Jean-Baptiste Du Halde : Description de l'empire de la Chine
Tome troisième
A Paris, chez P. G. LEMERCIER, Imprimeur-libraire, rue Saint-Jacques, au livre d'Or, 1735.
Table des articles
Extraits : Maximes - La distribution du calendrier - Secret du pouls - De l'Herbier
chinois
De la religion des Chinois : Du culte des anciens Chinois. De la secte des Tao sseë. De la secte de Fo ou Foë. De la secte de quelques lettrés de ces derniers temps.
Dialogue où un philosophe chinois moderne, nommé Tchin, expose son sentiment sur l’origine & l’état du monde. De l’établissement & du progrès de la religion chrétienne
dans l’empire de la Chine. [Vie du père Ricci — Lettre de l’impératrice Hélène au pape]
De la philosophie morale des Chinois : Caractères ou mœurs. Du devoir des parents & des enfants. Des devoirs réciproques des frères. Des devoirs du mari & de la femme. Du
devoir des amis. Des devoirs des parents. Du soin de perfectionner son extérieur. De l’amour des lettres. Du procédé de l’honnête homme. De la manière de gouverner sa maison, & l’appartement
séparé des femmes. Des maisons de ville & de campagne. De quelques règles de conduite auxquelles on ne fait pas assez d’attention. Sur les discours qui se tiennent en notre présence. De
l’attention qu’on doit avoir à ses propres discours. Sur les devoirs de la vie privée. Sur la lecture des livres. De la manière de se conduire dans l’usage du monde. De la persévérance dans la
pratique du bien. De l’idée qu’on doit avoir du monde.
De la civilité ; de ses devoirs. De la modération, ou du milieu qu’il faut tenir en toutes choses. De quelle manière il faut se comporter avec des gens de différents caractères. Sur les ouvrages
d’esprit. Quelques règles particulières de conduite.
Recueil de maximes, de réflexions, & d’exemples en matière de mœurs.
De la connaissance des Chinois dans les autres sciences : De leur logique. — De leur rhétorique. — De leur musique. — De leur arithmétique. — De leur géométrie. — Des autres
parties des mathématiques. — De leur astronomie.
Du goût des Chinois pour la poésie, pour l’histoire, pour les pièces de théâtre. Traits d'histoire. Autre histoire : Tchoang tse après les bizarres obsèques de
sa femme, s’adonne entièrement à sa chère philosophie, et devient célèbre dans la secte de Tao. - Le petit orphelin de la maison de Tchao, tragédie chinoise.
De la médecine des Chinois :
- Secret du pouls, traduit du chinois,
- [Pen tsao] : Extrait du Pen tsao cang mou, c’est-à-dire, de l’herbier chinois, ou Histoire naturelle de la Chine pour l’usage de la médecine. - Pen tsao ti y kiuen, premier livre de l’Herbier chinois, de l’origine de l’Herbier, ou Pen tsao, & de tous les Herbiers anciens et modernes, qui ont paru jusqu’à présent. - Extrait du Pen tsao de l’empereur Chin nong. - Extrait du Pen tsao de Leang tao hong king, intitulé Ming y pié lou, de la préparation des remèdes.
- Recueil de différentes recettes employées par les médecins chinois pour la guérison de diverses maladies. Du gin seng, plante du premier ordre dans la médecine chinoise ; de sa nature, de ses qualités, et des différentes recettes qui apprennent l’usage qu’on en fait. Du thé, autre plante qui est en usage dans la médecine. De l’éléphant. Du chameau. Du haï ma, ou cheval de mer. Du che hiaï, ou cancre pétrifié. Du musc. De la plante hia tsao tong tchong, ses vertus. De la plante san tsi, ses usages. De la rhubarbe, ses usages. De la racine tang coué. Du ngo kiao, ses vertus. De la cire blanche, faite par des insectes, et nommée tchang pe la, c’est-à-dire, cire blanche d’insectes, ses qualités ; ses effets. Des ou poey tse, drogue chinoise. Différentes recettes où l’on emploie les ou poey tse. Tablettes médecinales où dominent les ou poey tse. De l’ou kieou mou, ou arbre qui porte le suif. Qualités & effets de la racine d’ou kieou mou. De l’huile d’ou kieou, ses qualités & ses effets. Tchang seng, ou l’art de se procurer une vie saine et longue.
