Charles de Harlez (1832-1899)
LA RELIGION CHINOISE
dans le Tchün-tsiu de Kong-tze et dans le Tso-tchuen
T'oung pao, volume III, 1892, pages 211-237.
- "Le Tchün-tsiu, avec son commentaire, le Tso-tchuen, contient l'histoire interne de la Chine du 8e au 5e siècle (721-489). C'est une peinture fidèle de la vie politique et sociale des peuples formant l'Empire chinois en leurs diverses fractions ou principautés féodales. Que le classique si vanté des lettrés chinois, et si peu digne de l'être, soit l'œuvre de Kong-fou-tze ou des historiographes de Lou, que dans le Tso-tchuen il y ait des interpolations ajoutées par quelque moraliste, plus avide d'enseignement que d'authenticité, ou des fables mêlées aux récits historiques, il n'en est pas moins incontestable que ces deux ouvrages, le second surtout, nous donnent une idée exacte de la civilisation de l'Extrême-Orient à cette époque, et de la religion des descendants des premières Têtes-Noires, comme des tribus préchinoises."
- "Le Tso-tchuen ou « Récits explicatifs de Tso » forme, soit disant, un développement du classique confucéen. Mais c'est en réalité une œuvre personnelle dans laquelle Tso Kiu-ming rapporte en détails toute l'histoire des principautés chinoises, de leurs luttes, de leur grandeur et de leur décadence. Seulement il suit l'ordre du Tchün-tsiu, tout en s'écartant souvent de ses données si brèves et les contredisant même parfois."
-
"C'est donc une œuvre de la plus grande importance pour le sujet de notre étude [l'histoire de la religion nationale des Chinois]. Elle est en même temps d'un
haut intérêt pour l'histoire politique et sociale de l'Extrême-Orient ; je dirais même de l'humanité. Elle nous permettra également de contrôler et d'apprécier le témoignage du Tcheou-li et
du Li-ki, moins anciens sans aucun doute.
Force nous est naturellement d'en laisser de côté la majeure partie et de nous restreindre au seul ordre d'idées qui correspond à notre but, c'est-à-dire les conceptions religieuses et le culte, sous leurs diverses faces. Sur ce terrain nous pourrons faire une moisson abondante et utile qui nous fournira les moyens d'arriver à des conclusions précises. "
Texte : I. Chang-ti - II. T'ien, le Ciel - III. Les Esprits
IV. Les Mythes - V. L'âme et la vie future - VI. L'astrologie - Conclusion
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Voici d'abord les divers points sur lesquels les Annales de Tso Kiu-ming nous fournissent des renseignements dignes d'être recueillis et notés :
— 1. La personnalité de Chang-ti.
— 2. Le T'ien.
— 3. Les Esprits.
— 4. Les Mythes.
— 5. L'âme et la vie future.
Nous ajouterons à ces considérations quelques mots sur la pratique de l'astrologie.
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Le culte et la personnalité de Chang-ti, dans les Annales de Tso, se présentent de deux manières :
a) Ils y sont mentionnés implicitement, d'abord, chaque fois qu'il est question du grand sacrifice appelé Kiao, puisque Kong-tze lui-même nous apprend que l'objet de cette cérémonie était « Le
Souverain Maître du ciel ». Ce sacrifice est mentionné 8 fois sans aucune autre indication. Mais l'affirmation du grand philosophe nous éclaire suffisamment sur ce point.
b) En outre le nom de Chang-ti est cité expressément en différents passages assez importants pour que nous les reproduisions tous sans exception.
Nous y voyons d'abord la mention expresse du sacrifice offert à Chang-ti. La principauté de Lou, est-il dit, doit faire les grandes cérémonies pour Chang-ti le 10e mois, depuis le 1er jour Sin
jusqu'au dernier.
Puis la nature du Dieu chinois est expliquée indirectement au Livre X, VII, 5, dans cette phrase, dans cette allocution du roi Tcheou au prince de Wei à l'occasion de la mort du Kong Siang
:
— Mon oncle est monté (au ciel) en sa piété. Il assiste les anciens rois dans le service de Chang-ti.
Ailleurs nous voyons différents personnages adresser leurs prières à Chang-ti. Au Livre VIII, X, 5 c'est l'esprit du premier prince de Tchao qui apparaît au prince de Tsin sous une forme
effrayante et lui dit :
— Vous avez tué mes descendants sans aucun droit, d'une manière injuste. Aussi j'ai recouru à Ti (pour obtenir vengeance).
Au Livre V, X, 6 le prince héritier de Tsin apprend à l'un des ministres de la principauté qu'il a prié Ti de le venger et que pour cela il va livrer Tsin au prince de Ts'in, afin que celui-ci
lui offre des sacrifices. Le sage ministre lui représente combien sa conduite est inconsidérée. Soit, répond le jeune prince, en ce cas j'adresserai une autre prière à Ti. Vous me trouverez
invisible à tel endroit. Le ministre s'y rendit au moment indiqué, et là (le prince invisible) lui dit :
— Ti m'a accordé de punir le criminel ; il sera défait à Han ; il y périra.
