Egor Fedorovich TIMKOVSKI
VOYAGE A PÉKING à travers la Mongolie en 1820 et 1821
Librairie orientale de Dondey-Dupré père et fils, Paris, 1827, 2 tomes 480 et 460 pages.
- Préface de l'édition de 1827 : "Depuis un siècle environ, la Russie entretient à Péking un couvent et une école où se forment ses interprètes pour le chinois et le mandchou. De dix ans en dix ans, on renouvelle les personnes, qui composent ces deux établissements, et on envoie, de Saint-Pétersbourg, de nouveaux moines et d’autres jeunes de langue à la capitale de la Chine. Cette petite caravane est conduite par un officier russe, chargé de la diriger et de l’installer à son arrivée à Péking, puis de reconduire dans leur patrie les religieux qui ont fait leur temps, et les élèves qui ont fini leurs études."
- "Ce fut à la suite d’une pareille mission que M. Timkovski, attaché au collège des affaires étrangères, partit, en 1820, de Kiakhta, fort situé à la frontière qui sépare les possessions de la Russie de celles de la Chine. Il traversa la Mongolie, passa la Grande-Muraille, et arriva le 1er décembre à Péking ; il y séjourna jusqu’au 15 mai de l’année suivante."
Table des matières
Extraits : Libraires, bijoutiers, ânes, souterrains, ... — Vêtements pékinois — Le mariage chez les Mongols
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I. Établissement russe à Péking. Son but. Personnages qui le composent. Préparatifs du voyage. — II. Départ de Kiakhta pour la Mongolie. Voyage jusqu’à l’Ourga, capitale du pays
des Khalkha. — III. Séjour à l’Ourga. Vice-roi de la Mongolie. Khoutoukhtou, ou divinité vivante des Mongols. Cérémonies qui ont lieu à son installation. Sur les dernières ambassades russes et
anglaises en Chine. — IV. Continuation du voyage jusqu’à la frontière méridionale du pays des Khalkha. Désert de Gobi, ou Cha mo. — V. Voyage à travers le pays des
Mongols Sounit. Notices sur les Kirghiz. Traditions mongoles sur Bogdò Ghessur khan. — VI. Voyage à travers le territoire des Tsakhar, jusqu’à la forteresse de
Khalgan, située dans la grande-muraille de la Chine. — VII. Arrivée et séjour à Khalgan. — VIII. Voyage de Khalgan à Péking. Entrée dans la capitale de la Chine.
Arrivée à la cour russe.
IX. Journal du séjour à Péking, pendant le mois de décembre. Notices biographiques sur le ministre Soung ta jin. Sacrifice au ciel, offert par l’empereur. Habillement des
Chinois. Lois. Entrevue avec les missionnaires catholiques. État du christianisme en Chine. Froid considérable.
X. Description du Turkestân chinois, ou de la petite Boukharie. XI. Description du pays des Dzoûngar, actuellement soumis à la Chine. XII. Description du
Tibet.
XIII. Journal du séjour ultérieur à Péking. Visite chez les missionnaires français. Visite chez les lama tibétains. Visite chez les missionnaires portugais. Entrevue avec les
Coréens, et notions sur la Corée. — XIV. Description abrégée de Péking, par le P. Gaubil, avec quelques remarques de M. Timkovski.
XV. Essai historique, géographique et ethnographique sur la Mongolie.
XVI. Départ de Péking. Route à Tsagan balgassou, dans le pays des Mongols-Tsakhar. — XVII. Route par le pays des Tsakhar. Pâturages. Haras de l’empereur de la Chine. — XVIII.
Voyage par le pays des Sounit. — XIX. Voyage à travers la partie méridionale du pays des Khalkha jusqu’à l’Ourga. — XX. Séjour à l’Ourga. Départ de cette ville pour
Kiakhta. Retour en Russie.
Au commencement de la rue de Lieou li tchhang, qui est très courte et très sale, il y a plusieurs boutiques de libraires ; ils vendent des livres chinois et mandchous, tous reliés et bien rangés
; mais en les examinant, on ne tarde pas à reconnaître qu’il y en a beaucoup de défectueux. Les libraires chinois agissent d’après les mêmes principes que quelques-uns des nôtres : ils ont
l’habitude de demander cinq fois plus que les livres ne valent ; ils tâchent d’en vendre où il manque une quantité de feuilles : d’autres sont composés de feuilles de trois et quatre ouvrages
différents. Il faut se bien tenir sur ses gardes pour ne pas être dupe de la friponnerie des libraires chinois ; du reste cette défiance est également nécessaire quand on achète d’autres
marchandises.
