Armand Lucy (18xx-)
LETTRES INTIMES SUR LA CAMPAGNE DE CHINE EN 1860
Jules Barile, imprimeur, Marseille, 1861, 204 pages.
Voir aussi, sur l'expédition franco-anglaise de 1860 et le pillage du palais d'Été :
Irisson, Journal d'un interprète en Chine ; Montauban, L'expédition de Chine de 1860.
- "Mon fils ayant été assez heureux pour faire la campagne de Chine, grâce à la haute bienveillance de M. le général de Montauban qui avait bien voulu l'attacher à sa personne en qualité d'interprète anglais, j'ai reçu de lui de nombreuses lettres qui ont paru intéresser ses amis. — C'est à l'adresse de ceux-ci que j'ai cru devoir réunir ces lettres en un petit volume, offrant au complet cet épisode si intéressant de ses voyages."
Extraits : La prise des forts de Ta-Kou - Le pillage du palais d'Été - Nos bons alliés les Anglais
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1er
août.
Vers 10 heures le général embarque sur le Kien-Shan, et se dirige vers la plage. Les canonnières, en branle-bas de combat, la mâture haute dépassée, les hunes garnies de prélarts, partent en
remorquant les chaloupes des navires, des jonques et des chalands chargés de troupes. La petite boîte à conserve n° 26, dont je t'ai raconté le lancement, est partout et se donne un mal
incroyable. C'est égal : elle étale ses 7 ou 8 nœuds, et, avec son gros canon, sera bien utile pour remonter la rivière, une fois les forts pris. On en a une flottille. Le Forbin appareille et
vient mouiller à 3 milles ½ environ de la barre ainsi que le Monge et le Saïgon. Les troupes se dirigent vers la barre et la franchissent. Mystification complète ! buisson creux ! Les Chinois n'y
sont pas, la population de la ville de Peh-Tang-Ho est bien là, en partie, mais de troupes chinoises : néant. Les lauriers ne sont pas pour aujourd'hui. Et pourtant on voit d'ici un fort assez
important qui domine la ville. Nous voyons aussi en plein les forts du Peï-Ho. On distingue à l'œil nu quatre énormes cavaliers reliés par des ouvrages qui paraissent assez bien entendus.
...21 août.
Prise des forts par l'armée seule. Il y avait bien quatre petites canonnières qui ont fait feu, mais sur un autre fort, dont les canons furent du reste retournés dans les embrasures pour faire
feu du côté de terre. Il y a eu deux explosions de poudrière. Après cinq heures de canonnade, un des forts (le plus haut de la rive nord ou gauche) est enlevé par le général Collineau, le héros
de Malakoff. Démoralisés par la mort de leurs chefs, les défenseurs des forts hissent le drapeau blanc vers midi. À quatre heures, une capitulation générale était signée, dans laquelle l'armée
chinoise se reconnaît vaincue.
22
août.
Dans la matinée, les pavillons alliés flottent sur les forts du sud comme sur ceux du nord. Les estacades sont rompues, les canonnières entrent dans le fleuve. L'amiral anglais qui entrait avec
le Coromandel, donne ordre de stopper à la canonnière française n° 27, commandant Dol, lieutenant de vaisseau, sur laquelle j'étais. Le commandant Dol refuse, et l'amiral Hope se voit forcé, vu
le fond, de stopper à son tour. Nous le dépassons, et c'est le pavillon français qui flotte le premier dans le fleuve où je débarque assez haut, à trois quarts de lieue du quartier-général de
Tsin-Kou, où a eu lieu l'affaire du 9. Les Chinois s'y sont bravement conduits, et ont tenté d'envelopper l'artillerie anglaise. Mais les Sikhes et les canons français les en ont fait vivement
repentir. Armstrong lourd et fragile est distancé par nos rayés. — À ce propos, bien que plusieurs de ces pièces, trois, je crois, aient été mises hors de service par suite de la rupture de
l'écran d'acier qui ferme la culasse, laisse-moi te signaler une particularité. Te rappelles-tu le canon de notre ami Bousquet-Nuiry de Marseille ? Le canon Armstrong est purement et simplement
son canon, avec de légères modifications que voici : après avoir fait glisser la culasse, comme dans le canon Bousquet, ils font reculer à l'aide d'une vis une pièce correspondant à la cartouche
Bousquet. Cette pièce, ouverte en dessus, a, en outre de son mouvement horizontal, un mouvement tournant simultané qui permet d'y déposer la gargousse, comme dans le fusil prussien. Sir W.
Armstrong, cet illustre inventeur, ne serait-il qu'un plagiaire, ayant un peu perfectionné une invention française. J'en ai bien peur.
