Pierre Henri Stanislas d'Escayrac de Lauture (1822-1868)
MEMOIRES SUR LA CHINE
Librairie du Magasin Pittoresque, Paris, 1865.104+132+130+82+96 pages. Nombreuses illustrations.
- Son style est nourri de faits et de pensées. On pourra trouver parfois les vues de M. d’Escayrac singulières ou hardies, ses assertions bien tranchantes, son scepticisme outré ; mais ces défauts, si on les prend comme tels, ne sont pas d’un esprit commun, et il y a toujours à gagner avec qui nous fait penser, même quand il y a divergence entre ses idées et les nôtres. (Vivien de Saint-Martin, 1865)
- [D'Escayrac et de Courcy] sont représentatifs, chacun à sa manière, d’une nouvelle et très frappante agressivité culturelle et politique, s’exprimant désormais sans le moindre complexe. P.-E. Will, Histoire de la Chine moderne, page 832.
Table des matières
Extraits : A moi! Trahison! - Les trois religions - Gouvernement central - La suite du
magistrat - Scènes de la vie sociale
Lire les Mémoires à l'écran : Introduction - Histoire - Religion - Gouvernement - Coutumes
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I. Introduction.
Campagne de Pékin. Souvenirs personnels. — Question chinoise.
II. HISTOIRE
Éléments historiques : Unité de l’histoire. — Développement social. — Races humaines. — Peuple chinois. — Condition géographique.
Chronologie : Premiers documents. — Preuve astronomique. — Histoire apocryphe. — Anciennes monarchies. — Ki-yuen-pyen. — Cycles et époques.
Temps anciens : Sources historiques. — Légendes. — Géographie. — Premiers débuts. — Age fabuleux. — Invention des arts. — Déluge. — Partage du sol. — Noms de famille. — Titres
royaux. — Pontificat. — Augures. — Institutions. — Coutumes. — Chants populaires. — Chute de la féodalité. — Titres nobiliaires. — État féodal. — Confucius. — Aristocratie et démocratie.
Temps moyens : Les Tsin. — Grande muraille. — Despotisme. — Ancien commerce. — Révolutions chinoises. — Les Xan. — Les trois royaumes. — Division de la Chine. — Les Tañ. — Cultes
étrangers. — Les cinq dynasties. — Les Souñ. — Invasion tartare.
Temps modernes : Marco-Polo. — Les Yuen. — Les Miñ. — Les Portugais. — Le Japon. — Les Espagnols. — Matteo Ricci. — Guerre japonaise. — Les Hollandais. — Les Tsiñ. — Les
Mantchous. — Conquête du Sud. — Les pirates. — Les chrétiens. — Émigrations. — Constitution des Tsiñ. — Chun-tchi. — Kañ-chi. — Travaux des jésuites. — Ruine des missions. — Guerre des Éleuts. —
Kyen-louñ. — Les Myao-tsö. — Tao-kwañ. — Les Anglais. — Guerre de 1840. — Chyen-foñ. — Les Taï-piñ. — Touñ-chö.
Notes : Monnaies anciennes. — Monnaies chinoises. — Types anciens. — Histoire du sol.
III. RELIGION
Mouvement religieux : Unité du culte. — Religion primitive. — Religions prophétiques. — Impuissance des dogmes. — Premières divinités. — Unité divine. — Culte symbolique. —
Fanatisme.
Religion des Chinois : Confusion religieuse. — Indifférence générale. — Monothéisme en Chine. — Noms de Dieu. — Cosmogonie. — Le ciel et la terre. — Culte impérial. — Culte de
Confucius.
Olympe chinois : Rôle des dieux. — Titres divins. — Dieux principaux. — Trinités diverses. — Premiers hommes. — Le Pa-kwa. — Astres et météores. — Dieux protecteurs. — Génies
célestes. — Dieux pénates. — Héros et sages.
Bouddhisme chinois : Date de Bouddha. — Légende de Bouddha. — Apôtres bouddhistes. — Caractère du bouddhisme. — Doctrine bouddhique. — Préceptes moraux. — Kwan-chö-yin. —
Diverses Kwan-yin. — La reine du ciel. — Les dix-huit saints.
Enfers chinois : Doctrine. — Chapelles des morts. — Les dix enfers. — Métempsycose.
Culte populaire : Exorcistes. — Bouddhistes. — Religieux. — Vie religieuse. — Temples. — Chapelles. — Usage des temples. — Tours. — Monastères. — Fêtes du Tao. — Fêtes
bouddhiques. — Cérémonies. — Divination. — Culte domestique.
Cultes étrangers.