On vous propose une occasion de vous élever, ou de faire un gain ; ne demandez point quel est le degré d’honneur qu’on vous présente, ni si le gain est considérable. Commencez par examiner si la
chose est légitime.
Vous entendez louer une vertu, ou blâmer un vice, n’examinez point si c’est de vous ou de quelqu’autre, qu’on veut parler. Tenez votre cœur dans l’équilibre, et jugez d’abord de ce qu’on dit,
sans y prendre part. Ayez soin ensuite de vous l’appliquer.
Un homme en votre présence, expose son opinion sur quelque point de littérature. Ne commencez pas par examiner si cette opinion s’accommode avec la vôtre. Écoutez comme si vous n’aviez encore
pris aucun sentiment sur le point dont il s’agit. Retenez bien ces maximes ; elles sont importantes et de grand usage.
Dans un appartement sûr et secret avoir à sa discrétion une beauté peu commune, et cependant se conserver pur ; trouver dans un désert une grosse somme sans vouloir se l’approprier ; se trouver
surpris et assailli par un adversaire redoutable, sans s’épouvanter et sans se troubler ; au premier avis du danger que court un ennemi mortel, s’empresser pour le secourir ; ce sont autant
d’excellentes pierres de touche.
Il arrive que par occasion ou par nécessité, vous avez depuis peu quelque rapport avec un méchant homme. Point de complaisance pour lui aux dépens de votre devoir. La nouveauté de ce commerce
n’est pas une excuse légitime. Depuis longtemps vous êtes lié avec un autre qui est un homme de probité. N’en soyez pas plus hardi à vous permettre la moindre chose qui soit pour lui une raison
de vous mépriser. Toute ancienne qu’est votre liaison elle ne vous autorise point à blesser les bienséances.
Sur les préjugés, les erreurs et les désordres du monde
Hélas ! dit Tou ouei tchin, le monde est plein de faux préjugés, d’erreurs ridicules, et d’affreux désordres. Voyons-en quelques exemples. On sert le soir à quelqu’un de la chair d’un singe ; il
se persuade que c’est de la chair de chien : dans cette pensée, il la trouve bonne. Le lendemain il vient à savoir que c’est d’un singe qu’il a mangé ; aussitôt vient le vomissement.
Qu’un homme ait soif, et que dans l’obscurité on lui donne à boire dans un crâne sec : il boit à longs traits et sans répugnance : s’il s’aperçoit le lendemain, que c’est dans ce crâne qu’il a
bu, il sent aussitôt de grandes nausées.
Un fils a de grands défauts, mais son père l’aime : aussitôt tous ces défauts disparaissent aux yeux du père : il croit voir dans ce fils de la tendresse, du respect, et de l’obéissance ; il n’y
aperçoit rien autre chose. S’il arrive par hasard que ce père prenne de l’aversion pour ce fils, il ne voit plus en lui ce qu’il y voyait : il n’a plus les yeux ouverts que sur ses défauts ; ce
fils cependant est toujours le même.
Un homme est bien fait et nous revient : vous diriez qu’il laisse après lui partout où il passe une bonne odeur : on aime à le suivre et à se trouver où il a accoutumé d’aller : ne le vit-on
qu’en passant, on se le rappelle ensuite avec plaisir. Un autre est mal tourné et d’une figure désagréable ; vous diriez qu’il infecte tout par sa présence : on n’aime point à se trouver où il
est, à s’asseoir où il s’est assis, à coucher où il a couché : il n’y a pas jusqu’à la vaisselle qu’on lui aura vu servir une fois, dont on a de l’aversion. Que fait à tout cela, je vous prie, la
bonne ou mauvaise mine ?
Les hommes, & plus communément encore les femmes, se piquent d’avoir la peau blanche ; jusque là qu’on en vient à se farder : et par une bizarrerie assez ridicule, on craint si fort d’avoir
les cheveux blancs et la barbe blanche, qu’on se gêne à les teindre en noir.
Un officier considérable est venu chez moi, j’en tire aussitôt vanité. Sur quoi fondée ? Qu’est-il demeuré chez moi de sa dignité ? Au contraire, si je suis grand officier, je rougis d’admettre
les petits en ma présence : d’où vient cela ? Mon emploi n’est-il pas toujours le même ? Que me laissent-ils du leur ?
