Étienne Zi   s. j. (1851-1932)

PRATIQUE DES EXAMENS MILITAIRES EN CHINE

Variétés sinologiques n° 9,
Mission catholique, T’ou-sé-wé, Chang-hai, 1896, 132 pages.

  • Préface : À la différence de l'Europe, où les grades se répartissent entre maintes facultés, de lettres, de droit, de sciences mathématiques, physiques, naturelles etc., il n'y a en Chine que des grades littéraires (wen) et des grades militaires (ou) ; par suite il n'existe que deux sortes d'examens. Les examens littéraires ont déjà été décrits dans le n° 5 des Variétés sinologiques, Pratique des examens littéraires. Nous traiterons ici des examens militaires.
  • Avouons que les grades militaires manquent de prestige en Chine, sans doute à cause du peu de culture intellectuelle qu'ils exigent ; il ne faudra donc pas s'étonner si les examens qui y conduisent prêtent parfois au ridicule. Sans prétendre me faire leur avocat, qu'on me permette cependant une remarque pour établir qu'ils eurent jadis leur raison d'être. Avant l'invention des armes à feu, la force physique jouait un grand rôle dam les combats, l'arc était la meilleure ressource. Avec ces moyens, si arriérés aujourd'hui, les Romains ont conquis le monde, et en des temps plus proches du noire, la présente dynastie des Ta-ts’ing a dominé l'empire chinois.
  • On objectera peut-être que la force physique et l'arc ayant perdu leur action prépondérante dans les batailles, et rien ne donnant à penser qu'ils la recouvrent de sitôt, un examen pour les grades militaires, portant sur l'exercice du fusil et du canon serait plus logique. Je n'aurai garde de le nier. Mais c'est l'affaire des gouvernants. Notre tâche, à nous, n'est pas d'indiquer les réformes à opérer ; moins scabreuse, elle se borne à décrire les choses telles qu'elles se passent aujourd'hui encore.
  • Remarques générales : Les examens militaires, comme les examens littéraires, se rapportent aux trois grades de bachelier, de licencié et de docteur, qui feront l'objet des trois parties de ce travail. L'étude présente étant une sorte d'appendice à la Pratique des examens littéraires, on y supposera connus grand nombre de principes et de notions qui ont été exposés dans ce dernier ouvrage, et on y renverra au besoin. Afin d'éviter toute confusion entre les deux sortes d'examens, aux termes qui se rapportent aux grades littéraires on ajoutera le caractère ou pour former ceux qui dénotent les grades militaires correspondants. Ceux qui possèdent un grade littéraire ne sont pas admis à concourir pour un grade militaire, et réciproquement, à moins d'une exception spéciale, comme il sera indiqué ci-après.
    Les mesures de longueur et les poids employés dans ce mémoire sont les mesures et les poids légaux, à savoir, le tch’e ou pied égal à 0,3074 m, dont cinq forment un hong = 1,537 m ; et la livre ou kin, égale à 585,79 g dans cette province du Kiang-sou.

Extraits : L'examen du baccalauréat militaire
Les examens de la licence, à Nan-king - La cérémonie des promotions au doctorat - En terminant...
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L'examen du baccalauréat militaire

Examen pour le baccalauréat (Chang-hai). Candidat décochant sa flèche en passant au galop devant une des cibles.
Examen pour le baccalauréat (Chang-hai). Candidat décochant sa flèche en passant au galop devant une des cibles.


Cet examen a lieu d'ordinaire immédiatement après l'examen des candidats littéraires, devant le même sous-préfet, qui indique d'avance le jour fixé par une petite proclamation. Chaque candidat doit alors aller au bureau de la Guerre, ping-fang, acheter un certificat, kié-tan, au prix de 400 sapèques environ. Ce prix est double de celui qu'on demande aux candidats littéraires, et la même différence se retrouvera ailleurs.

Épreuve de tir à cheval. Au jour fixé, dès l'aurore, les candidats en habits de cérémonie vont attendre le sous-préfet, ordinairement au champ d'exercice des soldats, kiao-tch'ang. Le sous-préfet est le plus souvent accompagné d'un mandarin militaire comme assistant, et en leur présence les candidats sont répartis en bandes (p’ai) de dix. L'appel nominal, tien-ming, est alors fait par le bureau de la Guerre pour la première bande, qui se rend au lieu où l'on doit monter à cheval (fa-ma-tch'ou).

Le cheval appartient au candidat ou bien c'est un cheval loué. À Nan-king, aux jours ordinaires, la location d'un cheval pour s'exercer se paie 40 ou 50 sapèques, mais pour l'examen on fait payer une piastre.

