Laurence Binyon (1869-1943)
LES PEINTURES CHINOISES DANS LES COLLECTIONS D'ANGLETERRE
G. Vanoest, éditeur, Paris et Bruxelles, 1927, in-4, 69 pages+64 planches.
Ars Asiatica, IX. Études et documents publiés par V. Goloubew sous le patronage de l'École Française d'Extrême-Orient.
- "Alors que la porcelaine, la laque, les étoffes et toutes les autres catégories de « chinoiseries » sont appréciées en Europe si chaleureusement et depuis si longtemps, c'est un fait assez étrange que pendant tout le XVIIIe siècle et la plus grande partie du XIXe, aucun Européen n'ait eu la curiosité de rechercher si, derrière cet art décoratif exquis, il n'avait pas existé un art créateur comparable à la peinture de nos écoles occidentales. Les Chinois nous regardaient comme des barbares et nous leur rendions le compliment. Si nous évitions de les considérer comme tout à fait barbares, nous voyions en eux un peuple exotique pour ne pas dire grotesque, aux coutumes fantaisistes, créateur d'objets exquis assurément, mais dont l'art demeurait à un plan tout autre et sans doute beaucoup moins élevé que l'art classique de la Grèce ou de l'Italie... Ce n'est guère, croyons-nous, avant le dernier quart du XIXe siècle que l'Angleterre reçut enfin quelques œuvres d'artistes que les Chinois reconnaîtraient au nombre de leurs maîtres."
- C.R. lecture de Marcel Granet : "M. L. Binyon a consacré à chacune des œuvres reproduites une courte et substantielle notice. Il y témoigne de beaucoup de prudence dans la redoutable question des attributions de peintures anciennes. Ce catalogue est précédé par une introduction où, après avoir fait un bref historique des collections et du goût anglais en matière de peintures chinoises, l'auteur profite des peintures qu'il présente, pour jeter « un coup d'œil rapide sur les diverses époques de la peinture chinoise ». Un paragraphe est consacré à l'art des Han et des T'ang, un autre à l'époque des Song, un troisième aux Ming, un quatrième à la période mandchoue. De brèves réflexions sur la peinture chinoise terminent cette introduction, écrite avec beaucoup de finesse et une compréhension parfaite. Si elle ne paraît point trop courte, c'est uniquement parce que le lecteur est pressé de contempler les reproductions qui sont splendides. On ne saurait trop féliciter l'auteur du choix des œuvres et l'éditeur de l'exécution matérielle du volume."
- C.R. lecture de Paul Pelliot : "Soyons reconnaissants à M. B. ; ce n'est que par la publication, en bonnes planches, de ce qui existe et est accessible que nous arriverons à préciser et à corriger nos notions ou nos impressions dans un domaine particulièrement attirant, mais semé de chausse-trappes à chaque pas."
Extraits : Des Han... — Chevaux, poneys, faisans, tigre,...
Groupes... - ... et solitaires — ... à l'avenir
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L'art graphique de l'époque Han ne nous est connu que par les dessins de quelques vases, dont l'un — une scène de chasse — conservé au British
Museum, est reproduit dans le tome VI d'Ars Asiatica. Ces dessins sont pleins de légèreté et d'animation. Parmi les objets que Sir Aurel Stein, au cours de sa dernière expédition (1915),
a découverts sur le site de Leou-lan, on remarque un morceau de laque orné d'un dessin déjà empreint de ce génie particulier de la Chine qui excelle à exprimer un mouvement vif et bondissant, tel
celui des flammes ou des vagues. Mais en peinture proprement dite nous ne connaissons rien d'antérieur au IVe siècle de notre ère ; nous rencontrons alors un des noms les plus fameux dans l'art
chinois, celui de Kou K'ai-tche. On a tant écrit concernant le rouleau du British Museum attribué à ce maître, qu'il serait superflu de le décrire ici en détail. Deux fragments en sont reproduits
dans Ars Asiatica, tome VI ; un troisième figure parmi nos planches.
C'est une partie du célèbre rouleau intitulé « Conseils de la Monitrice des Dames du Palais ». La présente composition illustre le texte que
voici : « Que les paroles de vos lèvres soient sincères ; et mille lieues à la ronde tous les hommes vous croiront. Corrompez la vérité dans votre cœur et votre compagnon de lit lui-même n'aura
plus confiance en vous. C'est une maxime des Conseils rédigés par Tchang Houa, poète du IIIe siècle de notre ère. Cette peinture a été fort discutée ; malgré la diversité des opinions, on est du
moins unanime à la considérer comme un très précieux document du style du IVe siècle.