IV. GOUVERNEMENT
Gouvernement central : Faiblesse du gouvernement. — Règles du despotisme. — Ministères. — Divisions de l’empire. — Communications. — Publications officielles.
Fonctionnaires civils : Avilissement des magistratures. — Hiérarchie. — Traitements. — Dépenses des magistrats. — Partage des emplois. — Insignes. — Qualifications. — Édifices
publics. — Étiquette. — Suite des magistrats.
Administration : Administration provinciale. — Le chyen. — La commune. — Les syndics. — Justice et police.
Finances de l’État : Sources du revenu. — Impôt foncier. — Ferme du sel. — Budget des recettes. — Budget des dépenses. — État financier.
État militaire.
V. COUTUMES
Vie sociale : Villes. — Boutiques. — Étuves. — Jardins publics. — Jeux. — Musique. — Hospices.
Théâtre : Théâtre. — Genres. — Comédiens. — Pièces.
Cérémonies : Mariage. — Cérémonies funèbres. — Superstitions.
Vie privée : Maisons. — Meubles. — Chauffage. — Costume. — Cuisine. — Repas. — Prix courants.
Instruction publique : Instruction réelle. — Nature des études. — Examens. — Nombre des lettrés. — Situation des lettrés. — Académies. — Programme d’études.
Agriculture : Supériorité de la Chine. — Lois de l’agriculture. — Outils et méthodes. — Cultures alimentaires. — Colons partiaires. — Produits textiles. — Almanach du
cultivateur.
Notes diverses : Note sur les transports. — Note sur le calcul et les mesures. — Note sur les monts de-piété.
On connaît le triste épisode dont d’Escayrac fut à la fois le héros et la victime. Avec quelques autres Européens, il précédait de quelques heures, sur la route de Péking, l’armée franco-anglaise victorieuse à Tien-sin, [lorsqu']il tomba victime d’une insigne trahison. Arrêté dans Toung-tcheou, contre le droit des gens, indignement maltraité, garrotté et enchaîné comme un malfaiteur, il fut traîné de prison en prison jusque dans un des bagnes de Péking, et ne dut la vie qu’à la crainte des justes représailles que redoutaient les mandarins chinois de la part de leurs vainqueurs. (V.-A. Malte-brun).
Le lendemain, après avoir déjeuné, sur les onze heures et demie, je sortis pour me promener
encore dans la ville. J’avais l’espoir d’y rencontrer les nôtres, qui avaient dû arriver dans la matinée ; je fus surpris de n’en voir aucun dans les rues que je traversais. Je m’éloignai de près
de deux kilomètres ; puis je voulus regagner la maison. A peine avais-je fait quelques pas dans cette direction nouvelle que j’entendis derrière moi un grand tumulte et de grands cris. Je me
retournai : la foule me suivait depuis longtemps ; mais ici il n’y avait plus à s’y méprendre, c’était un attroupement hostile. Je m’arrêtai. Je lui fis face et menaçai ceux qui poussaient contre
moi des cris de mort de la vengeance des miens. Je jetai les yeux autour de moi : une multitude furieuse sortie des maisons, des boutiques, des pagodes, m’entourait de tous côtés.
Frappant de ma canne ceux qui se jetaient sur moi, je poussais les cris de France !... France !... A moi !... Trahison ! Une clameur immense étouffait ma voix. Saisi par cent mains,
lancé à terre, foulé aux pieds, je voyais les uns courir chez les barbiers, les autres chez les bouchers pour s’y procurer des instruments de mort. Tout d’un coup je fus relevé ; la foule,
grondant toujours, s’ouvrit un peu : un mandarin à bouton de cristal la contenait ; il m’avait pris le bras. « Je veux rentrer chez moi », lui dis-je. J’y avais deux revolvers et un sabre ; j’y
avais le soldat qui me servait et ses armes, deux chevaux que l’on pouvait brider à la hâte. De chez moi à la pagode occupée par les Sikhs il n’y avait pas assez loin pour que quatre ou cinq
hommes jetés par terre ne me permissent de l’atteindre, et, une fois réuni à vingt-quatre braves cavaliers, la lutte devenait égale. Le mandarin voulait me conduire chez le magistrat de la ville
: je vis qu’il fallait en passer par là.
