Tong-kien-kang-mou, Histoire générale de la Chine
Tome second, 1777.
- Les Tcheou de 969 av. J.-C. à leur fin.
- Tsin-chi-hoang-ti et les Tsin.
- Les Han jusqu'à la mort de Han-ou-ti (86 av. J.-C.).
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Siuen-ouang n’ignorait pas ce qui se passait entre les princes ses vassaux ; mais comme ils avaient poussé l’indépendance au point de ne plus respecter ses ordres, l’empereur prit le parti de ne point se mêler de leurs affaires, & de jouir du repos qu’il trouvait dans sa cour. L’impératrice Kiang, était une princesse d’une prudence & d’une vertu peu ordinaires : elle était fâchée de voir que l’empereur se relâchait du soin du gouvernement. Elle aurait bien voulu qu’il s’en corrigeât, ou du moins, qu’il fit quelque attention au danger où son indolence l’exposait, & elle cherchait une occasion de lui faire connaître ses sentiments sans l’offenser.
Un jour que Siuen-ouang s’était levé plus tard qu’à l’ordinaire, cette princesse se para de ses plus beaux habits, sortit du palais à son insu, & se retira chez sa mère, d’où elle envoya dire au prince son époux, qu’elle était une femme sans vertu, que le plaisir entraînait dans le précipice ; que dans la crainte où elle était que l’empereur, qui avait mille bontés pour elle, ne se laissât aller au même penchant, & que les affaires de l’État n’en souffrissent, elle avait cru devoir, pour le bien de l’empire & la gloire de l’empereur, s’éloigner de la cour.
Siuen-ouang sentit aussitôt où l’impératrice en voulait venir ; il lui envoya dire sur le champ qu’il avait toujours admiré sa vertu ; mais que ce dernier trait augmentait infiniment l’estime qu’il avait pour elle ; que lui seul était coupable, & qu’il la priait de revenir, lui promettant de changer de conduite. L’impératrice retourna au palais sur cette promesse ; & l’on vit effectivement Siuen-ouang s’appliquer sérieusement au gouvernement : ce trait arriva la vingt-deuxième année de son règne.
Le prince, ayant entendu parler d’un cheval qui pouvait faire mille li dans un jour, voulut l’avoir, à quelque prix que ce fût, & remit mille taëls entre les mains d’un de ses officiers, avec ordre de l’aller acheter ; mais, par malheur, à son arrivée, le cheval se trouva mort. L’officier chagrin, & craignant que son maître ne le soupçonnât de ne s’être point acquitté de sa commission, imagina, pour lui en donner des preuves, de marchander les os de ce cheval qu’il acheta, moyennant, cinq cents taëls, & les lui porta.
Le prince crut qu’il se moquait de lui ; il entra dans une si grande colère, qu’il voulait le faire mourir sur-le-champ :
— Prince, lui dit cet officier, en se jetant à ses pieds, je n’ai acheté ces os si cher, que dans le dessein de vous procurer un cheval tel que vous le souhaitez. S’il y en a un dans l’empire, soyez sûr qu’on vous l’amènera, sans qu’il soit nécessaire d’aller le chercher. Tout ce que je vous demande, c’est de différer d’un an l’effet de votre colère. Si les marchands n’amènent pas ici les plus beaux chevaux de l’empire, vous ferez alors ce que vous voudrez de moi ; je n’aurai aucun regret de mourir.
Le prince, malgré sa colère, différa de le punir, & le fit mettre en prison.
Le bruit s’étant répandu, de tous côtés, que le prince avait donné jusqu’à cinq cents taëls des os d’un cheval, l’année ne fut pas révolue, sans qu’il en vît arriver trois des plus beaux, & les seuls qui furent dans l’empire : il en eut tant de joie, qu’il rendit la liberté à l’officier, & le combla de présents.
