sous la direction d'Auguste RACINET (1825-1893)
LE COSTUME HISTORIQUE
Planches et texte sur la Chine uniquement
Firmin-Didot, Paris, 1888.
- Introduction : "Le premier tailleur d'habits ne saurait être plus illustre que celui désigné par la Genèse, montrant le terrible Jéhovah chassant l'homme du paradis, et le jetant sur une terre « qui lui produira des épines et des ronces » sans toutefois l'y abandonner entièrement, c'est-à-dire avec un courroux fléchissant, ainsi que l'indique ce passage du récit mosaïque : « Le Seigneur Dieu fit aussi à Adam et à sa femme des habits de peaux dont il les revêtit »."
- "Dans la rapidité des grandes étapes de la Genèse, on ne trouve rien touchant les évolutions de l'industrie après le premier pas fait par elle... Des bégaiements de ces industries, de l'ingéniosité des travaux auxquels l'homme dut se livrer, de l'expérience qu'il lui fallut acquérir pour se procurer les tissus et les feutrages propres à remplacer les vêtements de peaux dont il lui avait fallu d'abord user, de ces efforts collectifs, rien ne parle en ces livres-là."
- "Aujourd'hui, qu'il ne saurait plus être question d'opposer les unes aux autres des traditions différentes, mais de rechercher, au contraire, ce qui est de nature à concilier les diverses traditions, en les faisant concourir, autant que possible, à former une espèce d'histoire de la marche de l'humanité, à travers les phases par lesquelles l'homme a nécessairement passé pour arriver aux civilisations ; aujourd'hui, que les chiffres donnés par la géologie d'une part, et les travaux des anthropologues d'autre part, s'imposent à l'esprit en faisant reculer fortement les limites du passé classique, y compris celles mêmes des temps sûrement historiques, il devient d'un réel intérêt de signaler ce qui nous est révélé sur les époques intermédiaires dont ne parlent ni les Moïse, ni les Homère, mais que l'on trouve échelonnées dans la tradition de la haute archéologie des lettrés chinois. La succession des faits s'y présente avec une pertinence, que l'on peut facilement dégager de la physionomie d'un fabulaire caduc, donnant aux hommes des premiers temps une figure plus ou moins mythologique, animale ; et aucun document ne jette plus de jour sur des événements dont on sent bien que la succession est la logique même de la vraisemblance."
Extraits : Costumes et insignes des mandarins. Dames chinoises
L'omnibus - L'habillement des femmes chinoises et tartares. Accessoires
Obsèques d'un riche Chinois. La composition du cortège
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Les mandarins sont les fonctionnaires publics de l'ordre civil et militaire, classés selon l'importance de leur office et portant les insignes de
leur grade. La division de leurs rangs est de neuf degrés, subdivisés chacun en deux classes, ce qui, en somme, forme dix-huit degrés. Un mandarin de l'administration civile, passant au service
militaire, conserve dans l'armée le grade conquis dans le service civil, et vice-versa.
Les rangs ont pour principale marque distinctive un bouton placé au sommet du bonnet officiel ; la substance, la grosseur, la couleur de ces boutons varient selon le grade : en voici le
classement.
Mandarins : | Rang | Colonne |
Rouge : Pierre précieuse rouge Globe de corail Pierre précieuse inférieure rouge, ou corail ciselé en forme de fleur Même insigne, mais de moindre dimension Bleu : Pierre précieuse sphérique, bleu clair Même insigne, de moindre dimension Petite pierre précieuse, bleu foncé, ou petit globule en verre de couleur Même insigne, de moindre dimension Blanc : Globule de cristal blanc ou de verre Même insigne, de moindre dimension Globule en pierre précieuse blanche Même insigne, de moindre dimension Or : Globule d'or ou doré Même insigne, de moindre dimension Ce globule d'or est aussi l'insigne des deux derniers rangs et va en diminuant de grosseur selon l'importance de la classe qu'il indique.
|
1 1 2 2
3 3 4 4
5 5 6 6
7 7
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1 2 1 2
1 2 1 2
1 2 1 2
1 2
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Le second insigne hiérarchique est le pectoral, consistant en une pièce d'étoffe attachée à la robe, sur laquelle sont brodées ou peintes des
figures d'oiseaux pour les kwan civils, et de quadrupèdes pour les kwan militaires. Ces images diffèrent selon le rang (le véritable nom des mandarins, en Chine, est celui de
kwan ; d'après d'Escayrac de Lauture, mandarin n'est qu'une expression barbare, provenant du jargon portugais des métis de Macao).
Le costume officiel consiste en une robe sur laquelle sont brodés des dragons ou des serpents ; elle est retenue par une ceinture et recouverte en partie par une robe plus sévère et moins longue,
sur laquelle on met la pèlerine, pi-kien. Le chapeau est orné d'une floche ronge qui se retrouve sur celui des gens. Le grand collier se met avec le costume. Les signes de la délégation
impériale sont le cachet, yin, et le bambou jaune.
Les décorations accordées par l'empereur pour services civils ou militaires sont : la robe jaune, et la plume de paon, xwa-lin, réservées aux fonctionnaires de l'ordre le plus élevé :
puis vient la plume appelée lan-lin, encore assez estimée. Les soldats qui se distinguent reçoivent des queues de renard. Les plumes et les queues se portent au bonnet, couchées en
arrière du globule. Les globules surmontant le bonnet sont de deux sortes : ceux portés avec l'habit de cérémonie ont la forme allongée ; ceux d'un usage habituel sont arrondis.