...Vers les deux heures, à un appel venu du dehors, les soldats qui me gardaient prirent les armes. Un mandarin précédé d’une quinzaine de soldats entra dans la cour : le mandarin me salua avec
une apparente déférence ; les soldats m’entourèrent comme mus par une innocente curiosité ; j’étais en pleine confiance, quand tout d’un coup, à un signe du mandarin, je fus à la fois saisi par
les épaules, par les bras, par les jambes, et jeté la face contre terre. On me lia alors les mains et les pieds derrière le dos, en joignant les mains aux pieds par une corde qui pouvait avoir un
pied de long. On m’arracha ma montre et mon mouchoir, que je vis passer dans les mains du mandarin qui présidait à cette brutale arrestation : deux hommes, me soutenant par les deux extrémités de
la corde qui joignait mes pieds à mes mains, me portèrent, suivis de tous les autres, dans la cour d’un ya-mön éloigné d’environ cent cinquante pas. Mes pieds étaient garantis par des bottes :
tout le poids de mon corps pesait sur mes mains, étroitement garrottées. Dans la cour du ya-mön, on me jeta sur le dos ; je promenai autour de moi mes regards : la cour était pleine de soldats
qui, comme tous ceux auxquels j’avais eu affaire jusqu’alors, appartenaient à la milice provinciale, à l’infanterie régulière ou faisaient partie de la maison militaire de quelque mandarin d’un
rang élevé. Des appels bruyants ou plutôt de grands cris s’échangeaient d’un bout de la cour à l’autre. L’ordre de me mettre à mort venait d’être donné et transmis de la sorte, quand je vis
entrer dans la cour, portés à la main, deux objets sans forme et sans nom. Je crus d’abord que c’était des criminels chinois, et que, pour ajouter à mon supplice, on allait m’exécuter avec eux.
L’un d’eux cependant me reconnut, et me demanda en français ce qu’on allait faire de nous. « On va nous tuer, lui dis-je : mais la France nous vengera. » Je poussai le cri de Vive l’Empereur !
et, d’une voix plus basse, je priai Dieu de prendre ma mort en expiation de mes fautes. Tous les soldats s’étaient précipités sur moi... Les ordres de mort qui avaient été donnés n’étaient qu’une
honteuse comédie ! Saisis de nouveau par nos cordes, on nous jeta dans des charrettes....
Nous ne concevons point de religion sans symbole de culte et sans fidèles ; et si l’on nous dit qu’il existe en Chine trois religions, nous supposons à l’instant même qu’il y existe trois
systèmes religieux parfaitement distincts, et que la population de la Chine se partage entre eux, de telle façon que tout Chinois est nécessairement disciple de Confucius, de Bouddha ou de
Lao-tsö.
Rien n’est plus contraire à la vérité qu’une telle imagination : la religion de Confucius est une philosophie vague, accompagnée d’un culte purement officiel et respectueux. Cette philosophie
n’exclut les doctrines religieuses d’aucune secte ; ce culte n’exclut aucun autre culte. La religion dite de Lao-tsö ou du Tao n’est que le naturalisme primitif et le culte des héros, qui
s’accompagne de superstitions diverses. Lao-tsö avait une doctrine ; mais elle n’était ni plus religieuse, ni plus précise que celle de Confucius, et il y a longtemps que les prêtres tao-ssö en
ont perdu la tradition.
Le bouddhisme enfin s’est, en Chine, profondément altéré; ses livres dogmatiques ou liturgiques, phonétiquement transcrits en chinois, ont cessé de présenter aucun sens : ses prêtres en ouvrent
rarement d’autres : sans foi arrêtée, sans doctrine, ils accomplissent quelques cérémonies dont ils ne cherchent point à pénétrer le sens. Le bouddhisme et la religion du Tao se sont mêlés. J’ai
cité ailleurs un pontife japonais du Sintɤ (ou Шen-tao, c’est-à-dire de la religion du Tao) qui avait rempli ses propres temples d’images bouddhiques. La même chose s’est partout produite en
Chine : Bouddha, Kwan-yin, les dix-huit disciples, ont leurs images dans des temples du Tao, comme les dieux ou les génies tao-ssö dans les temples bouddhiques. Ovide disait que Rome était
hospitalière à tous les dieux ; il en est de même de la Chine. Tibère, d’après Tertullien, proposait d’élever des autels à Jésus-Christ. Nous savons par Lampridius qu’Adrien lui en éleva ; nous
savons par Adrien lui-même que les habitants d’Alexandrie mêlaient le culte de Sérapis à celui du Christ. C’est ainsi qu’en Chine Medhurst a vu dans un temple un buste de Napoléon. Quelques
missionnaires ont dû à la sainteté de leur vie une distinction pareille, qu’ils étaient sans doute, comme saint Paul, loin de rechercher. Saint Antoine est pris par les Chinois pour le dieu du
feu. Le Lié-sven-tшuen, enfin, ouvrage qui traite des dieux et des saints, rapporte les légendes défigurées de Moïse, de Jésus-Christ, de la sainte Vierge. Il ne faut donc pas s’étonner si le
même temple renferme les idoles de deux cultes, et si le même tableau présente à la vénération publique les images de Lao-tsö, de Bouddha, de Confucius, et celles de tous les dieux et de tous les
saints qui jouissent de quelque popularité.