Le Livre X, I, 10 nous montre Chang-ti se manifestant en songe à la reine épouse de Wou-wang et lui disant : D'après mon décret, le fils (que vous portez en votre sein) aura le nom de Yu. Je lui
donnerai Tang, je lui livrerai le trône des Tangs.
Le Livre X, XXIX, 4 nous fait connaître un autre acte du Dieu : « L'empereur Kong-kiu des Hia avait gagné sa faveur par ses vertus. Ti lui fit le don de faire traîner son char par des dragons.
»
Enfin c'est Chang-ti que les officiers de Lou appellent comme témoins de leur serment et vengeur de sa violation.
Si le nom de Chang-ti n'était pas oublié à l'époque du Tchün-tsiu, le mot T'ien était beaucoup plus fréquemment employé pour désigner ce que nous
appellerions la Providence, la Volonté divine, l'ordonnance parfaite de l'univers par la Puissance suprême qui est sensée avoir son siège, sa source dans les hauteurs célestes. À ce point de vue,
les personnages des Annales confucéennes parlent comme ceux du Chou-king ou du Chi-king, à cela près que le nom de Chang-ti est beaucoup plus rarement sur leurs lèvres. On sent que chez les
grands du VIe ou du Ve siècle la notion de la Puissance divine est devenue de plus en plus vague et qu'ils la désignent par un terme d'une signification indéterminée.
Cela n'est pas étonnant du reste, le culte du Chang-ti ayant été réservé au monarque suzerain, les princes vassaux et leurs sujets étaient amenés par la force des choses à s'en préoccuper de
moins en moins. D'ailleurs l'esprit chinois, à cette époque, n'avait rien de spéculatif et n'était point porté à scruter la nature de l'être et les notions que l'intelligence humaine ne peut que
difficilement pénétrer.
Dans mon Aperçu historique et critique de l'histoire des Religions chinoises, j'ai exprimé l'opinion que le mot T'ien représente aux yeux des Chinois l'ordonnance générale des Êtres, les lois de
la nature physique intellectuelle et morale, et je l'ai corroborée par la citation d'un passage du Li-ki qui l'indique clairement. Le Tso-tchuen, en différents endroits, confirme cette
appréciation d'une manière qui ne laisse guère de place au doute. Ainsi, d'après ce livre, le souverain doit faire toute chose en son temps comme le ciel règle et dirige les 4 saisons ; il doit
entretenir le peuple, comme le ciel donne la naissance et l'entretien à toutes choses. Les lois morales et de convenances sont les règles du ciel, elles sont nées avec lui. La droiture, la
fidélité sont les lois du ciel. Quant aux actes et aux qualités attribuées au T'ien ils sont les mêmes que dans les deux Grands Kings, aux derniers temps.
C'est le T'ien qui a engendré l'homme et lui a donné des chefs. C'est lui qui donne la félicité, la longévité, la victoire, les biens, ou qui envoie les calamités et punit les coupables. C'est
lui aussi qui inspire certains sentiments, qui pousse aux actes d'ambition, qui multiplie les fautes pour faire périr les coupables ou qui influence l'esprit de manière à faire obtenir le pouvoir
par une conduite vertueuse. Quand un prince est détrôné, quand un État périt, c'est que le ciel l'a abandonné.
Le ciel est maître, et nul ne peut lui résister ou lui échapper. Ses décrets s'exécutent toujours. Il ne se repose pas sur des hommes légers. Il donne de bons enseignements. Mais l'homme doit
aider le ciel. Bien agir c'est suivre la volonté du ciel.
Le T'ien a produit la famille Ki ; il a donné la beauté à Hia-ki. Ces passages et quelques citations du Chou-king ou du Chi-king sont à peu près les seuls où il soit question du T'ien. L'un ou
l'autre que nous aurions omis n'est que la reproduction de ceux qu'on vient de lire. Il est à remarquer que le mot T'ien est parfois employé soit comme synonyme de Chang-ti, soit comme désignant
« les Esprits ».
« Le roi Wen-wang », est-il dit au Livre X, XXVIII, 5, « a reçu de Chang-ti un jugement droit et sain, il en a reçu la félicité »
et un peu plus loin :
« C'est pourquoi il reçut par faveur du ciel cette principauté. »
Quant aux esprits, le Tso-tchuen n'est que plus explicite encore. Au Livre V, XXVIII, 11 nous lisons dans le texte d'une convention faite entre le peuple de Tsin et celui de Wei :
« Le ciel dirige maintenant nos esprits, les amenant à la concorde. Nous faisons donc cet accord devant vous, Grand Esprit (ou Grands Esprits) vous demandant de diriger l'action du ciel en
sincérité. Si quelqu'un y est infidèle, que les Esprits Intelligents le fassent périr. »
Au Livre VIII, XVI, 6 on voit, de même, la félicité accordée par les Esprits, puis par le ciel. Ailleurs Ying, officier de Tsin, raconte que le ciel lui a fait dire en un rêve, de lui sacrifier
pour obtenir le succès. Il se demande ce que cela veut dire et présage.
— Seigneur !, dit l'un de ses lieutenants, les Esprits bénissent l'homme vertueux.