Mes faits et gestes personnels ont peu de couleur auprès de ces grandes choses, et pourtant, comment te laisser ignorer des faits mémorables comme ceux-ci : — Le 13 août, partis pour Ché-Fu. — Le
15, embarqué des œufs et légumes pour l'armée. — Dans la nuit, un coup de vent, à décorner les bœufs. Nous étions partis à midi, avions laissé tomber un homme à la mer, — admirable nageur, qui
n'a été sauvé que 35 à 40 minutes après, grâce à ce qu'il s'était déshabillé dans l'eau. Tu n'aurais pas mieux fait. Le coup de vent se passe sans autre inconvénient qu'une omelette de 5 à 600
œufs dans la dunette ! — Arrivés le 15, nous sommes repartis le 16 pour Tah-Lien-Whan, acheter bœufs et moutons aux Anglais qui en ont en masse. Le 20 au soir, nous étions de retour. Dans la nuit
nous voyons éclater des brûlots chinois. Était-ce un feu d'artifice à notre adresse ? — Le 25, dans la matinée, nous voyons sauter les deux poudrières. À dix heures, nous nous rapprochons des
forts dans la baleinière du Forbin, une canonnière anglaise nous donne la remorque. — À bord de l'amiral, on m'offre de me mettre à terre, mais les fuyards chinois battent la plaine et ce
débarquement eût pu devenir trop glorieux, je me rends à bord de la Fusée, commandant Bailly, encore un ami, pour y attendre les événements. Les événements furent ceux-ci : La Fusée devait forcer
le passage en tête des autres canonnières. Il ne s'agissait donc de rien moins que de passer à portée de pistolet de l'ennemi en rompant trois estacades. Je l'avouerai de toi à moi, cela me fit
plus d'effet que je ne m'y attendais. Pourtant j'en pris mon parti au bout de deux minutes. — Comme on est exposé partout sur ces bateaux là, je demandai à être sur la dunette, où au moins on
voit ce qui se passe et où l'on évite un peu le danger des éclats de bois. — Mais, hélas ! il n'était pas écrit là haut que je verrais encore le feu cette fois-là. Le lendemain, les forts
s'étaient rendus. Et, comme je te l'ai dit, je remontai le fleuve sur une petite canonnière (n° 27). Entre le premier fort de la rive gauche et le second (enlevé le premier) la plaine est jonchée
de cadavres ennemis, si les morts sont encore des ennemis ! J'en ai vu à peu près 300, — mais on leur a démoli environ 2.000 hommes. Les Anglais ont eu 300 hommes hors de combat, dont 18
officiers. — Aujourd'hui, deux canonnières portant les amiraux sont remontées dans le fleuve pour aller reconnaître Tien-Tsin. Il n'y aurait rien d'étonnant à ce que nous eussions une grande
bataille avant d'y entrer.
Quant à moi, je suis entièrement rétabli, et aujourd'hui j'ai pu monter à cheval pour porter un ordre du général au pont de bateaux, à une lieue d'ici, et je ne ressens aucune fatigue. La
campagne ira grand train selon toute apparence.
Je t'ai dit que notre Zill était sur un autre bâtiment, avec ses amis les topographes. Figure-toi qu'en débarquant au Peh-Tang, on a laissé tomber du pont sur le bord de la chaloupe, une de ses
caisses où se trouvaient les lettres de crédit et autres ! — La caisse a filé à la mer, mais Dieu est grand et juste, la caisse s'est effondrée, et Zill a pu repêcher le portefeuille rouge. Les
lettres convenablement séchées seront encore présentables en expliquant la glorieuse cause de l'humidité qui les a fripées.
Notre triomphe est d'autant plus glorieux qu'il y avait en rade des navires de guerre :
russes, américains et prussiens. Le général aura bien gagné sa grand-croix et le Sénat. Zill a eu une bonne aventure. Il s'en allait chevauchant de par la plaine, avec son ami Fauchery, le
correspondant du Moniteur. Les boulets sillonnaient l'espace. Mais réflexion est mère de prudence, et prudence de sûreté. Un des messagers de mort passa tellement près de nos deux curieux qu'ils
se dirent avec raison qu'ils n'avaient rien à faire là, et qu'ils se décidèrent à appliquer séance tenante la grande théorie du défilement parallèle. Ils se mirent donc derrière un tumulus. Mais
au plus beau moment, c'est-à-dire quand M. Fauchery s'applaudissait d'être si bien abrité, un boulet malin survient, écrête le tumulus, et leur caresse la nuque d'une motte de terre qui leur fait
littéralement mordre la poussière à deux pas de là. — Ils se retirèrent en toussant, et ce qu'il y a de joli, c'est que tous deux ont voulu profiter du nuage pour se persuader l'un à l'autre
qu'ils n'avaient pas été culbutés ! Oh ! les hommes ! les hommes !
Nous voici dans un pays plat, pauvre de végétation, bien plus joli pourtant que Shang-Haï. Il y a de la boue à revendre, mais avec de la paille et des nattes dans les tentes on en prend son
parti. Point de pluie aujourd'hui, les routes se sèchent, c'est dans quatre ou cinq jours que nous allons marcher vers Tien-Tsin. On a dû renoncer à amener le Fils du Ciel à composition avant
qu'on n'en soit maître.
