Léopold de Saussure (1866-1925)

LES ORIGINES DE L'ASTRONOMIE CHINOISE

T'oung Pao. Brill (Leiden)
Une série de dix articles publiés de 1909 à 1922. 501 pages.

  • Tandis que chez les Grecs, l'astronome est un philosophe, un ami de la vérité, une individualité scientifique sans mandat officiel,... en Chine au contraire l'astronomie est intimement liée au souverain pontificat du Fils du Ciel. Elle est une fonction de l'État ; elle est l'expression de l'ordre social et religieux.
  • La religion physico-astronomique dont la terminologie est basée sur la notation sidérale et sur les divisions célestes de la période créatrice des 27e et 24e siècles, a traversé toute l'histoire chinoise. Grâce à l'homogénéité et à la continuité de la civilisation de ce grand peuple, nous pouvons reconstituer, dans ses moindres détails et dans ses réformes progressives, cette science antique dont l'intérêt dépasse le cadre de l'histoire proprement chinoise puisqu'elle constitue les plus anciens titres de l'histoire intellectuelle du genre humain.
    Par suite de la pauvreté des annales primitives, les documents astronomiques sont la source la plus importante des informations que nous possédons sur l'origine de cette civilisation dont les croyances furent, avant tout, cosmologiques. La reconstitution de l'astronomie antique ne fournit pas seulement des indices chronologiques : elle nous révèle tout un système philosophique, religieux, social, qui suppose un état intellectuel remarquablement développé.


Table des matières
Extraits : Les occupations sont des rites gouvernés par le firmament
Origine de la théorie des cinq éléments - Le Palais central et le Royaume du milieu
Les quatre animaux symboliques - La religion physico-astronomique de la haute antiquité
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La sphère céleste chinoise
La sphère céleste chinoise


Table des matières

A. L'origine des sieou : Méconnaissance de leur symétrie — Symétrie diamétrale des Palais — Sin et Tsan — Le zodiaque lunaire asiatique — Les fêtes préhistoriques — Le principe du zodiaque lunaire — Origine chinoise des mois sidéro-lunaires hindous — L'interversion de Tse et de Tsan — Insuffisance de la théorie de Biot.
B. Les cinq palais célestes : Origine de la théorie des cinq éléments — Le Palais central et le Royaume du milieu — Les quatre animaux symboliques — ILa doctrine des cinq Empereurs — La religion physico-astronomique de la haute antiquité — Les mois turcs — Renseignements fournis par la numérotation turque.
C. La série quinaire et ses dérivés : La série dénaire — Évidences historiques de l'antiquité de la série dénaire — Origine astronomique de la série dénaire — Étymologie des signes de la série dénaire — Forme astrologique de la série dénaire — La série de neuf termes — La série de huit termes — Les deux séries de six termes — La Série de six termes dans le Tcheou li — Les six dieux cosmiques — La série de cinq termes.
D. La série des douze "tche" : Origine astronomique du cycle duodénaire — Les cours fictifs de l'année sidéro-solaire — Applications azimutale et horaire de la série duodénaire — Forme astrologique de la série duodénaire — Combinaison des séries dénaire et duodénaire — La réforme de Tchouan-hiu.
E. Le cycle des douze animaux : Ses trois formes successives — Les six animaux domestiques — Le coq et le lièvre — ILe rat — Les termes zoaires uranographiques — Le serpent — Le singe — Le symbolisme zoaire dans le Li Ki — Le symbolisme zoaire dans le Yi-king — L'opinion de M. Chavannes — XLe cycle zoaire et les anciens mois turcs. Conclusion.
F. La règle des Cho-t'i : Les textes et leur interprétation astronomique — Vérification astronomique — La règle des Cho-t'i n'avait pas de valeur pratique — IL'interprétation de Chalmers — L'interprétation de Schlegel — L'interprétation de M. Chavannes — Conclusion.
G. Le cycle de Jupiter : La planète annuaire — Les douze mansions de Jupiter — La prétendue chronologie de Jupiter — Examen des textes. Vérification astronomique. L'hypothèse de Chalmers. De la connaissance des planètes dans l'antiquité.
G' (suite) : La planète Soui — Le Eul ya et les dodécatémories — L'astérisme déterminant — IÉtymologie des noms de dodécatémories — Le cycle jovien secondaire — La chronologie cyclique — Les dodécatémories égalisées — Le cycle irrégulier.
H. Les anciennes étoiles polaires. Conclusion.
I. Le zodiaque lunaire : Définition du système — La destination du système — Le principe du zodiaque lunaire — Critique des théories antérieures — Preuves documentaires de l'antiquité des sieou — Précision des observations antiques — L'ordre d'énumération — Traditions lunaires.