Plus loin, dans la même rue, on trouve des boutiques de bijouteries, où se vendent des tableaux et des objets sculptés en jaspe, en ivoire et en bois précieux, pour orner les appartements : le
travail en est bien fini ; on y voit aussi de la verrerie, de la porcelaine vernissée, etc. ; tout y est de la meilleure qualité. On y rencontre également une quantité de choses qui viennent du
palais impérial : les eunuques ont l’adresse de les enlever, et les vendent à vil prix aux marchands ; enfin nous y avons également observé assez souvent des marchandises anglaises arrivées par
Canton.
Près de chaque porte de la ville, entre la muraille du sud et le canal, on trouve des ânes sellés pour le service du public. Les Chinois montent ces animaux pour aller d’une porte à une autre, la
course se paie dix tchokhi, ou environ quatre copèques de cuivre ; on s’en sert également pour transporter les fardeaux peu pesants. En hiver, ou passe aussi sur le canal, qui est alors pris par
les glaces. Plusieurs personnes se placent sur une espèce de traîneau construit avec des planches et traîné par un homme. On dit que l’on peut même en été faire le voyage de Péking aux provinces
du sud dans de petits chariots traînés par des hommes : triste résultat d’une population trop forte, qui manque des moyens de fournir à sa subsistance d’une manière plus convenable. La surface de
la Chine n’est point en rapport avec le nombre de ses habitants, et d’ailleurs le terrain est épuisé par de fréquents labourages.
Les souterrains qui sont près des murs de la ville sont habités par des pauvres. Il est impossible de se faire une idée de l’aspect misérable et dégoûtant de ces malheureux : presque nus, et
couverts de lambeaux de nattes, ils se traînent au milieu des boutiques du quartier commerçant pour demander l’aumône ; après avoir reçu quelques tchokhi il retournent se cacher dans leurs
caves.
M. De Guignes, qui a longtemps demeuré en Chine, rapporte que les mendiants se rassemblent le soir dans les faubourgs de Canton, et se pressent les uns contre les autres, pour se garantir du
froid ; mais tous ne pouvant être également réchauffés, plusieurs meurent, et leurs corps restent exposés parmi les pièces de bois et les arbres qui couvrent les rives du Ta ho.
....
Les provisions de bouche se vendent dans tous les quartiers de la ville ; on rencontre presque à chaque pas des boutiques où l’on peut acheter du riz, des petits pains cuits à la vapeur, de la
viande, etc. Les habitants de Péking, et tous les Chinois préfèrent la viande de cochon, qui, d’ailleurs, est ici plus savoureuse et plus facile à digérer qu’en Russie. Les Mandchoux, les Mongols
et les Tourkestâni, mangent beaucoup de mouton, et les derniers du bœuf. La viande de mouton et de bœuf n’est pas très bonne, en Chine, parce que les bestiaux arrivant de la Mongolie sont trop
fatigués, et qu’à leur arrivée à la capitale on ne les soigne pas assez.
Le beurre, fait en général avec du lait de brebis, vient de la Mongolie. Les Chinois préfèrent la graisse de cochon ; ils ne peuvent souffrir l’odeur du beurre de vache. Les oies, les poules et
les canards sont les oiseaux domestiques les plus communs. Les premiers font une partie indispensable des grands repas. Les médecins interdisent la volaille à leurs malades, comme une viande
indigeste et malsaine. L’espèce de canards, nommée ya tsu, est un mets très recherché dans les grandes occasions ; on l’accommode de plus de trente manières différentes. Les canards de Péking
sont très gros, très gras et succulents. On vend, pendant l’hiver, des perdrix, des faisans et du gibier de toute espèce. Mais il faut être sur ses gardes, en achetant des provisions de cuisine,
car les marchands chinois mêlent du plâtre ou du sable dans la farine, pour la rendre plus pesante ; souvent, ils vendent de la viande de bêtes mortes de maladie.