À part le paysage qu'on rencontre vers le milieu du rouleau, cette peinture n'offre rien de primitif. Elle montre cette affinité avec la
calligraphie qui est si caractéristique de l'art du peintre chinois. Le coup de pinceau suit les formes avec une sensibilité exquise. La composition n'est peut-être pas sans faiblesse ; on n'y
trouve point un ensemble largement échafaudé ; mais ce qui est incomparable, c'est l'évocation des formes humaines et vivantes. Nous pénétrons là dans un monde raffiné avec naturel, élégant avec
simplicité ; nous croyons voir ces êtres gracieux, hommes et femmes, pleins de dignité sans étalage de cérémonie, et dont le moindre regard, le moindre geste expriment tant de choses ; nous les
surprenons dans leur démarche, ou bien assis en conversation, menant sous nos yeux leur vie quotidienne.
L'art postérieur ne manquera pas d'élégance ni de raffinement ; mais ici, derrière la délicatesse, nous devinons une réserve de puissance nerveuse. Sa grâce ne montre nulle lassitude. Kou
K'ai-tche peignait des sujets bouddhiques ; quant à ce rouleau, il n'offre rien que de purement chinois.
Sous la dynastie T'ang (VIIe-Xe siècle) l'art chinois atteignit une puissance et une grandeur inégalées depuis, et ses plus grands chefs-d'œuvre furent probablement d'inspiration bouddhique. Ces
chefs-d'œuvre semblent être tous détruits.
Malgré cela, en ce qui concerne la peinture de l'époque T'ang, les découvertes de ces vingt dernières années nous ont mis en possession d'une masse de renseignements surprenante ; on me fait
l'honneur de m'autoriser à reproduire ici des œuvres jusqu'à présent inédites et d'un intérêt remarquable. Les peintures bouddhiques rapportées de Touen-houang par Sir Aurel Stein et par M. Paul
Pelliot constituent, comme on sait, une collection de documents d'une rare importance ; il est peu probable qu'on fasse encore une découverte comparable à celle-là. Mais de sa dernière expédition
Sir Aurel Stein a rapporté des fragments de peinture d'autant plus intéressants qu'ils empruntent leurs sujets à la vie ordinaire.
Dès le début du VIIIe siècle, l'idéal de beauté T'ang est en vogue : quel changement ne trouvons-nous pas ! Des joues pleines et arrondies, des lèvres doucement incurvées, une expression sereine, une stature moins élevée, mais un air de santé épanouie : telles sont les caractéristiques qui marquent les types féminins dans les très curieux fragments que Sir Aurel Stein a retirés des sables à l'entrée d'un tombeau, à Astana également. Ce sont des fragments fort réduits mais qui ont conservé une fraîcheur presque incroyable. Le morceau que nous reproduisons montre l'arrangement général du tableau. C'était un rouleau assez long, peut-être une sorte de frise, divisée en compartiments par des bandes de brocard. Chacun de ces compartiments contenait, semble-t-il, une figure ou un groupe de figures, danseurs, spectateurs de la danse, musiciens, auditoire. Ce fragment est le seul qui nous conserve le tronc d'un arbre ; mais nous avons des bribes de feuillages variés et de rameaux fleuris provenant sans doute des autres compartiments ; certains fragments portent des têtes, au nombre de sept en tout. Ce devait être une composition charmante. Le sujet en était sans doute une fête du printemps. Les jolies femmes associées aux arbres en fleurs et aux tendres pousses de verdure étaient un sujet de prédilection pour les peintres de l'époque ; non seulement des dessins de sujets analogues ont été retrouvés dans d'autres sépultures voisines de Tourfân par l'expédition japonaise du comte Otani ; au Japon même, dans le Shô-sô-in de Nara, il existe un paravent à six feuillets dont chacun porte l'image d'une femme, intitulé les Beautés sous les arbres. D'ailleurs, le souvenir s'impose d'autres peintures japonaises primitives : le groupe que nous reproduisons, par exemple, rappelle le fameux portrait du prince Shôtoku et de ses deux fils ; le type de visage est presque identique à celui de la Çrî-Devî du Yakushi-ji. Certains détails, les dessins du vêtement par exemple, nous fourniraient encore des points de rapprochement. Ce sont là des faits du plus grand intérêt. La peinture d'Astana est assurément une œuvre provinciale ; mais puisque bien loin de là, de l'autre côté de la Chine, au Japon, nous retrouvons des ressemblances si frappantes, il n'est pas téméraire de conclure que l'une et l'autre école dérivent de celle qui florissait dans le centre de la Chine au VIIIe siècle, et dont il ne nous reste rien. Ces découvertes ont une valeur spéciale du fait qu'elles nous donnent un échantillon authentique du style profane en ce siècle lointain dont nous ne connaissions jusqu'à présent que l'art bouddhique.