Le candidat, tenant de la main gauche l'arc avec une flèche, et ayant deux autres flèches fichées obliquement dans la ceinture par derrière, monte à cheval et se lance dans la carrière en faisant le tour de la partie courbe. Au moment voulu, il tire contre la première cible. S'il l'atteint, les satellites qui sont à l'affût frappent quelques coups de tambour. Le candidat tire de même les deux autres flèches qu'il porte à la ceinture contre la seconde et la troisième cible, et en cas de succès on frappe de même le tambour. Le candidat, encore à cheval, se nomme à haute voix (pao-ming) ; il descend alors et remet le cheval à un autre (cheou-ma). Si, dans la course, on perdait une flèche ou le chapeau, ou si l'on tombait de cheval, ce serait considéré comme une faute contre les convenances, che-i, et l'on serait exclu de toute épreuve ultérieure.

Le candidat, descendant de cheval avec son arc à la main, se rend devant le Président, qui se tient à l'extrémité d'arrivée de la carrière ; il lui fait une génuflexion, se nomme de nouveau et se retire modestement. Un autre procède de la même manière et ainsi de suite jusqu'à ce que la première bande ait terminé cette épreuve. On fait alors l'appel de la seconde bande, etc.

Cette épreuve du tir à cheval terminée, le Président n'en fait pas connaître le résultat, mais il indique le temps fixé pour le tir à pied, soit le même jour, soit le lendemain.



Le tir à pied a lieu généralement dans le ya-men du sous-préfet, portes closes, sous la présidence de cet officier assisté d'un mandarin militaire. L'appel est aussi fait par le bureau de la Guerre et les candidats sont également répartis en bandes de dix.

L'appel d'une bande étant fait, on se rend devant le Président et un des candidats se présente, tenant son arc de la main gauche et ayant cinq flèches par derrière dans la ceinture.

Après avoir mis au pouce de la main droite l'anneau kiué, prenant un air grave et modeste, il se tient quelques instants le côté droit tourné vers le Président (Fig. A). Il saisit une flèche, la place sur la corde, écarte les pieds, se penche de côté, tend l’arc, et, les yeux fixés sur la cible, lâche la flèche (Fig. B).

Examen pour le baccalauréat militaire en Chine.        A. Avant le tir.     B. Le tir.   C. Après le tir.
A. Avant le tir. B. Le tir. C. Après le tir.


S'il a touché le but, le tambour retentit. Il rapproche alors les pieds, garde les mains étendues (Fig. C.) et reste droit quelques moments pour se remettre ; puis il tire une seconde flèche, et ainsi de suite jusqu'à la cinquième. Enfin il va se présenter au Président, comme dans le tir à cheval, et un autre prend sa place, etc.

L'examen une fois terminé, on ouvre les portes, et l'assemblée est congédiée sans musique ni décharges d'artillerie. Le résultat n'est pas publié. Le sous-préfet indique à ce moment le temps fixé pour les exercices gymnastiques.


Ces exercices ont lieu d'ordinaire au ya-men du sous-préfet, immédiatement après l'examen du tir à pied ou le jour suivant. — Appel par bandes comme précédemment. — La première bande se place devant le sous-préfet ; chaque candidat l'un après l'autre, choisit un arc raide parmi ceux des trois qui ont été préparés. Tenant l'arc de la main gauche, il étend le bras complètement, puis de la droite il tire la corde jusqu'à portée de son visage, en sorte que l’arc soit entièrement bandé, yn-man, k'ai-man, ce qu'il fait à trois reprises, après quoi il va se présenter au sous-préfet comme précédemment.




À cet exercice succède celui du coutelas. Cette arme, à Nan-king, a 8 pieds et plus de longueur. Le candidat l'élève et la fait tourner dans sa main (tchang-hoa), puis devant son visage (mien-hoa) et enfin derrière le dos (pei-hoa). Il ne suffît donc pas d'élever le coutelas ; il faut encore le brandir, ou-hoa, et ne le laisser jamais toucher la terre. En terminant, le candidat fait une génuflexion au Président et se nomme.




Enfin, pour terminer, vient l'exercice de la pierre. Après les formalités ordinaires, chaque candidat choisit une des trois pierres. Plaçant ses mains dans les trous des côtés, il doit la soulever d'un pied au moins (che-pi-li-ti i-tch'e), ce qu'il fait trois fois. Souvent on la pose sur ses genoux, ou bien on marche en la portant, mais le plus souvent, en la portant, on la pousse des genoux. Cet exercice se termine comme les précédents et avec lui finit l'examen extérieur, wai-tch'ang.


Troisième session, san-tch'ang.

