Achille Poussielgue (1829-1869)

VOYAGE EN CHINE ET EN MONGOLIE

de M. de Bourboulon, ministre de France et de Madame de Bourboulon, 1860-1861.

Librairie Hachette, Paris, 1866, 468 pages.

 

Quelques gravures - Table des matières - Avant-propos
Extrait : La ville chinoise de Pékin

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Quelques gravures


Table des matières

Avant-propos - Notice biographique
Première partie. — La Chine
  1. Shang-Haï. — 2. De Shang-Haï à Tien-Tsin. — 3. Tien-Tsin.  — 4. Tien-Tsin à Pékin. — 5. Le palais de la légation à Pékin. — 6. Révolutions de palais et négociations politiques. — 7. Promenade dans Pékin, la ville tartare. — 8. Promenade dans Pékin, la ville chinoise. — 9. Les environs de Pékin. — 10. Le gouvernement et la religion. — 11. La justice et la famille. — 12. Costumes, cérémonial, usages. — 13. Beaux-arts, industrie, commerce. — 14. Agriculture et productions naturelles.

Deuxième partie. — De Pékin à Saint-Pétersbourg

15. De Pékin à Tchang-Ping-Tcheou. — 16. De Tchang-Ping-Tcheou à Suan-Hoa-Fou. — 17. De Suan-Hoa-Fou à la Grande Muraille. — 18. La terre des herbes. — 19. Le grand désert de Gobi. — 20. Ourga. — 21. Le pays des Khalkhas.

La relation du voyage étant présentée jusqu’à l’arrivée en Sibérie, les chapitres 22 et 23 sont omis.


Avant-propos

 

Vers le milieu de l’année 1860, époque où commence ce récit, l’intérieur de la Chine était encore peu connu des Européens. Sauf les ports du littoral, où le commerce avait pris une libre extension depuis quelques années, cette immense contrée, qui occupe tout le centre et tout l’est du continent asiatique, était encore enveloppée d’une mystérieuse obscurité.

Quelques missionnaires, quelques ministres protestants avaient pu pénétrer récemment sous divers déguisements dans les provinces du sud et du centre, et en avaient donné des relations assez fidèles.

Quant au nord de la Chine, on n’en savait que ce qu’avaient publié les Jésuites au temps de Louis XIV, et lord Macartney, qui y parut plutôt en prisonnier qu’en ambassadeur. L’expédition franco-anglaise de 1860, suivie de la paix signée par les envoyés extraordinaires des deux puissances, n’a donné qu’une connaissance topographique de cette riche province du Pé-tché-li, où est située la capitale. Quand on vient en ennemi et les armes à la main, on ne peut se rendre compte ici du jeu régulier des institutions, ni des habitudes, ni des mœurs d’une population effrayée par l’invasion.

Dès que la paix fut signée, les généraux alliés, ayant complètement réalisé le but que poursuivaient les deux puissances, craignant d’ailleurs, et sentant l’impossibilité d’occuper sérieusement une immense ville avec quelques milliers d’hommes, se rembarquèrent pour l’Europe, après avoir laissé hiverner quelques troupes à Tien-Tsin pour assurer l’exécution des traités.

Après le départ des généraux et des ambassadeurs, ce fut aux ministres français et anglais chargés spécialement des affaires de Chine, que revint le soin d’aller établir pacifiquement leurs légations au sein de cette mystérieuse capitale. M. de Bourboulon, après un séjour de dix ans en Chine, put enfin pénétrer officiellement dans l’intérieur du pays, et Mme de Bourboulon est la première Européenne qui soit entrée à Pékin, et l’ait habitée.

Le grand intérêt que présentait leur séjour dans le nord de la Chine, est venu s’augmenter encore de la curiosité que devait exciter l’immense voyage qu’ils ont accompli par terre, en revenant en Europe à travers les déserts inconnus de la Mongolie et du grand plateau de l’Asie centrale.

Je dois à leur bienveillance la communication de tous les renseignements qu’ils ont pu recueillir pendant leur long séjour en Chine et pendant leur voyage, de retour dessins, albums, photographies, notes manuscrites recueillies sur les lieux par Mme de Bourboulon, et empreintes de tout le charme et de toute la finesse de son esprit d’observation, tout a été mis à ma disposition, et, à vrai dire, cet ouvrage est autant leur œuvre que la mienne, car ils m’en ont fourni en grande partie la substance.