La conclusion à tirer de ces faits est, ce me semble, que le mot T'ien était un terme vague désignant d'une manière générale et plus ou moins confuse et métaphorique, toutes les puissances
supérieures à l'humanité et que les Chinois concevaient comme habitant le ciel, ayant leur principe d'action dans les hauteurs supraterrestres.
C'était Chang-ti, ou la providence divine, c'étaient les Esprits célestes, ou bien l'ensemble des lois générales de la nature, tant physique que morale. Ce mot de sens indéterminé servait
merveilleusement à cacher l'ignorance de la nature des êtres surhumains. Rien ne répondait mieux aux tendances de l'esprit chinois.
En tout cas ce n'était point le ciel matériel ; rien, pas un mot du texte, n'autorise cette hypothèse conséquemment insoutenable.
Plus encore que le T'ien, les Esprits semblent avoir été les objets des préoccupations religieuses des Chinois de l'époque moyenne de la dynastie
de Tcheou. Le Tso-tchuen nous les montre, assez fréquemment invoqués ou mentionnés ; le plus souvent par une désignation générale. Chin « les esprits célestes », Kouei-chin « les esprits
terrestres et célestes », ou Ming-chin, « les esprits brillants, intelligents, pour qui tout est lumière ». La nécessité de leur culte est souvent inculquée, tout comme celle d'une conduite
vertueuse, loyale, pour mériter leur protection. Pour qu'un peuple soit heureux il faut que ses chefs soignent les intérêts du peuple, et que les prêtres fassent exactement les cérémonies ; qu'en
outre les prières partent d'un cœur sincère. Les Esprits mettent le bonheur du peuple au dessus de leur propre culte. Ils ne viennent point à une convention sans sincérité ; c'est la bonne foi
qui les attire ; quand ils n'acceptent pas les offrandes, il survient des calamités. Quand on les prive de leurs sacrifices, l'État périt. On les invoque comme témoins et garants des traités. Si
l'on est sincère, ils y assistent. On leur demande des présages quant à la conduite à tenir dans les circonstances difficiles. Les esprits sont donc, comme ceux du Chou-king, des êtres
immatériels, indépendants des éléments visibles, pénétrant le secret des esprits et des cœurs, gardiens des lois morales, inspirateurs de la sagesse.
Mais les princes et autres personnages jouant un rôle dans le Tso-tchuen ne les honorent pas seulement en général, comme un vaste groupe indéfini. Il en est un certain nombre qui sont désignés
spécialement, que l'on honore d'un culte particulier. Déterminer exactement l'individualité de chacun d'eux est ce qui importe le plus à notre but, qui est de définir, avec autant de précision
que possible, la nature des conceptions religieuses de la Chine antique.
Voici donc quel est le résultat de l'étude du texte de nos Annales.
Le principal objet du culte inférieur s'adressant aux esprits est le génie du sol et des céréales Chie; ou Chie-tsih. À lui seul un autel permanent qui est, en même temps, le symbole de la patrie
et le palladium de l'indépendance de l'État ; sa chute est synonyme de l'asservissement du pays. Le prince en est le préposé (tchou) ; il doit veiller à sa garde et combattre pour le
défendre.
Un sacrifice annuel lui est consacré, mais en outre en cas d'éclipse ou d'inondation il faut lui présenter des offrandes de soie, et au premier cas, battre le tambour.
Après l'Esprit protecteur du sol et de l'État, viennent ceux qui président aux montagnes et aux cours d'eaux. Ils étaient probablement les objets d'un service particulier, comme on le verra plus
loin ; en outre on les invoquait en certaines conjonctures spéciales où la dévotion du prince ou d'un grand quelconque le portait à recourir à leur intervention.
C'est ainsi que nous voyons Kong-wang de Tcheou faire une cérémonie extraordinaire en leur honneur pour savoir lequel de ses fils doit être désigné comme son successeur présomptif.
À cet effet il dressa plusieurs autels à ces esprits, et après les offrandes il leur adressa cette prière:
— Je prie les Chin de choisir parmi mes cinq fils celui qui sera chargé de la garde de l'autel du Chie-tsih.
Puis prenant un pih, il alla devant tous les autels le montrer aux esprits en leur disant :
— Celui qui viendra s'incliner au dessus de ce pih sera celui que les esprits veulent établir sur le trône. Qui oserait y résister ?
Là-dessus il enterra le pih dans la cour intérieure du palais. Cela fait, il fit jeûner ses fils et les fit venir dans cette cour, successivement, selon l'ordre de l'âge. Les quatre premiers
passèrent tout près ou loin de l'endroit où le pih était enterré. Ping seul, encore enfant, s'arrêta justement au-dessus et s'y inclina deux fois. Les esprits l'avaient donc choisi.
En cette circonstance solennelle, les Esprits des monts et des fleuves sont désignés par les termes K'iun-wang « tous les wangs ». Est-il donc bien certain que ce mot wang désigne ce genre de
génies ? C'est ce que nous devons examiner d'une manière quelque peu approfondie, parce que ce point est d'une importance capitale.
Nous trouvons encore ce même mot Wang précédé du chiffre 3, san wang, dans une phrase répétée plusieurs fois dans le Tchün-tsiu. Telle année, tel mois, le prince voulut faire le grand sacrifice
Kiao ; mais les augures ayant été défavorables, on y renonça ; néanmoins san wang, ce que Legge traduit : a sacrifice « to the three objets of survey ».