Cette troisième session, appelée, comme on l'a dit, examen intérieur, nei-tch'ang, a ordinairement lieu dans une salle du ya-men du sous-préfet, avec portes closes. Après l'appel nominal, on remet aux candidats le cahier de composition, che-kiuen, semblable à celui des candidats littéraires, avec la seule différence que les candidats doivent écrire les deux caractères ou-t'ong, « candidat militaire », dans les deux cercles sur la couverture. On donne alors le thème de l'examen, pris du Ou-king, pour la transcription de mémoire, mé-sié, en indiquant où il faut commencer et où il faut finir. Il comprend ordinairement cent et quelques caractères. Cet examen, du reste, n'est guère que pour la forme (kiu-wen), car c'est à peine s'il y a un seul candidat qui puisse écrire de mémoire ; on copie généralement d'un exemplaire en petit format qu'on a apporté, et il en est même beaucoup qui, incapables d'écrire convenablement, se font aider par d'autres. La tâche finie, on remet son cahier et l'on sort, l'un après l'autre, sans cérémonie.

Il arrive quelquefois qu'à la fin de la séance, le sous-préfet donne une liste de quelques candidats qui devront faire une répétition (ti-fou) de l'exercice de l’arc raide ou du tir à pied. Il n'y a pas de banquet après l'examen.

Promulgation du résultat.

Au bout d'un jour ou deux, la liste générale, tch'ang-ngan, est publiée avec musique et trois coups de canon. Cette liste n'est pas disposée en cercles comme pour l'examen littéraire, mais en lignes verticales, et elle comprend les noms de presque tous les candidats qui sont par suite admis aux examens ultérieurs.

Le premier sur la liste peut, comme à l'examen littéraire, se regarder comme sûr d'obtenir le grade. Les dix premiers ont aussi le droit de rendre visite au sous-préfet pour le remercier, mais cela n'est pas obligatoire.

Ainsi se termine l’examen devant le sous-préfet. Le nombre des candidats y varie de 60 à 200.

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Les examens de la licence, à Nan-king

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La cérémonie des promotions au doctorat


Le 5 de la même lune, jour de la notification de la liste [des promus au grade de docteur], les insignes impériaux sont envoyés devant le palais, dans le parvis duquel se tiennent sur deux lignes les princes impériaux et les mandarins de premier ordre en costume de cour ; les autres mandarins, tant civils que militaires, semblablement vêtus, se tiennent dans la cour du palais, et après eux tous les nouveaux docteurs, aussi en grand costume, portant le bouton dit san-tche-kieou-yé-ting. Un mandarin de la chancellerie impériale place alors la liste jaune sur une table au côté gauche du palais.

Bientôt arrive l'empereur et la musique se fait entendre. Les examinateurs avec les autres mandarins lui font trois génuflexions et neuf prostrations. Alors un mandarin de la chancellerie impériale prend la liste et, au seuil du parvis, la remet à un mandarin du ministère de la Guerre, qui la reçoit en fléchissant le genou et la porte au milieu du parvis du palais, où il la dépose sur une table couverte d'un tapis jaune, puis il se retire après avoir fait trois prostrations.

Le maître des cérémonies conduit alors les nouveaux docteurs devant l'empereur et, à la voix d'un héraut qui proclame yeou-tche, « il y a ordre de l'empereur », tous les docteurs se mettent à genoux. On lit alors ce décret impérial : « Nous, par choix fortuné du ciel, empereur, faisons savoir ce qui suit : L'année N. de Koang-siu, tous les licenciés militaires qui sont venus de tout l'empire, ont été examinés au palais ; nous accordons aux docteurs de la 1ère classe le titre de… à ceux de la 2e classe… »

Le héraut proclame alors le nom du 1er de la 1ère classe ; celui-ci se lève, s'avance un peu et se met à genoux, ce que font également le 2e et le 3e de cette classe, à l'appel de leur nom. On proclame ensuite les noms de quelques-uns de la seconde et de la troisième classe, mais ils ne se lèvent pas.

Le premier docteur s'appelle… ; le second… ; le troisième… ; le quatrième, qui est le premier de la seconde classe,…. Tous les autres s'appellent simplement ou-tsin-che.

Tous ceux qui se trouvent dans une de ces trois classes ont, par le fait même, le titre de che-wei «garde-du-corps». Les autres docteurs ont, soit le titre de yng-cheou-pei « capitaine dans les camps », soit celui de wei-cheou-pei « capitaine préposé au transport du riz du tribut ».

Ainsi, en 1894, ont été promus : — gardes-du-corps : de 1èro classe, 1 ; de 2e classe, 2 ; de 3e classe, 20 : à plume bleue, 32, soit, en tout, 55 qui sont restés à Pé-king, chargés de fonctions militaires ; — capitaines : dans les camps, 52 : pour le transport du riz, 20 ; qui tous sont retournés dans leurs provinces.

