Joseph-Marie AMIOT (1718-1793)

VIE DE CONFUCIUS

VIE de KOUNG-TSÉE, appelé vulgairement CONFUCIUS.

Le plus célèbre d’entre les Philosophes Chinois,& le Restaurateur de l’ancienne doctrine

Tomes XII, pp. 1-508, XIII, pp. 1-38, XIV, pp. 517-521.


Table des matières - Quelques planches - Préface

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Table des matières

 

  • Préface
  • Vie de Confucius — Table chronologique des evènements rapportés dans sa vie
  • Explication des Planches gravées
  • Tables généalogiques de la Maison de Confucius — Explication de ces Tables
  • Notices sur les plus illustres de ses Disciples : Yen-tsée — Tseng-tsée — Tsée-sée — Mong-tsée — Tchoung-tsée.
  • Extraits d’une lettre de M. Amiot

Une sélection de planches

Préface

 

La plupart de ceux qui ont ecrit sur la Chine, ont parlé de Confucius ; on a même publié l’abrégé de sa vie en plus d’une Langue & plus d’une fois ; pourquoi revenir sur un sujet usé ? Ce Koung-tsée, ou ce Confucius (puisqu’il a plu de l’appeller ainsi) que les Chinois regardent comme le Philosophe par excellence, comme le Docteur des Docteurs, & le Maître des Maîtres, auquel ils rendent leurs hommages avec les dehors d’une vénération si profonde, qu’on a cru la bien définir en Europe, en disant qu’elle s’étendoit bien loin au-delà de la simple reconnoissance, & qu’elle ne différoit pas du respect que l’on a pour les Dieux dans les régions où domine l’idolâtrie ; ce Sage, qui, en renouvellant dans l’esprit de ses compatriotes le souvenir de la doctrine enseignée par les premiers Législateurs de leur vaste Monarchie, fit tous ses efforts pour les faire rentrer dans le sentier de la vertu dont ils s’etoient ecartés, leur expliqua les regles immuables de la Morale, forma une nombreuse Ecole pour en continuer l’enseignement après lui, & composa des Ouvrages dans lesquels, tant que dureront les siecles, on pourra s’instruire dans l’art de bien gouverner les peuples, de maintenir le bon ordre dans les familles, & de régler son propre cœur ; cet homme célebre, ce Confucius, dis-je, est depuis long-tems connu par ce qu’en ont dit tant d’Ecrivains du siecle passé, & tant d’autres encore de celui où nous vivons.

 

Telle eût eté à-peu-près la réponse que j’aurois faite, si je m’etois hâté de répondre lorsqu’on m’invita pour la premiere fois, à envoyer du pays où je suis, des Mémoires détaillés, au moyen desquels on pût se former une idée juste de ce personnage fameux, qu’une Nation sage & la plus nombreuse comme la plus etendue qui soit dans l’univers, a toujours regardé & regarde encore aujourd’hui comme son principal oracle en tout ce qui concerne la morale, le gouvernement & les mœurs.

 

Je suis bien eloigné de tenir en ce moment un pareil langage. Je me suis donné la peine de lire tout ce qui m’est tombé sous la main en fait d’ecrits Chinois où il est fait mention de ce Sage ; j’ai lu de même ce qu’on en a ecrit en différens tems dans les Langues qui ont cours en Europe, & j’ai conclu qu’on ne pouvait le connoître que bien imparfaitement encore, dans ces lieux séparés par des distances immenses de ceux qui l’ont vu naître ; ou, pour parler plus clairement, dans des lieux où on ne le connoît guere que sur le rapport infidele des préjugés. Les enthousiastes vous l’ont représenté comme une espece de Prophete, ou tout au moins comme un homme suscité de Dieu dans cette extrémité de l’Asie, pour eclairer un peuple nombreux sur les principaux devoirs qu’impose la morale, & le disposer ainsi d’avance à recevoir sans contradiction des vérités plus sublimes, quand le tems de les lui annoncer seroit arrivé. Les admirateurs de tout ce qui est louable & bon, quelque petite qu’en soit la dose, ont outré son panégyrique en exagérant ses vertus, son savoir, le mérite de ses ecrits, & toutes ses qualités personnelles. Ils l’ont placé sans façon, non-seulement au-dessus de Socrate, & de tous les autres Sages de la Grece & de Rome, mais au-dessus encore de ces grands Hommes de l’Antiquité profane, qui ont instruit & civilisé les Nations.

 

Les détracteurs, je veux dire ces hommes singuliers & chagrins, qui ne se plaisent que dans les contradictions & les chicanes, & qui font consister leur principal mérite & la plus grande partie de leur gloire, à ne jamais penser comme les autres ; ces hommes, dis-je, singuliers & chagrins, ne l’ayant envisagé que par le côté le moins favorable, à travers le microscope d’une prévention non moins injuste que ridicule, l’ont ravalé jusqu’au dernier rang, & lui ont assigné pour mérite propre, pour seul & unique mérite, celui d’un plat Pédagogue, qui n’a débité que quelques maximes triviales, que tout autre eût pu débiter comme lui.

Des portraits qui se ressemblent si peu, ne sauroient représenter une même personne ; ils sont tous egalement suspects ; & l’on courroit egalement risque de se tromper en donnant la préférence à l’un plutôt qu’à l’autre.