Ces mots ont beaucoup embarrassé les commentateurs, qui ne savaient plus quoi faire de ces wang. Ainsi Tou-yu y voit des astres, les monts et les rivières du pays de Lou. Les éditeurs de K'ang-hi
prétendent que les monts et les fleuves n'entrent point dans cette catégorie.
On ne comprend pas bien cette controverse, ni l'introduction des astres ou de tout autre objet parmi les wang ; car les textes sont à ce sujet tellement explicites qu'ils ne laissent place à
aucun doute.
Les wang c'est « ce vers quoi le peuple porte ses regards pour obtenir aide et protection », lit-on au Livre IX, XXV, 2 ; « ce sont les esprits des monts et des rivières » dit expressément le
commentaire quasi contemporain de Kong-Yang et, longtemps avant lui, l'auteur du Chou-king nous avait appris que Chun faisait le wang aux montagnes et aux cours d'eau.
Ajoutons que san wang ne signifie pas « il sacrifie aux trois wangs ou objets d'inspection » ; mais « il fit trois fois le wang » ou « salutation, offrande, en regardant de loin l'objet de son
respect ». Car c'est bien là le sens du mot, comme le prouve le passage cité plus haut, Livre IX, XXV, 2.
Comment plus tard a-t-on introduit les astres dans ce groupe ? C'est bien facile à reconnaître. Cela s'est fait quand le culte des astres eut prit une certaine prépondérance en Chine grâce à des
influences préchinoises ou exercées de l'extérieur.
Notons enfin que la cérémonie du wang est entièrement subordonnée à celle du kiao et vis-à-vis de celle-ci, dans un rang très inférieur ; qu'elle ne peut pas même en être séparé. Quand le kiao
est omis, le wang ne peut s'accomplir.
Les esprits honorés par le wang, sont donc entièrement subordonnés au titulaire du kiao, c'est-à-dire à Chang-ti.
Outre les Chie-tsih et les wangs, Tso Kiu-ming mentionne, en un endroit, le Sze-han, ou Esprit préposé au froid sans en rien dire qui soit digne d'être reproduit.
Ces génies sont les seuls qui figurent au Tso-tchuen, dans le culte officiel, sous une dénomination propre. C'est ce que l'on constate mieux encore dans cette invocation solennelle où onze
princes conjurés appellent la vengeance des Esprits sur les violateurs du serment commun :
« Que l'Esprit préposé à la bonne foi, au serment, que les monts et fleuves célèbres, que tous les esprits, tous les vénérés des oblations domestiques, que nos ancêtres à nous princes les fassent
périr ! »
Nulle part nous ne voyons le soleil ou quelqu'autre astre présenté comme recevant les hommages publics. Il semble même que leur exclusion ait été intentionnelle dans ce discours adressé par le
ministre de la Musique de Tsin à son souverain :
— Si le prince protège et entretient son peuple, celui-ci le soutiendra... portera ses regards vers lui comme vers le soleil et la lune, le vénérera comme les Esprits et le craindra comme le
tonnerre.
Une fois cependant le Tso-tchuen mentionne les Esprits du soleil, de la lune et des astres, mais c'est dans une explication fantaisiste d'un chamane que nous donnerons presqu'en entier pour que
nos lecteurs puissent juger de sa valeur.
Le heou de Tsin était malade ; le prince de Tching avait envoyé demander de ses nouvelles ; un grand de Tsin, à cette occasion, dit aux envoyés de ce prince que les devins attribuaient la maladie
de leur maître à l'action des deux esprits Chi-tchin et Tai-tai, mais que le grand historien astrologue lui-même ne savait pas ce que c'était. Alors l'un des assistants, nommé Tze-tchan, que nous
retrouvons encore ailleurs comme interprète des mystères, répondit :
— Jadis l'empereur Kao-sin avait deux fils, O-pi et Chi-Tchin ; ces jeunes gens se querellaient continuellement, se battaient tous les jours. Aussi le seigneur suprême, mécontent, relégua O-pi à
Chang-k'iou pour présider à l'astre Chin (Scorpio) et Chi-tchin à Ta-hia, pour présider à l'astre Tchan (Orion)... Ainsi Chi-tchin est l'esprit de cet astre.
« D'autre part, sous l'empereur Kin-tien, Mei, chef des travaux aquatiques, eut deux fils, dont le second Tai-tai succéda à son père et parvint à drainer les marais du Fen, au Chan-si, de manière
à rendre une vaste plaine à l'agriculture. Tchuen-heu, enchanté de ces résultats, lui donna la principauté du Fen-tchuen. Divers États établirent des sacrifices en son honneur... D'où il appert
que Tai-tai est l'esprit du feu. Mais on ne peut croire que ces génies soient pour quelque chose dans le mal dont souffre le prince du Tsin. Si on sacrifice aux esprits des monts et des fleuves,
c'est quand il y a des inondations, des sécheresses destructives ou des maladies épidémiques ; si on le fait aux esprits du soleil, de la lune et des astres, c'est en cas de neige, de gelée, de
pluie intempestive. La maladie de votre Maître doit provenir des actes de sa vie ordinaire, du manger et du boire, des peines ou des plaisirs ; qu'est-ce que ces esprits des montagnes et des
rivières, ou bien des astres, peuvent bien y faire ?