L’oiseau ho et l’oiseau hou se ressemblent fort : les met-on en broderie ? L’on trouve l’un beau et l’autre ridicule. Un plat de légumes est présenté par un homme riche ; c’en est assez pour le
trouver bon : s’il venait de chez un pauvre, il ne vaudrait rien. Purs préjugés ! L’ordure est toujours ordure.
Cependant quand une passion vous possède, vous n’êtes point rebuté de ce qui vous ferait horreur en un autre temps : et tel qui est très sensible à la piqûre d’un moucheron, ne craint ni le fer
ni le feu, quand l’intérêt ou la volupté l’enivrent. Quel aveuglement !
Il vous naît un fils et une fille ; vous êtes père de l’un comme de l’autre : vous aimez ce fils comme vous-même, et vous vous souciez peu de la fille : quelle injustice !
Voyez certains amis de débauche, ils se traitent en frères ; tout est commun entr’eux. Au contraire voyez certains frères lorsqu’ils entrent en partage ; ils se disputent jusqu’à la moindre
bagatelle ; ils se traitent en ennemis, & très souvent ils le deviennent. Quel étrange renversement !
Tel homme dans une boutade poussera la douceur & la compassion, jusqu’à se faire une peine extrême de voir mourir ou souffrir un petit oiseau : & dans une autre boutade, ce même homme ira
jusqu’à battre cruellement, & quelquefois même à tuer froidement ses propres enfants.
Enfin, aime-t-on quelqu’un ? on l’approuve & on le loue, quelque indigne qu’il soit d’être loué. Ce ne sont que vœux, que prières, & que bons souhaits pour lui. A-t-on de la jalousie ou
de la haine ? Tout mérite disparaît dans celui qu’on hait. Ce ne sont contre lui qu’injures & qu’imprécations : le tout avec autant de liberté, que si l’on avait en main le pouvoir de tout
faire, & de tout changer à sa fantaisie.
Dirons nous en voyant ces désordres, que l’homme qui en est capable, a perdu le beau miroir de la raison, qui lui représentait ses devoirs ? Non, il ne l’a point perdu. En s'impatientant &
murmurant dans la souffrance, il voit l’inutilité de son impatience & de ses murmures. Il continue cependant de s’impatienter & de murmurer.
En goûtant les plaisirs du siècle, il en voit le dérèglement : il les goûte cependant & s’y abandonne, C’est qu’il n’a pas la force de tenir contre la violence de la douleur, ni contre
l’attrait du plaisir. C’est la même chose dans tout le reste.
Aussi l’homme ne travaille-t-il à rien moins qu’à devenir le maître de ses passions. Les jours se passent en mille vains projets, dont son esprit s’occupe même pendant la nuit : & cela
jusqu’à ce que par une maladie, ou par quelque accident imprévu, la respiration lui étant coupée, & n’y ayant plus de lendemain pour lui, les vains projets qu’il formait pour l’avenir,
s’évanouissent en un instant.
Je le dis donc, et l’expérience ne le fait que trop sentir : le monde est plein de préjugés, d’erreurs, et de désordres. Je n’en ai montré qu’un échantillon : je souhaite que quelqu’autre plus
habile que moi traite à fonds un sujet de cette importance.
Inconséquences de conduite
Du grand nombre d’hommes qui meurent chaque jour, à peine y en a-t-il un sur dix mille, à qui le poison cause la mort. Cependant tout poison est en horreur. Au contraire l’oisiveté, les délices,
et la volupté font périr des gens sans nombre, et personne ne les redoute.
Maximes
Ce qu’on admire aujourd’hui le plus dans un homme qui est en charge, et ce qu’on recommande sur toutes choses à ceux qu’on y met, c’est le désintéressement. De là vient peut-être qu’un magistrat
désintéressé, est le plus souvent plein de lui-même, regarde les autres avec dédain, & prend certains airs de fierté à l’égard de ceux même qui sont au-dessus de lui. Cependant à juger
sainement des choses, un magistrat désintéressé dans l’exercice de sa charge, n’est pas plus estimable qu’une femme fidèle à son mari. Si une femme fière de sa fidélité conjugale, se croyait par
là en droit de perdre le respect à son beau-père et à sa belle-mère, de maltraiter ses belles-sœurs, et de maîtriser même son mari, qu’en dirait-on ?
Recevoir beaucoup d’un méchant homme, c’est une faute : le servir par reconnaissance dans ses passions, c’en serait une plus grande.