Le petit-fils de Blanquet Duchayla a été tué en escaladant le fort. Atteint de trois balles à la cheville, à la cuisse et au ventre, d'un coup de lance sous la clavicule gauche, il a pourtant
combattu encore, a eu la bouche fendue d'une oreille à l'autre par un coup de sabre, puis, après avoir tué les deux Chinois qui l'avaient blessé, est tombé expirant sur leurs corps. Il est des
noms qui ne dégénèrent pas, et ce pauvre jeune homme, maréchal-des-logis de dragons, était digne de celui qu'il portait. Il est regretté de tout le monde.
Les Chinois sont armés de fusils à mèche montés sur un grand pied composé de trois bambous. Ils ont des arcs, des flèches à pointe triangulaire et des arbalètes d'une forme toute particulière. Au
lieu de rainure pour la flèche, il y a une caisse étroite où ils mettent un grand nombre de flèches et naturellement le poids en amène toujours une devant la corde. Triste engin pour tirer juste.
Peu ont des sabres. Leurs canons sont pour la plupart en bronze, un grand nombre vient d'Amérique, de Russie et d'Angleterre.
Aujourd'hui 24, nous avons eu des promotions d'officiers d'état-major : colonel, M. Dupin ; lieutenant-colonel, M. Campenon ; chef d'escadron, M. de Cools. M. Dupin, arrivé le second dans les
forts, a tué quatre Chinois à coups de revolver et deux à coups de sabre. Le premier est un brave tambour nommé Pacot.
Demain, le général se rendra avec 500 hommes seulement à Tien-Tsin, qui, décidément, ne sera pas défendu. Il reviendra ici après demain, et dans quatre ou cinq jours : En avant ; Arche !
Mon camarade Irisson est fait maréchal-des-logis.
Enfin, mon bon père, avec un peu moins de mouches (dont nous sommes infectés), tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes. (Ceci est une abominable figure de rhétorique, car
franchement, la Chine, vue d'ici, est un pays infâme.) Adieu.
Devant Pé-King, 15 octobre 1860.
Je prends la plume, mon bon père, mais sais-je ce que je vais te dire ? Je suis ébahi, ahuri, abasourdi de ce que j'ai vu ! Les Mille et une Nuits sont pour moi une chose parfaitement véridique
maintenant. J'ai marché pendant deux jours sur plus de trente millions de francs de soieries, de bijoux, de porcelaines, bronzes, sculptures, de trésors enfin ! — Je ne crois pas qu'on ait vu
chose pareille depuis le sac de Rome par les Barbares.
Enfin, nous traversons un assez gros village sur un chemin dallé, et nous parvenons devant le fameux palais d'Été. — À notre gauche était un petit lac puis un petit bois dans lequel on campa. En
face de nous la route barrée par un mur, tournait à angle droit et venait aboutir à une porte grillée très simple. La cavalerie s'établit auprès de cette porte. Sur la droite de ce prolongement
était, au fond d'un vaste hémicycle la grande porte du palais impérial. La brigade Collineau s'arrêta au tournant, la brigade Jamin se mit à droite de la route, l'artillerie à gauche. Le général
était resté à cheval surveillant tout. Le chef d'escadron d'état-major Campenon était pendant ce temps allé reconnaître la porte principale avec la 1e compagnie de débarquement commandée par M.
de Kenney, lieutenant de vaisseau. Le comte de Pina, officier d'ordonnance du général, l'accompagnait.
La 5e compagnie de débarquement, commandée par mon excellent ami et camarade Rebel formait la réserve.
Tout à coup quelques coups de fusils se font entendre, et puis arrive à fond de train un de nos civils qui était allé de l'avant avec les marins, le diable sait pourquoi, car enfin les pékins
devraient rester à leur place à moins d'occasion toute exceptionnelle... Voici donc ce monsieur qui arrive en criant : général, au secours, les marins sont cernés, etc., etc. Ce qu'il aurait
aussi bien fait, conviens-en, de dire à voix basse.
Deux compagnies partent au pas gymnastique, la fusillade se taisait, mais on entendait très bien le tam-tam des Tartares. Revient alors M. de Pina, blessé très grièvement d'un coup de sabre au
poignet, qui nous dit que les marins ont besoin de renfort. Peu après survient le maréchal-des-logis de Tocqueville qui annonce que l'ennemi occupe la porte grillée. Les marins avaient tourné la
porte principale en sautant par dessus un mur, leur officier, M. Butte, aspirant de 1e classe, le premier de tous ; c'était là que l'on se battait.
Les chasseurs et les spahis reviennent au grand trot auprès du général. Il faisait presque nuit, l'état-major occupait l'angle de la route, quand tout à coup un cri de : « Voilà les Tartares ! »
retentit. Les fantassins qui allaient dresser leurs tentes, sautent sur leurs armes. « Ne tirez pas ! à la baïonnette » crie le général. « Pas de coups de fusil ! » La confusion était au comble.