Les Chinois divisent les kwan en grands et en petits kwan. On regarde comme grands ceux dont les fonctions sont supérieures à celles de préfet : ceux qui ont le parasol rouge.
La seconde catégorie commence aux sous-préfets, deuxième classe du cinquième rang. La largeur du parasol varie selon le grade ; on voit souvent des parasols à la couleur du grade, dont la frange
porte un grand nombre de noms propres brodés sur tout son pourtour ; ce sont les wan-min-san, les parasols aux dix mille noms (c'est-à-dire beaucoup), présentés aux magistrats par des
populations reconnaissantes. L'usage d'offrir des parasols de cette espèce est commun à toute la Chine.
Terminons cet exposé général en disant que les mandarins de l'ordre civil ont le pas sur les mandarins militaires. Cedant arma togæ.
Le fonctionnaire n° 4 porte le costume de cérémonie ou de cour des magistrats de premier ordre, ministres d'État, conseillers et grands
officiers, vice-rois, gouverneurs, trésoriers généraux ; sa tenue officielle est complète ; il a le grand collier de corail et est décoré de la plume de paon. Ses mains sont cachées, ce qui est
d'étiquette, par les longues manches de sa robe se terminant en forme de fer à cheval ; cette robe, le surtout qui la recouvre, la pèlerine, le pectoral, sont en soie. Le bonnet est de ceux dont
le revers ne peut être que de satin, de velours, ou de fourrure, et les bottes sont également de celles qu'un homme de rang doit toujours porter, en public, de satin, de soie ou de coton.
Le n° 3 représente un mandarin en tenue journalière ; il est en habit d'été. Sa robe de soie est longue et flottante. Ses souliers sont faits de rotins entrelacés de manière à laisser passer
l'air. Le chapeau conique est fait aussi de joncs tressés, ornés de grains rouges. Selon l'usage, ce Chinois tient d'une main l'éventail, et de l'autre, le mouchoir.
Le n° 5 représente une dame de distinction en habit de cérémonie. Cette figure est celle d'une dame tartare ; ses pieds ne sont pas mutilés. Sa robe traînante est sans ornements et c'est le long
surtout recouvrant cette robe qui s'en trouve chargé, contrairement à ce que présente le costume masculin qui l'avoisine. Ce surtout est fait de satin et richement brodé. C'est parmi ces
broderies que la dame chinoise, si elle est la femme d'un mandarin de haut rang, fait répéter les symboles de la qualité de son mari ; souvent, à la hauteur de la poitrine, et en figure inverse,
on trouve sur le surtout féminin l'insigne qui figure dans le pectoral du mandarin ; dans les autres parties du vêtement, parmi les animaux réels ou fantastiques qui le décorent, on n'omet jamais
le dragon à trois ou quatre ongles, auquel ont seuls droit les mandarins des trois premières classes. Le dragon impérial est à cinq ongles ; le souverain et les membres de sa famille s'en
réservent le privilège. La parure de la tête est une couronne avec pendentifs de perles, portée seule ou ajustée à des coiffures diverses, et le fôn-kwan que prend l'épouse dès le jour
de son mariage. Notre dame chinoise porte une longue et fine cravate de soie qui complète l'extrême pudicité de son costume. Elle tient d'une main l'éventail et le mouchoir, et de l'autre une
pipe à tige de bambou, à fourneau minuscule, qu'accompagne la blague à tabac, qui est un sachet de satin.
Le n° 6 figure une dame chinoise en costume d'intérieur ; elle a les pieds mutilés et chaussés de la petite bottine à bouts relevés ; le peintre chinois d'après lequel ces documents sont
reproduits s'est attaché ici à retracer la démarche indécise, le balancement, l'air de timide souris, que valent aux femmes des Chinois leurs pieds brisés. Cette dame est coiffée à
l'ordinaire, c'est-à-dire, en partageant les cheveux en masses distinctes, égayées par quelque fleur artificielle, souvent d'or, d'argent ou de pierreries. Ses vêtements, tous de soie, sont sans
ornement ; elle tient d'une main un grand éventail ayant la forme d'une feuille de rosier, et de l'autre elle porte un bouquet léger de fleurs artificielles.
Toutes les couleurs ne sont pas admises indistinctement pour les choses du costume ; l'emploi en est permis selon l'état, le classement des gens. Le jaune n'appartient qu'à l'empereur, aux
princes du sang, à ceux que le souverain autorise à le porter. Ce n'est qu'à l'âge de quatre-vingts ans que, de droit commun, un Chinois a la liberté de s'en revêtir. Le rouge appartient aux
mandarins ; le noir, le bleu, le violet, à tout le monde. Il est de mode d'être habillé de neuf au nouvel an. Enfin, l'une des règles de l'étiquette strictement observées, est qu'un homme doit,
pour rendre ou recevoir une visite, être en bottes, en surtout, avoir le bonnet pointu sur la tête et l'éventail à la main.