Je dois beaucoup aussi à M. Trêves, lieutenant de vaisseau, consul provisoire à Tien-Tsin, chargé pendant quelque temps des fonctions de secrétaire de légation à Pékin, et à M. le capitaine de génie Bouvier, attaché militaire à la légation, qui a accompagné dans leur grand voyage à travers l’Asie le ministre de France et Mme de Bourboulon. Ces messieurs ont bien voulu me communiquer, outre leurs remarques personnelles, des croquis, des plans et des cartes avec une bienveillance dont je ne saurais trop les remercier.

 

 


Extrait : La ville chinoise de Pékin


... Laissons donc raconter à Mme de Bourboulon la première excursion qu’elle fit au milieu de ce chaos humain.

« Je suis partie à cheval ce matin avec sir Frédérick Bruce et mon mari, pour faire une promenade dans la ville chinoise ; nous étions sans autre escorte que quatre cavaliers européens et deux ting-tchaï, ce qui prouve le degré de sécurité dont on jouit maintenant à Pékin.

Qui eut pu prévoir cela, il y a deux ans, alors que l’entrée de cette ville mystérieuse était interdite sous peine de mort aux Européens !

La curiosité de la population commence à s’émousser ; on nous regarde, on se retourne pour nous voir plus longtemps, mais nous ne sommes plus suivis par une masse de peuple, ce qui est un progrès véritable, et rend ces longues promenades plus faciles et plus agréables.

Nous sommes sortis de la ville mongole par la porte de Tien, et suivant la large chaussée qui sépare les deux villes, nous avons fait notre entrée dans la ville chinoise par la porte de Tchouen-tche. Nous avons débouché alors sur l’avenue de l’Est qui est d’une assez belle largeur et régulièrement bâtie : de nombreuses boutiques de marchands de soieries, de porcelaines et de laques s’étalent des deux côtés de la rue ; chaque marchand a devant sa porte une planche haute de dix à douze pieds, soigneusement vernie et dorée, sur laquelle sont indiquées en gros caractère les marchandises qu’il débite : cette suite de pilastres, placés de part et d’autre le long des maisons et à égale distance, produit la perspective la plus agréable, et donne à ces longues rues l’apparence d’une décoration théâtrale. L’usage de cette sorte d’ écriteaux est commun à tous les marchands des grandes villes de la Chine.

En avançant dans l’avenue de l’Est, nous avons dû diriger rapidement nos montures sur le côté de la chaussée, pour éviter la formidable machine qui marchait sur nous, ébranlant sur son passage les maisons et le sol même qui tremblaient tout à l’entour. Qu’on se figure deux cents chevaux au moins attelés en éventail avec un câble presque aussi gros que le corps d’un enfant, à un chariot sur lequel est placé un gigantesque monolithe ! Pour combiner la simultanéité d’efforts qui leur permet de transporter des poids énormes, les Chinois sont d’une habileté merveilleuse ; j’ai vu des porte-faix transporter à dos des pièces de fonte ou des canons, dont la pesanteur aurait fait reculer les Européens les plus vigoureux ! Ce n’est pas par la force seulement, c’est par l’adresse qu’ils réussissent. Rien n’était plus étonnant que la manière dont les charretiers s’y prenaient pour pousser les chevaux. Les coups de fouet et les excitations verbales se succédaient avec un ensemble merveilleux, et le chef du travail, l’ingénieur sans doute, précédant la lourde machine, devant laquelle il marchait à reculons, faisait avec ses bras un télégraphe animé, comme un capitaine de navire sur son bord, lorsqu’il commande une manœuvre difficile.

Nous sommes arrivés au bout de la chaussée à un vaste carrefour formé par l’avenue de l’Est qui s’y termine et la grande rue qui traverse la ville chinoise de l’orient à l’occident, en reliant ensemble par une voie directe les portes de Couan-tsu et de Cha-coua.

