Édouard BIOT (1803-1850) :
LES RECENSEMENTS DES TERRES CONSIGNÉS DANS L'HISTOIRE CHINOISE
et l'usage qu'on en peut faire pour évaluer la population totale de la Chine
Journal Asiatique, 1838, série 3, tome 5, pages 305-331.
Extraits : Objet de l'étude - Sous la dynatie des Soung...
Dans la première section du Wen-hian-thong-khao, qui traite du partage et du mode d'imposition des terres, on trouve plusieurs dénombrements des terres cultivées, opérés à diverses époques sur la
totalité de l'empire chinois, à l'effet de répartir convenablement l'impôt territorial. En général, ce dénombrement des terres s'exécutait simultanément avec le recensement de la population,
lequel était destiné à établir l'impôt personnel. En rapprochant donc les chiffres obtenus dans le même temps pour les familles et les mesures de terres cultivées, on peut déterminer la quantité
moyenne de terrain cultivé qu'occupait chaque famille, et si cette quantité est considérable, on peut présumer de là que le recensement néglige une forte partie d'individus, ainsi que je l'ai
fait sentir dans mon Mémoire sur les variations de la population contribuable de la Chine.
Pour aller plus loin, je me suis servi de deux passages relatifs au Ier et au VIIIe siècle de notre ère, où se trouve une autre donnée, celle du produit moyen du sol cultivé, et mieux
encore, celle de la quantité de sol cultivé nécessaire à la nourriture d'un individu. En combinant cette donnée avec les recensements des terres, on peut déduire de là une évaluation
approximative de la population totale de la Chine à diverses époques, et comparer le chiffre ainsi obtenu avec celui que le texte indique pour la population contribuable. Cette étude m'a paru
être le complément naturel de mon premier travail ; mais, ici comme précédemment, il faut s'attendre à beaucoup de vague et d'incertitude dans les documents que nous pouvons consulter.
J'ai réuni dans plusieurs tableaux les dénombrements des terres correspondant à chaque grande époque historique, et joint, à côté du chiffre des mesures chinoises, son évaluation en mesures
métriques. En rapprochant ce dernier nombre du nombre total d'hectares compris dans la Chine entière, d'après les cartes des missionnaires, on obtient la proportion des terres cultivées à la
surface totale ; et ce renseignement est utile comme vérification, bien qu'à l'aide des passages que j'ai cités, la population totale se déduise des dénombrements des terres cultivées,
indépendamment de leur conversion en mesures européennes.
Sous la dynastie des Soung, la section du partage des terres rapporte six recensements des terres ken, cultivées ou cultivables, lesquels sont compris entre les années 975 et 1083 ; mais ici la
différence passe dans l'autre sens. Ces recensements, comme on le verra dans le tableau donné plus bas, ne présentent que des chiffres peu élevés, dont le plus haut ne dépasse guère 5 millions de
king. Pour expliquer cette singularité, il faut remarquer avec Ma-touan-lin que les premiers empereurs Soung, trouvant à leur avènement la Chine épuisée par la guerre civile, ne cherchèrent pas à
percevoir l'impôt d'une manière rigoureuse, et conséquemment ils fermèrent les yeux sur les erreurs des dénombrements. Toutefois dans les trois premières opérations, de l'an 975 à l'an 1021, les
terres cultivées augmentent suivant une progression analogue à l'accroissement des familles, tel que le présentent les tableaux de recensement. Chaque famille se trouve posséder moyennement 97,
75 et 61 meou, soit 5,40 hectares, 4,2 hectares, 3,60 hectares, nombres qui ne s'éloignent pas extrêmement de ceux que j'ai rapportés dans le tableau des Han. Après l'an 1021 la faiblesse de
l'administration supérieure encouragea les fraudes des officiers qui traitaient avec les propriétaires et ne portaient qu'une faible partie de leurs terres sur les registres, de sorte que le
recensement de l'an 1052 présente moins de la moitié du nombre de king enregistrés en 1021. Un autre chiffre, qui se rapporte à l'an 1064, ne donne également qu'un nombre de king très faible,
bien que la population fut croissante.
L'État perdant ainsi une forte portion de ses revenus, un ministre réformateur, nommé Wang-ngan-chy, tenta, vers l'an 1072, de faire exécuter un cadastre exact des terres cultivées. La nouvelle
mesure agraire qu'il adopta fut un carré de 1.000 pou de côté, équivalant, dit l'historien, à 41 king, 60 meou, 160 pou, d'où l'on déduit aisément que le meou avait toujours sa valeur de 240 pou
carrés. Wang-ngan-chy lutta contre les difficultés opposées à ses agents par les propriétaires et contre les réclamations dont la tourbe des lettrés assiégeait l'empereur. Après quelques années
il fut disgracié, et quoique l'opération de l'arpentage fût continuée par son successeur, elle finit par être interrompue à la mort de l'empereur Chy-tsong, vers 1083. A cette époque une faible
partie de la Chine avait été cadastrée : la taxe générale de l'empire était établie sur un chiffre de 4.616.556 king, équivalant à 27.462.095 hectares. Mais ce nombre était très inexact.