Notre planche offre des représentations de deux sources distinctes ; les brouettes sont photographiées d'après nature ; les autres figures sont
reproduites d'après les peintures originales. Elle présente le contraste du Chinois des classes élevées, tel qu'il se fait peindre, et de la réalité courante, telle qu'on la peut coudoyer à
Canton ou à Shang-haï. On sait qu'en Chine le vêtement est modifié par la nature des étoffes, leur couleur, le caractère et la richesse des broderies, selon le rang ; jusqu'à la matière même de
certains boutons comme ceux portés à leur bonnet par les mandarins, tout est réglé, tout est affaire d'ordonnance ou d'étiquette, mais les modifications ne portent jamais que sur le détail, et
les principes du costume sont les mêmes dans toutes les classes de la société pouvant tenir un certain état. C'est le plus commode des costumes usités en Asie. Il est long, ample, hygiénique et
fort varié, car il n'est pas exact que l'habit de tous soit réglé par le ministère des Rites et Cérémonies, déterminant la coupe, la matière et la couleur des habits, de façon que tous les
Chinois porteraient un uniforme. Les ordonnances de cette nature s'adressent au personnel administratif ; les convenances, l'étiquette, font le reste. Il en est ainsi pour la prise du bonnet de
saison, d'été ou d'hiver, faite par le vice-roi de la province, annoncée dans la gazette officielle ; cette insertion y devient un ordre pour les employés de l'administration d'avoir à changer
leur coiffure, ordre auquel la population se conforme facilement, puisque c'est la saison. Quant à l'immutabilité des vêtements, s'il est facile de s'assurer de leur conformité en examinant ceux
des anciennes peintures et ceux actuellement en usage, on ne doit pas en inférer cependant qu'il ne se produit aucun courant de modes. Il y a au moins de ces modes locales, subissant un peu de
ces fluctuations à l'européenne, d'où naît la nouveauté ; ces modes ne se font sentir que dans certaines particularités du costume, et si légèrement, dit d'Escayrac de Lauture, que les
différences nous échappent, tandis qu'à Shang-haï et à Canton un homme habillé à Pékin attire immédiatement l'attention des autres Chinois.
Les hommes portent une chemise courte, des caleçons, des bas cousus, une robe longue, une ceinture large, servant de poche, agrafée avec un crochet de jade ou d'agate : le yu. On y
ajoute, pour le vêtement d'hiver, un spencer en drap ou en fourrure, et deux fourreaux, également en fourrure, passés par-dessus le caleçon. Les coiffures sont : la calotte ; le chapeau mou ; le
chapeau d'hiver à bords retroussés, inflexibles ; le chapeau d'été, en paille, de forme conique. Les chaussures sont : des pantoufles à semelle mince ; des souliers de feutre ou de velours à
haute semelle, brodés ; des bottes de soie ou de cuir à tiges de soie, à très haute semelle. Ces chaussures, confectionnées à la manière turque, sans distinction entre le pied droit et le gauche,
sont quelque peu incommodes ; elles sont chaudes, et de Lauture dit que leurs épaisses semelles sont suffisamment imperméables. Le bonnet constitue la partie la plus importante du costume
masculin des Chinois ; c'est par lui que se distingue la qualité de la personne ; la boule de soie, ou d'or, ou enrichie de pierres précieuses, placée à son sommet, joue en Chine le rôle de notre
épaulette, mais avec une extension plus large. En outre des dignités militaires, elle indique, en les y assimilant, toutes les autres dignités, y compris les littéraires, marquant le grade de
chacun. — Le costume est simple, très réduit, chez les travailleurs. Les gens du commun se couvrent à peine ; dans le Nord, ils vont même presque nus. Chez les hommes de classe moyenne, il se
compose de chausses collantes, d'un chapeau mou, d'une veste serrée comme un justaucorps, d'une robe demi entr'ouverte. Plus opulents, dans la belle saison, ils portent une chemise courte, des
caleçons, des bas cousus ; le tout en toile de coton. Pendant l'été, les marchands ne sont souvent couverts que d'un caleçon et d'une large chemise blanche. La queue de cheveux, portée par tous
les Chinois, avec l'extrémité en tresse de soie dont on l'allonge, étant gênante, on la roule souvent autour de la tête ; mais il est inconvenant de paraître ainsi dans la rue ou devant des
supérieurs. Un domestique faisant son service doit toujours la laisser pendre. En cérémonie, les manches des vêtements longs sont abaissées sur les mains.
Le costume des dames est de la même nature que celui des hommes ; elles sont enveloppées de la tête aux pieds, de manière à ne laisser pressentir
aucune des formes de leur corps. Leur caleçon de soie, serré à la taille, plissé à l'extrémité comme une manchette, noué avec un ruban, est entièrement caché par la robe longue, qui est un sorte
de fourreau recouvrant totalement les vêtements de dessous ; un collet étroitement ajusté, les manches larges, complètent la clôture. Les bas, fabriqués d'étoffes différentes cousues ensemble,
sont piqués, doublés en coton. La bottine du petit pied est plate, à haute semelle droite, ou très inclinée en avant sur une base horizontale. La manière d'arranger les cheveux varie de district
à district. À Pékin, où les jeunes filles les laissent tomber en touffes sur leur front, et de chaque côté de la figure, les divisant par derrière en une multitude de tresses, elles les relèvent
à la chinoise lorsqu'elles sont fiancées, et les retiennent avec une longue épingle d'argent en signe de leur engagement ; le jour de leur mariage on leur fait subir l'opération du kai-mien, qui
consiste à leur raser le front jusqu'à une certaine hauteur, puis à enrouler leurs longues nattes sur un coussinet en carton, doublé en soie noire et posé sur la nuque. On accompagne cet
arrangement de fleurs artificielles, de pierres précieuses non taillées, de plumes d'oiseaux ; quand le rang ou la fortune ne permettent pas autre chose, on y emploie le papier, le verre coloré.
