Ernest Michel (1837-1896)
LE TOUR DU MONDE EN 240 JOURS : ..., CHINE,...
Librairie du patronage de S. Pierre, Nice, 1882. Volume 2, pages 1-175 de 364.
Automne 1881. Ernest Michel en est à son premier de ses deux tours du monde. Il n'est pas si pressé que son contemporain
Philéas Fogg, aussi part-il vers l'ouest. Après l'Amérique du Nord et le Pacifique, il débarque au Japon, y fait la connaissance d'Edmond Cotteau. A l'escale
en Chine, il fait avec lui quelques promenades, mais l'abandonne pour découvrir la Grande Muraille, Canton et Macao. Comme son compagnon, il ne parle pas le chinois, ce qui limite ses rencontres,
mais ne l'empêche pas d'être consciencieux dans son rôle de touriste : visites, bibelots, blog, il n'oublie rien, déjà.
Table des matières
Extraits : Evolution. - Hong-kong : L'émigration des coolies.
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Table des matières
Chapitre I. — Shangaï — Les Concessions européennes — Zi-ga-way et les Congrégations — La mer Jaune.
Chapitre II. — Ché-fou — Le Pei-ho — Tien-tsin — Route vers Pékin.
Chapitre III. — Pékin — La ville — Les établissements religieux — Préparatifs des funérailles de Si-taé-ho, impératrice de l'Est. — La Cour.
Chapitre IV. — Télégraphe — Chemins de fer — Usines — Administration — Travail — Nourriture — Vêtement — Logement — Famille — Armée — Religion — Missions — Douanes.
Chapitre V. — Excursion à la Grande Muraille. — La Grande Cloche. — Le Wan-shou-shan — Le palais d'été. — Les tombeaux des Ming — Ning-po — La Grande Muraille — Tang-shan et le bain impérial —
Les veilleurs de nuit — Le cimetière portugais.
Chapitre VI. — Départ de Pékin — Tien-Tsin — Les massacres de 1870 — Une tempête dans le golfe de Pé-chi-ly — Retour à Shangaï — L'arsenal — Le tribunal mixte — La bastonnade.
Chapitre VII. — Départ pour Hong-Kong — La ville — Les œuvres catholiques — Mœurs chinoises — L'émigration.
Chapitre VIII. — Canton — Les pirates — L'industrie — La torture — Macao — La grotte de Camoëns.
Les voyages dans l'intérieur sont aussi devenus plus faciles ; les steamer remontent le
Yang-tzé-kiang (rivière bleue) jusqu'à Ichang, à 800 lieues dans le centre de la Chine. Les missionnaires catholiques, et même les protestants, avec leurs femmes, leurs enfants et leurs bibles,
sillonnent maintenant toutes les provinces sans aucun danger.
Les usines à vapeur montrent déjà en plusieurs endroits leurs hautes cheminées, et beaucoup d'entre elles sont aux mains des Chinois.
Le télégraphe fonctionne déjà depuis 2 ans entre Taku et Tien-tsin et, en mars prochain, il fonctionnera de Shangaï à Pékin. On discute en ce moment sur l'opportunité d'adopter les chemins de fer
; les uns les veulent, les autres les repoussent. A la tête du mouvement de réforme est Li-oung-tchang, vice-roi du Chi-li, résident à Tien-tsin. On le dit l'homme le plus intelligent de la Chine
; mais il veut la Chine pour les Chinois.
La Compagnie Jardine a déjà en route un navire chargé de rails, et il est probable qu'ils ne tarderont pas à trouver leur emploi. Nous sommes déjà loin de l'époque où les autorités chinoises
achetèrent, pour le détruire, le petit chemin de fer que les Européens avaient construit entre Wou-sung et Shangaï !
La Chine est un riche pays ; le jour où les voies de communication lui permettront de mettre, au profit de sa nombreuse population, ses richesses maintenant inabordables, la Chine deviendra une
forte et redoutable puissance ; ses marchands commenceront à envahir l'Europe par le commerce, et ses ouvriers par le travail, en attendant, peut-être, que ses soldats l'envahissent par les
armes.
Les aptitudes commerciales des Chinois sont connues de tout le monde ; l'esprit d'association est inné chez eux ; déjà une Compagnie vient de se former pour l'exportation et
l'importation directe avec l'Europe. Leur premier navire est parti de Shangaï, le mois dernier, emportant à Londres un chargement de thé et autres denrées chinoises ; il sera certainement suivi
de beaucoup d'autres, et les compagnies commerciales se multiplieront. Le Chinois, dans le commerce, est encore plus patient, plus économe et plus habile que le Juif ; il faudra que les Européens
forment à leur tour de fortes et solides sociétés, s'ils veulent résister avec succès.