Ce carrefour populeux emprunte un caractère tout particulier à la grande quantité de revendeurs de la campagne qui viennent y étaler des viandes, du gibier et surtout des légumes ; j’y remarquai des tas énormes d’oignons et de choux qui s’élevaient jusqu’à la hauteur des portes des maisons. Les paysans et paysannes assis par terre sur une natte de jonc ou sur un escabeau en bois fument tranquillement leurs pipes, tandis que les vieilles mules rétives, les ânes tout pelés qui ont servi au transport des marchandises errent sur le marché au milieu de la foule allongeant leur long cou pour saisir au passage quelque légume ou quelque herbe moins surveillés.

A chaque pas, des citadins à la démarche nonchalante et prétentieuse, armés d’un éventail au moyen duquel ils protègent leur teint blême et farineux contre les ardeurs du soleil, se rencontrent avec de robustes campagnards au teint cuivré, chaussés de sandales et coiffés de larges chapeaux de paille.

Un pavillon, placé au milieu du carrefour et garni d’une devanture en papier huilé, contient un poste de soldats de police chargés de maintenir l’ordre dans le marché.

Nous ne savions comment guider nos chevaux au milieu de cette cohue que les cris énergiques et les imprécations sonores de nos ting-tchaï finirent cependant par faire ranger, et nous gagnâmes les abords du pavillon de police, espérant y être plus tranquilles, et voulant tenir conseil sur la direction qu’il nous fallait suivre.

Nous y étions à peine depuis quelques instants que mon cheval se mit à broncher et à renâcler énergiquement : j’avais toutes les peines du monde à le maintenir, lui ordinairement si doux et si obéissant !

Certainement quelque chose l’épouvantait : je levai machinalement la tête, et je pensai me trouver mal devant le spectacle horrible qui vint frapper mes yeux !

Derrière, et tout près de nous, était une rangée de mâts, auxquels étaient fixées des traverses en bois ; aux traverses étaient suspendues des cages en bambou, et dans chaque cage il y avait des têtes de morts qui me regardaient avec des yeux mornes tout grands ouverts. ; leurs bouches se disloquaient avec d’affreuses grimaces, leurs dents étaient convulsivement serrées par l’agonie du dernier moment, et le sang découlait goutte à goutte le long des mâts de leurs cous fraîchement coupés !

En un instant nous nous lançâmes tous au galop pour nous dérober à la vue de ce hideux charnier, auquel je pensai longtemps encore dans mes nuits d’insomnie !
Il paraît que j’ai été heureuse de ne voir que ce que j’ai vu ! J’étais exposée, grâce à notre ignorance des lieux, à assister à quelque chose de plus hideux encore !
Les malheureux, dont les têtes étaient ainsi exposées à la vindicte publique, et il y en avait plus de cinquante, appartenaient à une bande de voleurs des environs de Pékin qui avaient été arrêtés tout récemment, et dont l’exécution remontait seulement à la veille de notre promenade. On avait fabriqué des cages neuves pour l’exposition de ces têtes humaines qui, n’ayant subi aucune atteinte de décomposition, ne sentaient pas mauvais !

Quelques jours avant, à ce qu’on m’a raconté depuis, un des jeunes gens de la légation avait passé par ce carrefour, et avait été obligé de fuir devant l’odeur empestée qui s’échappait de débris humains en putréfaction ! Les cages pourries s’étaient disloquées, et disjointes ! Quelques têtes pendaient accrochées aux barreaux par leur longue queue ; d’autres étaient tombées à terre au pied des mâts ! Tel est l’usage impitoyable de la loi chinoise, indigne d’un peuple aussi avancé en civilisation ! Mais ces barbares coutumes remontent aux temps les plus éloignés ; elles sont passées dans les mœurs, et les Chinois vaquent tranquillement à leurs affaires au moment des exécutions. Tandis que nous fuyions ce sinistre spectacle, la foule affairée des acheteurs et des revendeurs criait, se disputait, marchandait, sans même daigner jeter un coup d’œil à ces têtes de morts suspendues au-dessus des leurs !

« Je respirai enfin, quand nous eûmes mis quelques centaines de pas entre nous et le carrefour des exécutions.

J’avais hâte toutefois de rentrer à la légation, et nous tournâmes à gauche pour éviter de faire un grand détour, en allant rejoindre la grande avenue du milieu de la ville chinoise par le carrefour qu’elle forme avec celle de Cha-coua, dans laquelle nous nous trouvions.