L'épingle d'argent d'un pied de long qui traverse tout l'édifice a la même signification en Chine que la bague d'alliance en Europe. Les ongles des mains, très longs, sont une beauté fort
estimée, ainsi que l'extrême petitesse du pied. C'est d'ailleurs offenser une dame chinoise que de chercher à voir son brodequin. Aucune, à aucun prix, ne consentirait à montrer son pied nu ; on
tient même pour indécent de laisser voir ses mains nues, les manches servant à la fois de gants et de manchon. Outre le fard dont ces dames se peignent, elles noircissent leurs sourcils, leurs
cils, agrandissent le tour de leurs yeux ; elles mettent, dit-on, deux larges mouches de taffetas noir sur chaque tempe, et l'habitude de ces mouches temporales leur serait commune avec les
hommes, ainsi que celle des ongles longs.
Les femmes chinoises ne sont ni recluses ni voilées, dit M. T. Choutzé ; les dames du harem se promènent journellement en voiture. Chez les Chinois de haut rang, très jaloux, qui autorisent
cependant leurs femmes à se visiter entre elles, à se rendre chez leurs parents, les dames ne sortent que dans des chaises hermétiquement closes. Dans les autres classes, les femmes sortent à
visage découvert ; les pauvres, qui jouissent d'une liberté plus grande, l'achètent chèrement par les travaux de bêtes de somme dont les chargent leurs maris. Dans ce pays de l'éventail manié par
tous, enfants, riches, pauvres, lettrés, soldats, où les mères l'emploient pour endormir l'enfant au berceau, où les ouvrières s'éventent d'une main en travaillant de l'autre, où le soldat le
manie sous le feu de l'ennemi, il paraît que l'éventail sert à un langage muet, significatif, dont les jeunes filles connaissent fort bien toutes les évolutions.
En Chine, où le far-niente est l'idéal, on considère comme malséant de marcher, de se promener, de se servir de ses membres. Aussi le palanquin est d'un usage incessant ; on en trouve en
location à toute heure dans les grandes villes. Ceux qui ne peuvent employer le palanquin, porté par deux hommes, recourent à une brouette, poussée par un seul homme, offrant deux places, qui en
font un véritable omnibus. La roue au milieu, non en avant comme à nos brouettes, donne une meilleure répartition de la charge. Assis de chaque côté, les voyageurs sont assez mal à l'aise. Cette
brouette est assez commode pour celui qui se trouve chargé d'un bagage. C'est, d'ailleurs, le mode ordinaire de locomotion des petites gens ; on rencontre souvent ce véhicule à Shang-haï et à
Tien-Tsin.
Depuis plus de deux siècles que les Mantchoux ont conquis la Chine, les vaincus ont subjugué leurs vainqueurs par leurs mœurs, leur religion,
leur littérature ; cependant, malgré le mélange qui s'est produit, les traits de la race conquérante restent plus ou moins sensibles, et, quoique les Tartares aient adopté, pour la plupart, les
coutumes stationnaires du Céleste Empire, on voit persister dans le costume des dames, par exemple, de certaines différences. Le type originaire étant connu, il faut y ajouter que l'embonpoint
excessif, recherché par le Chinois qui veut avoir belle tournure, est au contraire redouté par les personnes du sexe féminin. Leur idéal est la femme souple, ressemblant à un jeune
saule, comme se plaisent à la montrer les poètes chinois. L'horreur des Chinois pour les alliances étrangères est cause que la physionomie de la femme chinoise ne paraît pas avoir subi de
modification depuis qu'on la connaît. Les auteurs anciens la montrent telle que la décrivent les voyageurs modernes. Il en est de même des mœurs en général. Selon les prescriptions, toujours en
vigueur, de l'ancien recueil des rites, le Li-ki, la fille, dès l'âge de dix ans, ne sort plus ; on lui apprend à filer le chanvre, à travailler la toile, à tisser diverses sortes
d'étoffes, à préparer les habillements, etc., etc. C'est ainsi que les femmes de haut parage exécutent elles-mêmes presque tous les objets nécessaires à leur toilette, surtout les broderies et
les fleurs artificielles, toute dame chinoise sachant non seulement filer au rouet et tisser à la navette, mais sachant aussi couper les vêtements et manier l'aiguille pour les coudre.