Il n'est pas besoin de faire remarquer que nous sommes ici entièrement en dehors du culte général et dans ces fantaisies particulières que Sze-ma Tsien signale dans son traité du sacrifice
Fong-chen et auxquels chaque fang-chi ou chamane se livrait selon son génie. Car les hommes transformés en Esprits d'astre ou de marais datent certainement d'une période bien postérieure au
Chi-king.
Cela est d'autant plus certain que le sacrifice pour la pluie en temps de sécheresse se présente vingt et une fois dans le Tso-tchuen sans aucune mention des Esprits des monts ou des fleuves, et
que les commentateurs et les historiens chinois y reconnaissent au contraire un recours à la puissance suprême, à Chang-ti ou au T'ien.
C'est ce qui nous explique pourquoi, dans une circonstance de ce genre, Tu-ki et le prieur Kuan, allant sacrifier sur le mont Sang, en abattirent tous les arbres ; c'était pour se trouver en face
du ciel. D'ailleurs le titre seul de ce sacrifice ta-yu, « le grand » sacrifice pluvial, indique suffisamment qu'il ne s'adressait pas à des génies inférieurs.
Enfin le Livre X, XXIX, 4 résume encore tous les sacrifices relatifs aux éléments en ces deux termes le Chie-tsih et les 5 tsze oblations domestiques.
Ce passage est du reste trop important et trop curieux pour que nous ne nous y arrêtions pas un instant, car nous y remontrons un nouvel exemple, plus significatif encore que le premier, des
créations bizarres de l'imagination des Fang-chi. Le voici en abrégé, mais dans les termes même du texte.
C'est un récit du grand astrologue Tsai-mih expliquant la nature des dragons :
« Dans la haute antiquité il y avait deux familles qui savaient élever et dresser les dragons. Au temps de Chun, un de leurs descendants, Tong-fou, les attirait à lui et en avait mis un certain
nombre au service de l'Empereur qui, pour le récompenser, le fit prince du Tsong-tchuen, où sa famille existe encore sous le nom de Tsong-i ; ainsi du temps de Chun et longtemps encore après lui,
des dragons étaient élevés et nourris publiquement dans l'empire chinois.
Plus tard, vers 1870, Chang-ti donna un attelage de quatre dragons à Kong-kia. Ne sachant point les élever, l'empereur les confia à Liu-lui, habile en cet art.
S'il n'y a plus de dragons aujourd'hui c'est qu'il n'y a plus aujourd'hui de préposé à l'élément des eaux. Chaque genre d'être doit avoir ses officiers qui étudient leur nature et s'appliquent à
en favoriser le développement. Si ces officiers sont fidèles à leur mission, les êtres confiés à leurs soins viennent à eux et les suivent ; si non, ils les fuient et se tiennent cachés.
Jadis chacun des cinq éléments avait ses fonctionnaires qui recevaient (à cause de leur haute charge) le titre de kong du premier rang. (Puis) ils étaient rangés parmi les esprits honorés au
sacrifice, ils étaient honorés à l'autel du génie du sol et des céréales, comme aux cérémonies en l'honneur des cinq génies domestiques. Leurs noms et titres étaient, pour le préposé aux bois :
Keu-mang ; pour le préposé au feu, Tchu-yong ; pour celui du métal, Ju-cheu ; pour celui du l'eau, Hiuen-ming ; enfin le chef des terres était qualifié de Heou-tou (Prince terre). Comme il n'y a
plus de préposé aux eaux, les dragons se cachent et personne ne peut plus en voir. Le premier Heou-tou fut Keou-loung fils de Koung-koung. »
Il n'est pas nécessaire de faire remarquer combien tout cela est imaginaire. Le Chou-king énumère les hauts officiers des premiers temps de la dynastie de Tcheou, et là nous trouvons trois kongs
seulement et six ministres, dont les titres et les fonctions n'ont rien de commun avec les racontars de notre Maître Astrologue, et cependant le nombre de ces grands personnages avait été
augmenté considérablement depuis Yao et Chun.
On voit par là quelle confiance méritent les dire des historiens astrologues ou mythologues chinois et combien il est peu scientifique de puiser, sans critique, des renseignements quelconques,
dans le premier livre venu, sans en distinguer la nature et la source, sans se rendre exactement compte de leur valeur et de leur crédibilité.
Les histoires d'apparition d'esprits ne font point défaut au Tso-tchuen. Nous en avons déjà vu un exemple ; nous y ajouterons les deux principales du livre, laissant de côté d'autres faits
insignifiants.