Les occupations sont des rites gouvernés par le firmament

Orion
Orion

L'astrologie occidentale, d'origine chaldéenne, qui s'est perpétuée jusqu'à nos jours, avait pour but et pour thème principal l'horoscope basé sur l'influence des planètes et des éléments. Lorsque l'ambassadeur d'Espagne disait du roi Henri II qu'il était saturnien, chacun, à cette époque, entendait parfaitement le sens de cette psychologie ; certaines expressions telles que lunatique, jovial, martial, etc., sont restées dans la langue. Elles proviennent d'une haute antiquité.

Par ailleurs, les efforts tentés pour expliquer l'origine des noms et figures de nos constellations sont restés vains.

Il n'en est pas de même en Chine, où la continuité du développement, chez un même peuple, a conservé les traditions primitives. Le thème principal de l'astrologie chinoise n'est pas l'horoscope ; c'est l'idée que les occupations, rurales et politiques, afférentes aux diverses saisons sont des rites gouvernés par le firmament. Ce thème, qui se manifeste déjà dans le Yao tien est ressassé par les innombrables Règlements des lunes, par les almanachs, par les traités d'astrologie et par les (uranographies).

Prenons, par exemple, le palais de l'automne où se trouve Orion. Nous y voyons défiler les symboles de la maturité des grains, de leur récolte, de la confection du vin de céréales (la cruche). On déclare alors que tout est achevé, terminé, parfait. Puis commence la vie publique. Les criminels sont exécutés : « Selon la loi naturelle, dit l'Exégèse des Souverains célestes, l'automne tue ; selon la loi terrestre, l'Ouest répond à l'élément Métal ; de par ces deux lois l'excédent des choses est retranché. Pour cette raison les armes et les peines ont toutes leurs symboles dans la région occidentale du ciel. Vient alors la grande assemblée de fin d'année, la foire, le grand Marché ; Orion et tous les petits astérismes avoisinants en marquent les symboles : on y voit les vassaux convoqués, la diversité des langues. Orion lui-même, comme beaucoup d'autres astérismes, porte différents noms et symbolise plusieurs faits. Il s'appelle le Marché céleste; et le Livre des Rites parle de ce marché d'automne pour lequel on diminuait les taxes. Il préside aux prisons et aux massacres, il correspond à l'élément métal et à l'Occident. Tous ces attributs suffisent déjà à établir que cette constellation indique une époque de l'année opposée à celle du renouvellement du feu ; mais ils le cèdent en importance à la figure symbolique qu'elle est censée représenter : le Guerrier.

Rien dans la disposition des étoiles d'Orion, n'évoque assurément l'image d'un guerrier. Aussi est-il extrêmement remarquable que les Grecs comme les Chinois y aient vu un guerrier dont la position est identique dans les deux sphères. La seule différence est celle-ci : l'Orion grec est armé du glaive ; le Tsan chinois porte une hache, instrument de guerre beaucoup plus primitif ; dans l'un et l'autre cas, l'arme est représentée par les mêmes étoiles.

Il faut noter en outre un fait important qui n'a jamais été signalé. Ideler observe, avec raison, que les Chinois attribuent aux constellations, un symbolisme arbitraire sans chercher aucunement dans la disposition des étoiles la figuration des diverses parties de l'objet indiqué. Par exemple les astérismes dont nous venons de montrer le sens (le Ban des rois, les Dialectes des régions, la Cruche) ne répondent à aucun symbolisme graphique. Ou peut ajouter, en outre, que les groupes chinois sont, en général, de petits astérismes et non de grandes constellations.

Or ces deux règles ne souffrent que trois exceptions : le Scorpion, Orion et la Grande Ourse (en Chine : le Dragon, le Guerrier, et le Boisseau ou Chariot). Ces trois constellations sont précisément celles qui attirent l'attention des peuples les plus primitifs et qui sont observées par les sauvages actuels.