Les pièces principales de l'habillement des Chinoises, qui diffère peu de celui des hommes, sont : 1° le large caleçon, océan de soie bouffante, dit un voyageur, qui va de la ceinture à la
hauteur des chevilles ; il est lié par le haut avec une ceinture en étoffe, par le bas avec des rubans ; 2° la han-chaol, chemisette en forme de tunique courte, s'ouvrant dans toute sa
longueur sur le devant, s'attachant sur le côté, et ne descendant que jusqu'un peu au-dessous des hanches ; il est d'usage de porter sous cette chemisette une espèce de filet de soie pour
empêcher la tunique d'adhérer à la peau ; 3° le haol, la longue robe fendue sur le côté, où elle est attachée, servant de vêtement principal et dont les manches sont étroites et longues
; c'est, sur la grande robe que, d'ordinaire, on met la ceinture ; 4° le ma-coual, sorte de surtout à manches larges et courtes qui servent de gants et de manchon. Le ma-coual
qui se boutonne sur le côté, comme les deux premières tuniques, est plus ou moins long, mais toujours sensiblement plus court que la robe ; c'est une blouse, une sorte de dalmatique, ouverte pour
le passage de la tête, close ensuite ; on le fend sur les côtés, pour lui donner un certain jeu.
Tous ces vêtements sont de coupe très simple. Le ma-coual des personnes distinguées est ordinairement bleu ou de couleur sombre. Les seules différences qui existent dans les vêtements
proviennent de la nature des étoffes et du changement des saisons. L'étoffe que les personnes riches préfèrent pour l'été est une sorte de toile connue sons le nom de ko-pou, extrêmement
fraîche et légère et d'un tissu assez fin. Au printemps et en automne on fait usage du siao-kien, étoffe non teinte, qui provient du ver à soie sauvage. On porte en hiver le
touan-tse, satin beaucoup plus fort que celui d'Europe.
Les gens de qualité, pour mieux se garantir du froid, ont soin de faire doubler leurs vêtements des plus chaudes fourrures, telles que les plus belles peaux de renard, de zibeline et d'hermine,
qui leur viennent de la Tartarie et des autres contrées septentrionales de l'Asie. Les gens de condition moins aisée se contentent de peaux de mouton ou de simples vêtements piqués de soie ou de
coton. Certains Chinois ajoutent encore par les grands froids un long manteau d'une espèce de rat sauvage, appelé tael-pi, dont le poil long et très fourni se porte en dehors ; mais ce
manteau est surtout à l'usage des hommes et appartient aux personnages de haut rang.
On ajoute souvent par-dessus les vêtements un collet rond et plat, dont l'ouverture prenant le cou de près ne permettrait pas le passage de la tête ; on l'agrafe pour le fermer une fois posé sur
les épaules (V. n° 9). Les dames ont aussi une longue et fine cravate à bouts flottants (V. n° 6).
Il est sans cérémonie de laisser flotter la chemisette portée seule. Habituellement on l'attache avec une ceinture dont le fermoir est parfois
incrusté de pierreries. En été, le caleçon fermé par des jambières posées dessus et la chemisette constituent le seul costume de la classe ouvrière. Les Pékinoises substituent fréquemment une
veste courte au ma-coual.
Les dames portent sur elles l'appareil du fumeur, la blague où se loge la pipe et qui est pendue à la ceinture comme une espèce de ridicule, avec les éventails et autres objets usuels que l'on y
suspend de même, par des cordons de soie. Dans les classes aisées, tout le monde est dans l'usage d'avoir sur soi des sachets d'odeur.
Les Chinoises portent des bas fabriqués d'étoffes différentes cousues ensemble, piquées et doublées en coton. Leurs chaussures sont de trois caractères, c'est-à-dire que les unes conviennent au
pied qui a conservé sa forme naturelle, les autres, au pied réduit ; les troisièmes ont pour but de procurer au pied de grandeur naturelle la physionomie du pied qui a souffert la réduction. Ce
dernier soulier qu'on appelle le brodequin de théâtre est haut et court ; très élevée sous le talon, très fine en avant, la semelle est disposée de telle sorte que le pied qui s'y pose
ne peut marcher qu'en s'appuyant sur l'extrémité des doigts. Il n'est pas moins difficile de marcher avec cette chaussure qu'avec le pied mutilé même, mais la force de la mode est telle que les
dames qui ont conservé leurs pieds dans leur forme naturelle dissimulent ce désavantage en se chaussant du brodequin de théâtre. Cette chaussure de contrebande offre une figure se rapprochant du
soulier court à haut talon qui se trouve parmi les accessoires, n° 1 ; seulement, à la différence de celui-ci, qui est un véritable soulier de pied mutilé, le brodequin de théâtre est une bottine
dont la tige entoure la cheville, justifiant pleinement le nom de pied de biche donné à ce genre de chaussures. Il n'est pas jusqu'aux femmes du peuple qui ne se servent du pied de biche les
jours de fête pour se donner le plaisir d'avoir la démarche de bon ton.
Peut-être les pieds mutilés sont-ils en moindre quantité qu'ils ne le paraissent en Chine. Il est certain que cela varie selon les classes et surtout selon les localités. Si, dans beaucoup de
provinces, une Chinoise de bonne famille se croit déshonorée lorsque ses parents n'ont pas pris soin de la déformer, car un pied long de deux ou trois pouces, outre son charme, montre que l'on
n'est pas née pour le travail, il faut considérer que cette mode cruelle, combattue par tous les empereurs tartares, a, sur certains points au moins, plus d'apparence que de fond. Un Mantchou qui
épouse une Chinoise ne veut pas qu'elle ait les pieds déformés. Les dames tartares et chinoises qui composent la cour des impératrices, ainsi que les femmes des nombreux fonctionnaires qui
résident dans la capitale ont conservé leurs pieds naturels ; seulement toutes les élégantes, Chinoises ou Tartares, portent le brodequin de théâtre. À Canton, où la réduction du pied par
mutilation se maintient, on ne martyrise qu'une fille sur cinq dans la famille. Sur cinq ou six femmes qu'il possède, un homme n'en a qu'une aux pieds déformés, sa première femme, et l'on
apprécie cette femme selon la réduction plus ou moins grande de son pied.