La première eut lieu sous le règne du prince Tchwang de Lou. Le 7e mois de la 32e année (662 av. J. C.) un esprit descendit au pays de Sin. Le roi Hoei de Tcheou interrogea le grand historien
astrologue Ko) pour savoir ce que cette apparition présageait. Ko lui expliqua que ces descentes d'esprits avaient lieu tout aussi bien quand un État allait grandement prospérer que quand il
était sur le point de périr ; que les esprits venaient contempler l'un et l'autre spectacle. Il conseilla au prince de lui présenter des offrandes. Dans l'entre-temps on apprit que le kong de
Kuo) avait reçu de l'esprit la promesse d'un agrandissement de territoire. L'historiographe astrologue en conclut qu'il était sur le point de perdre ses États ; parce que ce prince était vicieux
et tyrannique et que la promesse de l'Esprit ne pouvait être qu'une antiphrase. Cet esprit malin resta six mois sur le territoire de Sin, puis disparut. Les jours de l'État de Kuo ne furent plus
de longue durée.
L'autre histoire est d'une nature toute différente, et montre mieux encore comment les historiographes astrologues de ces temps donnaient libre carrière à leur imagination :
« Le prince de Tsin était malade depuis trois mois ; ses officiers avaient sacrifié de tous côtés aux esprits des monts et des rivières ; mais en vain, ils n'avaient rien obtenu. Tze-tchou étant
venu le visiter, on lui apprit que le malade avait rêvé qu'un ours jaune était entré dans sa chambre. Tous croyaient que c'était un démon.
— Détrompez-vous, leur dit notre fameux astrologue, ce n'est pas un démon puisque votre prince est juste et vertueux. Voici ce que c'est. Quand Yao fit mettre Kwan à mort, l'esprit du supplicié
se changea en ours jaune, qui alla se cacher dans le gouffre de Yu. Sous la dynastie Hia, il assistait les empereurs dans le sacrifice kiao. Ainsi les trois dynasties lui ont sacrifié également.
Peut-être que votre prince ne l'a point fait.
Là dessus on offrit un sacrifice kiao selon le rite des Hia et l'état du heou de Tsin s'améliora.
Ces récits, ces pratiques se rapprochent singulièrement de ce que raconte Sze-ma Tsien des Fang-chi enseignant constamment de nouveaux esprits et de nouveaux sacrifices (voir le Fong-chan-chou).
Là est aussi l'origine de ce conte que nous lisons au Livre IX, IX, 1, où il nous est dit que O-pi (personnage imaginaire), directeur du feu (fonction inexistante) sous Yao, sacrifiait à Ho
(l'astre du feu) pour savoir régler les saisons d'après le feu.
Aussi le peuple ne se fit-il pas faute d'imiter ses docteurs et d'inventer des cérémonies à son tour. Un exemple nous en est fourni au Livre X, XIX, 5. Le pays de Tcheng était inondé et l'on
avait vu des dragons combattant dans les marais lointains. Le peuple voulait qu'on leur fît un sacrifice pour prévenir toute attaque de leur part contre les hommes. Mais Tze-tchan l'en dissuada
en lui représentant que si l'on ne se mêlait pas des affaires de ces êtres surnaturels, eux non plus ne se mêleraient point des affaires humaines.
Vers la fin de notre période, le prince de Tchao tomba malade. Ses conseillers astrologues prétendaient que ce mal était causé par l'Esprit du Ho et qu'il fallait lui sacrifier. Mais le prince ne
voulut point y consentir.
— Un prince vassal, dit-il, ne doit sacrifier qu'aux esprits de ses États. Le Ho n'y coule point, je ne puis donc avoir rien à faire avec lui.
Cet esprit du Ho préoccupait sans doute, tout spécialement, les esprits de ce temps, car nous le voyons encore intervenir d'autres fois ; comme, par exemple, dans le rêve du général Tze-yun de
Tsou qui croyait avoir vu cet esprit venir lui demander un bonnet de grand prix qu'il s'était fait, lui promettant pour cela de lui donner le marais de Meng-tchou. Tout le monde le supplia de
satisfaire le puissant génie pour qu'il ne nuisît point au pays ; mais Tse-yu ne voulut jamais céder. Le don aurait dû se faire en jetant le bonnet et ses joyaux dans le fleuve.
Si le Tso-tchuen a paru jusqu'ici d'une utilité sérieuse pour la reconstruction des annales religieuses de la Chine, au point de vue des mythes,
il ne mérite certainement pas moins d'être étudié.
On a vu, dans notre Histoire des Religions de la Chine que les fables cosmogoniques étaient inconnues aux premiers temps historiques de l'Empire des Fleurs, que Tchuang-tze lui-même n'en faisait
point mention, tout ami qu'il fut du merveilleux et de l'invraisemblable. Le même fait se constate dans les Annales de Tso Kiu-ming. Nous y apprenons deux choses également importantes, à savoir,
quels étaient les empereurs légendaires, antérieurs à Yao et Chun, qui étaient connus à cette époque, et de quels mythes on avait jusqu'alors enrichi leur légende.
Le Tso-tchuen ne laisse aucun doute à cet égard ; au temps où il fut écrit, les historiens mythologues chinois faisaient régner, avant les souverains du Chou-king, les empereurs dont les noms
suivent et dans l'ordre où nous les énumérons :
1. Hoang-ti. — 2. Chen-noung (Yen-ti). — 3. Koung-koung. – 4. Fou-hi (Tai-hao). — 5. Chao-hao.
Ces princes régnèrent respectivement par les nuages, le feu (Chin-noung), l'eau (Koung-koung), les dragons (Fou-hi) et le phénix (Chao-hao) et choisirent conséquemment les figures de ces
éléments, de ces animaux, pour signes distinctifs de leurs officiers et magistrats.