Le culte de Confucius est un culte officiel. Ni les tao-ssö, ni les bouddhistes, n’hésitent à se prosterner dans ses temples : les premiers chrétiens chinois s’y prosternaient eux-mêmes ; les
musulmans et les juifs continuent à le faire. La surveillance des temples plus particulièrement consacrés à Confucius est dévolue d’ordinaire à deux agents subalternes de l’administration,
qualifiés de kyañ-yu et de шun-tao ; mais la garde des temples dits des lettrés est confiée aux prêtres du Tao ou à ceux de Bouddha, suivant qu’il plaît au gouvernement local de favoriser
davantage les uns ou les autres.
Les temples tao-ssö et bouddhistes ne servent pas d’auberge seulement aux dieux, ils en servent aussi à tous les voyageurs, quel que soit leur culte. Ricci et ses compagnons y vécurent longtemps
; les missionnaires protestants les ont fréquentés de même, et ont plus d’une fois employé les prêtres des idoles à distribuer des Bibles et des tracts. La superbe impartialité religieuse de ces
prêtres passerait sans doute pour la preuve d’une tolérance éclairée parmi ceux qui n’admirent chez les prêtres que l’absence de la foi.
Il faut remarquer, enfin, que les cultes chinois n’ont rien qui rappelle ces sacrements qui nous font entrer dans l’Église à notre naissance, nous y rattachent pendant notre vie, nous y ramènent
à la mort. Aucun Chinois ne naît précisément bouddhiste ou tao-ssö : il peut arriver que, dans son enfance, il soit par crainte de quelque maladie voué à Bouddha ou à quelque dieu ; il arrive
plus ordinairement que dans ses maladies, dans ses embarras, dans ses périls, il visite certains temples et certains autels, passant des uns aux autres, suivant que les événements accroissent ou
diminuent sa confiance ; mais cela ne le constitue ni tao-ssö, ni bouddhiste. La première réponse d’un Chinois à qui l’on demande quelle est sa religion est d’ordinaire qu’il n’en a pas, n’étant
pas prêtre. C’est ainsi qu’un malade européen qui consulte les homéopathes n’est pas pour cela qualifié d’homéopathe.
On ne s’étonnera donc pas si les Chinois disent que les trois religions sont une seule religion (san kyao i kyao), ou encore qu’il y a trois religions et une seule raison ou une seule divinité
(san kyao i tao). On pourrait presque dire que dans ce bizarre mélange la doctrine appartient à Confucius, les objets du culte au Tao, et les préceptes pieux à Bouddha. Quoi qu’il en soit de
cette proposition, qu’il ne faudrait pas examiner de trop près, la Chine n’a qu’une religion, et, cependant, elle a des cultes innombrables, qui se grouperaient aussi bien en dix religions qu’en
trois s’ils ne vivaient, comme à Rome ceux de Vesta, de Jupiter, de Mars, d’Isis, en pleine paix les uns avec les autres.
Les religions révélées ont eu peu de succès ; le bouddhisme a dû se transformer pour nourrir ses prêtres. La paix religieuse existe donc en Chine ; elle n’y a presque jamais été troublée. La
neutralité religieuse de l’État est complète, le fanatisme est contenu ; les missionnaires étrangers sont suspects et ont pu être poursuivis parce qu’on voyait en eux autre chose que des apôtres,
mais le gouvernement est indifférent à tous les cultes : il en parle d’ordinaire, dans les documents officiels, sur le ton d’un profond mépris ; quelquefois même il ne dédaigne pas d’en faire
ressortir le ridicule. Loin d’être, de la part d’un gouvernement, la marque d’un esprit libéral, une pareille intervention dans ce qui est vrai ou faux n’est point son affaire, c’est le plus
odieux abus d’un pouvoir confié pour d’autres objets ; mais cette intervention reste une violence inutile, personne même ne répond : les bonzes ne sauraient que dire s’il leur était permis de se
défendre ; ce n’est point leur faire grand mal, ni peut-être grand tort, que de les traiter de coquins et de considérer comme les plus vils d’entre les hommes ceux qui en sont au moins les plus
fainéants. Il faut observer, d’ailleurs, que ni le raisonnement, ni la raillerie, n’ont jamais fait de tort à la superstition.
