fera de même en ce qui concerne les décors spéciaux de la «
famille verte », qui fleurit pendant tout le règne, et de la « famille rose », qui n'entra en scène que vers la fin.
Si nous commençons par « le bleu et blanc », la figure [ci-contre] nous montrera un vase à gingembre « hawthorn », décoré de branches de prunier en fleurs, blanc sur un fond bleu marbré, d'une
profondeur et d'un éclat merveilleux.
Ces vases charmants, destinés à l'origine à contenir des cadeaux de thé odorant pour le jour de l'an, sont peints de motifs de fleurs symboliques, appropriées à la saison. Ici les fleurs de
prunier sont en train d'éclore à la chaleur du printemps, tandis qu'on voit la neige d'hiver fondre entre les brindilles.
D'autres vases sont semés uniquement de fleurs de prunier et de boutons, blanc sur fond bleu, traversés de hachures d'un bleu plus sombre qui représentent la glace en train de se craqueler. . .
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Période Yong-tcheng et K'ien-long (1723-1795). — Nous réunissons les deux règnes de Yong-tcheng et de son illustre fils
K'ien-long (qui succéda à son père en 1736). Il existe, en effet, une grande ressemblance entre leurs produits céramiques.
King-tö-tchen et sa manufacture impériale retiendront encore exclusivement notre attention. Ses directeurs officiels furent alors Nien Si-yao, nommé à ce poste au début du règne de Yong-tcheng,
et T'ang Ying qui, nommé directeur adjoint en 1728, devint directeur en 1736, et demeura seul possesseur de sa charge jusqu'en 1749 ; de son successeur nous ne savons rien, si ce n'est le nom.
T'ang Ying était un écrivain fécond, en même temps qu'enthousiaste amateur de l'art céramique ; nous lui devons beaucoup de nos connaissances exactes sur ce sujet.
Ces deux directeurs consacrèrent leurs efforts à reproduire les porcelaines archaïques dont on reçut de Pékin des spécimens destinés à cet usage ; ils inventèrent également de nouveaux procédés
de décoration. Nous ne disposons pas, malheureusement, d'une place suffisante pour énumérer tous leurs magnifiques produits. Les Chinois les désignent sous les noms respectifs de Nien Yao et de
T'ang Yao. . . .
Note : Les reproductions en couleurs sont extraites de l'ouvrage de C. Monkhouse "A history and description of Chinese porcelain", qu'évoque par
ailleurs S. Bushell, et concernent des objets présentés en nuances de gris dans "L'art chinois".
Kou K'ai-tche était originaire de Wou-si, près du Nankin actuel ; son érudition était aussi fameuse que son talent artistique, pourtant hors de
pair, et qui dépassait même celui de son maître Wei Hie. Le champ en était très vaste. Kou K'ai-tche exécuta tour à tour des portraits d'empereurs, d'hommes d'État et de dames de la Cour ; des
scènes historiques ; des tigres, des léopards et des lions ; des dragons et autres animaux légendaires ; des oies sauvages, des canards, des cygnes ; des étendues de plaines couvertes de roseaux
et des paysages de montagnes. Il peignait généralement sur soie, mais se servait aussi parfois de papier blanc fabriqué avec du chanvre. Parmi ses œuvres les plus remarquables, on cite un écran
représentant un lac avec des oiseaux aquatiques, et des éventails gracieusement décorés de jeunes femmes de haut rang. Il aborda aussi les sujets bouddhistes ; certain récit rapporte qu'au jour
de l'ouverture du Wa Kouan Sseu, monastère bâti à l'époque hing-ning (363-365), le peuple se pressa en foule pour venir admirer sa figure de Vimalakîrti ; la réputation de cette seule peinture
remplissait le temple de visiteurs et rapporta un million au trésor. L'artiste avait inscrit cette somme en regard de son nom sur la liste de souscription qui circulait pour aider à construire
l'édifice. Quand les moines vinrent recueillir l'argent, il leur dit : « Préparez un mur, fermez la porte pendant un mois et attendez. » L'affluence des visiteurs lui permit d'acquitter sa dette.
Il avait d'abord attiré l'attention en exécutant sur un mur de village le portrait d'une jeune fille dont il était amoureux. Versé p.316 dans la science de l'envoûtement, il piqua le portrait
avec une épine, dans la région du cœur ; la jeune fille, atteinte d'une grande douleur, se hâta de lui accorder sa main ; la douleur disparut dès que l'artiste eût enlevé l'épine.
Le British Museum possède une œuvre de Kou K'ai-tche sous forme d'un rouleau de soie brune de 25 centimètres de large, sur 3m50 de long ; c'est un document très important pour l'histoire de la
peinture ; M. Binyon l'a décrit dans tous ses détails dans le Burlington Magazine.