Il faut éviter avec grand soin d’offenser un honnête homme, et de mériter sa colère. Si par malheur on l’a méritée, il faut lui faire satisfaction de bonne grâce. Chercher à s’en dispenser, c’est
une seconde faute.
Quand ce que vous voulez dire, est de nature à pouvoir être dit au Ciel (Tien), alors parlez. Autrement n’ouvrez pas la bouche. Un mouvement naît en votre cœur ? S’il tend à perfectionner votre
nature, il faut le suivre : sinon, étouffez-le dans sa naissance.
Soit qu’on me blâme, soit qu’on me loue, dit Yeou si chan, je trouve moyen d’en profiter pour ma perfection. Je regarde ceux qui me louent comme des gens qui me montrent le chemin que je dois
tenir ; et j’écoute ceux qui me blâment, comme des gens qui m’avertissent des dangers que j’ai à courir.
Dans l’action et le tracas des affaires, il faut éviter avec grand soin d’abandonner son cœur au trouble et à l’inquiétude. Mais dans le repos et l’inaction, il n’est pas moins dangereux de
laisser du vide dans son cœur.
Vous voulez passer un bras de mer sur un coutre ; quel soin ne prenez-vous pas, pour qu’il n’y ait pas même un trou d’aiguille ? C’est ainsi qu’il faut veiller sur votre cœur et sur vos
actions.
Celui qui fait une bonne action, ne doit jamais s’en vanter. S’il en fait parade, elle est perdue. Ce mot est de Fan tchin jiang, et je le trouve très bien dit.
Astronomie. La distribution du calendrier
La distribution de ce calendrier se fait tous les ans avec beaucoup de cérémonie. Ce jour-là tous les mandarins de la ville de Peking se rendent de grand matin au palais. D’un autre côté les
mandarins du tribunal astronomique avec les habits de leur dignité, & les marques de leurs offices, conformes à leurs degrés, se rendent au lieu ordinaire de leurs assemblées pour accompagner
les calendriers.
Sur une grande machine dorée qui s’élève en carré en divers étages, & se termine en pyramide, on place les calendriers qui doivent être présentés à l’empereur, à l’impératrice, & aux
reines. Ils sont en grand papier, couverts de satin jaune, qui est la couleur de l’empereur, & enveloppés proprement dans des sacs de drap d’or. Cette machine est portée par quarante valets
de pied vêtus de jaune.
On porte ensuite dix ou douze autres machines plus petites, dorées & fermées de courtines rouges, sur lesquelles on met les calendriers qui doivent être présentés aux princes du sang. Ils
sont reliés de satin rouge, & dans des sacs tissus de soie & d’argent.
Suivent immédiatement après plusieurs tables couvertes de tapis rouges, sur lesquelles sont placés les calendriers des Grands, des généraux
d’armée, & des autres officiers de la couronne, tous scellés du sceau du tribunal astronomique, & couverts de drap jaune. Chaque table porte le nom du mandarin, ou du tribunal, à qui les
calendriers appartiennent.
Les porteurs qui se déchargent de leurs fardeaux à la dernière porte de la grande salle, & qui les arrangent avec les tables des deux côtés du passage, qu’ils appellent impérial, ne laissent
au milieu que la machine qui porte les calendriers impériaux.
Enfin les mandarins de l’académie astronomique prennent les calendriers de l’empereur & des reines, & les portent sur deux tables couvertes de brocard jaune, qui sont à l’entrée de la
salle impériale. Là ils se mettent à genoux, & après s’être prosternés trois fois jusqu'à terre, ils livrent les calendriers aux intendants du palais. Ceux-ci marchant chacun à leur rang,
vont les présenter à l’empereur, puis les eunuques les portent à l’impératrice & aux reines.
Cependant les mandarins astronomiques retournent à la grande salle, où sont les mandarins de tous les ordres, auxquels ils distribuent les autres calendriers de cette manière.
Premièrement, tous les princes envoient chacun leur premier officier au passage impérial, où ils reçoivent à genoux le calendrier de leurs maîtres, & ceux des mandarins qui sont à leur suite
: ce qui monte du moins à douze ou treize cents calendriers pour la cour de chaque prince.
Paraissent ensuite les autres seigneurs, les généraux d’armée, les mandarins de tous les tribunaux, lesquels reçoivent à genoux le calendrier de la main des mandarins astronomiques.