Dans leur jeune âge, les Chinoises portent les cheveux épars ; dès qu'elles sont devenues jeunes filles, elles tressent une natte, qu'elles laissent pendante ou qu'elles relèvent sur le sommet de
la tête ; une fois mariées, elles les portent toujours relevés et, en général, retenus par deux aiguilles d'ivoire, d'or, d'argent ou de quelqu'autre métal, croisées obliquement. À quinze ans, si
elle est fiancée, une fille prend l'aiguille de tête. Chez les riches, des fleurs artificielles et des perles sont entrelacées de chaque côté de la tête. Les cheveux sont toujours soigneusement
lissés avec une huile odorante. Les Chinoises pures ont les cheveux très mal plantés, affirme M. Madier de Montjau; peut-être faut-il attribuer à ce défaut l'usage où sont ces dames d'élargir
leurs tempes en se rasant les cheveux, de les raser aussi sur le front, leur faisant former une ligne bien nette et deux angles qui, au besoin, sont rectifiés avec de l'encre. Les rites et la
mode qui veulent que la Pékinoise soit toujours nu-tête, sont loin d'être les mêmes partout : non seulement il y a bien des arrangements de la chevelure, mais il s'y joint diverses coiffures de
caractère national. Quelquefois toute la parure consiste en la coiffure dite de phénix, ornement en forme d'oiseau dont les deux ailes embrassent les tempes, la queue se relevant en aigrette, et
le long cou du fong-hoang, élastique et mobile, projeté en avant du front, s'y agitant au plus léger mouvement. Cette parure originale, toujours très coûteuse, est parfois composée d'un
groupe de fong-hoang, artistement entrelacés les uns dans les autres ; cela constitue une sorte de diadème dont la tête est couronnée. Cette forme est typique ; les ornements de ce genre
ne sont jamais ni un bonnet ni un chapeau. À Soutchoou et Shang-haï, par exemple, les femmes ont un diadème en velours ou en soie noir, dont nos exemples, nos 8, 9, 10, 12, 14 et 15, exposent les
diverses dispositions. Le n° 10 montre le coussinet en carton doublé en soie noire posé sur la nuque et sur lequel sont enroulées les longues nattes des cheveux de la femme mariée. Ce coussinet,
qui supporte les fleurs artificielles en plumes d'oiseaux ou simplement en papier et en verre coloré, parfois aussi la fleur de la saison montée sur fil d'archal, est attaché aux cheveux par la
grande épingle en argent d'un pied de long qui traverse tout le chignon. Cet arrangement, tout à fait typique, désigne particulièrement la femme mariée. Quant aux Chinoises qui partagent leur
chevelure en bandeaux qui passent horizontalement au-dessus de l'oreille, ce sont, dit M. Madier de Montjau (qui fait remarquer à ce sujet que les Japonaises ne se départent jamais de
leurs modes locales sous aucun rapport) ce sont de celles qui ont besoin de plaire aux Européens. Nous n'avons pas à y insister.
Les femmes mettent presque toutes, et avec un abus dès longtemps signalé, du fard blanc et rose; dès l'âge de sept à huit ans une Chinoise commence à se peindre la figure. Les sourcils sont
teints de noir, et au milieu de la lèvre inférieure ainsi qu'au bout du menton, on pose un rond d'un vermillon bien vif, de la grandeur d'un petit pain à cacheter. « Son visage a la blancheur de
la farine, sa bouche est une cerise », dit une complainte. Le nec plus ultra des femmes à la mode est de se tracer une petite raie de carmin verticale entre les deux yeux et de se poser
des emplâtres aux tempes, verts, noirs ou bleus. Ces mouches de soie sont ornées quelquefois d'un bijou ou d'une paire de petites antennes terminées par des perles fines que le mouvement de la
marche fait trembloter.
Les Chinoises élégantes se servent d'étuis pour conserver leurs ongles longs et en bon état. Ces étuis en argent sont quelquefois finement
ciselés ; ex. n° 8. L'usage des doigtiers d'argent est commun aux Tartares et aux Chinoises. Il est du meilleur genre de porter les ongles longs.
Les coiffures tartares diffèrent des chinoises. Les jeunes filles se font aussi des nattes, mais les femmes mariées affectent une mode particulière ; une raie est tracée au milieu de la tête, les
cheveux sont divisés en deux parties, chacune nouée au sommet de la tête ; au point de jonction, on place horizontalement une palette de métal longue de vingt-cinq centimètres, sur laquelle les
cheveux se dressent à droite et à gauche ; des nœuds de cordonnet rouge les fixent, et des fleurs vraies ou artificielles, de longues aiguilles terminées en cure-oreille, des papillons naturels
ou fantastiques, complètent l'édifice. Ces coiffures se simplifient avec l'âge et la chute des cheveux. Les nos 11 et 13 offrent des exemples de cette coiffure de la femme mariée tartare.