La proclamation des nouveaux docteurs terminée, ils font trois génuflexions et neuf prostrations à l'empereur, qui se lève ensuite de son trône et se retire.

Un officier du ministère de la Guerre dépose alors la liste jaune sur un plateau. Tenant ce plateau à deux mains, il sort avec les nouveaux docteurs et tous les mandarins par les portes T'ai-houo-men et Ou-men ; là, fléchissant le genou, il met la liste dans la chaise ornée de dragons (long-t'ing) : cette chaise, accompagnée par les fonctionnaires de l'Escorte impériale (loan-i-wei) au son de la musique, est portée à l'extérieur de la porte Tch'ang-ngan-men. La liste est suspendue là pour trois jours dans le pavillon préparé à cet effet, après quoi, elle est mise aux archives.

Dès que l'Escorte impériale et les nouveaux gradués ont passé la porte ou-men, on présente au premier docteur une armure, casque et cuirasse (k'oei-kia), dont il se revêt pour être accompagné processionnellement à son logis par les soldats et les satellites.

Le lendemain, 6, un grand banquet, dit hoei-ou-yen, est servi au ministère de la Guerre, et l'empereur désigne spécialement un grand mandarin pour le présider, avec le titre de tchou-yen-ta-tch'en. Avant de se mettre à table, le Président, les examinateurs et les autres fonctionnaires, avec les nouveaux docteurs, tous en costume de cour, font trois génuflexions et neuf prostrations en l'honneur de l'empereur ; puis les nouveaux docteurs saluent les examinateurs comme leurs maîtres. Après le banquet, tous font encore une génuflexion et trois prostrations devant la tablette de l'empereur.

Le 7, on remet cinq taëls d'argent à chacun des nouveaux docteurs qui, sous la conduite de leur chef, le premier sur la liste, présentent une adresse de remerciement à l'empereur. Cette cérémonie a lieu comme il suit.

Au temps fixé, les nouveaux docteurs viennent se placer en deux files devant une table qui a été préparée à la porte ou-men. Le premier docteur, la face tournée vers l'ouest, porte l'adresse : fléchissant le genou, il la pose sur la table et se prosterne trois fois. Un héraut de la cour des Cérémonies rassemble les nouveaux docteurs devant la table et leur fait faire trois génuflexions et neuf prostrations, après quoi ils se retirent respectueusement. Un mandarin du ministère de la Guerre conduit le premier docteur à la chancellerie impériale où il remet l'adresse de remerciement, pour être présentée à l'empereur.

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En terminant...


En terminant, nous pouvons nous faire cette question : à quoi bon avoir des gradués militaires ? Si, en effet, nous consultons le catalogue des mandarins militaires, imprimé officiellement chaque trimestre et offert à l'empereur, nous voyons que, dans le nombre énorme de mandarins militaires, il y en a fort peu qui aient un grade. Le fait est que ni soldats ni chefs ne se tirent des rangs des gradués militaires et que ceux-ci ne se destinent point à l'armée. À quoi servent donc les grades militaires ? Écoutons un mandarin de Pé-king, chargé de contrôler les actes des 6 ministères nommé Ou I-hi qui, en l'année 19 de Tao-koang (1839), présenta à l'empereur un mémoire où il parlait ainsi :

« Les licenciés militaires qui, généralement bien pourvus de vêtements et de vivres, connaissent à peine les caractères, pour la plupart ne remplissent pas leur devoir ; ils se mêlent des affaires publiques, se posent en dominateurs arrogants dans leur pays, ou bien se prévalent de leur titre pour susciter des procès, etc. »

Ce que l'on disait ici des licenciés militaires, s'appliquerait également bien aux autres gradués, qui, dès qu'ils ont obtenu leur titre, ne cherchent que leur intérêt privé par tous les moyens possibles. Par suite, on ne doit pas s'étonner qu'au temps de l'empereur Hien-fong (1851-1861), quand la rébellion sévissait dans presque tout l'empire, il y ait eu de grands mandarins qui, frappés de ce que les gradués militaires n'apportaient aucun aide pour la guerre et voyant que les examens n'étaient d'aucune utilité pour la formation de l'armée, proposèrent à l'empereur de supprimer tous ces examens. Mais par respect pour une institution léguée par les ancêtres, rien n'y a été changé et ils sont conservés intégralement. Plût à Dieu que pour défendre ce vaste empire, un autre système fût adopté, en rapport avec la pratique des peuples de l'Europe ! Tel est le vœu de tous les amis sincères de la Chine.

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