Du vivant de Tchao-kong, son père, Y-kong avait eu un procès, pour quelques terres, contre le père de Ping-tchou, qu’il perdit : il y fut
si sensible, qu’ayant succédé à la principauté de Tsi, il voulut s’en venger. Pour cet effet, il fit exhumer le corps du père de Ping-tchou, mort depuis peu, & lui ayant fait couper les
pieds, il le fit mettre sur une charrette, & conduire, à la voirie, par Ping-tchou & par Yen-tsi, dont il avait enlevé la femme. Ces deux malheureux conducteurs frémissaient de rage ; ils
obéirent cependant. Étant arrivés au lieu où ils devaient laisser ce cadavre, Ping-tchou, qui avait un bâton à la main, en frappa légèrement Yen-tsi, qui s’en mit en colère ; alors Ping-tchou lui
dit :
— Eh quoi ! on vous enlève votre femme, & vous ne dites rien, & pour une bagatelle vous vous irritez si fort ?
— Que peut-on dire, lui répliqua Yen-tsi, d’un homme qui voit tranquillement couper les pieds à son père ;
Ping-tchou comprenant, par ces paroles, les sentiments de vengeance, que Yen-tsi avait dans le cœur, s’ouvrit à lui, & tous deux complotèrent de se défaire de Y-kong.
Ce prince vindicatif avait coutume d’aller se promener dans un bois assez près de la ville ; ils choisirent cet endroit pour exécuter leur dessein. Y-kong y fut, sur le soir, & s’enfonça
assez avant dans le bois. Ping-tchou & Yen-tsi, qui le guettaient, fondirent sur lui le sabre à la main, & l’étendirent mort sur la place ; ensuite ils s’évadèrent, à la faveur de la nuit
; & se mirent en lieu de sûreté.
Le roi de Han arriva d’un côté avec son armée, & Pong-yuei de l’autre avec celle qu’il commandait. On investit de toutes parts le camp ennemi : Pa-ouang, se voyant pressé & sans ressource, choisit huit cents cavaliers bien montés, avec lesquels il perça à travers un des quartiers de Han, & se sauva, à la faveur de l’obscurité, du côté de la rivière Hoei-ho, jusqu’à Yn-ling .
Lieou-pang détacha sur-le-champ Kouang-yng, avec quelques mille cavaliers, pour aller à sa poursuite. Il continuait toujours à fuir, & cherchait à gagner quelqu’endroit couvert pour s’y mettre en sûreté. Arrivé à Tong-tching, il s’aperçût que de ses huit cents cavaliers, il ne lui en restait plus que vingt-huit. Il s’arrêta avec cette poignée de gens braves & fidèles à la montagne Ssé-hoei-chan, & leur dit :
— Il y a huit ans, que je fais la guerre ; j’ai remporté plus de soixante-dix victoires. Aucun prince, pas même le roi de Han, mon ennemi, ne m’a refusé le glorieux titre de Pa-ouang. Maintenant si je suis sans ressource, c’est que le ciel veut ma perte. On ne peut me reprocher une lâcheté, & tant de combats, dont je suis sorti vainqueur, feront survivre & ma gloire & mon nom.
Cependant les troupes de Han l’atteignirent ; alors, ne pouvant plus fuir, il range sa petite troupe en bataille & leur présente le front. Ce héros intrépide vient tête baissée se précipiter sur les ennemis, & tue de sa propre main un de leurs officiers & plusieurs soldats ; mais accablé par le nombre, criblé de blessures, il tourne bride, suivi de deux cavaliers qui lui restaient, & s’enfonce dans les gorges de la montagne.
Kouang-yng le fait chercher de tous côtés sans pouvoir le découvrir. Pa-ouang trouve encore moyen de lui échapper avec ses deux braves compagnons, & de se rendre sur les bords du Ou-kiang, où, épuisé de fatigue & affaibli par le sang qu’il avait perdu, ce courageux, mais infortuné rival de Lieou-pang, se donna lui-même la mort.
Le commandant du détachement de Han fit porter son corps à son maître. A la nouvelle de sa mort, tous ceux qui tenaient son parti se soumirent, à l’exception des peuples de Lou, qui ne pouvaient se persuader que ce grand capitaine ne fût plus. Le roi de Han leur ayant montré son corps, ils n’hésitèrent pas à recevoir ses lois.