Quand la distribution en est faite, chacun d’eux va reprendre son rang dans la salle, & se tournant du côté le plus intérieur du palais, au premier signal qui se donne, ils se jettent tous à
genoux, & se courbent trois fois jusqu’à terre. Après trois génuflexions & neuf profondes inclinations de tête, en reconnaissance de la grâce qu’ils viennent de recevoir de l’empereur,
ils s’en retournent dans leur hôtel.
A l’exemple de la cour, les gouverneurs & les mandarins des provinces reçoivent le calendrier de la même manière dans la capitale, chacun selon son rang. Pour ce qui est du peuple, il n’y a
point de maison si pauvre, qui n’achète chaque année le calendrier ; & c’est pour cela qu’on en fait imprimer dans chaque province vingt-cinq à trente mille par an.
Au reste, c’est un ouvrage si respecté des Chinois & de leurs voisins, & si important dans l’État, que pour se déclarer sujet & tributaire du prince, il suffit de recevoir son
calendrier ; & que de le refuser, c’est lever l’étendard de la révolte.
Une marque sensible de la vénération qu’ont ces peuples pour leur calendrier & pour leur astronomie, c’est que Yang quang sien, le plus grand ennemi du nom chrétien, dans un livre plein de
calomnies qu’il publia pour décrier la religion & l’astronomie européenne, répète à chaque page, qu’il est indigne de la majesté de l’empire, d’assujettir leur calendrier à la réforme de
quelques astronomes européens : car c’est, disait-il, comme si un vaste & florissant État s’abaissait jusqu'à recevoir la loi d’une petite nation étrangère.
Pour connaître les maladies, & juger si elles sont mortelles ou non, on ne peut rien faire de mieux que d’examiner le pouls.
Dans les maladies du cœur, c’est le pouls du carpe de la main gauche qu’il faut consulter.
Dans les maladies du foie, c’est aussi la main gauche qu’il faut prendre ; mais il faut examiner le pouls précisément à la jointure du carpe, avec l’os qu’on nomme cubitus.
Dans les maladies de l’estomac, examinez le pouls du carpe de la main droite ; & dans les maladies du poumon, examinez à la même main le pouls de la jointure.
Dans les maladies des reins, il faut examiner le pouls immédiatement plus haut que la jointure, à l’extrémité du cubitus ; à la main droite, pour le rein droit ; à la main gauche, pour le rein
gauche.
Rien n’est plus aisé que cette distinction des différents endroits où il faut tâter le pouls dans les maladies de ces cinq différentes parties nobles. Mais p.385 l’examen du pouls ne laisse pas
d’être par bien des endroits fort difficile. Le mouvement continuel de circulation, où sont jour & nuit le capitaine & son escorte, est à la vérité déterminé à un certain nombre de tours
; mais il ne laisse pas d’y avoir dans le pouls mille différences, suivant la différence du sexe, de l’âge, de la stature, & des saisons.
Chaque saison de l’année a son pouls propre.
Dans la première & seconde lune, temps du règne du bois, le pouls du foie, qui répond au bois, est hien, c’est-à-dire, à un mouvement de trémulations longues, tel à peu près qu’est celui des
cordes de l’instrument nommé tçeng.
Dans la quatrième & cinquième lune, le pouls du cœur, qui répond au feu, est comme regorgeant, hong.
Quant à l’estomac, qui répond à la terre, son pouls à la fin de chaque saison (à la troisième, sixième, neuvième & douzième lune), doit avoir une lenteur modérée ouan.
A la septième & huitième lune, qui est le règne du métal, le pouls du poumon, qui y répond, est délié, sié ; superficiel, feou ; court, toan ; & aigre, sæ.
A la dixième & onzième lune, c’est le règne de l’eau. Le pouls des reins, qui y répond, est profond, tchin, & délié, sié.
Voilà la situation ordinaire du pouls par rapport aux différentes saisons dans un sujet sain. Si le pouls que nous venons d’assigner à chacune de ces cinq parties nobles par rapport aux
différentes saisons de l’année, se trouve changé en son contraire, la vie est dès lors en danger.
Dans le printemps avoir le pouls du poumon, cela est mortel. Pour le pouls du cœur, passe ; car le cœur est le fils du foie, qui a les reins pour mère, & l’estomac pour épouse.
Au printemps avoir le pouls de l’estomac, en hiver le pouls du cœur, en été celui du poumon, en automne celui du foie ; tout cela est fort mauvais.