... À la même époque [VIIIe siècle] appartient le croquis animé de chevaux au galop, également rapporté par Sir Aurel Stein de sa dernière expédition. Il y a ici moins de délicatesse mais plus de vigueur. Voici donc un croquis contemporain du fameux maître Han Kan à qui l'on attribue certains tableaux de chevaux ; il est d'ailleurs fort douteux qu'aucune peinture de sa main soit parvenue jusqu'à nous. Giles, dans Chinese Pictorial Art, reproduit deux gravures sur bois du XVIe siècle, d'après les Cent Poulains de Han Kan. C'est à lui qu'on attribuait en Chine le Poney blanc de la planche XI ; cette petite peinture, dont la soie est en grande partie détruite, pourrait être de plusieurs siècles moins ancienne, mais elle semble dater au moins de l'époque Song. Ce devait être, dans son état originel, une œuvre admirable, d'une belle simplicité de présentation, pleine de sûreté et de sensibilité dans ses lignes.
Le grand tableau de M. Blunt, Oiseaux sur un arbre en hiver, est un admirable exemple de ce type de peinture Ming où de hautes qualités décoratives s'unissent à une observation profonde.
Le dessin à l'encre de Chine est plein d'énergie, la composition s'impose, et l'effet du monochrome est rehaussé par les notes de couleur franche dans les fleurs ou les plumages. Les oiseaux
serrés les uns contre les autres, les yeux mi-clos dans l'air froid, sont admirables.
Nous laissons couler d'une plume facile les noms de T'ang, de Song et de Ming, souvent sans prendre garde que chacune de ces dynasties s'étend sur trois siècles. Je me demande quelle révision,
quelle refonte il ne faudrait pas opérer dans nos idées sur l'art chinois, si nous pouvions avoir sous les yeux des échantillons authentiques de chaque phase de la peinture à chacune de ces
grandes époques ; si un miracle voulait qu'un musée aussi vaste que le Louvre se trouvât rempli de chefs-d'œuvre chinois du VIIe au XVIIe siècle ! Sur quelles maigres reliques, hélas ! sur quels
fragments douteux nous faut-il établir nos jugements !
Tchao-kiun (Ier siècle av. J.-C.) était la plus belle des innombrables concubines de l'empereur Yuan-ti. Désirant offrir en présent au Khan tartare une de ses concubines, l'empereur fit peindre le portrait de chacune d'elles. Toutes corrompirent le peintre à l'exception de Tchao-kiun ; aussi la représenta-t-il si laide qu'elle fut sans hésitation désignée pour être offerte au Tartare. L'empereur découvrit trop tard son erreur et fit décapiter le peintre.
Lieou Tsong (mort en 318 ap. J.-C.) tua son frère aîné pour succéder à son père sur le trône des Han. Il déclara la guerre à l'empereur Houai Ti, le vainquit et fit un grand massacre de son armée. Son ministre Tch'en Yuan-ta le blâma de gaspiller les deniers publics en guerres et en constructions, et n'eut la vie sauve que grâce à l'intercession de la femme de Lieou.
Même en ce qui concerne l'époque Ming, nos documents sont loin d'être satisfaisants. Nous pouvons cependant deviner quels changements cette
dynastie vit se produire dans l'art, en comparant au style de Lin Leang et de Lu K'i celui des maîtres du XVIIe siècle ; encore faut-il faire la part de cette piété séculaire qui pousse les
Chinois à perpétuer des modèles antiques sous des répliques modernes, et à prolonger ainsi indéfiniment les vieilles traditions. On pourrait dire d'une façon générale que les changements tendent
vers une présentation moins solide, un faire plus lâché et plus léger, et, dans le choix des sujets, vers une élégance plus mondaine, celle-là même que nous associons en Europe au XVIIIe siècle.