Cette rue, dont j’ai oublié le nom, va aboutir à la grande avenue près de la porte de Tien-men, mais elle est tellement étroite, tellement encombrée de gens et d’animaux, et elle fait tant de détours, que nous mîmes beaucoup plus longtemps à la parcourir, que si nous avions suivi tout droit par les avenues.

A moins d’avoir du temps perdre, et de vouloir faire un voyage de découvertes, ce qu’il y a de mieux à Pékin, c’est de ne pas quitter les larges chaussées qui sillonnent la ville aux quatre points cardinaux ; dans le cas contraire, on sait quand on part, mais on ne peut jamais prévoir quand on arrivera !

La rue que nous venions de prendre, et que j’appellerai la rue des bimbelotiers ou des libraires, à cause du genre de commerce auquel se livrent ses habitants, est une de celles où la circulation est la plus difficile : à chaque pas, nous rencontrions des processions, des mariages, des enterrements, une foule pressée de badauds, entourant des faiseurs de tours, des sorciers, des médecins, ou des revendeurs au rabais. Les maisons à un seul étage sont toutes des magasins avec une arrière-pièce servant de logement : on y voit des livres empilés dans des rayons ou par terre, des estampes pendues au plafond, des peintures et des cartes de géographie en rouleaux, des caricatures et des affiches collées au châssis de la devanture ; dans ces boutiques de libraires, on vend et on loue des journaux, entre autres la Gazette de Pékin ; dans quelques-unes, on remarque à la place d’honneur de vieux livres coloriés ou des peintures sur feuilles d’arbres : ces peintures qui sont toujours d’un prix très élevé, s’obtiennent, en faisant macérer les feuilles pour en enlever la partie compacte, après quoi on les couvre d’un enduit en poussière de talc, et, quand le tout est bien séché et bien homogène, on y trouve des dessins coloriés d’une manière très vive et très agréable à l’œil.

Les boutiques de bimbelotiers et de merciers exposent des verroteries, des petits bijoux, des boutons, des épingles, des bracelets en jade, de la mercerie, et tous les objets à bon marché qui servent aux gens du peuple.

Mais quelle est cette bruyante musique qui se fait entendre ? Ce charivari de flûtes, de trompes, de tam-tams, et d’instruments à cordes a lieu pour célébrer les funérailles d’un des plus riches marchands du quartier ! Voici sa porte, devant laquelle l’administration des pompes funèbres (il y en a une à Pékin) a établi un arc de triomphe avec une carcasse de bois recouverte de vieilles nattes et de pièces d’étoffe. La famille a installé les musiciens à la porte pour annoncer sa douleur, en écorchant les oreilles des passants.

Nous pressons le pas pour ne pas nous trouver arrêtés au milieu de l’interminable cortège d’un enterrement : le plus beau jour de la vie d’un Chinois, c’est le jour de sa mort ! il économise, il se prive de toutes les aisances de la vie, il travaille sans repos ni trêve, pour avoir un bel enterrement!

Nous ne sortirons pas de cette maudite rue ! Voici un grand rassemblement qui nous barre le passage : on vient de placarder des affiches à la porte du chef de la police du quartier ; on les lit à haute voix, on les déclame sur un ton ampoulé, pendant que mille commentaires plus satiriques, plus impitoyables que le texte, se produisent au milieu des éclats de rire.

Qu’a fait ce malheureux pour provoquer la vindicte populaire ?

Cette liberté de la moquerie, de la pasquinade, de la caricature, appliquée aux mandarins et aux dépositaires de l’autorité est un des côtés les plus originaux des mœurs chinoises ; dans ce pays, où un magistrat quelconque dispose si facilement de la vie de ses administrés sous un prétexte de haute trahison ou de lèse-majesté, il lui est impossible de se soustraire à la satire populaire, qui le poursuit jusque dans sa maison, dans ses habitudes, dans son costume, dans ses mœurs.