Voilà ce qui regarde les différents pouls propres des différentes saisons, eu égard à l’ordre de génération ou d’opposition des cinq éléments.
Il faut bien prendre garde à ne pas confondre différentes espèces de pouls, qui ont entre eux quelque ressemblance. Par exemple, le pouls que nous appelons hien, & celui que nous nommons kin
; le pouls sæ, & le pouls ouei ; le pouls feou, & le pouls kong ; le pouls hong, & le pouls ché, ont entre eux quelque rapport. Cependant leurs indications sont très différentes,
& souvent contraires. Le pouls nommé tchin, & le pouls nommé fou, vont au même but par divers chemins. Pour ce qui est des deux pouls siu & yo, ils ont assez de rapport, même en leurs
indications.
Il faut donc s’appliquer à bien connaître les propriétés des pouls, savoir en tirer à propos des conclusions ; après quoi, moyennant une suffisante connaissance des drogues, on peut se mêler de
médecine.
Le pouls du carpe est-il kié prompt ? A coup sûr il y a mal de tête ; s’il est hien trémuleux long, c’est cardialgie ; s’il est kin trémuleux court, c’est colique ; s’il est ouan lent
modérément, la peau est comme endormie ; s’il est ouei petit, la poitrine a souffert du froid ; s’il est sou, très précipité, il y a du feu à l’orifice de l’estomac ; s’il est hoa, glissant, le
sang abonde, s’il est sæ aigre, les esprits manquent. Quand il est hong regorgeant, la poitrine & les côtés sont comme trop pleins, & le malade y sent oppression. Enfin, quand le pouls du
carpe est tchin profond, enfoncé, on sent de la douleur au dos.
. . . . . . . .
Quand on tâte le pouls d’une femme à l’extrémité du cubitus, & qu’on l’y trouve continument hoa, glissant, on peut assurer qu’elle est grosse.
Si c’est à cet endroit de la main droite que vous tâtez le pouls, & que vous l’y trouviez en même temps hong, regorgeant, elle est grosse d’une fille.
Si c’est à main gauche que cela se trouve, elle est grosse d’un garçon.
Si le pouls se trouve en même temps tel aux deux bras, la femme est grosse de deux enfants. Qui sait user de cette méthode, ne s’y trompe point.
Pour connaître si un malade relèvera de sa maladie, il faut examiner avec grand soin le mouvement & les morules du pouls.
Si dans son mouvement il est dur & coupant, & en même temps fort vite, comme si ces battements étaient autant de coups d’une flèche ou d’une pierre réitérés avec promptitude ; s’il est au
contraire tout à fait lâche, à peu près comme une corde qui se file ; s’il est picotant comme le bec d’un oiseau, & que tout à coup ce mouvement s'interrompe ; s’il est rare & semblable à
ces gouttes d’eau, qui tombent quelquefois par quelque fente : de sorte qu’il semble pendant du temps n’être plus, puis il recommence ; s’il est embarrassé, à peu près comme une grenouille en
certaines herbes : de sorte qu’il semble p.390 ne pouvoir ni avancer ni reculer : s’il est frétillant, comme un poisson qui se plonge à chaque moment, puis remonte quelquefois assez lentement
pour qu’on le croie tenir par la queue, & cependant il s’échappe. Hélas ! le meilleur de tous ces pouls ne vaut rien : le médecin eût-il la pierre philosophale, tel malade ne relèvera pas de
sa maladie ; il faut se résoudre à mourir.
Mais il y a certaines maladies où le malade, sans avoir les pouls que nous venons de marquer, a l’entendement troublé, perd la parole, ou n’a plus qu’un filet de voix. Quelquefois même on ne peut
plus découvrir aucun mouvement du pouls au carpe ni à la jointure. Si cependant à l’extrémité du cubitus le pouls est encore sensible ; si ses battements & ses morules ont à peu près la même
étendue, & que ce mouvement soit continu pendant du temps sans changement irrégulier, quoique le malade paraisse aux abois, il n’en mourra pas ; du moins un bon médecin peut le sauver. C’est
le sens d’un ancien texte qui dit : L’arbre est sans feuilles ; mais sa racine vit encore.
Les vertus, les propriétés, & les effets de la racine de gin seng.