Ces rapprochements tendent à montrer que dans les divers attributs d'Orion, le symbolisme du Guerrier est le plus ancien, et provient, comme le rite du renouvellement du feu, des temps préhistoriques. Ce symbolisme s'accorde d'ailleurs avec les autres attributs, tous relatifs au milieu ou à la fin de l'automne. C'est, en effet, après avoir terminé les récoltes que les peuples sédentaires peuvent s'occuper des affaires militaires, tout naturellement traitées au moment où les échanges commerciaux nécessitent une assemblée générale. C'est également l'époque où les nomades tentent de venir piller les greniers bien garnis.

Origine de la théorie des cinq éléments

Ordre et direction des éléments ou de leurs symboles
Ordre et direction des éléments ou de leurs symboles

Le spectacle du perpétuel changement des saisons semble avoir plongé les Chinois, dès les âges lointains, dans une stupéfaction dont ils ne sont pas encore complètement revenus.

Cet étonnement se justifie, au fond, très bien si l'on se place dans la situation de primitifs dont l'esprit s'ouvre à la pensée philosophique.

Ils ont expliqué ce fait par la prédominance alternative des deux principes, yin et yang, et par la révolution continue de cinq éléments.

Les deux principes sont localisés dans le ciel, quoique leur effet se manifeste aussi sur la terre ; les cinq éléments sont surtout terrestres quoiqu'ils aient leurs régions homologues au ciel.

L'hiver provient de ce que le soleil pénètre dans la sombre région (équatoriale) où le yin — principe négatif de la mort, du froid et de l'humidité — prédomine sur le yang. Les constellations de cette région longitudinale correspondent ainsi au Nord, corrélatif azimutal du froid, de l'humidité et des ténèbres.

Cette théorie ne tient aucun compte, on le voit, du mouvement latitudinal du soleil, et contient en germe le caractère essentiellement équatorial de l'astronomie chinoise. La région septentrionale, où le soleil subit l'influence maxima du principe négatif est une région longitudinale du Contour du ciel.

L'apogée de l'action du principe des ténèbres yin est marqué par la longueur maxima de la nuit. Mais dès le solstice, ce principe, tout en restant encore très supérieur au yang, perd du terrain ; à l'équinoxe, il y a égalité ; puis le yang l'emporte à son tour pour décliner après le solstice d'été.

La combinaison sans cesse variable de ces deux principes physiques met en jeu, dans le monde terrestre, l'action des cinq éléments chimiques dont l'un, la terre, est central et les autres cardinaux.

Le bois triomphe de la terre en l'absorbant.
Le métal triomphe du bois en le coupant.
Le feu triomphe du métal en le fondant.
L'eau triomphe du feu en l'éteignant.
La terre triomphe de l'eau en l'absorbant.

Ce cycle est logique et ne pourrait être établi d'une manière quelconque. D'autre part, l'association du bois au printemps, saison de la pousse des arbres, est toute indiquée ; celle de l'été au feu et de l'hiver à l'eau ne l'est pas moins, puisqu'elle exprime la prédominance du yang et du yin. Quant à l'automne, c'est la saison meurtrière qui détruit l'œuvre du printemps comme le fer coupe le bois et châtie les rebelles.

Le Palais central et le Royaume du milieu

Nous avons vu que pour les Chinois, la région Nord du ciel n'implique aucunement l'idée latitudinale ; cette région Nord est simplement un quartier longitudinal, en ascension droite, précisément celui où le soleil est bien au Sud de l'équateur.

Ne craignons pas d'insister sur cette idée fondamentale. Le Contour du ciel (l'équateur) comporte des points cardinaux : nord, est, sud, ouest, qui sont les lieux solsticiaux et équinoxiaux correspondant respectivement à l'hiver, au printemps par opposition, à l'été, et à l'automne par opposition, ce qui justifie l'habitude qu'ont les astronomes d'énumérer les saisons dans l'ordre sidéral.

Le pourtour de l'équateur étant ainsi assimilé aux quatre points cardinaux de l'horizon, il s'en suit tout naturellement que la zone polaire n'est pas la région nord mais la région centrale.

Ainsi s'établit, d'une manière logique, le parallélisme des cinq éléments conçus dans le ciel et sur la terre.

PALAIS CENTRAL : Palais oriental, méridional, automnal, hivernal.
TERRE : Bois, feu, métal, eau.
DOMAINE IMPÉRIAL : Orient, sud, occident, nord.