En Chine, on est libre d’imprimer et d’écrire ce que l’on veut ; beaucoup de gens ont chez eux des presses mobiles, dont ils ne se font pas faute de faire usage, quand ils en veulent à quelque fonctionnaire. Les rues sont littéralement tapissées d’affiches, de réclames, de sentences philosophiques. Un poète a-t-il rêvé la nuit quelque strophe fantastique, vite il l’imprime en gros caractères sur du papier bleu ou rouge, et il l’expose à sa porte : c’est un moyen ingénieux de se passer d’éditeurs ! Aussi peut-on dire que les bibliothèques sont dans les rues : non-seulement les façades des tribunaux, les pagodes, les temples, les enseignes des marchands, les portes des maisons, l’intérieur des appartements, les corridors sont remplis de maximes de toute sorte, mais encore les tasses à thé, les assiettes, les vases, les éventails sont autant de recueils de poésie. Dans les plus pauvres villages où les choses les plus nécessaires à la vie manquent complètement, on est sûr de trouver des affiches.

En attendant, la foule ne faisait que s’accroître : nos ting-tchaï nous assurèrent que nous pouvions gagner la Grande-Avenue par un passage couvert, qui s’ouvrait sur notre droite, comme la gueule béante d’un four. Nous étions curieux de voir ce que pouvait être un passage de Pékin, et nous mîmes pied à terre, en recommandant aux domestiques de nous ramener nos montures de l’autre côté à la sortie.

Ce passage affecté au commerce de bric à brac, ou du Kou-toung, qui est le nom que lui donnent les Chinois, est tout simplement une ruelle obscure, où on peut à peine passer deux de front, couverte en mauvaises planches, pavée en terre, et à demi éclairée en plein jour par des lampes fumeuses. Il a environ cinq à six cents pas de long, autant que j’ai pu le calculer, et si l’impatience d’en sortir ne m’a pas fait compter double. Ce ne sont plus des boutiques qu’on entrevoit dans ce couloir, ce sont d’informes amas de vieilles planches provenant de démolitions, dressées au hasard les unes contre les autres, et soutenues par des piles de marchandises de tout genre, des vases, des porcelaines, des bronzes, des armes, des vieux habits, des pipes, des outils, des bonnets, des fourrures, des bottes, des engins de pêche et de chasse ! Des objets sans nom, et qui n’ont plus de forme, tous les reliquats, tous les résidus de la fabrication sont entasses là ! On ne comprend pas où peut se tenir le propriétaire de la boutique ; mais, pour peu que vos yeux se portent sur quelques-unes de ses marchandises, vous voyez sa tête hâve et son front chauve sortir comme une végétation maladive de cette moisissure humaine ! Il paraît cependant qu’il y a des objets de grande valeur au milieu de toutes ces vieilleries ! Voici un amateur de bric à brac, le nez armé de formidables lunettes, qui examine en connaisseur, avec la moue caractéristique de la lèvre inférieure, des porcelaines antiques et des vieux bronzes.

On m’assure que les marchands d’antiquités, sont ici d’une habileté à faire pâmer d’envie leurs confrères européens : au moyen d’une argile roussâtre, à laquelle ils font subir des préparations particulières et qu’ils enterrent pendant quelques mois, ils obtiennent des contrefaçons remarquables des vieilles porcelaines de la dynastie des Yuen si recherchées par les amateurs. L’imitation est si parfaite que les plus malins y sont trompés.

En Chine, comme ailleurs, les magasins de bric à brac ont le privilège de la plus grande malpropreté ; s’il n’en était ainsi, les acheteurs ne croiraient pas sans doute à l’antiquité des objets qui sont offerts à leur convoitise ; seulement, qui dit malpropreté chinoise, exprime ce dont nous ne pouvons avoir l’idée, et ce que je n’entreprendrai pas de décrire ! Qu’il me suffise de dire que, dans ce passage où nous étions, la terre battue du sol était une bouillie de débris sans nom, que les planches de la toiture et des boutiques, suintaient une humidité verdâtre et nauséabonde, que des enfants et des femmes en guenilles étaient vautrés dans tous les coins, et qu’il s’exhalait de tout cela une odeur fétide et insupportable que tempérait heureusement pour nous la fumée âcre et épaisse des lampes éclairées à l’huile de ricin ! Qu’on juge avec quel plaisir nous avons retrouvé l’air pur, le ciel bleu, et tout le confortable de nos appartements du Tsing-Kong-Fou !


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