Dans le Jupiter tragique de Lucien, Jupiter, condamné par un philosophe qui lui reproche ses turpitudes et raille sa divinité, finit par perdre courage : « Après un affront pareil, dit–il à
Mercure, je n’oserai plus me montrer. — Bah ! dit Mercure, ne vous reste–t–il pas les femmes, les esclaves, la canaille grecque et tous les Barbares ! » C’est en vain que la critique s’attaque
aux mensonges les plus grossiers, sa voix n’est entendue que des philosophes et leur apporte seulement l’écho de leur pensée ; le vulgaire reste enchaîné, par la misère qui l’accable et par
l’ignorance qui l’aveugle, aux boutiques célestes où se débite l’espérance. C’est là que le Chinois, comme le Grec et le Romain, paye de sa dernière obole l’oracle qui lui prédit une prochaine
opulence ; c’est là qu’il achète la paix d’une conscience bourrelée, la guérison de ses maux, une métempsycose heureuse. L’espérance est la moitié de sa foi ; son culte est comme une loterie :
pour petite qu’elle soit, il y a une chance de gain, et le rêve de ce gain vaut mieux pour celui qui souffre que toutes les certitudes ou les incertitudes de la philosophie.
Des doctrines vagues, un culte varié, voilà ce qui caractérise le paganisme ancien comme le paganisme chinois. Le paganisme n’a pas la vie puissante des religions prophétiques : mais, comme tout
ce qui dans la nature ou dans les créations humaines est rudimentaire et grossier, il a cette vitalité persistante qui défie le temps. Indifférente à toutes les doctrines, la Chine est seulement
superstitieuse, comme la Grèce d’autrefois et la Sicile actuelle ; ses prêtres ne diffèrent pas plus les uns des autres que les Franciscains, voués au divin François, ne diffèrent des
Dominicains, voués à saint Dominique ; elle n’a pas deux religions, mais seulement deux ordres mendiants.
Le gouvernement de la Chine est absolu : il ne se voit limité ni par la juste action de
l’opinion publique, comme ceux des peuples chrétiens, ni par les lois barbares d’un prophète ignorant, comme ceux des peuples musulmans ; des traditions vagues, des maximes vaines, sauvent
seulement quelques apparences. Un tel despotisme ne se fonde point en un jour : les révolutions de la France suffiraient à le prouver. Mais en Chine la tyrannie a, depuis longtemps, versé le sang
de sa bienvenue : appuyée sur des siècles, elle s’est rafraîchie par la conquête ; elle doit donc être toute-puissante.
Cependant elle ne l’est pas : les gouvernements et les princes sont puissants de la puissance même des peuples, de la confiance qui les pousse, de la force qui les soutient ; ils n’ont rien qui
leur soit propre dans toute cette grandeur, ils en sont seulement le reflet ; et quand le peuple est mort et sa lumière éteinte, le despote est un fantôme trébuchant dans les ténèbres.
Le gouvernement d’un pays suppose la connaissance de ce pays et de ce qui s’y fait : une exacte information est la première condition de tout jugement politique. Les princes ou les peuples qui
raisonnent mal de leurs affaires n’en raisonnent si mal que parce qu’elles leur restent partiellement cachées. Il faut aux peuples la liberté de la tribune et de la presse ; aux princes, le
commerce de leur peuple. Le mieux inspiré sera toujours celui qui aura consulté le plus de monde, et, en dehors des échos qui l’entourent, aura cherché l’expression désintéressée des sentiments
populaires. Les princes cependant sont presque toujours gardés par une camarilla jalouse même de leur regard.
