Tong-kien-kang-mou, Histoire générale de la Chine

Tome quatrième, 1777.

  • Les seconds Han, de 194 à leur chute en 220. Les luttes entre Sun-tché, Tsao-tsao, Lieou-pey, ...
  • La Chine partagée en trois empires : les San-koué ou les trois royaumes : Les Heou-han de Tching-tou, les Ouei de Lo-yang, les Ou de Nan-king.
  • Les Tsin abattent ces trois royaumes, et fondent en 265 leur dynastie, qui se maintient jusqu'en 420, au milieu de guerres et d'une agitation continuelles.



Extraits :
Les sept sages de la forêt de Bambou - Anecdotes 

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Les sept sages de la forêt de Bambou

 

L’an 262, on vit paraître dans les États de Ouei un certain-Hi-kang, homme éloquent, qui se plaisait à enseigner la doctrine des philosophes Lao-tsé & Tchuang-tsé : il faisait profession d’étaler avec pompe les rêveries extravagantes de ces deux sectaires, & méprisait souverainement la doctrine des King. Hi-kang avait une étroite liaison avec Yuen-tsi, Yuen-hien, neveu de Yuen-hien, Chan-tao, Hiang-siu, Ouang-jong & Lieou-ling, qui étaient ses amis inséparables ; ils s’appelaient eux-mêmes les sept sages de la forêt de Bambou. Leurs discours roulaient sur le vide, principe, selon eux, de toutes choses : ils en entretenaient sans cesse ceux qui venaient les écouter, en décriant les lois & les cérémonies, & faisaient consister la félicité de l’homme à s’abandonner à la débauche du vin, & à s’éloigner des embarras des affaires.

Un jour, que Yuen-tsi, un de ces sept sages, était à jouer aux échecs, on vint lui apprendre la mort de sa mère ; celui qui jouait avec lui voulut aussitôt quitter la partie ; mais Yuen-tsi, occupé de son jeu & peu affligé d’une nouvelle si triste pour tout d’homme doué de sentiment, voulut continuer ; il se fit même apporter deux grands vases de vin qu’il vida, & sortit de la maison où il était, si ivre, qu’il fallut le porter chez lui. Lieou-ling, autre sage de la forêt de Bambou, se promenait ordinairement dans un char attelé de deux cerfs, & se faisait suivre par des valets chargés de plusieurs vases de vin qu’il vidait avant de rentrer chez lui. Comme il avait contracté l’habitude d’aller dans cet équipage en santé ou malade, il avait ordonné à ses domestiques, que si par hasard il venait à éprouver ce que l’on appelle mourir, ils le portassent sur-le-champ en terre dans le même équipage, sans retourner chez lui : il trouva des admirateurs de sa conduite qui se firent une gloire de l’imiter.

Ssé-ma-tchao à qui la réputation des sept sages de la forêt de Bambou n'était pas inconnue, voulut en juger par lui-même, & fut, accompagné de Tchong-hoei, à la maison de Hi-kang, leur chef, pour l’entendre. Ils le trouvèrent dans une salle, assis les jambes croisées sur un coussin, qui parlait sur le vide avec une rapidité & un flux de langue surprenants ; il ne fit pas semblant de les apercevoir. Après qu’ils eurent écouté quelque temps les extravagances qu’il débitait, Tchong-hoei invita Ssé-ma-tchao à se retirer ; alors Hi-kang leur adressant la parole, leur demanda ce qu’ils étaient venu entendre & ce qu’ils avaient appris ?

— Nous sommes venu entendre ici, répondit Tchong-hoei, ce que nous avions déjà entendu dehors, & nous nous en allons après avoir vu de nos yeux ce qu’on nous avait rapporté.

Ils sortirent sans que Hi-kang leur fît la moindre civilité. Tchong-hoei saisit cette occasion pour faire remarquer à Ssé-ma-tchao à quel point d’extravagance, la doctrine de Lao-tsé & de Tchuang-tsé avait conduit ces prétendus sages. Il lui fit entendre que ces visionnaires étaient une peste dont il fallait purger l’empire, & qu’il était de sa gloire, au moins, d’extirper la doctrine pernicieuse qui formait de tels disciples. Ssé-ma-tchao plus indigné du peu d’égards que le chef des sages de la forêt de Bambou lui avait marqué, que contre sa doctrine, entra volontiers dans les sentiments que lui inspirait Tchong-hoei ; il fit mourir Hi-kang, chef de ces visionnaires, & défendit, sous de grièves peines, d’enseigner la doctrine de Lao-tsé & de Tchuang-tsé.