 

Pour ce qui est de ces Écrivains prétendus circonspects, qui, par une crainte puérile des morsures de la Critique, n’ont osé faire un pas qu’ils ne l’aient appuyé sur des vestiges déjà profondément tracés, n’ont osé parler de quoi que ce soit, pas même d’une bagatelle, sans l’accompagner d’une démonstration dans les formes, l’on ne doit pas plus compter sur eux que sur les autres. Ils n’entrent dans aucun détail sur la vie, les mœurs, & toute la conduite d’un homme dont les moindres actions, ainsi que celles qui ont eu le plus d’eclat, sont gravées en caracteres ineffaçables dans l’esprit de presque tous les Chinois. Offusqués, non par le brillant eclat du flambeau de la Critique, mais par la fumée de la noire torche que le barbare Tsin-ché-hoang-ty alluma pour brûler les Livres, ils regardent tout ce qui a eté ecrit après cet incendie, sur les tems qui l’ont précédé, ou comme autant de fables qu’on ne sauroit admettre sans se déshonorer dans l’esprit de ceux qui pensent, ou comme des choses avancées sans preuves, auxquelles par conséquent il seroit ridicule d’ajouter foi. Sur ce faux principe, ils se contentent de dire un mot de la naissance & de la mort de celui dont ils suspectent l’histoire ; ils ne parlent qu’en général de sa doctrine, de ses travaux littéraires, & des disciples qui s’attacherent à lui. A peine daignent-ils faire mention de ses courses dans les différens Royaumes qu’on sait avoir de son tems partagé l’Empire. Ils couvrent d’un voile epais tout ce qui leur paroît déborder un tant soit peu la ligne qu’il leur plaît d’assigner pour terme à la curiosité de ceux qu’ils veulent instruire. En un mot, on n’a pas peint le Philosophe chinois ; on n’a tracé qu’en gros les principaux traits qui le caractérisent.

 

Pour remplir de mon mieux la tache que je me suis imposée, je rapporterai tout ce que la Nation chinoise a dit autrefois de son Philosophe, & ce qu’elle en dit encore de nos jours ; j’indiquerai les différens genres d’honneurs qu’elle lui a rendus & qu’elle ne cesse de lui rendre ; je ferai connoître les plus renommés d’entre ceux qui s’attacherent à lui de son vivant ; & en rapportant avec fidélité leurs entretiens les plus ordinaires sur les objets qui ont rapport à la morale & au commerce de la vie, je mettrai le Lecteur au vrai point de vue où il faut être placé pour saisir la ressemblance dans tous ses détails.

 

J’extrairai de tous les Livres chinois qui jouissent ici de l’estime du grand nombre, les matériaux que je vais employer. Ainsi l’Histoire générale, les Histoires particulières, les Préfaces mises à la tête des King, & faites par des Auteurs avoués, le Lun-yu, le Kia-yu, le Ché-ki, le Che-ki-ché-kia, le Kiué-ly-tché, le Chen-men-ly-yo-toung, le See-chou-jin-ou-Pé-kao, le Kou-ché, &c., seront tour-à-tour mis à contribution ; & comme ces Livres sont d’une authenticité à peu-près egale, je me dispenserai de les citer en marge, persuadé qu’il suffit de les avoir indiqués, en prévenant que je ne dirai rien que d’après eux, & que je le dirai, autant que je pourrai, comme ils le disent : je serai l’Historien des Historiens de Confucius, & nullement leur Critique ; je laisse cette derniere fonction à ceux qui voudront se donner peine de l’exercer. Au surplus, ces Historiens, dont le suffrage ne sera peut être pas d’un grand poids au jugement de nos Aristarques, sont les oracles de leurs compatriotes ; ils sont leurs instructeurs & leurs maîtres pour tout ce qu’il faut penser & dire ; & à l’exception de ces Savans de la plus haute classe, qui ne se rendent qu’à l’evidence ou à la démonstration, tous les autres sont d’un même avis ; ils s’expriment d’une même maniere, & ne doutent point, en s’exprimant comme ils le font, qu’ils ne soient l’organe de la plus exacte vérité. Je dirai donc ce que la Nation entiere pense de celui qu’elle appelle le Sage par excellence, ce qu’elle en dit, & sous quel point de vue il faut envisager les honneurs qu’elle lui rend.

 

Pour ne rien omettre de ce qui peut contribuer à eclaircir un sujet de cette importance, je ferai connoître la maniere dont cette même Nation représente en estampes les principaux evénemens de la vie de celui qu’elle veut honorer. On pourra, d’après ces estampes, se former une idée juste de ce qu’elles représentent ; car tous les objets y sont au naturel : c’est ainsi que les Chinois s’habilloient autrefois : leurs cheveux noués sur leurs têtes, leurs coëffures, leurs visages sans vestiges de barbe, si l’on en excepte quelques poils sur la levre supérieure & au menton, leurs longs ongles, toute leur physionomie etoient tels qu’on les voit ; leurs palais, leurs hôtels, leurs autres édifices, etoient ainsi construits.

 

J’aurois fort souhaité que quelqu’un de nos Peintres européens, que nous avons ici, eût voulu se donner la peine de corriger les défectuosités qui peuvent s’y trouver. Je les en ai priés plus d’une fois, mais toujours en vain. Nous gâterions tout, m’ont-ils dit : on ne manque pas en France d’excellens Peintres qui peuvent décorer les Cabinets. On y veut du singulier ; vos dessins sont dans ce genre, & comme tels, ils plairont beaucoup plus que ce que nous ferions nous-mêmes dans toutes les regles de l’art. Envoyez-les tels que vous les avez.

 

Après ce court préambule, que j’ai cru nécessaire, je commence.

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