Il fortifie les parties nobles : il entretient l'embonpoint ; il fixe les esprits animaux ; il arrête les palpitations, causées par des frayeurs subites. Il chasse les vapeurs malignes ; il
éclaircit la vue ; il ouvre & dilate le cœur ; il fortifie le jugement. Quand on le prend de suite durant longtemps, il rend le corps léger & dispos, & prolonge la vie. Ceci est de
l’auteur même, c’est-à-dire, de Chi tchin.
Il échauffe l’estomac & les intestins refroidis ; il guérit les douleurs & les enflures de ventre ; il remédie aux maux de cœur, aux obstructions de la poitrine, & au dévoiement qui
opère, soit par les selles, soit par les vomissements. Il rétablit l’orifice supérieur de l’estomac ; il empêche l’hydropisie ; il lève les obstructions des vaisseaux ; il résout les callosités
qui se forment au-dedans des intestins : il pénètre dans le sang & dans les veines, & il étanche la soif. Ceci est tiré de divers auteurs.
Il est excellent pour guérir toutes sortes de maladies qui affaiblissent & exténuent le corps, de même que les épuisements, causés par des travaux excessifs de corps ou d’esprit. Il arrête
les vomissements & les maux de cœur. Il fortifie les parties nobles, & généralement tous les viscères. Il dissout les phlegmes de l’estomac : il guérit la faiblesse des poumons. Il est
bon contre les fièvres malignes des saisons froides, quand elles sont accompagnées de vomissements ; contre les défaillances, contre le sommeil interrompu & troublé par des songes & des
fantômes. Il faut continuer longtemps les prises. Ceci est tiré de l’auteur Tchin kiuen.
Il aide à la digestion ; il ouvre l’appétit ; il tempère l’orifice supérieur du ventricule ; il rétablit les esprits vitaux & animaux. C’est un contre-poison contre le venin tiré des pierres
& des métaux. Ceci est de Ta ming.
Il fortifie les poumons débilités ; il remédie à la respiration faible & précipitée, à l’asthme & à la courte haleine. Il dissipe les chaleurs de cœur, de poumons, de rate, &
d’estomac. Il apaise la soif, & produit de la lymphe dans le sang. En un mot, il est bon contre toutes sortes de maladies de l’un & de l’autre sexe, quand elles proviennent de défaut
d’esprits & de faiblesse. Il guérit les fièvres accompagnées de sueurs. Il est bon contre les vertiges & les éblouissements, contre les douleurs de tête, contre le dérangement d’estomac
& les vomissements, contre les fièvres intermittentes, contre la diarrhée & les ténesmes invétérés, contre les épuisements de force & lassitude, contre les vents & chaleurs
d’entrailles, contre les crachements & les vomissements de sang, contre le flux de sang, & contre toutes sortes de maladies de femmes, tant avant qu’après la grossesse.
Du Thé. Ses qualités. Ses effets.
Cette feuille a un goût amer & doux : elle a un léger degré de froideur, & n’a aucune qualité maligne.
Tsang ki dit : Il faut boire le thé chaud : quand on le boit froid, il produit des phlegmes.
Hou ho dit : Si on boit le thé avec le fi (nom d’arbre semblable au cyprès), il appesantit le corps.
Li ling fi dit : Quand après avoir bu du vin, on est altéré, & que pour étancher la soif on boit du thé, l’eau prend son cours vers les reins, & on sent une froideur & une douleur aux
reins, aux pieds, & à la vessie. Cela peut causer souvent quelque hydropisie, ou toute sorte de paralysie.
Quoi qu’il en soit, quand on veut boire du thé, il faut le boire chaud, en petite quantité : surtout il faut se donner de garde d’en boire à jeun, & quand on a l’estomac vide.
Che tchin dit : Quand on fait prendre à quelqu’un le Ouei lïng sien, le tou fou ling (nom de plantes), il ne faut pas lui faire boire du thé.
La feuille de thé est bonne pour les tumeurs ou apostumes qui viennent à la tête, pour les maladies de la vessie. Elle dissipe la chaleur causée par les phlegmes ou les inflammations de poitrine.
Elle apaise la soif. Elle diminue l’envie de dormir. Elle dilate & réjouit le cœur. Ceci est tiré des livres de Chin nong.
Elle ouvre les obstructions. Elle aide à la digestion. Elle est fort bonne quand on y ajoute de la graine de tchu yu, de l’oignon, & du gingembre. Ceci est tiré de Sou cong.