Anecdotes

Sun-y avait une femme belle, bien faite & de beaucoup d’esprit, dont Koué-lan, un des principaux officiers de Tan-yang, devint passionné. Cet officier, jugeant qu’il ne pouvait la posséder du vivant de Sun-y, le fit assassiner, & les premiers jours de deuil finis, il ne manqua pas de faire à cette veuve la proposition de l’épouser. Elle le savait auteur de la mort de son mari, mais feignant de l’ignorer, elle parut consentir à l’alliance qu’il voulait contracter avec elle, & demanda seulement qu’il lui permît de rendre les derniers devoirs à Sun-y au trentième jour de sa mort. Ce délai lui donna le temps de faire avertir Sun-kao & Fou-yng, anciens officiers de Sun-y ; du dessein qu’elle avait de venger son mari, en faisant périr son assassin.

Le trentième jour venu, Siu-chi, c’est le nom de cette veuve, revêtue d’habits de deuil, entre toute éplorée dans la salle où se devaient faire les cérémonies, & après s’être acquittée de celles qu’elle devait à la mémoire de son mari, elle quitte son deuil, se pare de ses robes les plus magnifiques, & ne fait plus paraître que de la gaieté sur son visage, pour ôter tout soupçon à Koué-lan qu’elle savait être témoin de ce qui se passait.

Rentrée ensuite chez elle, elle fit cacher Sun-kao, Fou-yng & leurs amis, & envoya chercher Koué-lan, qu’elle fit entrer dans l’intérieur de sa maison, où, à certains signes, Sun kao & Fou yng, fondant sur Koué-lan le sabre à la main, le renversèrent sur le carreau, & de là passant au logis de Tai-yun, son capitaine des gardes, dont il s'était servi pour se défaire de Sun-y, ils le traitèrent de la même manière, & lui coupèrent sa tête qu’ils portèrent à Siu-chi. Cette veuve reprenant alors ses habits de deuil, porta les têtes de Koué-lan & de Tai-yun sur le tombeau de son mari, pour être exposées à la vue de tous les passants ; action qui lui attira les louanges & l’admiration de tout le monde.


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281. A la troisième lune, on conduisit à la cour jusqu’à cinq mille femmes que Sun-hao entretenait pour jouer la comédie, un de se principaux amusements. A leur arrivée, ces femmes commencèrent à corrompre le cœur de l’empereur, qui devint moins appliqué au gouvernement de ses peuples : l’empire que ce prince avait élevé à son plus haut point de splendeur, commença dès lors à décliner insensiblement.

Parmi ces femmes, il s’en trouva plusieurs qui le captivèrent & lui firent perdre le temps en occupations frivoles, indignes d’un grand prince. Elles l’engagèrent, entre autres choses, à faire faire un char magnifique & léger, qu’elles faisaient traîner dans un grand parc, par des moutons instruits à ce manège. Elles faisaient monter l’empereur dans ce char, & lui tenaient alternativement compagnie : ces femmes voluptueuses faisaient préparer dans ce parc, d’espace en espace, de magnifiques collations, & l’empereur, conduit par les moutons qu’on laissait aller à leur liberté, ne descendait qu’aux endroits où ces animaux s’arrêtaient. Comme chacune de ces femmes, qui avait pris un soin particulier de préparer ces collations, était intéressée à avoir la préférence, afin d’engager les moutons à tourner de leur côté, elles cherchaient les herbes que ces animaux mangeaient le plus volontiers, qu’elles arrosaient d’eau salée, & elles en parsemaient le chemin qui conduisait à l’endroit où elles voulaient les attirer. C'était à de pareils passe-temps que le fondateur de la dynastie des Tçin consommait les dernières années de sa vie & ternissait la gloire qu’il s'était acquise par la réduction des États de Ou, sans que les représentations de ses plus fidèles sujets, ni les devoirs attachés au trône puissent l’en détourner.