6. Tchuen-hiu , sous lequel l'ordre gouvernemental lut entièrement troublé.
Tel est l'enseignement officiel que le prince de T'an donnait à la cour de Lou, et le Tso-tchuen ajoute que Koung-tze, l'ayant entendu rapporter, fut si ravi de ces leçons qu'il se rendit auprès
de ce prince pour recevoir de lui un complément d'instruction.
Au Livre VI, XVIII, 9, le Tso-tchuen mentionne en outre Ti-ku ou Kao-sin, le successeur de Tchuen-hiu et, ce semble, le prédécesseur du célèbre Yao. Dans une longue instruction que le grand
historiographe-astrologue de Lou attribue à Tcheou-kong, il est dit que Kao-sin et Tchuen-hiu avaient eu chacun huit descendants d'une grande habileté ; qu'on appelait les premiers les huit
bienveillants ; les seconds, les huit chefs (yuen) ; Yao ne put les employer dans l'administration de l'État, mais Chun sut le faire et grâce à eux, toutes les choses terrestres furent bien
réglées, les devoirs moraux furent observés, l'ordre et la docilité régnèrent dans tout l'empire.
D'autre part, il se trouvait à la même époque quatre grands personnages descendants de Hoang-ti, de Tchuen-hiu, de Chao-hao et de Tsiu-yun, ministre de Hoang-ti, qui, tous quatre, s'étaient
livrés au vol, à la rapacité, à l'obstination dans le mal. Le peuple les appelait le tourbillon engloutisseur, le monstrueux à l'excès, l'entêté et le glouton. Chun, devenu ministre de Yao, les
bannit aux quatre extrémités du monde. Aussi le monde entier voulut-il se soumettre à son pouvoir.
En outre le Livre X, XXIX, 4 nous apprend que Chao-hao trouva quatre ministres capables de diriger les métaux, les bois et les eaux et que le descendant de Koung-koung, Keou-loung, fut fait
heou-tou ou prince régent de la terre.
Voilà tout ce que Tso-kiu-ming rapporte de ces temps légendaires ; il était trop ami du merveilleux pour taire les fables cosmogoniques que l'on trouve chez les mythologues subséquents, si elles
avaient été connues à son époque.
Les taoïstes ne les avaient donc pas encore inventées ou importées.
Il est à remarquer qu'il ne s'agit pas ici simplement d'un argument a silentio.
Car Koung-koung, par exemple, nous est donné comme un prince ordinaire, d'une condition humaine toute naturelle ; ce qui devint impossible du jour où l'on eut inventé les mythes qui forment son
histoire fabuleuse.
À ce sujet nous n'avons qu'un mot à dire, mais un mot assez important, car le Tso-tchuen indique d'une manière certaine le but et l'origine du
culte des morts, des offrandes qu'on leur faisait en différentes circonstances. Il ne s'agissait point en effet de les honorer, de les traiter en dieux, mais de les prémunir contre la faim et la
misère et les empêcher de tourmenter les vivants pour se venger de leur abandon.
Quand une âme n'a point de lieu de refuge ou de repos, elle devient un esprit méchant. L'homme qui a tué son prince, après sa mort souffrira la faim et ne pourra venir se nourrir au sacrifice.
Les esprits négligés viennent affamés chercher de la nourriture.
Quand l'homme naît, dit le fameux Tze-tchan, dont nous avons déjà parlé plusieurs fois, ses premiers actes, sa première manifestation vient du pe ou principe vital. Ce principe, une fois formé,
se subtilisant, devient ce qu'on appelle hwan ou l'âme animale. Ces deux puissances, se fortifiant par l'usage des choses et l'accroissement de la substance intellectuelle, en viennent à la
nature spirituelle et intelligente. Quand un homme meurt, le pe et le hwan (s'ils ne sont pas nourris et satisfaits) peuvent rester au milieu des hommes et leur causer bien des tourments.
Tout ceci ne s'accorde guère, il faut eu convenir, avec le système qui croit devoir faire des ancêtres les premiers dieux, et de leur culte, la première forme de la religion. Ce système est
d'autant moins probable que, comme tous les livres chinois nous l'apprennent, les premiers défunts qui ont reçu les honneurs du culte ont été associés à celui que l'on rendait à Chang-ti ou au
Chie-tsih, non point comme leurs égaux, mais comme subordonnés. Il en a été ainsi tout en premier lieu de Heou-tsih, premier ancêtre des rois des Tcheou que l'on se mit à prier, comme protecteur
de l'agriculture.
Plus tard, les rois des Tcheou sacrifièrent à Wen-wang et à Wou-wang à titre de protecteurs fondateurs de leur dynastie et Tcheou-kong, lui même, eut un temple à son tour dans les États de Lou et
de Tcheng.
Suivant ces exemples, le prince de Lou, Yin, éleva un autel dans son palais à un personnage du nom de Tchoung-wou qu'un de ses ministres lui avait fait connaître ; c'est-à-dire qu'il y plaça sa
tablette.