Toutefois, dans la plénitude de son caractère, la chevelure est beaucoup plus volumineuse et les deux bouffants sont plus hauts ; cela offre quelque peu l'aspect de la tête de mouche avec ses
deux gros yeux saillants.
Les femmes tartares se fardent comme les chinoises et se défigurent aussi avec le blanc, le rouge et l'encre de Chine. Elles ont des allures plus
vives ; jeunes, elles portent volontiers un costume se rapprochant de celui des hommes ; elles se coiffent alors très coquettement d'un chapeau de feutre à la Périnet Leclerc, dit M. T. Choutzé ;
leur robe est plus courte, et leurs cheveux tressés en une seule natte tombent sur une veste ou un gilet festonné d'arabesques. Leur chemise est de coton ou de soie. Leur pantalon est identique à
celui des hommes ; il s'attache de même sur la chaussette blanche, bleue ou nankin, avec un ruban de couleur voyante ; elles portent un tablier plissé noué autour de la taille, faisant le tour du
corps, qui constitue une sorte de jupon. Leur longue robe servant de pardessus est sans ceinture. Les différentes pièces de leur habillement sont généralement de couleur unie, mais bordées d'un
large galon plus ou moins agrémenté de broderies. En somme, bien que les Tartares aient emprunté à la Chine plus de coutumes qu'ils ne leur en ont imposé, leurs femmes semblent avoir peu imité
les Chinoises. On les voit allant seules par les rues de Pékin, tantôt à pied tantôt à cheval, à la manière des hommes. Leur attitude est généralement moins modeste que celle de la Chinoise
habituée à demeurer scrupuleusement renfermée dans la maison. Notre n° 14, qui montre le jupon et la veste sans manches, et aussi une coiffure de cuir ornée de pendentifs, décèle la femme tartare
; ses vêtements sont de coton, sauf la veste galonnée qui est de velours. Il en est de même pour la ménagère, n° 2, dont les cheveux partagés en deux bandeaux ondés surmontés d'un chapeau de
feutre paraissent de même caractère. Les vêtements sont aussi de coton, les manches bordées de velours. Le parasol que tient cette dernière dame et que la marchande de boutons, aux vêtements tout
à fait rudimentaires, porte ouvert, est, comme on le sait, inséparable de tout Chinois. La monture du plus ordinaire, comme est celui de la marchande est faite de bambou, le tégument est de peau
de poisson dont l'odeur forte ne se dissipe qu'avec le temps. Le parasol de la ménagère se termine en un crochet qui sert à le suspendre à la ceinture.
Le n° 5 est une Chinoise de Tong-King ; l'aspect de ce costume, qui n'a de commun avec celui décrit que le principe de la longue enveloppe dont le peu de plis ne décèlent aucune forme, suffit
pour démontrer la diversité des modes ainsi que celle des types dans un pays aussi étendu que la Chine, dont les températures sont si variées.
La mandarine n° 6 est entièrement vêtue de soie ; son peigne est de cuir. Quant au mandarin n°7, nous renvoyons plus haut, à propos de ce qui est dit de ces dignitaires. La tête rasée, sauf la
longue queue dont les cheveux sont nattés est pour les Chinois une mode des temps relativement modernes ; elle leur a été imposée par les Tartares. Le talapat, évent ou cache-soleil, qui
sert en même temps d'écran contre la poussière, est une des variantes de l'éventail ; il ne se replie pas. Les formes en sont variées et le plus généralement la feuille est de figure plus ou
moins proche de celle des nénuphars. Nous en donnons quelques-uns des plus simples, parmi nos accessoires, n°1. C'est du bambou, paré de papier sur les deux faces. Le plus grand est un exemple du
luxe avec lesquels les objets de ce genre sont souvent décorés. La monture est en os, l'écran en plumes sur lesquelles des fleurs et des figures sont peintes ; une houppe de soie est au
milieu.
Cette série d'accessoires se termine par un de ces pendants d'oreilles que portent les femmes et qui sont toujours de forme allongée. L'anneau de celui-ci est en or, et les pendentifs sont en
perles de verre.
Il n'est pas de peuple qui vénère ses morts autant que les Chinois ; aussi ont-ils donné aux funérailles un caractère particulièrement solennel.
Le rituel des grands enterrements est de la plus haute antiquité, et, avec l'immutabilité des mœurs de la nation, on peut considérer le défilé que l'on voit ici comme un des types principaux de
ce genre de cérémonie. Les Grecs, eux aussi, ont fait précéder leurs morts des effigies de leurs aïeux et des images de leurs dieux domestiques ; ils avaient le chœur des pleureurs, celui des
musiciens, et c'est assurément aux Chinois qu'ils ont emprunté, indirectement sans doute, l'obole de la barque à Caron.