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324. L’empereur, pour faire un exemple qui intimidât tous ceux qui conserveraient encore quelque sentiment de révolte, fit exhumer, par arrêt de tous les tribunaux, le corps de Ouang-tun : on prit tous ses habits qu’on réduisit en cendres ; ensuite on fit tenir son corps à genoux comme s’il avait été encore en vie, & on lui coupa la tête qui fut posée sur des poteaux hors de la ville avec celles de Tsien-song & de Chin-tchong. C’est ainsi que la cour impériale vint à bout de pacifier les troubles qui l’agitaient depuis si longtemps.


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Cette même année 336, Ché-hou, prince de Tchao, éleva un palais d’une magnificence surprenante dans la ville de Yé, où il transporta sa cour. Les murailles étaient construites de pierres rares de différentes couleurs & les tuiles enduites du plus beau vernis ; les petites clochettes étaient d’or, les colonnes d’argent, les rideaux des portes étaient garnis de perles, & les séparations des chambres, de pierres précieuses ; le tout était travaillé par les plus habiles ouvriers qui se surpassèrent dans leurs ouvrages. Lorsque le palais fut fini, Ché-hou choisit dans les familles des mandarins & du peuple un très grand nombre de belles filles qu’il y fit entrer ; plus de dix mille personnes de toutes sortes d’États habitaient ce palais & toutes étaient vêtues magnifiquement comme aux jours des plus grandes cérémonies. On y voyait quantité d’astrologues, des diseurs de bonne fortune, & un nombre très considérable de ceux qui se distinguaient par leur adresse à tirer de la flèche tant à pied qu’à cheval ; ils étaient chargés d’exercer les autres. Mais rien n’y était plus curieux qu’un régiment de cavalerie composé de mille filles, grandes & bien faites ; elles avaient des bonnets de soie magnifiques en forme de casque, & étaient vêtues d’habits superbes, enrichis de broderies. Ces femmes lui servaient de gardes, & l’accompagnaient dans toutes ses promenades, jouant de différentes sortes d’instruments, & elles faisaient le principal agrément dans les repas & les festins qu’il donnait à ses grands avec une profusion & une magnificence sans égale.


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Vers la fin de cette année 342, il arriva une chose fort extraordinaire à Ping-ling, ville de la dépendance de Tsi-nan, qui appartenait au prince de Tchao, située soixante ly à l’est de Tsi-nan-fou. Un tigre de pierre qui était au nord de la ville, se trouva changé de place pendant la nuit & transporté au sud-est avec plus de mille loups ou renards qui l'avaient suivi & qui se rangèrent en haie le long du chemin. On ne manqua pas d’en avertir Ché-hou comme d’une chose qui devait lui faire plaisir : ce prince expliqua le mystère de cet évènement comme d’un avis qui lui était donné de transporter sa cour du nord-ouest au sud-est.

— Ce tigre de pierre n’est autre que moi, dit ce prince ; c’est sans doute un avertissement du Tien qui m’ordonne d’aller faire la conquête du Kiang-nan : qu’on le fasse savoir à tous les soldats, & qu’on leur dise de se tenir prêts pour cette expédition. Je prétends la faire l’année prochaine pour me conformer aux volontés du Tien.

Ce prince donna ses ordres pour les préparatifs de guerre ; il voulut que de cent hommes, sept prissent les armes & fussent enrôlés sous les drapeaux ; il assigna, par cinq hommes, un char pour le transport de leurs bagages, deux bœufs, quinze mesures de grains & dix pièces de soie commune ; les taxes exorbitantes qu’on fut obligé de mettre sur le peuple pour ces approvisionnements, le foulèrent & le mirent au désespoir : on trouvait les chemins bordés de malheureux qui s'étaient pendus aux arbres ; Ché-hou, à qui on fit des plaintes, craignit une révolte générale, il changea de dessein & révoqua les ordres qu'il avait donnés.


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364. L’empereur Tçin-ngai-ti ne manquait pas des qualités propres à former un grand prince, mais son entêtement pour la secte des Tao-ssé, & l’espérance de parvenir à l’immortalité par leur moyen, les rendit absolument inutiles. Il s’abandonna entièrement à leur conduite, & se réduisit par leurs conseils à ne plus vivre que de boissons de leur composition qu’ils assuraient avoir la vertu de rendre immortel. Kao-song, un de ses grands, s’éleva contre les rêveries puériles de ces magiciens, & lui représenta qu’il ruinait sa santé, & se mettait hors d’état de pouvoir vaquer aux affaires du gouvernement ; mais il continua à se priver de toute sorte de nourriture ordinaire ; ces boissons le réduisirent dans un si mauvais état, que ne pouvant plus se lever même de son lit, il fut obligé de remettre toutes les affaires entre les mains de l’impératrice.