Nous mettons le revolver au poing, mais la pensée de l'obscurité fait donner la préférence au sabre. Le général domine la position par son merveilleux sang-froid. Tout à coup une décharge de
gingoles part de la porte grillée, les balles nous sifflent aux oreilles. À ma grande satisfaction et sans vanité, je te dirai que le seul effet qu'elles me produisirent fut de me faire retourner
pour voir si personne n'était blessé. Je croyais que c'était plus émotionnant. Pendant que le comte de Bouillé et moi cherchions le général que nous avions perdu dans l'obscurité de la bagarre,
deux nouvelles décharges nous arrivent. Par miracle, à une telle distance, il n'y eut d'atteint qu'un aspirant, M. Vivenot, sous-lieutenant de la 5e compagnie de débarquement. Un pauvre mouton
fut tué, et le cheval de M. de Bouillé reçut une balle. Si les balles ne m'avaient rien fait, l'idée de me trouver dans l'obscurité au milieu d'une charge de cavalerie, me fit une désagréable
impression qui ne dura qu'un instant, et quand je rejoignis le général, je ne rêvais plus que plaie et bosse. Mais les Tartares se sauvèrent au bout de quelques minutes, — et nous pûmes dîner à
huit heures. Le soir, par un mal entendu qui avait fait laisser mes bagages en arrière, je couchai par terre au pied d'un arbre, roulé dans ma couverture, avec ma selle pour oreiller et le ciel
pour édredon. C'est peu moelleux et peu chaud, on est de temps en temps réveillé par un cheval échappé qui vous enjambe ou vous flaire ; mais, tout compte fait, on dort à ravir.
Tu verras sans doute le pauvre de Pina à son passage à Marseille, c'est un charmant et digne garçon qui a été excellent pour moi, aussi je sais comment tu l'accueilleras.
7 octobre.
Comment diable m'y prendre pour te raconter ce qui suit ? Enfin, je me risque ! — Le lendemain matin, c'était le 7 octobre, le général pénétra dans le palais suivi de deux compagnies
d'infanterie. Nous traversons une cour où gît un Tartare tué la veille par M. de Kenney lieutenant de vaisseau. C'est celui-là même qui avait blessé de Pina. Nous pénétrons d'abord dans la salle
du trône... Ce sont d'admirables sculptures, des vases en émail cloisonné de deux à trois siècles, de quatre pieds de haut (qui seront expédiés à l'empereur et à la reine Victoria.) Puis des
bronzes merveilleux et puis, et puis... Le général nous dit qu'il compte sur l'honneur des officiers pour que tout soit respecté jusqu'à l'arrivée des Anglais. Sur ces entrefaites arriva le
brigadier général Pattle et ses officiers, qui commencèrent le déménagement sans plus de façon. Comment en effet avoir été là sans en rapporter une bribe, un souvenir ? Ces distractions
artistiques sont contagieuses, aussi je vois ranger sans conséquence ici un livre dont la couverture d'or est enrichie de pierres précieuses, là de ravissants petits flambeaux cloisonnés qui
auraient fait l'ornement de ta collection ; et puis on rathause à qui mieux mieux ; (rathauser, mot du jour, inventé pour la circonstance et qui en supprime plusieurs d'un renom douteux.) Dans
deux petites pièces à côté de la salle du trône étaient deux petits oratoires, au centre de l'un d'eux siégeait une pagode en or massif et pierreries de douze pieds de haut ; elle est destinée à
l'empereur. Je vois mettre en ordre des perles fines qui auraient bien pu se perdre, et le déménagement régulier commence.
Nous traversons une partie du parc et arrivons à un autre palais, où un vieil eunuque, qu'on a de la peine à rassurer, nous guide. Nouvelle salle du trône plus belle que la première. Nous
pénétrons de suite dans les petits cabinets : celui où j'entre était plein de bijoux. Un capitaine d'état-major et moi nous prenons chacun une montre fort laide, et pourtant nous avions le choix
; je ne me fais pas scrupule d'y ajouter quelques boîtes d'encre de Chine, l'encre des Fils du Ciel ! et deux boîtes de poudre anglaise.
Maintenant, voici un chagrin : Un interprète anglais a reconnu qu'un papier que j'avais découvert, n'était autre qu'un écrit émanant du pinceau vermillon, c'est-à-dire de la main même de
l'empereur. Les papiers furent partagés. J'en gardai une feuille, précieux autographe que je plaçai dans une boîte à encre de Chine. Et on me l'a perdue ! ! (Je dis on, pour ne pas humilier le
brave Philippe, mon ordonnance.)
Suivons ! L'amour du bibelotage a beau jeu. — Des éventails, il y en avait de merveilleux, à faire envie aux plus petites mains de l'aristocratie ; j'en choisis en ivoire, qui, sans une très
grande valeur intrinsèque, en possèdent une énorme, l'inscription qui est derrière étant un autographe d'un célèbre poète chinois mort il y a quelques années. J'en sauve deux. À une vente faite
chez les Anglais, quatre de ces éventails ont atteint le chiffre prodigieux de 195 piastres. Enfin chacun fait sa petite part, et c'est un malheur que chacun ne l'ait pas faite plus grosse après
ce qui est survenu...