Les complaisants ne sont pas toujours mal intentionnés ; il s’en rencontre d’honnêtes et de dévoués : toujours cependant ils froissent les justes instincts du peuple ; Toujours ils compromettent,
souvent ils perdent leurs maîtres. Notre siècle a vu sur plus d’un trône s’asseoir des princes allemands : l’un d’entre eux a été perdu par des conseillers venus de son pays : tous les autres ont
été plus ou moins compromis par des amis semblables. En pays conquis, l’entourage du prince est étranger comme lui-même ; c’est le cas en Chine. En pays despotique, l’entourage du prince, ramassé
suivant son caprice, n’offre aucune garantie ; c’est le cas dans toute l’Asie. Le palais reste fermé ; le souverain ne voit et n’entend que quelques familiers ; ce sont eux qui gouvernent : la
nation le sait bien ; mais ils sont d’un ordre si infime que souvent elle ignore leur nom. C’est un eunuque, une chanteuse, un mime, qui, cachés derrière un rideau, tiraillent le mannequin
impérial : aussi ne se plaint-on point du souverain ; on le plaint même parfois, tout en ne lui portant qu’un faible intérêt. On le juge d’ordinaire comme Porta, dans ses poésies milanaises,
jugeait l’empereur François : « Franceschino, ce bon petit empereur, à qui ses sujets étaient aussi incapables de faire du mal que lui-même de leur faire du bien. » On dit que « l’empereur est
bon, mais que son entourage est mauvais » ; ce dicton chinois, appris dès l’enfance, se répète sans cesse, sans que l’esprit s’y attache. La théorie est qu’on adore l’empereur ; la pratique
permet qu’on se révolte souvent, et que des populations entières s’associent au pillage sacrilège du palais. Les Césars déifiés connaissaient le martyre ; les empereurs chinois le connaissent
aussi : l’empereur adoré ne sort qu’entouré de soldats qui font sur son passage évacuer les rues. Qui est le plus roi, de ce despote qui tremble ou du prince citoyen que poursuit dans les rues de
Londres une foule enthousiaste ? Un écrivain banni de la cité qu’il a faite, un soldat d’aventure glorieux et pauvre, peuvent soulever l’Italie contre une force inégale ; l’empereur chinois a dû
chercher jusqu’au fond de la Mongolie les protecteurs d’une fuite humiliante.
La situation du despotisme est toujours fausse et gênée ; sa politique est condamnée aux expédients : elle devient celte science que le grand Machiavel enseigna aux petits hommes d’une mauvaise
époque ; elle a quelques maximes sûres et partout admises.
La première est d’écraser tout ce qui s’élève ; de faire le niveau non en soulevant ce qui est bas, mais en décapitant ce qui est haut, afin que
le trône, pour petit qu’il devienne, domine encore une nation réduite.
La seconde est de se méfier de tous : elle est d’une sage prudence. Dès que l’honneur est banni, la trahison garde le trône, et le trône n’est sauf que quand la trahison divisée se vend
elle-même. En employant seulement des hommes méprisés et sans énergie, en les faisant surveiller de près, en gardant près de soi comme otages leurs enfants, on acquiert quelque sécurité. Comme
tous les gens dont on se méfie, ils ne songent qu’à tromper celui qui les emploie. Un gouvernement habile s’en amuse et les joue ; il les laisse piller : ils peuvent le faire, le souverain ne le
peut, et il est bon que la responsabilité du mal reste sur des têtes viles. Quand ils sont riches, on aime à les voir conspirer, ou, par quelque grand abus de pouvoir, se compromettre avec éclat.
Alors on se souvient de leurs méfaits, on les châtie, on les exprime comme des éponges, et la sottise humaine est si grande que le public éprouve quelque reconnaissance de ce vol de seconde
main.
Le troisième principe est de maintenir en paix le peuple de la capitale : le despotisme est de sa nature centralisateur. Prodigue des ressources publiques, il les gaspille autour du palais ; la
capitale s’embellit, s’agrandit, s’emplit de plus en plus. Partout les capitales ont une vie qui manque aux autres villes : l’esprit et la main y ont une promptitude inconnue ailleurs ;
l’intelligence de la nation s’y concentre : ce sont comme des assemblées permanentes du peuple ; ce qui s’y décide est accepté des provinces, et le despotisme est de sa nature si fragile qu’une
querelle de palais ou une émeute soudaine peuvent du soir au matin changer une dynastie. On peut dominer une capitale par la force ; il est naturel que des conquérants le tentent. Un palais
fortifié, une garnison étrangère, sont des moyens à l’usage des empereurs chinois : ces moyens, toutefois, laissent à désirer ; ils ne sauraient être employés seuls, et presque toujours la
recette romaine est concurremment appliquée. La recette romaine, c’est l’entretien de la canaille aux frais du trésor public. L’ancienne Rome a nourri de la sorte jusqu’à trois cent cinquante
mille fainéants, et les mendiants de la Rome pontificale ne sont qu’un héritage des vestales, du sénat et des Césars. Les Turcs, dont l’esprit est peu éveillé, ont senti cependant que le pain ne
devait jamais être cher à Constantinople. Deux hommes, du rang de gouverneur général, sont en Chine chargés de veiller sur l’approvisionnement de Pékin. Montrer au peuple de la capitale des
histrions pour qu’il n’aperçoive pas la comédie politique, lui remplir la bouche pour qu’il ne puisse crier, voilà le secret des Césars, des souverains turcs et des souverains chinois. La
province peut être affamée, écrasée d’impôts, il importe peu qu’elle se soulève ; mais il faut que la capitale soit contente : c’est de son bon plaisir que le prince tient sa vie. Tout despote
est un condamné à mort qui se pourvoit perpétuellement.