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389. L'empereur & son ministre étaient fort attachés à la secte de Foë, pour lequel ils faisaient de folles dépenses ; ils ne se plaisaient qu’en la compagnie des Ho-chang ou de ces vieilles femmes qui suivaient les maximes de cette religion d’une manière plus rigide que les autres, & ils prenaient plaisir à les entendre débiter leurs rêveries.
Les mandarins chargés des affaires sous Ssé-ma-tao-tsé, profitant de la liberté que ce ministre leur laissait de tout faire comme ils le jugeaient à propos, ne pensaient qu’à s’enrichir aux dépens de la justice & du peuple, & on vit bientôt le gouvernement dans un état de souffrance. Il ne manquait cependant pas à la cour de gens bien intentionnés & vertueux qui gémissaient de ces désordres ; mais vouloir y apporter remède c'était exposer sa fortune au ressentiment de ceux qui s’étaient emparés du gouvernement : il n’y eut qu’un officier de guerre nommé Hiu-yng, qui fut assez courageux pour présenter à l’empereur le tableau de ces abus, il disait dans son placet :

« Prince, le gouvernement de l’empire se trouve aujourd’hui entre les mains de petits officiers de justice, d’écrivains, d’enfants de misérables femmes esclaves, dont quelques-uns poussent la témérité jusqu’à s’ingérer de l’administration du dedans même du palais. Les Ho-chang & les vieilles femmes dont ils se servent pour publier leurs rêveries, les nourrices de leurs enfants n’y introduisent que des gens de leur parti ; c’est à eux qu’on s’adresse pour avoir, soit à la cour soit dans les provinces, des emplois qu’on n’obtient qu’à force d’argent ; & ceux qui possèdent des places par d’autres voies ne sont pas sûrs de les posséder longtemps en paix. Ils anéantissent la saine doctrine. La secte de Foë est une misérable innovation venue de dehors ; elle a le Ou, ou le néant pour objet, & l'esprit que ses sectateurs adorent n’est autre chose que ce néant : peut-on rien de plus absurde & de plus contraire à la raison ? Cependant le peuple séduit par leurs sophismes, les suit, il les honore, il se dépouille de ses biens en leur faveur, & se met hors d’état de vous procurer des secours efficaces dans une occasion pressante, c’est ce que Votre Majesté ne doit point souffrir.

L’empereur informé du sujet de ce placet ne daigna pas le lire.


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395. A la septième lune, il parut une grande comète à l’étoile Siu-niu, qui prit sa route vers l’étoile Cou-sin dans la constellation Hiu : l’empereur la remarqua & en fut effrayé ; il se rendit dans le jardin Hoa-lin-yuen du palais, & prenant une coupe de vin à la main, il l’offrit à cette comète, en lui disant :
— Comète, je souhaite que vous acceptiez cette coupe de ma main ; quand a-t-on vu un empereur vivre ouan soui [dix mille ans]?


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396. A la neuvième lune mourut l’empereur Tçin-hiao-ou-ti étouffé par la princesse Tchang-chi, une de ses femmes, pour se venger d’une raillerie de ce prince : Tchang-chi en était véritablement aimée ; mais dans une partie de débauche, Tçin-hiao-ou-ti échauffé par le vin, lui dit en plaisantant qu’elle touchait à sa trentième année, & qu’elle devait penser à se retirer, parce qu’il en avait une autre plus jeune à mettre à sa place. La princesse piquée de ce badinage peu délicat, couvrir son dépit en continuant à rire & à boire avec l’empereur ; mais elle l’enivra si fortement qu’il s’endormit dans la salle où ils étaient. Alors ne gardant près d’elle que les personnes qui lui étaient entièrement dévouées, elle se jeta sur lui & l’étouffa dans ses propres habits, aidée de ses suivantes ; elle fit ensuite courir le bruit qu’il était tombé en faiblesse & qu’apparemment il était mort d’avoir trop bu.

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