Dans l'après-midi, des incendies se manifestent de plusieurs côtés dans les maisons voisines. En allant fouiller avec deux officiers, nous trouvons des mèches entre les coussins. Les Chinois
mettent le feu. — Le palais est ouvert et tout le monde pille décidément, je regrette vraiment de l'apprendre un peu trop tard.
Le gros des Anglais n'est pas encore arrivé. Le matin nous avons entendu des coups de canon ; c'est le général Grant qui tire, tant pour nous indiquer sa position, que pour rallier sa cavalerie
égarée. La veille, le général de Montauban pour arriver au rendez-vous, avait forcé de l'avant, et pendant ce temps, le général Grant nous avait plantés là et campait tranquillement de son côté.
On ne traite pas la chose avec plus de sans-façon.
J'ai trouvé le garde-meuble, un bazar sans pareil, que nos soldats pillaient, scène curieuse, déplorable, drolatique. Presque tout était cassé, c'est une des singulières joies du soldat, qui dans
son choix fait preuve du goût le plus excentrique. J'ai sauvé quelques jolis cloisonnés, mais qu'en ferai-je ? — J'ai vu là d'admirables porcelaines brisées en miettes, des vieux laques, des
craquelés, des ivoires, des jades, qui macadamisaient le sol, des vases émaillés avec lesquels on jouait aux boules, cela faisait mal à voir, c'était à en pleurer ! Plus loin était un magasin de
soieries, je t'en montrerai quelques échantillons ramassés par terre ; dans trois cours il y avait deux pieds de soieries brochées d'or, brodées merveilleusement, des choses d'une splendeur
inouïe, et tout cela foulé aux pieds sans vergogne ! On enveloppait ses bibelots dans des brocarts qui valaient plus de cinq louis le mètre, ainsi du reste ! — Ah ! si tu avais vu le dais du
trône, taillé dans je ne sais quel bois précieux, tour de force de sculpture où la bizarrerie chinoise avait épuisé toutes ses fantaisies, et où le roccocotisme le plus extravagant venait se
relier avec une habileté surprenante aux ornementations du goût le plus exquis ! — Un moment j'ai eu l'idée de t'apporter cette pièce curieuse, tu aurais fait envie au musée Impérial, et il ne
m'a manqué pour cela qu'un fiacre ou une méchante voiture à bras (avec les bras, bien entendu !) — Le lendemain j'étais grand seigneur, j'avais mon fourgon, comme une dame lancée qui part pour
Vichy.... mais le pauvre dais gisait en mille morceaux et j'en étais pour mes regrets. — Et que de choses comme cela !
8
octobre.
Le lendemain, promenade à cheval. La rathauzade continue. Nous accompagnons le général à une pagode en marbre admirablement sculptée d'où l'on découvre une des plus belles vues possibles. Nous
dénichons aussi un palais Louis XV. Il y avait là le matin encore les tapisseries des Gobelins, représentant la toilette chinoise, l'arrivée des Européens en Chine, etc., etc., présent du roi
Louis XV à l'empereur Kang-Hi, mais elles ont été mises en sûreté ! ! Plus loin, c'est une collection de portraits des beautés de la cour de Louis XV, avec les noms au bas. — Crevés hélas !
Voici la poste, résumons : Aujourd'hui 15 octobre notre position est : — Nous occupons une porte de la ville sans coup férir. Le délai pour le traité expire ce soir, — demain bombardement de la
ville !
À bientôt, mon bon père !...
...Comme je te le disais, la rathauzade continue. Les troupiers s'acharnent à briser ce qu'ils ne peuvent emporter !... C'est comme une soif furieuse qui les a pris ! Les tortures subies par nos
malheureux prisonniers y sont pour beaucoup, le soldat entend les venger à sa façon ; n'ayant pas de Chinois sous la main, il s'en prend aux chinoiseries. Je t'ai dit aussi que nous allions nous
promener à cheval à une pagode admirablement sculptée en marbre, située sur une montagne artificielle d'où l'on découvre une vue splendide, les nombreux châteaux, les lacs avec leurs jonques
ornées et bariolées, et une île sur laquelle est un palais où se trouvait le sérail. C'est une des plus belles choses qu'on puisse voir. Le palais dont le nom veut dire Jardin de lumière
primitive, était en vérité la huitième merveille du monde. Dans une pagode nous trouvons les voitures et les harnais anglais apportés comme présents par Lord Mac Cartney, lors de son ambassade,
et une collection de selles chinoises ornées d'or, d'argent et de pierres précieuses. Si à ce moment j'avais eu des moyens de transport, j'en aurai rapporté une ainsi que deux admirables chimères
de bronzes sur lesquelles j'avais mis la main. Mais, ne sachant comment je transporterais au camp ces séductions, il m'a fallu, hélas ! laisser tout cela derrière. Ce n'est en effet qu'en
revenant que je rencontrai quatre Chinois emmenant leur famille dans une voiture. J'usai sans hésiter du droit du vainqueur, et mettant sabre en main avec les intentions les plus pacifiques du
monde, tu le penses bien, et pour calmer le papa qui se fâchait, je fis descendre le contenu et obligeai l'un des Chinois à m'amener le contenant au camp. Là je lui montrai la route d'un geste
plein de noblesse, et il décampa plus vite qu'il n'était venu, en ayant l'air heureux et étonné de ce que je ne lui avais pas coupé la moindre tête. Ne vas pas m'accuser d'inhumanité parce qu'en
effectuant cette rathauzade je me suis conduit comme un Autrichien en Lombardie. Quatre autres voitures que j'ai rencontrées ensuite en ramenant ma prise, ont subi le même sort, au nom de
l'empereur, et au moins tu y gagneras quelques bibelots d'une certaine valeur artistique, si je les peux faire arriver à bon port.