Elle est bonne contre les échauffaisons & chaleurs d’entrailles. Elle est amie des intestins, si l’on en croit Tsang ki.
Elle purifie le cerveau ; elle éclaircit les yeux. Elle est bonne contre les vents qu’on a dans le corps. Elle guérit la léthargie, &c. C’est Hao cou qui le dit.
Elle guérit les fièvres chaudes : en la faisant bouillir dans du vinaigre, & la donnant à boire au malade, elle guérit le cours de ventre, le ténesme, & on en voit de grands effets. Ces
recettes sont tirées de Tchin tching.
En faisant rôtir cette feuille, puis bouillir, on la donne à boire, & elle guérit la galle, qui vient d’une chaleur maligne, & le ténesme, tant celui où les excréments sont teints de
sang, que celui où ils sont mêlés de matière blanche. En la faisant bouillir avec du blanc d’oignon, avec de la racine de con cong, & en prenant l’eau par la bouche, elle guérit les douleurs
de tête. Ou loui a donné ces recettes.
Faisant bouillir cette feuille en quantité, elle fait sortir les vents qui sont dans le corps, & cracher les phlegmes qui sont attachés en dedans. Cette recette est de Che tchin.
De la chair d’éléphant. Ses qualités & ses effets.
La chair de l’éléphant est douce, fade, & tempérée, sans aucune qualité nuisible. Quand on l’a brûlée, & qu’on a mêlé les cendres avec de l’huile, on en frotte la tête aux teigneux, &
on les guérit.
Si on la fait cuire sans assaisonnement lorsqu’elle est fraîche, & qu’on en prenne le bouillon, elle guérit la dysurie. Lorsqu’après l’avoir brûlée, & réduite en cendres, on la prend dans
quelque liqueur, elle arrête le flux d’urine : elle contracte alors les qualités du feu, & de diaphorétique elle devient astringente.
Du chameau. De la chair... Elle chasse les vents, elle rend la liberté de la respiration, elle fortifie les nerfs, elle donne du suc aux chairs, elle guérit les froncles &
les apostumes.
Du lait... Il rétablit la poitrine, il ranime & augmente les esprits, il fortifie les os & les nerfs.
Du poil... Le poil de dessous le menton guérit les hémorrhoïdes internes. Il faut le faire brûler, & en prendre la cendre dans du vin. La prise est d’une cuillerée ou environ.
De la fiente... Il faut la faire sécher & la réduire en poudre, en la soufflant dans le nez, elle arrête l’hémorrhagie. Quand on la brûle, la fumée qui s’exhale, fait mourir les cousins,
& toutes sortes de vermines.
Du haï ma, cheval de mer. Ses qualités & ses effets.
Le haï ma a une saveur douce : il a une qualité légèrement chaude, sans venin. Voici ses effets. Lorsqu’une femme a de la peine à accoucher, en portant cet insecte sur elle, elle en ressent de
très bons effets. Quand l’heure de l’enfantement approche, il faut le faire brûler, le réduire en poudre, en donner à boire à la malade, & lui en mettre un entier dans la main, aussitôt elle
se trouvera soulagée. Tsang ki l’assure ainsi. Sou long parle à peu près de même. Il échauffe bénignement les parties nobles. Il est propre à guérir de pestes & autres tumeurs envenimées.
Surtout il est bon pour la maladie appelée hiao quai. C’est une maladie lunaire, qui prend le premier & le quinzième de chaque lune : de manière que le malade ne peut ni boire ni manger,
& est incommodé ces deux jours-là d’une espèce de râle continuel. Il y a des gens qui ont eu cette maladie depuis leur enfance, jusqu’à un grande vieillesse.
Poudre de haï ma, contre le venin : Cette poudre est excellente pour guérir les clous & les tumeurs ou ulcères qui viennent sur le dos. Prenez un couple de haï ma ; faites-les sécher au feu
jusqu’à ce qu’ils deviennent jaunes : plus du tchouen chan kia (espèce de hérisson écaillé), de la terre jaune rôtie au feu ; plus du tchu cha (minéral), du vif argent, un mas de chaque sorte ;
plus trois mas de hiong hoang ; un peu de cervelle de dragon, avec un peu de musc ; broyez bien tout cela en poudre, jusqu’à ce qu’on ne distingue plus aucune petite boule de vif argent.
Appliquez-en tant soit peu sur chaque clou ou ulcère, une fois par jour, & le venin sortira infailliblement.