La suite du magistrat
Les magistrats chinois ne sortent qu’accompagnés de cette suite nombreuse, inutile à ceux qui gouvernent des peuples libres par le prestige de leur vertu et de leur capacité. Cette suite varie
naturellement d’après le grade. Celle d’un intendant, ou tao-tay, se compose ainsi :
Deux serviteurs portant des drapeaux bleus avec bordure rouge dentelée, sur lesquels on lit les caractères Tsin tao, c’est-à-dire : Débarrassez le chemin.
Deux individus tenant des ta-kin (ce que les Européens appellent des gongs), sur lesquels ils frappent sans cesse ; ils portent sur l’épaule des
drapeaux jaunes avec l’inscription noire "Frappez le tambour".
Six individus portant des écriteaux rouges, sur deux desquels on lit, écrit en or, "Nommé par l’empereur". On lit sur les deux suivants le nom de la province, et, en ligne verticale, l’emploi du
magistrat auquel ils appartiennent. Dans la gravure ci-jointe, cette légende est : "Province de Kyang-nan ; intendant de Sou... ". Les derniers écriteaux portent "inspecteur général des douanes
de mer".
Deux hommes portant des drapeaux à hampe bleue bordés de rouge, et sur le fond blanc desquels on voit le tigre volant ; les dix individus qui précèdent sont vêtus de rouge.
Quatre hommes vêtus de bleu, portant, suspendus à des bâtons, des écriteaux verts sur lesquels on lit, écrit en or, Ping-pei-tao.
Des miliciens, armés de lances et de sabres ; des soldats, armés de mousquets.
Les tsao-pan, agents de police, vêtus de rouge, coiffés de bonnets verts ornés de grandes plumes; les exécuteurs des basses œuvres, armés de fouets et de bâtons.
Le coffre à habits, i-syañ. Il est d’usage dans presque toute l’Asie, en Turquie particulièrement, de se faire accompagner ainsi d’une foule d’objets dont on n’a que faire.
Des serviteurs portant des tsyen et des papiers.
Quatre hommes dits mao-tsö, ou chapeaux, en raison de leurs chapeaux pointus rouges ou noirs; ils portent des fouets et des chaînes.
Le parasol rouge, xɤñ-tɤñ-san. La largeur de ce parasol varie suivant le grade : les tшi-шyen ont d’ordinaire le parasol bleu, lan-leañ-san. On voit souvent des parasols à la couleur du grade, et
dont la frange porte un grand nombre de noms propres brodés sur tout son pourtour ; ce sont les wan-miñ-san, c’est-à-dire les parasols aux dix mille noms (dix mille veut ici dire beaucoup),
présentés aux magistrats par des populations reconnaissantes. L’usage d’offrir des parasols de cette espèce est commun à toute la Chine ; celui de déchausser les magistrats qui partent et de
suspendre leurs bottes aux portes des villes est spécial à quelques provinces.
Divers serviteurs, quelquefois un second parasol et des hommes portant des encensoirs appelés ti-lɤ-шyañ. Avant ou après ces encensoirs et les parasols, un ou deux cavaliers à globule blanc ou
doré, appelés, en raison de ces globules, tiñ-ma : ce sont des sous-officiers, wei-wey, ou des employés subalternes.
La chaise portée par quatre hommes suivis souvent de quatre autres qui les relayent : on n’emploie huit porteurs que pour quelque cérémonie
importante, après une victoire, etc.
A la hauteur des premiers porteurs marchent deux hommes à globule appelés fɤ-kyao-ti.
Après la chaise et fermant la marche, deux cavaliers sans globule, qualifiés de kön-ma, parce qu’ils sont choisis parmi les kön-pan, qui sont des serviteurs intimes et quelquefois des esclaves,
comme dans d’autres parties de l’Asie les mamelouks.
Ces cortèges, qui s’annoncent par un bruit assourdissant et que le peuple évite comme si le contact de ses maîtres était impur et malsain, n’ont rien de noble, ni de grand. Ceux qui les forment
sont impudents et malpropres : leurs chapeaux grotesques, leurs vestes bleues, jaunes ou rouges, tachées et déchirées, les font ressembler plus à une troupe de bohémiens qu’à une réunion de gens
honnêtes, et il m’est impossible de croire que la majesté de la loi puisse gagner quelque chose à des mascarades de cette espèce. Il appartient aux gouvernements bas ou tombés de s’entourer de
ces viles pompes ; la gloire des autres est de mépriser le clinquant, et de ne pas imposer au peuple l’ignoble parasitisme d’une bohème de cour ou d’une bohème de prétoire.