Dans la même pagode nous trouvons aussi deux obusiers anglais avec leurs munitions, présent soit de lord Amherst, soit de lord Mac Cartney, et ces imbéciles de Chinois ayant sous les yeux ces
deux excellents modèles, n'ont pas même essayé de les copier ; comprend-on une routine aussi acharnée ? La civilisation moderne ne se fera décidément un chemin en Chine, qu'à coups de canon, et
n'aura pas d'autre moyen d'arrêter cet immense empire sur la pente de décadence où il glisse lentement mais sûrement, car, de nos jours, n'est-ce pas reculer que de rester stationnaire ? Et voilà
3.000 ans peut-être que l'empire chinois s'endort dans le statu quo. Il faudra un rude coup d'épaule pour remettre en mouvement cette énorme masse ! Hélas ! de bien tristes trouvailles sont
faites ce jour-là ! Les selles des Sikhes, les cantines de l'intendant Dubut, son revolver, le portefeuille de M. Ader, un portrait de femme à M. de Norman, attaché de l'ambassade anglaise, la
selle et les épaulettes du pauvre colonel Grandchamps. Nos troupiers deviennent fous de rage !...
On a partagé un trésor aux soldats, environ 90 francs par homme, mais qu'est-ce que cela pour eux au prix de ce qu'ils ont razzié en or, en argent, en objets précieux ! — Un soldat vend deux
piastres pièce soixante montres, et quelles montres ! Celles que le capitaine et moi avions eu la naïveté de respecter. Il y en avait qui étaient de vrais objets d'art. — Un autre m'offre pour
500 piastres un coffret en cuivre, garni de culs de bouteilles, qui vaut bien six francs. Les spahis couchent sur des matelas composés de dix à quinze pièces de soie étendues à terre. Un troupier
m'appelle et me prie galamment d'accepter une fourrure en petit gris qui le gêne dans son ballot trop lourd ! On n'y met pas plus de formes. Je veux lui donner une piastre, fi donc ! il refuse en
me disant qu'il a vingt de ces cachemires là et que ça n'en vaut pas la peine. Je me trouve donc à la tête d'une magnifique robe de chambre doublée en petit gris, l'extérieur en soie bleue,
parements de martre, dans laquelle je t'écris confortablement et princièrement la présente.
Dans la nuit, encore un nouveau trésor est découvert. C'est avec des sacs à distribution qu'on rapporte des bijoux et colliers en corail, des perles fines et encore, et encore ! Une perle est
estimée seule 10.000 francs par nos connaisseurs ; ce que c'est que de s'y connaître. On me donne quelques colliers de corail qui, avec une émeraude très mal taillée en rose que j'ai colligée la
veille comme échantillon du trône, forment tout ce que j'ai de précieux. Ah ! si j'avais voulu...
9
octobre.
Dans la matinée nous nous mettons en route. L'armée présente le plus singulier coup d'œil. Nous sommes venus sans voitures, il y en a plus de 300, chargées uniquement de butin. Les soldats ont
remplacé le couvre-nuque blanc par des turbans en soie rouge pour les grenadiers, jaune pour les voltigeurs, bleue, verte ou rose pour le centre. Puis, sur le sac, des ballots énormes. Si on leur
faisait porter la moitié de cela, ils jetteraient de beaux cris. L'armée n'a eu ni faim ni soif pendant deux jours, c'est à pouffer de rire !
D'autres, plus ingénieux, campent leur butin sur le dos d'un paysan, venu pour satisfaire sa curiosité, ou plutôt pour voler. Puis, tenant en laisse le moyen de transport par son appendice
caudal, ils s'en vont fièrement, en criblant de quolibets le camarade qui, comme le sage de la Grèce, porte tout avec lui.
À moitié route, par une pluie fine et pénétrante arrivent au galop deux officiers anglais annonçant quatre prisonniers français rendus par les Chinois. Ce sont de simples soldats. Le comte
d'Escayrac, plus malade, est à leur camp. Les malheureux font pitié à voir. Le récit de leurs souffrances est affreux. Malheur aux Chinois qui se trouveront à présent à portée de la baïonnette,
les camarades sont à venger !
À 10 heures, nous campons, près de Pé-King, dans une assez pauvre maison.
10 octobre.