Cette impression d'ensemble aurait sans doute besoin d'être fort amendée dans le détail.
L'art Ming récent est représenté au British Museum par une peinture importante et séduisante, intitulée Le Paradis terrestre. La composition en est charmante : il y a des coins de
couleur rare et exquise ; la beauté en est un peu extérieure et n'offre pas ces incomparables délicatesses d'expression que nous trouvions dans les peintures d'autrefois. Mais il est rare de
rencontrer dans une peinture de cette dimension, une composition aussi achevée, aussi heureuse. Il y a trente ans, cette peinture aurait pu passer pour un grand chef-d'œuvre de l'art chinois,
remplie comme elle l'est de toutes les qualités qu'on s'accordait à lui concéder. C'est l'époque ou la porcelaine K'ang-hi semblait être à l'apogée de la céramique chinoise. Mais en une seule
génération que de nouveaux mondes révélés à notre admiration !
Cinq immortels abordent dans une barque aux rives du lac de Jade Vert ; d'autres leur souhaitent la bienvenue ; l'empereur de Jade Vert, époux de la fée Si Wang Mou, descend du ciel. Cette peinture porte une fausse signature de K'ien Chouen-kiu.
Je suis persuadé que d'autres peintures chinoises dignes d'être citées et reproduites se trouveraient encore dans les collections anglaises que
je n'ai pas vues, sans compter celles dont j'ignore même l'existence. Peut-être pourra-t-on quelque jour publier sur le même sujet une étude plus complète et plus détaillée. En attendant, les
œuvres ici décrites prouveront assez que les collections anglaises sont riches en spécimens excellents d'époques diverses, et qu'on y rencontre un certain nombre de peintures de qualité peu
commune.
Pour le collectionneur l'avenir demeure incertain. Malgré les recherches zélées que les agents des marchands ou des collectionneurs européens et américains poursuivent sans répit dans le pays
même, la Chine a exporté peu de pièces de premier ordre au cours de ces dernières années ; les pessimistes disent que nous n'en verrons plus rien venir. Bien entendu on trouve tant et plus
d'œuvres mauvaises ou de second ordre. Mais la Chine nous réserve toujours des surprises. Tout récemment encore, n'affirmait-on pas comme un dogme que la Chine n'avait jamais produit de sculpture
? Voici que M. O. Sirén est en mesure de publier presque un millier de pièces sculptées, toutes choisies dans une période limitée. Ne nous avait-on pas dit que toutes les fresques d'autrefois
avaient disparu ? Elles commencent à se montrer. Toutefois ce ne sont que de rares reliques du grand art classique chinois que le monde pourra recouvrer ; nous nous abuserions d'en espérer plus.
Il peut nous échoir quelque révélation nouvelle ; mais les grands chefs-d'œuvre du génie chinois sont bel et bien perdus pour nous, tout comme ceux des peintres grecs. Nous ne possédons pas les
éléments qui nous permettraient une comparaison d'ensemble de la peinture chinoise et de la peinture européenne. Le peu que nous en savons, le peu que nous en possédons, de quel prix n'est-il pas
pour nous ! Quel n'est pas son apport à notre patrimoine de beauté !
On peut dire que cet art pictural est pauvre de ces qualités plastiques qui précisément touchent par-dessus tout notre génération. Il ne perd jamais le contact avec la poésie, il est saturé
d'allusions, tandis que le peintre européen de nos jours vit dans la terreur perpétuelle de se trouver contaminé par la moindre association avec la littérature ; il préfère la géométrie à
n'importe quelle sentimentalité ! En dépit de ces défauts regrettables, la peinture chinoise gagne tous les jours des admirateurs, et elle nous gardera sans doute longtemps sous son charme,
malgré le dégoût que peuvent nous inspirer assez vite les productions aimables et triviales qui abondent aux derniers siècles. On sent derrière l'art chinois cette civilisation d'une stabilité
merveilleuse, où le sens confucéen de l'ordre et de la raison semble perpétuellement s'entrelacer, pour ainsi dire, avec le sens taoïste de la liberté spirituelle et de la poésie. Le parfait
dessin chinois présente (ce qui est bien rare en d'autres pays) le port exquis de la fleur ou de l'arbre en plein développement, des corps vivants en mouvement ou au repos. Aucun art n'a su
révéler comme celui-ci l'éloquence du silence, la puissance de l'espace vide ; aucun n'a mieux connu le secret d'unir la délicatesse à la grandeur.