Ils gonflent les canards et les poules, en soufflant de l’air entre la peau et la chair ; ce qui les rend très blancs, et leur donne l’air d’être gras.
Un grand inconvénient résulte pour les étrangers, de la différence des poids et des mesures employés par les marchands ; chacun a son aune et son poids particulier. Comme la seule monnaie est le
thsian, petite pièce de cuivre, l’acheteur est obligé de payer chaque chose avec de l’argent d’après le poids du marchand, ce qui ouvre un champ libre à la fraude. Le marchand sait adroitement
diminuer le poids de l’argent en altérant insensiblement la justesse de la balance qui, d’ailleurs, est assez souvent fausse ; ensuite, il rend de l’argent allié avec du cuivre. Les gens
prudents, qui font des achats, portent avec eux leurs balances.
L’on a, en Chine, une manière de conclure un marché sans parler ; on annonce les prix par les doigts. Par exemple, s’il s’agit de 5 pièces de monnaie, on montre les cinq doigts d’une main,
étendus. S’agit-il de 6 ou de 60 pièces, on plie les trois doigts du milieu, en étendant le doigt auriculaire et le pouce. De 7—70 ou 700, etc., on plie l’index et le doigt du milieu, en étendant
le doigt auriculaire, l’auriculaire et le pouce. De 8—80 à 800, etc., on plie le doigt auriculaire, l’annulaire et le doigt du milieu, en étendant tout droit les deux autres doigts. De 9—90 à
900, etc., on plie le doigt auriculaire, l’annulaire et le doigt du milieu, en étendant tout droit le pouce appuyé sur l’index, etc.
On se sert de cette manière de compter en public et en particulier.
Un acheteur qui se trouve trop éloigné pour se faire entendre en parlant, étend d’abord sa main et annonce son prix, comme, par exemple, le nombre de 7 ; si le vendeur n’en est pas content, il
fait le signe de 9 ; l’acheteur alors augmente et montre 8, etc.
Les Chinois, qui ne veulent pas qu’on connaisse les affaires qu’ils traitent, se prennent mutuellement les mains, qui sont cachées dans leurs larges manches, et marchandent de cette manière sans
prononcer un mot. Les Mongols aiment beaucoup cette manière de faire le commerce ; les maîtres en font également usage envers les domestiques qui les accompagnent, parce que les domestiques se
font donner par les marchands la huitième ou la neuvième partie de la valeur de ce que leurs maîtres achètent ; c’est pourquoi ceux-ci tâchent de cacher à leurs domestiques le prix qu’ils
offrent, pour faire espérer au marchand que le domestique, ignorant le prix convenu, sera obligé de se contenter de ce qu’on voudra bien lui donner. Mais le domestique, qui se trouve derrière son
maître, emploie également une correspondance muette pour faire connaître au marchand qu’il exige la septième, huitième ou neuvième partie de la somme que son maître va payer, et le marchand
hausse ou baisse son prix, d’après ce que le domestique exige, ou bien il ne vend pas. Cette manière de marchander n’est soumise à aucun jugement des tribunaux, et ne fait pas même tort à la
réputation.
Ce que je viens de dire des domestiques, peut s’appliquer à presque tous les Chinois. On ne peut se fier ni à son meilleur ami, ni aux gens les plus connus, sans craindre qu’ils ne tâchent de
s’approprier une partie de l’argent, si un acheteur les invite à l’accompagner.
Chou lao yé, maître de langue russe à l’école mandchoue, ne manquait jamais de se faire donner 10 à 12 roubles, quand il m’accompagnait pour acheter diverses bagatelles.
Du reste, les prix même exprimés par des paroles, sont également incompréhensibles pour des étrangers, chaque province de la Chine et même chaque district ayant une différente manière d’énoncer
la même valeur. Si l’on prononce, par exemple, à Péking 2, cela signifie 1 ; 20 veut dire 10, etc. En d’autres endroits 5 signifie 2 ; en d’autres 100 signifie 30, etc. On conçoit donc combien de
difficultés on rencontre dans les relations commerciales avec les Chinois.