Le lendemain arrive en voiture le pauvre d'Escayrac, dans quel état grand Dieu ! les mains paralysées, des plaies saignantes aux poignets, quelques haillons sur le dos. On a jeté de l'eau sur les
cordes qui le liaient, on y a mis des tourniquets, tu ne peux au reste manquer de voir dans les journaux le récit de sa captivité, de son long supplice. Et que M. Itier vienne encore nous parler
de ses bons Chinois ! — Je demande et j'obtiens du général la permission d'aller chercher où il sera, même aux grand'gardes, le frère de M. d'Escayrac, officier au 102e. Je le rencontre
heureusement près du quartier-général. Nous avions tous les larmes aux yeux. Par bonheur, ces bourreaux n'avaient pas pensé à lui ôter ses bottes, cela a sauvé l'articulation du pied. Oh ! il
sera vengé, lui et les autres, il le faut ! — Vraiment il y a des moments où l'on se sent féroce !
Du 9 au 12, jour de l'arrivée des derniers prisonniers rendus vivants, je n'ai pas besoin de te dire dans quelle inquiétude nous sommes. Qui allons-nous revoir ? Qui devons-nous pleurer ? Les
Sikhes sont interrogés avec soin à mesure qu'on les rend. L'excellent commandant Reboul, des chasseurs de l'impératrice, notre commissaire au quartier général anglais, est toute la journée à
cheval pour apporter les moindres renseignements. C'est une fièvre que tu devines sans peine.
11-12 octobre.
Le camp présente l'aspect d'un vaste magasin de bric-à-brac. — D'autres prisonniers arrivent. Un trainglot français nommé Petit, grièvement blessé et demi-fou, est avec eux. M. Parkes et M. Lock
ont été rendus à la liberté avec le pauvre d'Escayrac, ils n'ont pas souffert.
Enfin on nous rend six Français sur treize ! — Les autres sont morts. Six cadavres sont rendus. On reconnaît aux bandes du pantalon le colonel Grandchamps, le malheureux Dubut, un chasseur à
pied, le brave Dusouf, un trainglot, et un soldat d'administration. — Le pauvre abbé du Luc a disparu, mais des chrétiens chinois affirment que, le 21 septembre, le général Shem-Pao a fait couper
la tête à deux Européens qu'ils décrivent exactement, près de Pa-Li-Kia-Ho. Or les Sikhes affirment que le lieutenant Brabison et un Français qui parlait chinois, ont été séparés d'eux à
Pa-Li-Kia-Ho. Les corps ayant été dévorés par les chiens ne peuvent être renvoyés. Les Anglais ont également tous leurs morts, moins Brabison. La moitié des individus qu'on leur a pris sont morts
comme les nôtres. Il y a des détails atroces. On les a gardés quatre jours les quatre membres amarrés ensemble, sans leur donner même à boire. Un attaché d'ambassade anglais, M. de Norman a vécu
7 jours. Tous ses doigts sont tombés l'un après l'autre rongés, par la gangrène. Les vers de ses blessures étaient entrés dans son corps et le dévoraient vif ! Le pauvre Ader avait des vers dans
le nez et les oreilles quand il est mort. Quant aux autres, Dieu seul sait ce qu'ils ont souffert. Oh ! vengeance ! vengeance ! c'est le cri de l'armée et ce sera celui de la France et de
l'Angleterre !
18 octobre.
L'empereur est à Tjé-Hol en Tartarie. On dit aujourd'hui qu'il s'est empoisonné. Suivant une autre version, il aurait abdiqué en faveur de son frère, le prince Kong qui est ici à Pé-King, mais
cet infortuné bien que favorablement disposé pour nous, qu'il a pourtant bernés tout le temps, a une peur bleue et on ne sait jamais où il est. Il change de gîte chaque soir. Ce qui ne le rassure
pas, c'est l'acte de vandalisme des Anglais qui, hier 18 octobre, ont été démolir les restes de Yuen-Ming-Yuen et les incendier. Cet admirable palais, ou plutôt ces admirables palais, qui, bien
que dépouillés de leurs richesses passées n'en restaient pas moins une merveille, ne sont plus qu'un monceau de cendres. C'est détruire pour le plaisir de détruire, et le général de Montauban,
non seulement ne s'est pas associé à cet acte de sauvagerie, mais a hautement et énergiquement protesté. Dis-le et répète-le. Il y a des choses qu'on ne saurait crier assez haut, et sa
protestation restera acquise dans l'histoire à l'honneur de la France et de l'armée française comme au sien.
Et c'est comme cela que nos alliés prétendent montrer que nous ne sommes pas des Barbares !
À propos de palais, nous venons de piller et les Anglais d'incendier la huitième merveille du monde, le chef-d'œuvre de plusieurs dynasties, le palais de Yuen-Ming-Yuen, la plus belle chose que
j'aie vue de ma vie et que je verrai jamais. Je n'essaie pas de vous le décrire ici, ce serait presque un volume. Peut-être ma plume abordera-t-elle plus tard cette difficile tâche mais en tout
cas, j'essayerai de vous donner verbalement une idée de ces splendeurs à mon retour à Marseille.