Je passe la soirée au Club. Ici, comme à Shangaï et dans tous les pays où les Anglais s'établissent, le club est le point de réunion générale ; on y trouve salle de lecture, bibliothèque,
billards, salles de jeu, restaurant, salle de bal et plusieurs chambres et salons qu'on loue aux membres du club ou aux personnes présentées par eux. J'y rencontre M. Kopmanshop pour lequel
j'avais une lettre. Ce monsieur est hollandais, et entrepreneur d'émigration pour les coolies. Il m'a donné sur son entreprise des détails intéressants.
Il a, à sa solde, des Chinois qui parcourent l'intérieur et engagent, dans les villages, les jeunes gens qui veulent s'expatrier. L'engagement est ordinairement pour deux ans ; on promet au
coolie un gain de 25 à 30 dollars par mois, s'il travaille en Californie aux chantiers de chemin de fer, mais là, sa nourriture lui absorbera la moitié du gain ; il gagnera 12 dollars par mois,
outre la nourriture, dans les plantations de cannes à sucre de la Louisiane. L'embaucheur remet à l'embauché 60 dollars, dont 50 sont destinés à payer la traversée en bateau à vapeur, et 10 pour
se rendre de l'intérieur à la mer ; il signe une obligation de 100 dollars à rendre par payements mensuels durant l'année ; si la somme n'est toute rendue dans l'année, ce qui reste porte
intérêt, et les intérêts chinois sont au moins de 30 %. L'embauché doit donner une caution quand la famille n'a pas de quoi répondre, ses sœurs servent de caution. Si le coolie manque à ses
engagements, s'il s'échappe ou ne paye pas, la pauvre créature sera vendue au plus offrant et l'argent empoché par l'embaucheur.
M. Kopmanshop m'a dit que le gouvernement anglais lui suscite de grandes difficultés : les contrats d'engagement sont défendus, il est obligé de faire l'engagement sur parole, sauf à rédiger
l'écrit en mer ; le coolie, interrogé par le commissaire du gouvernement, répond qu'il se rend librement et sans engagement en Amérique dans l'espoir d'y trouver du travail.
M. Kopmanshop était occupé à en exporter 1.000 à St-Francisco par le steamer de la Pacific Mail l'Océanic qui doit partir dans trois jours.
Le gouvernement anglais, qui défend dans ses ports l'émigration des coolies, l'autorise pour les colonies anglaises. Il venait d'en expédier lui-même un plein navire dans une partie de l'Inde,
avec engagement pour 8 ans, au gain de 8 piastres (40 fr.) par mois.
Depuis deux mois que M. Kopmanshop est à Hong-Kong, il a déjà vu partir pour diverses destinations 5.000 coolies. (Dans l'extrême Orient, on appelle coolie l'homme de peine). Ils sont ici fort
peu payés et gagnent à peine leur nourriture ; s'ils sont bien traités à l'étranger, avec de l'ordre ils amassent de petites fortunes qu'ils reportent invariablement dans leur pays. S'ils meurent
sur la terre étrangère leur cadavre sera rapatrié et déposé à côté de leurs pères. Malheureusement, le Chinois comme l'Anglais porte partout ses mœurs avec lui : le jeu et l'opium sont ses deux
plaies inséparables. Pendant que le gouvernement de Washington vient d'obtenir à Pékin un traité pour limiter l'immigration chinoise en Californie au strict nécessaire le gouvernement de
Rio-Janeiro a passé un traité avec la Chine pour l'immigration de plusieurs milliers de coolies au Brésil. M. Kopmanshop attend le texte du traité pour s'occuper de l'exécution ; la poste entre
Pékin et Canton, étant faite par voie de terre, le traité restera un mois en route. Dans la prévision des difficultés qu'il aura pour embarquer ses coolies à Hong-Kong, il a fait écrire par le
consul de France aux autorités françaises de Saïgon pour savoir s'il pouvait les embarquer dans la colonie française ; dans ce cas il les dirigerait de Hong-Kong sur Saïgon où les contrats
seraient signés. Il y a quelques années, les coolies s'embarquaient au port de Macao, maintenant cela est défendu, et on dit que ce résultat est dû aux intrigues anglaises près le gouvernement de
Lisbonne.