Comme on faisait des vêtements à la chinoise pour les membres ecclésiastiques de la nouvelle mission, j’eus l’occasion d’observer qu’une fourrure d’écureuil, pour la robe d’un homme d’une taille
moyenne, coûte à Péking 23 lan ; deux pièces de fourrure de castor, teintes en noir pour servir de parements aux manches de la pelisse, et des pièces de la même fourrure pour garnir le collet,
coûtent 6 lan et demi. La peau d’écureuil était très belle ; elle devait venir d’Irkoutsk.
L’habillement en général et notamment, celui des hommes, coûte très cher. Les Mandchoux et les Chinois de toute condition, doivent avoir un vêtement pour chaque saison : un homme en place en a
trois à la fois, sans parler de ceux de cour ou de fête. Ce luxe entraîne les officiers mandchoux dans des dépenses très considérables, et oblige même les plus grands personnages à recourir aux
maisons de prêt ; ils y mettent en gage les habits dont ils n’ont pas besoin et en retirent ceux qu’ils y avaient déposés, et qui leur deviennent nécessaires pour la saison.
Le Chinois porte, à cause de la chaleur du climat, des vêtements larges : le principal est une longue robe doublée, qui ressemble beaucoup à l’habit russe, avec cette différence que les officiers
les ont fendues par-devant et par-derrière. Sur cette robe, on en met une autre, à larges manches, qui se rapproche, par sa coupe, de celle du clergé russe. Les pauvres ont des robes de toile de
coton ou de nankin, celles des riches sont en étoffes de soie à fleurs et à ramages, ou bien en drap et en casimir. La couleur dominante est le bleu, ensuite le violet et le noir. Le vert, le
rouge, et particulièrement le rose, sont généralement affectés aux vêtements des femmes.
Pendant l’hiver, les robes sont doublées en ouate de coton ; les riches emploient les fourrures d’écureuils, d’agneaux de qualité supérieure, de renards blancs et de zibelines. Les élégants ont
en hiver la robe de dessus en zibelines ou en chats noirs avec des poils blancs, fourrure qui est également très estimée ; ces fourrures sont tournées en dehors pour en faire voir la beauté. Ces
robes de dessus sont souvent aussi courtes que des spencers ; comme elles sont légères et commodes, on s’en sert pour monter à cheval. La ceinture est en soie ; plus ordinairement c’est un ruban
de fil ou de laine, avec des boucles par-devant ; on y attache au côté gauche une épée, et on y place de jolis étuis vernissés ou d’écaille de tortue, contenant des couteaux et de petits bâtons
d’ivoire qui tiennent lieu de fourchettes. Une bourse brodée en soie, et renfermant une tabatière, est suspendue au côté droit ; en été on y passe aussi un éventail, dont les hommes font usage
comme les femmes. Pour établir la symétrie, très exactement observée en toute circonstance par les Chinois, ils portent au côté gauche une semblable bourse contenant des épices qu’ils mâchent
pendant leurs repas pour relever le goût des mets. Ils mettent sous la robe un autre vêtement très léger, de toile ou de soie, qui remplace la chemise, et qui n’est pas généralement en usage ; il
ne se lave que très rarement. Cette malpropreté, qui se rencontre même chez les gens d’un rang élevé, est d’autant plus dégoûtante, que les Chinois, contre l’habitude de tous les autres
orientaux, ne connaissent pas les bains ou ne se lavent le corps que très rarement ; ils regardent même comme malsain de se baigner pendant l’été. Ils ne font pas usage de mouchoirs de poche ni
de serviettes ; ils les remplacent par des morceaux de papier. Les culottes sont de nankin ou de soie. La plupart des Chinois portent des bottes faites de ces étoffes ; les riches en ont de satin
noir ; les souliers sont également en usage. Les semelles des bottes et des souliers sont épaisses d’un pouce. Cette chaussure est très incommode parce que ces semelles, faites de papier mâché,
ne plient pas. Les gens de distinction portent des bonnets ovales de satin couleur cerise, avec une bordure noire et une houppe rouge ; la bordure, de même que l’habillement, diffère selon les
saisons ; elle est de velours en automne et de peau d’agneaux ou de zibelines en hiver.