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Vous aurez appris par les journaux le pillage dont je vous ai parlé plus haut, et, sans aucun doute, on aura fait suivre ce récit de commentaires plus ou moins flatteurs pour nous. Mais sans
entreprendre l'apologie d'un fait de ce genre, permettez-moi d'en faire ressortir le côté moral et utile. C'était le seul moyen que de frapper l'esprit des mandarins et surtout la cour. Piller et
brûler Pé-King n'était rien en comparaison. Qu'importait en effet à celui qui est tellement au-dessus de tous, que nul ne peut lever les yeux sur lui ? Tandis qu'à Yuen-Ming-Yuen, c'était
directement l'empereur que nous frappions. Nous ne faisions du mal qu'à un homme et nous laissions derrière nous un souvenir éternel de notre vengeance et un sentiment de terreur chez les grands,
qui pourra assurer notre tranquillité dans l'avenir. Si dans quelques jours (le 25 probablement) nous allons conclure la paix, nous la devrons en grande partie à cet acte d'énergie d'autant plus
frappant que les petits ont été protégés par les plus sévères punitions...
25
octobre.
Enfin on se leva, le prince s'avança spontanément au devant du général et du baron Gros, et leur secoua cordialement la main. Cela fit grande impression, surtout quand on rapproche ce fait du
regard de haine qu'il lançait hier à lord Elgin. Tant mieux s'il a compris notre politique ; si, comme on le dit, il a l'esprit élevé, il aura apprécié notre dignité dans la victoire, et nous
aurons en lui un appui utile à la cour de Pé-King. Il aura saisi la différence entre ces insulaires avides qui ont encore pris un territoire (la presqu'île de Cow-Loon) en face de Hong-Kong, et
nous, qui n'avons demandé qu'une satisfaction morale (le rétablissement du culte catholique). Espérons que, grâce à lui, nous pourrons lutter victorieusement en Chine contre ces dignes marchands
d'opium, qui nous adorent peu malgré leurs protestations, et qu'empêche de dormir l'auréole de gloire qu'a placée au front de la France le vainqueur de Magenta et de Solférino. Espérons que,
grâce à la modération dont nos chefs ont fait preuve en cette occasion, nous déjouerons aisément en Chine les menées par trop habiles de nos bons voisins, pour qui, en définitive, nous aurons
encore versé notre sang et dépensé nos millions. Ce sera la réponse à cette menace pour rire des 500.000 carabines de leurs riflemen, si courageusement déterminés à repousser une invasion
fantastique.
Il était important de montrer aux Chinois ce que nous étions et ce que nous valions. Croirais-tu, en effet, que nos chers alliés avaient eu la gentillesse de répandre parmi les Chinois le bruit
que nous étions des mercenaires à leur solde !
20
janvier
Ils sont les maîtres du cours du Yang-Tzé-Kiang, le fameux fleuve Jaune, jusqu'à Nang-King, point central du commerce de la Chine ; le tour est donc fait. Ils imposent leur suprématie, leur
protectorat si tu veux, et on sait ce que protectorat veut dire dans le vocabulaire de la puissance anglaise. Demande-le plutôt aux îles Ioniennes et aux rajahs de l'Inde. Ce n'est pas plus
difficile que cela. Est-ce là le fruit que la France doit attendre de sa victoire ? — Je ne sais trop ; en tous cas le plus clair et le plus net pour nous dans tout ceci, à mon point de vue, le
voici : si quelque chose peut faire contrepoids à la convoitise de nos braves alliés, bien autrement soucieux que nous du positif, c'est le rétablissement du culte catholique, qui est notre œuvre
à nous autres. La prépondérance morale que nous assurent nos missionnaires nous donne un avantage certain sur une puissance qui prend pour base de la sienne, le criminel commerce de l'opium.
C'est à nous de tirer parti de cet avantage, résultat le plus solide, le plus carré, le plus français, de notre glorieuse campagne.
Croiras-tu que ces bons alliés n'ont pas assez de mouvements oratoires contre nous à raison de la chose du palais de Yuen-Ming-Yuen ? C'est de la haute comédie ! c'est l'éternelle histoire de la
paille et de la poutre. Que nos soldats aient pillé bel et bien, c'est vrai, mais qui donc a saccagé ces palais d'or et d'ivoire, brûlé ces merveilles qui couvraient 25 à 30 kilomètres carrés de
surface, réduit en cendre cette bibliothèque, trésor de l'intelligence de trente siècles ? Ils sont fiers au contraire de cet acte de vandalisme, qu'ils appellent de l'énergie, et par lequel lord
Elgin a, du premier coup, égalé Erostrate et le calife Omar. C'est du reste le digne fils de celui qui sciait en deux les marbres du Parthénon au profit des brouillards de la Tamise. Qui donc a
commis tout cela malgré l'énergique, l'historique protestation de notre général en chef ? Allons donc ! nous connaissons cette vertueuse indignation.