Tandis que les palais équatoriaux liés aux quatre saisons, plongent alternativement sous l'horizon, il est une partie du ciel qui reste toujours visible: c'est la calotte circompolaire. A la latitude de la Chine primitive (37°) elle comporte un rayon de 37°, soit une trentaine de degrés si l'on néglige la partie embrumée de l'horizon où les étoiles ne sont pas visibles. Cette calotte est appelée le palais central (et non pas le palais septentrional quoiqu'il contienne les septemtriones. Il y a ainsi un parallélisme complet entre le Ciel et le Dessous du Ciel c'est-à-dire l'Empire. Au palais central céleste, correspond la terre centrale ; aux quatre palais cardinaux célestes, correspondent les quatre régions cardinales terrestres plus ou moins barbares, où la civilisation s'en va déclinant en raison de son éloignement du foyer central.

Mais la symétrie va plus loin. Le palais central du ciel a lui-même un centre: l'étoile polaire, l'As du ciel, alias l'Unité suprême, alias Chang ti, l'Empereur d'en haut. Et le Dessous du ciel a, lui aussi, un centre : c'est l'Empereur, le Fils du Ciel, l'Homme Unique. Son palais est le centre de l'univers terrestre ; il y donne audience tourné face au Sud comme l'étoile polaire.

Les quatre animaux symboliques

Chacun des palais cardinaux est symbolisé par un animal et par une couleur.
Au printemps correspond le Dragon vert.
A l'été, l'Oiseau rouge.
A l'automne, le Tigre blanc.
A l'hiver, la Tortue (et le noir).

Le vert est tout indiqué pour correspondre à la saison verdoyante du printemps et le rouge à la saison du feu. Le noir (que les primitifs ne distinguent pas du bleu ) est attribué naturellement à l'hiver. Quant au blanc, c'est la couleur métallique, donc automnale.
Le Dragon, emblème du souverain est associé au printemps ; probablement, comme le dit Schlegel, parce que cet animal fabuleux fut à l'origine un saurien, ayant réellement existé en Chine, et qui sortait au printemps de l'engourdissement hibernal.

L'Oiseau dont le nom est resté à l'étoile centrale du palais de l'été, n'est autre que la caille...

« Les anciens — dit un recueil cité par Schlegel — ne prenaient pas toujours de grands objets pour symboles, et l'Oiseau rouge des astronomes n'est que l'image de la caille. Pour cette raison les sept astérismes du sud s'appellent Tête de la caille, Feu (=cœur) de la caille, Queue de la caille. Il y a deux espèces de caille : la rouge et la blanche. Celle en question est la caille rouge. Sa couleur est rouge jaunâtre ; elle est hérissée en haut et chauve en bas. Elle apparaît avec l'été et disparaît à l'automne. En volant elle se tient près des plantes ; tout ceci est semblable à la nature du feu.

On comprend aisément la légende superstitieuse à laquelle se prête cet oiseau migrateur et qui lui a fait symboliser l'été. Au commencement de l'été on constate un beau jour la présence des cailles, qui précédemment n'existaient pas dans le pays. D'où viennent-elles ? Personne ne les a vu arriver, car elles voyagent de nuit. A la fin de l'été elles partent, de nuit, sans tambours ni trompettes ; que sont-elles devenues ? On crut alors qu'elles naissaient du feu de l'été et qu'en automne elles se métamorphosaient en lapins.

Dans les siècles postérieurs l'oiseau symbolique de l'été est devenu un animal fabuleux, le Phénix.

Le Tigre symbole de l'automne n'est autre qu'Orion, qui porte le nom de tigre concurremment à ceux de Guerrier et de Marché céleste. L'association du tigre à l'automne peut s'expliquer de diverses manières. La légende rapporte que Hwang-ti dressait des tigres pour la guerre et le nom de tigre est resté associé à celui de guerrier ; Du Halde, cité par Schlegel dit que le tigre de Chine est de couleur blanchâtre ; selon le Chouo-wen c'est un animal de la région ouest ; enfin, il descend, paraît-il, des montagnes en automne pour rôder près des habitations.

La Tortue, dont le dos est rond comme le ciel et le ventre plat comme la terre ; qui porte sur sa carapace les signes cabalistiques dont Fo-hi sut comprendre le sens ; l'animal froid dont le principe vital se manifeste à peine et qui recherche l'humidité ; tel est le symbole de l'hiver.