Les bonnets ou les chapeaux d’été ont la forme d’un cône ou d’un entonnoir ; ils sont en bambou tressé si fin, et avec tant de goût, qu’ils pourraient servir, sous d’autres formes, à la parure
des européennes. Les bonnets des fonctionnaires publics sont surmontés d’un bouton en pierre, dont la couleur annonce le rang de celui qui les porte. Les gens du commun ont ordinairement des
vestes de nankin et de petits bonnets de feutre semblables à ceux des Lithuaniens, ils les remplacent pendant l’été par des chapeaux de paille. Les hommes se rasent les cheveux du front et des
tempes, et tressent le reste en forme de queue qui descend le long du dos. Une longue queue est regardée comme une chose très élégante ; on en voit qui ont jusqu’à une archine et demie. Ceux
auxquels la nature l’a refusée en portent de postiches.
Il est bon de remarquer que cette manière de s’habiller est celle que les Mandchoux ont introduite quand ils ont conquis la Chine en 1644. Avant cette époque, les Chinois portaient des robes
d’une coupe différente ; elles étaient très longues, avec des manches si larges qu’ils auraient pu s’en servir en guise de manteaux.
Les femmes ont des vêtements peu différents de ceux des hommes. Elles se peignent et arrangent leurs cheveux avec beaucoup de soin et d’élégance, et se couvrent rarement la tête.
Des fleurs, des épingles en or et garnies de pierres précieuses, des papillons, etc., font un effet agréable sur la couleur noire de leurs cheveux.
Des marchands qui nous apportaient les fourrures, nous dirent qu’un lan d’or pur vaut ici 17 à 19 lan d’argent, ce qui fait 17, 18 et 19 zolotniks en or. L’or de la Chine, qui est très pur, ne
sert pas à battre de la monnaie ; il se vend comme marchandise.
Il est défendu sous peine de mort d’exporter de l’argent hors de l’empire.
Les Mongols se marient très jeunes. Jusqu’à cette époque, les enfants des deux sexes vivent ensemble auprès de leurs parents.
Un jeune homme en se mariant reçoit de son père des bestiaux et une iourte (ghér) séparée, qui se nomme alors gerté. La dot de la fille consiste, indépendamment des vêtements, des ustensiles,
etc., dans une certaine quantité de brebis et de chevaux. L’autorité des parents, et la soumission des enfants chez cette nation sont exemplaires et portées au plus haut degré. Les fils, même
après leur mariage, habitent généralement les mêmes cantons que leurs pères, autant que l’étendue des pâturages le permet.
Les enfants des frères et des sœurs peuvent se marier ensemble ; deux sœurs peuvent épouser successivement le même homme.
Les Mongols tiennent leur généalogie si soigneusement, que malgré l’augmentation des membres de la famille, et son mélange avec d’autres tribus, ils ne perdent jamais de vue leur yasou, ou degré
de parenté. Avant qu’un mariage puisse se conclure, il faut qu’à l’aide des livres on calcule sous quels signes le futur et la future sont nés, afin que l’astre qui apprend la naissance de la
dernière, ne puisse pas nuire à celui du futur, ni le dominer ; ce qui signifie que la femme ne doit point commander dans le ménage. Les Mongols comptent douze signes qui correspondent à nos mois
; ce sont 1° khoûlouganá, souris ; 2° oukèr, bœuf ; 3° bar, tigre ; 4° toláï, lièvre ; 5° lou, dragon ; 6° mogò, serpent ; 7° morî, cheval ; 8° khonî, bélier ; 9° mitchît, singe ; 10° takiá,
poule ; 11° nokháï, chien ; et 12° gakhái, porc. La cinquième année, nommée aussi ibeghél, est celle où il est toujours permis de se marier ; quant à la septième, kharchi, c’est le contraire ;
par exemple, si la fille est née sous les signes de la souris et du bœuf, et le garçon sous ceux du dragon et du singe, alors le mariage est permis ; mais si un des deux futurs est né sous le
signe de la souris, et l’autre sous celui du cheval, dans ce cas, quand même le futur et la fiancée seraient de souche différente, l’union ne peut avoir lieu. Les Mongols prétendent encore que le
bœuf et le tigre, la poule et le cheval, le porc et le singe, sont des constellations opposées, des signes pernicieux (kharchî), qui s’opposent décidément aux mariages.