En Chine, l'homme qui va mourir est habituellement porté dans la principale pièce de la maison ou dans la chapelle domestique. Après les funérailles une inscription y indiquera son passage en
relatant qu'au temps de telle dynastie, l'âme illustre de tel personnage a quitté la terre. On tourne la tête du mourant vers l'est, et, après son dernier soupir, on introduit dans sa bouche une
pièce de menue monnaie, comme pour payer le batelier des enfers, ou bien cette monnaie est jetée dans une rivière dont l'eau sert à laver le mort. Il est aussi d'usage de faire un trou au
plafond, pour faciliter le départ de l'âme.
L'homme est couché, tout vêtu, dans un cercueil de bois épais et lourd, garni de chaux et d'huile ; son portrait (hien-thioun-paé), dans un costume d'apparat souvent au-dessus de sa
situation, est placé sur un autel domestique où brûlent des chandelles vertes. Ces honneurs ne sont pas rendus aux jeunes gens au-dessous de vingt ans et non mariés.
La veuve porte autour de sa tête un linge blanc. Le fils est coiffé d'un bonnet spécial, le leang-kwan, et revêt les effets de grand deuil, dits hyao-i ; au moment des funérailles, il
prendra d'autres vêtements. La famille porte un cilice blanc et le chapeau officiel, dégarni de ses effilés rouges ; tout est blanc dans ce costume, même les chaussures. Les amis sont dans la
même tenue.
Parents et amis, en arrivant devant l'image du mort, s'agenouillent et se prosternent tour à tour sur un tapis vert à bords noirs.
Les cimetières sont parfois très éloignés des villes, et lorsque, comme dans l'exemple de cette planche, la route que doit parcourir le convoi est sinueuse, sa marche est dirigée par des
éclaireurs postés en avant et de chaque côté du chemin. Ce sont des éclaireurs qui font le salut d'arrivée à l'escouade de fossoyeurs rangée en dehors de la porte d'entrée.
Le cortège commence par des valets d'enterrement, portant des attributs de carton peints et dorés qui représentent des dieux domestiques, des tigres, des lions, des chevaux, etc. Puis viennent
les musiciens faisant, par intervalles, résonner le gong dont le son, mêlé à celui des cymbales et des clarinettes, remplit l'air d'un bruit assourdissant, destiné à chasser les méchants
fung-shue ou esprits malins qui rôdent autour du cercueil et cherchent à tourmenter le défunt. D'autres troupes suivent, portant des bannières et des cassolettes où brûlent des parfums. Le
tableau du défunt vient ensuite ; on y voit écrit, en gros caractères d'or, son nom et ses dignités. Enfin le cercueil paraît, couvert d'un catafalque, sorte de toiture d'un palanquin colossal en
forme de dôme. Cet appareil, dont l'importance varie selon la condition des personnes, nécessite parfois jusqu'à une soixantaine de porteurs.
Le fils aîné suit à pied, revêtu d'effets misérables (mai-i), s'appuyant sur la canne de deuil (san-thiang), le corps tout courbé et comme accablé sous le poids de la
douleur.
Les parents et les amis suivent ; ils soutiennent ceux que le chagrin doit, selon les rites, empêcher de marcher ; à ceux-là, on tend des coussins sur lesquels ils peuvent s'évanouir commodément
de vingt pas en vingt pas, en remplissant l'air de leurs sanglots, ainsi que les rites l'ordonnent ; après quoi, ils se relèvent et reprennent la conversation interrompue, dit M. Choutzé
(Pékin et le Nord de la Chine).
La marche est fermée par une multitude de palanquins couverts de toile blanche et contenant la partie féminine de la famille ; on voit aussi des porteurs chargés de provisions destinées au
banquet des funérailles.
Tout autour du cortège marchent des bonzes en robes grises, rouges ou jaunes ; leurs psalmodies ne cessent que pour faire place au vacarme produit par la musique.
Auprès du cimetière, on prépare le banquet qui se donne sous des tentes élevées exprès et ayant l'aspect d'un petit camp où la cuisine se fait en plein air. Les cérémonies accoutumées une fois
accomplies, les libations commencent ; après quoi parents et amis adressent leurs remerciements aux enfants du défunt qui ne répondent que par des signes.
Les tombeaux des Chinois occupent de vastes espaces ou des collines entières. Ceux des grands sont entourés de murs, plantés de cyprès, de thuyas et autres arbustes funéraires. Dans quelques
provinces, on dépose dans la fosse un matelas, un oreiller, du charbon et de petits ciseaux, pour que le défunt puisse, pendant son voyage dans l'autre monde, se coucher, se chauffer et soigner
ses ongles.
À l'automne et au printemps, on visite les tombeaux. Les riches y portent leurs offrandes : un porc, une poule, un canard, une oie, cinq plats de fruits, de l'eau-de-vie, etc., et l'on adresse au
mort un compliment, accompagné de protestations de respect ; c'est ce qu'on appelle balayer la tombe.
En Chine le deuil dure très longtemps et est observé avec la plus grande rigueur. À la mort de son père, un fils couche à terre pendant trois mois, et, pendant toute la première année, il vit
complètement isolé, ne communiquant ni avec sa femme légitime, ni avec ses concubines ; son deuil est de trois ans. La veuve porte celui de son mari deux ans et le veuf celui de sa femme un an
seulement. Quant aux enfants, quelle que soit leur mère, ils portent pendant trois ans le deuil de la femme légitime qui, d'après les lois et coutumes chinoises, est considérée comme leur mère
commune.