Les douze emblèmes ou symboles antiques. "Je désire voir les emblèmes des hommes de l'antiquité : le soleil, la lune, la constellation, la montagne, les dragons, le faisan bigarré qui étaient représentés ; les coupes ancestrales, la plante aquatique, le feu, le riz en grains, la hache et le double méandre qui étaient brodés." (Chouen).

La religion physico-astronomique de la haute antiquité

Ordre discontinu des saisons sidérales chinoises
Ordre discontinu des saisons sidérales chinoises

L'esprit scientifique est un fils du génie grec. Les Grecs seuls ont eu le désir de pénétrer les lois de la nature pour satisfaire le besoin de connaître, la curiosité désintéressée. Partout ailleurs les mobiles du progrès scientifique, ont été d'ordre utilitaire et religieux. L'utilité de la connaissance des mouvements célestes est la mesure du temps, la calendérique. Par ailleurs, l'orientation méridienne des anciens palais ou tombeaux chinois et égyptiens ne présente aucune utilité, en dehors du sentiment religieux.

Aussi pour comprendre l'éclosion précoce de l'astronomie en Chine ou en Chaldée, il faut s'abstraire de nos idées modernes qui nous représentent cette science comme une branche très spéciale des mathématiques. Si l'on se place dans la situation des primitifs parvenus, comme les Chinois du 28e siècle, à un degré remarquable de développement intellectuel, on conçoit aisément l'impression profonde, sacra horror, que dut produire sur eux le spectacle énigmatique des constellations et la régularité de leur succession progressive au cours des saisons.

C'est le Ciel, c'est le firmament, et non pas le soleil, qui produit les saisons et les changements de la végétation ; cette influence physique est étendue tout naturellement au domaine moral. Aussi le souverain terrestre, Fils du Ciel, peut-il jeter le trouble dans les mouvements célestes s'il s'écarte de ses devoirs. Par suite de la même idée, le souverain terrestre, vicaire du Ciel, préside indifféremment aux lois physiques et aux lois morales sur la terre.

Il faut bien comprendre ce point pour apprécier l'importance religieuse de la confection du calendrier, privilège du Fils du Ciel.

La domaine impérial étant sur la terre le corrélatif du palais central (polaire) dans le ciel, les quatre régions de l'Empire correspondant aux quatre palais équatoriaux, la division duodénaire s'appliquant également à l'équateur céleste et à l'horizon terrestre, les choses du Ciel et de la Terre sont indissolublement solidaires entre elles. Aussi la promulgation du calendrier n'est-elle pas envisagée au seul point de vue utilitaire de la computation des époques, mais surtout au point de vue religieux de l'accord du Ciel et de la Terre. Le premier devoir du Souverain est de faire connaître au peuple les conditions de cet accord, c'est-à-dire d'indiquer la limite des saisons et la situation de l'année terrestre (civile) par rapport à l'année céleste (astronomique). S'il manque à ce devoir, s'il néglige le calendrier, il n'en résulte pas seulement des inconvénients pour son peuple ; il commet à l'égard du Ciel, dont il est le vicaire, une irrévérence qui met en danger son droit divin, son Mandat céleste et qui diminue d'autant sa vertu c'est-à-dire la puissance virtuelle de sa dynastie.

Mais l'empereur, quoique Fils du Ciel, n'est qu'un homme comme un autre ; il n'est nullement considéré comme omniscient. Pour bien gouverner il doit avant tout bien choisir ses ministres. Si ses ministres le conseillent mal, il est responsable de leurs erreurs devant le Ciel, mais eux en sont responsables devant lui.

La confection du calendrier étant le premier devoir du souverain vis-à-vis du Ciel et du peuple, si des erreurs s'y introduisent par la négligence des ministres ou des astronomes, l'empereur en est responsable devant le Ciel, mais ces ministres ou astronomes en sont responsables devant lui ; car ils ont commis une faute dont les conséquences dynastiques sont très graves.

Aussi, dès la haute antiquité comme sous la dynastie tartare actuelle, voyons-nous que le prétexte politique le plus efficace dont un empereur puisse user pour briser un ministre trop puissant est de l'accuser d'avoir négligé le calendrier ; car il est sûr de trouver dans l'opinion publique un appui moral basé sur le sentiment religieux de l'importance de la faute commise.

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