La demande en mariage se fait par des personnes étrangères ; le consentement donné, le père du futur, accompagné de l’entremetteur et de plusieurs de ses plus proches parents, va chez celui de la
future ; il apporte au moins un mouton cuit et découpé ; c’est ce qu’on appelle touèlèï. Plusieurs vases avec de l’eau-de-vie et des khadak . Les envoyés du futur, après avoir communiqué au père
de la fille le motif de leur visite avec la prolixité ordinaire aux Asiatiques, placent sur un plat, devant les Bourkhan, la tête et d’autres morceaux de la chair du mouton, et les khadak ; ils
allument des cierges et se prosternent plusieurs fois devant ces images ; ensuite ils s’asseoient tous, et les arrivés régalent avec du vin et le reste du mouton les parents de la future, à
chacun desquels ils doivent en même temps remettre un khadak ou quelque pièce de monnaie en cuivre qu’on jette dans une tasse remplie de vin ; le père, après avoir bu le vin, garde la pièce. Cet
usage est connu sous le nom des takil tabikhoû ; il répond au nôtre de toucher dans la main. La conversation roule principalement sur les bestiaux exigés pour la fille ; dans ces cas, les gens
sans fortune défendent leurs intérêts avec autant d’obstination que si c’était un marché. Les gens aisés ne stipulent point le nombre des bestiaux, et les riches Mongols, et surtout les princes,
mettent de l’orgueil à ne pas disputer, se reposant sur la conscience et la bonne foi mutuelles. Chez eux cet objet doit naturellement être très important ; chez les simples particuliers, la dot
excède rarement quatre cents têtes de bétail, de différentes espèces. Mais comme les animaux ne sont livrés ordinairement qu’en automne, on compte chaque femelle pour deux têtes ; du reste, le
paiement ne se fait pas toujours à la fois ; il a lieu à différentes époques, selon la fortune du marié, et ces termes se prolongent parfois jusqu’à six et sept ans.
Lorsque tout est convenu, les parents de la future sont obligés de lui construire une nouvelle iourte pourvue de tout ce qui est nécessaire pour un ménage, afin qu’elle n’ait pas besoin, suivant
leur expression, de rien demander aux autres ; on lui donne ensuite tout ce qui concerne sa toilette, et même un cheval sellé, sur lequel elle doit aller chez son époux ; cette obligation force
fréquemment les parents à se priver de leurs propres effets.
Aussitôt que tous les bestiaux ont été livrés au père de la future : celui-ci donne une fête qui est bientôt rendue par le futur aux parents et aux alliés de la jeune fille. Le jeune homme,
accompagné de sa famille et de ses amis, quelquefois au nombre de cent personnes, va chez son beau-père, avec plusieurs plats de mouton cuit ; les riches en font porter jusqu’à vingt plats
différents, et avec une grande quantité d’eau-de-vie et des khadak ; tous les convives sont déjà rassemblés dans la iourte du dernier. Après avoir adoré les idoles, on présente au beau-père, à la
belle-mère et aux plus proches parents, des khadak. Ensuite, tous les convives sortent de la iourte, s’asseoient en cercle, et le repas commence ; il consiste en viande, vin et thé en briques.
Cette fête terminée, le marié avec sa suite va quelquefois la répéter chez d’autres proches parents de la future. On nomme ce régal khorîm kourghèkoû, offre de la fête nuptiale. C’est alors que
le futur, et souvent aussi son père et sa mère, reçoivent de riches vêtements de la part de la future. Du reste, le mari n’a pas la satisfaction de courtiser sa future épouse ; car d’après les
usages des Mongols, elle doit depuis le jour des fiançailles éviter toute entrevue, non seulement avec son amant, mais même avec ses parents. C’est à cette fête aussi que, d’après les instances
de la mère du futur, les deux parties consultent les lama, qui choisissent un jour heureux pour le mariage.