Cette science était en grande faveur à l'époque du Tso-tchuen ou du moins quand ce livre fut écrit, car il nous est impossible en ce
point de faire la part des temps, et Tso-kiu-ming peut très bien avoir inventé et introduit ces faits dans son œuvre ou, tout au moins, les avoir puisés dans des auteurs plus récents que l'époque
dont il relate les annales.
Nous ne citerons point tout ce qui, dans notre livre, a rapport à cet art occulte. Quelques traits suffiront à faire connaître les idées qui régnaient alors :
Le 4e mois de l'an IX du duc Tchao, le feu dévasta l'État de Tchin. Pé-tsao de Tching prédit alors que cet État serait rétabli dans cinq ans pour périr définitivement 52 ans après. Tze-tchan
(toujours lui) lui demanda comment il savait cela. Tchin, répondit le voyant, appartient par sa dynastie à l'élément de l'eau. Le feu est l'opposé de l'eau, sa survenance en Tchin indique que
l'État de Tsou, qui appartient à l'élément igné, sera chassé de Tchin qu'il opprime. Les éléments opposés sont réglés par le nombre cinq, c'est pourquoi cela arrivera dans 5 ans. Après ce temps
Tchin périra et sera soumis à Tsou ; au feu, cela c'est la voie du ciel ; or celui-ci a pour régulateur le nombre 52 ; donc la chute définitive de Tchin aura lieu après une restauration de 52
ans.
La 18e année du même prince, l'étoile du feu Ho s'était levée menaçante au milieu des ténèbres du soir ; l'astrologue Tze-tchin prédit que, sept jours après, le feu ravagerait les capitales de
Soung, de Wei, de Tchin et de Tchoung. Il voulait qu'on fît des sacrifices propitiatoires. Mais Tze-tchan s'y opposa et les désastres causés par l'incendie prirent des proportions
épouvantables.
Instruit par cette expérience, Tze-tchan fit plus tard sacrifier au Chie-tsih, et pratiquer partout des exorcismes avec des offrandes pour arrêter les progrès de la flamme destructive.
Nous ne mentionnerons que pour mémoire la consultation du sort par l'écaille de tortue et la plante Chi ; il en est déjà question au Chou-king, et le Tso-tchuen ne nous apprend rien de plus à cet
égard. Il a toutefois ceci de spécial et de nouveau qu'on y voit fréquemment le Yi-king employé comme moyen de divination. Mais nous parlerons de cela dans une étude spéciale. Il n'y a rien là
qui intéresse la religion.
La religion du peuple chinois, telle qu'elle se présente à nous dans le Tso-tchuen, reproduit en son essence celle que nous connaissons par le
Chou-king et le Chi-king, comme la première dont l'histoire fasse foi ; c'est-à-dire celle de Chang-ti et de Chins peu nombreux. Certaines altérations s'y constatent toutefois, et la cause nous
en est suffisamment connue ; elles sont dues en général à cette loi portée par l'empereur Chao-hao, dit-on, mais plus probablement par un des premiers Tcheou, et qui réserva au souverain suprême
le culte public de Chang-ti, ne laissant aux princes vassaux que celui des Esprits particuliers présidant au sol, aux montagnes et aux rivières de leurs États propres. Dès lors, dans ces
principautés vassales, toute l'attention dut se porter sur ces génies inférieurs, et les princes, comme les peuples, étaient facilement tentés de prêter l'oreille aux chamanes des races
préchinoises, qui leur contaient des merveilles des génies qu'ils savaient évoquer, à les en croire ; ils les entraînaient ainsi de plus en plus vers la démonolâtrie et le sabéisme.
Quelques-uns parmi les grands vassaux usurpèrent, il est vrai, le droit de faire le sacrifice kiao au Maître du ciel. Mais la notion de ce dieu personnel s'effaçant de plus en plus, sans être
entièrement oubliée, l'idée vague du T'ien prit, en proportion, le dessus et l'on ne parla plus guère que du T'ien.
Les Esprits restèrent ce qu'ils étaient à l'origine, des êtres immatériels, indépendants des éléments naturels, parfaitement intelligents, défenseurs des principes de la morale, et leur culte se
développa de jour en jour.
Le culte des astres apparaît dans une proportion des plus minimes, et cela dans les pratiques des Fang-chi, mais point encore dans le culte national. L'astrologie s'étend naturellement avec
elles.
Les doctrines relatives à la nature de l'âme humaine, à la vie future, au culte des ancêtres, restent les mêmes. Le sacrifice aux défunts n'est encore qu'un repas servi pour les réconforter dans
l'autre monde. Mais le nombre des morts illustres, des bienfaiteurs de l'humanité, associés aux sacrifices faits en l'honneur des esprits, grandit constamment et prépare les apothéoses plus
récentes.
Voilà en quelques mots, aussi fidèlement que possible, le tableau de l'état religieux de la Chine vers le Ve ou le IVe siècle avant notre ère. C'est une époque de transition entre les temps
originaires et ceux qui virent l'efflorescence du chamanisme, du sabéisme, de toute la démonolâtrie que peint l'auteur du Fong-chan-chou et qui prépara la voie au paganisme exubérant, taoïste ou
bouddhiste, qui altéra si profondément la simplicité des croyances primitives du Peuple à Tête Noire.