Il n'existe aucune raison de douter de l'authenticité de ce tableau ; il est signé par l'auteur et accompagné d'une série de cachets des collections impériales et d'attestations délivrées par les
critiques célèbres qui eurent l'occasion de l'étudier. Son titre est : Illustrations destinées aux Exhortations de la Dame Historienne. Il se rapporte à un célèbre ouvrage composé par Pan Tchao,
femme d'une grande érudition et sœur de Pan Kou, qui vivait au premier siècle de notre ère. Ce tableau est cité dans le Siuan ho houa p'ou, catalogue du XIIe siècle, au nombre des neuf toiles de
Kou K'ai-tche qui se trouvaient à cette époque au palais de K'ai-fong fou ; il doit provenir du palais de Pékin, ainsi que le prouvent des inscriptions de l'empereur K'ien-long, datées de 1746,
écrites de sa main et marquées de ses sceaux. Sur le long rouleau de soie brun sombre, se succèdent huit scènes en couleurs, destinées à illustrer les Exhortations de Pan Tchao, et portant des
extraits appropriés des œuvres de l'historienne, sans doute tracés d'abord en caractères du temps mais retouchés plus tard au pinceau. Au bout du rouleau se trouve la signature de Kou
K'ai-tche.
On trouvera dans le Burlington Magazine des reproductions satisfaisantes de trois de ces épisodes. Celui que nous donnons ici permet de se rendre compte de la délicatesse et du beau mouvement de
pinceau qui caractérisent l'artiste. On y voit la « dame historienne » Pan Tchao, en costume de Cour avec de longs vêtements flottants, tenant un pinceau dans la main droite et écrivant ses
Exhortations destinées aux concubines impériales. En haut, à gauche, un cachet impérial avec cette inscription : T'ien tseu kou hi, « Une antiquité précieuse parmi les Fils du Ciel » ;
au-dessous, à droite, le cachet privé de Hiang Yuan-p'ien, célèbre critique d'art du XVIe siècle, avec son nom littéraire Mo-lin chan jen « habitant des montagnes de Mo-lin ». Ce tableau,
remarque M. Binyon, est l'œuvre d'un grand peintre qui florissait 900 ans avant Giotto. Pourtant rien de primitif en lui, son art dénote une époque de raffinement, de pensée, et de grâce
civilisée. Une telle maîtrise suppose une longue élaboration de siècles nombreux. La phrase dont usait l'artiste lui-même pour définir le but de la peinture : « noter le vol du cygne sauvage »
prouve combien l'art chinois se préoccupait déjà du mouvement et de la vie des animaux et des plantes ; il n'est pas étonnant que pour traiter ces sujets particuliers, les peintres
d'Extrême-Orient soient parvenus à une si remarquable supériorité sur ceux d'Europe.
K'ieou Ying. A l'heure actuelle encore, on copie souvent ses tableaux. Il excelle dans les sujets à personnages et dans l'art de composer des
groupes aux attitudes naturelles, placés dans des paysages pittoresques ; on dit qu'il acquit ce talent en étudiant soigneusement les anciens maîtres ; il s'efforçait de retenir ce que chacun
d'eux avait de meilleur, afin d'en faire son profit pour ses œuvres personnelles.
Son chef-d'œuvre représentait le Parc de Chang Lin ; ce parc appartenait à l'empereur Wou Ti ; c'était un vaste terrain de plaisance ; il fut ouvert en 138 avant Jésus-Christ, et reçut une
affluence de nobles et de savants accourus de tous les points de l'empire. Un pendant de ce tableau, connu sous le nom de Han kong tch'ouen, « le Printemps au Palais des Han », se trouve au
British Museum ; nous en reproduisons un fragment ; on y voit un orchestre de musiciens en train d'accorder leurs instruments ; ils se préparent à accompagner deux danseuses aux attitudes pleines
de grâce, qui essayent leurs pas en deçà du pilier de droite, mais qui n'ont pu malheureusement trouver place sur notre photographie.
Le tableau entier met sous nos yeux un palais entouré de murs, avec pavillons, kiosques, et jardins aux arbres fleuris ; déroulé, il montre une suite de groupes pittoresques : des dames de la
Cour en robes de brocart, avec des fleurs dans leurs cheveux, cueillent ou arrosent des plantes, lisent, peignent, jouent aux échecs et à d'autres jeux, ou se livrent à des occupations diverses.
L'impératrice apparaît enfin, assise sur un trône, avec, à ses côtés, un eunuque qui tient au-dessus de sa tête une sorte de dais à long manche ; derrière elle, un essaim de demoiselles d'honneur
; elle est en train de poser pour son portrait devant un artiste qui met à ses lèvres la dernière touche de vermillon. Vient enfin une figure solitaire et pensive, debout sur la vérandah et
contemplant le lac dont les rives sont bordées de saules, vêtus de leur printanière parure de vert éclatant. La signature est : Che fou K'ieou Ying tche, « K'ieou Ying surnommé Che-fou
fecit » ; le nom de plume de l'artiste, Che-fou, est inscrit au-dessous dans un petit cadre en forme de gourde. Le critique chinois, dans le certificat apposé sur le rouleau en 1852,
affirme qu'il a soigneusement comparé cette signature avec d'autres exemplaires et qu'à son avis elle est certainement authentique.