La veille du jour des noces, deux lama vont de la part du futur s’informer chez les parents de la fiancée, s’il n’est point survenu d’obstacles. A l’approche de ce jour, la future fait ses
visites à ses plus proches parents, et passe au moins une nuit chez chacun d’eux à s’amuser et à se promener avec ses amies, qui l’accompagnent ensuite dans la maison paternelle, où, le reste du
temps qui est d’une nuit ou deux, elle joue, chante et régale ses compagnes, ses parents et ses voisins, qui se trouvent réunis. La veille du jour où elle doit quitter la iourte paternelle, les
lama font des prières suivant le rite, nommé Gouroùm kikoû, et, avant le départ, d’autres selon le rite San tabikhoû. Pendant que l’on expédie la iourte et les autres objets de la dot, les amis
intimes se rassemblent dans la iourte et s’asseoient en cercle près de la porte avec la future, en se tenant le plus près d’elle qu’ils peuvent. Les envoyés du futur ont de la peine à faire
sortir tout ce monde un à un et à se saisir de la future pour l’emporter hors de la iourte ; ils la placent alors sur un cheval, la couvrent d’un manteau, lui font faire trois fois le tour du feu
sacré, puis ils se mettent en route, accompagnés des plus proches parentes ; ils sont suivis par la mère et par les autres parents de la future. Le père reste chez lui, s’il n’a pas été invité la
veille, et va le troisième jour s’informer de la santé de sa fille.
L’enlèvement de la future (bouliàtsoldà), ne s’effectue pas ordinairement sans une forte opposition, surtout s’il y a parmi ses amis plusieurs hommes vigoureux ; et notamment autrefois qu’on
liait la mariée, et qu’on la retenait par les manches de sa robe, ou qu’on les attachait à la iourte.
A un demi-verste de sa iourte, le futur envoie du vin et de la viande pour régaler la fiancée et ceux qui l’accompagnent. A son arrivée, elle reste entourée de ses compagnes, jusqu’à ce que sa
propre iourte soit préparée. Dès qu’elle y est entrée, on la fait asseoir sur le lit, on défait les tresses nombreuses qu’elle portait comme fille ; on lui ôte ses parures de corail, et après
avoir joint quelques ornements aux deux tresses qu’on lui laisse, elle est revêtue des habits des femmes mariées, et conduite chez son beau-père pour lui faire sa révérence (mourgoùlekoù) ; elle
y trouve réunis tous les parents et amis de son mari futur. Pendant la lecture des prières du rituel, elle a la figure cachée, et, suivant les divers mouvements d’un homme qui lui sert de guide
et qui est toujours choisi du même âge qu’elle, elle s’incline premièrement vers le feu, et ensuite vers le père, la mère, et les autres plus proches parents du futur : tous lui donnent à haute
voix leur bénédiction (youroughél). Pendant cette cérémonie, on leur distribue de sa part des vêtements et d’autres objets. Le beau-père, d’après une convention préalable, a choisi ceux qui sont
à sa convenance.
Ensuite, la future retourne dans sa iourte. Quelquefois le jeune époux ne couche avec sa femme qu’au bout de six ou sept jours, surtout pendant le séjour de sa belle-mère qui doit rester au moins
une nuit auprès de sa fille. Au départ de sa mère et des autres proches parents, il est défendu à la nouvelle mariée de les accompagner.
Préface, suite
Toutes les ambassades européennes qui sont allées à Péking, n’ont fait qu’un séjour très
court dans cette capitale de l’empire chinois, et même ont été sans cesse soumises à une surveillance gênante, dictée aux Chinois par leur méfiance pour les étrangers. M. Timkovski a visité
Péking sous des auspices beaucoup plus favorables ; comme tous les Russes, il jouissait de sa pleine liberté, pouvant parcourir les nombreux quartiers de cette ville immense, et visiter tous ses
monuments et toutes ses curiosités. Il a donc été à même de faire des observations plus exactes que les voyageurs qui ont visité la Chine avant lui ; de plus, il avait à sa disposition plusieurs
interprètes qui connaissaient parfaitement la langue du pays ; ainsi ses récits méritent plus de confiance que ceux des personnes, qui, ne sachant ni le chinois ni le mandchou, n’ont pu entrer en
conversation avec les habitants de l’empire.
Le Voyage de M. Timkovski a paru en russe à Saint-Pétersbourg. Il contient le journal et les remarques de l’auteur sur la géographie, le commerce, les mœurs et les usages de la Chine. Il est
enrichi de plusieurs traductions et d’extraits d’ouvrages chinois, qui ont été fournis à M. Timkovski par les moines et les élèves de l’établissement russe à Péking ; ce qui donne à cette
relation beaucoup de poids, et lui imprime un caractère d’authenticité qu’aucune autre ne peut avoir.