J’ai parlé des murailles des villes chinoises, de leurs temples, de leurs édifices publics. Des villes elles-mêmes, il y a peu à dire : les rues
en sont d’ordinaire étroites, sales, encombrées, bordées de boutiques ouvertes, de maisons bruyantes, ou de murs derrière lesquels se cachent les cours et les maisons. A Pékin, quelques rues sont
larges comme des grands chemins : de grandes baraques de bois rouge, des maisons éparses, les limitent de distance en distance : une poussière noire et fétide soulevée par le vent, une boue
épaisse coupée d’ornières profondes, en rendent le parcours insupportable. On rencontre souvent dans l’enceinte des villes de grands cimetières qui ne nuisent pas plus à la santé publique en
Chine qu’à Londres, quoiqu’ils y soient moins bien tenus : d’autres cimetières anciens et abandonnés. de vastes espaces déblayés par l’incendie ou délaissés par un peuple décroissant ; on y
rencontre jusqu’à des champs et des métairies. Les boutiques sont quelquefois très élégantes : il y en a à Pékin de magnifiques ; elles sont couvertes d’écriteaux indiquant la marchandise, le nom
du marchand, ou portant des invitations plaisantes, telles que : « Seule maison honnête ; Se méfier de la boutique en face » : etc.
Il y a beaucoup d’étuves dans les villes chinoises. Les Chinois sont propres ; cependant ils n’aiment pas l’eau froide : on ne peut pas même dire qu’ils aiment beaucoup l’eau chaude, et ils font
peu d’usage de savon, même de savon chinois. Pour se laver chez eux et dans leurs étuves, ils ont coutume de tremper un linge dans l’eau bouillante, et, après l’avoir laissé égoutter un instant,
de s’en frotter le visage, les mains ou le corps. Ce système, qui répond à l’usage que nous faisons de l’éponge, n’est pas mauvais : il est d’un fréquent emploi ; et quand on parle de malpropreté
à propos des Chinois, c’est sans doute en faisant abstraction de tout souvenir de l’Europe, de ses régions méridionales surtout.
Presque toutes les villes ont leur jardin, yuen, ou jardin à thé, tшa-yuen. Ce jardin, entouré de temples et de boutiques, contenant un lac ou un
étang, ou traversé par une rivière, a des ponts en zigzag et des ponts surélevés, des îles, des kiosques, des rochers et des grottes, dont les formes et l’entassement dépassent de beaucoup les
œuvres de la nature. On y voit de grands établissements où l’on prend le thé sur de petites tables vernies : des restaurants, des pâtisseries, des théâtres, des cabarets ; d’ignobles maisons où,
dans une salle obscure et infecte, des prostituées servent l’opium à des gens hâves couchés sur des nattes malpropres . On y trouve aussiaussi des bateleurs de toute espèce, des guérisseurs
de tous maux, des poëtes mendiants, des coquins racontant de saintes histoires, des aveugles qui voient et des épileptiques artificiels : c’est un petit monde. On y joue de la menue monnaie : on
y joue des gâteaux et des bonbons ; on y regarde, par de petits trous, des tableaux mobiles représentant des sujets religieux, et plus souvent des sujets de la plus extrême obscénité : les femmes
et les enfants surtout forment le public de ces spectacles. J’ai déjà dit que l’Asie n’avait pas de pudeur : en est-elle pour cela plus corrompue ? Je ne le pense vraiment pas. La chaste ville de
Londres n’a rien à apprendre de l’impure ville de Pékin ; Naples, Rome, Hambourg et Paris, sont à peu près dans le même cas : l’impudeur publique ne prouve pas la corruption générale des mœurs.
En tout cas, cette corruption se révélerait par la dégénérescence du peuple. C’est pour éviter cette dégénérescence que la loi prétend régler les mœurs : mais l’expérience m’a fait voir que les
peuples musulmans, amis de Cara-Gueuz, et les peuples chinois et tartares, amis d’autres polissonneries, n’étaient physiquement ni si dégénérés, ni si affaiblis que le sont les Européens soumis
dans leur enfance à l’emprisonnement du collège, privés de mouvement et d’air, et nourris à moitié à l’âge où le corps doit prendre en liberté, comme l’esprit, ses dimensions et sa forme. Il en
est des spectacles obscènes comme de la plupart des choses en ce monde ; leur effet est très faible et s’émousse très vite. On ne conduit pas l’homme, il se conduit lui-même ; il traverse le bien
et le mal : on ne le jette ni vers l’un, ni vers l’autre ; il suit sa propre pente.
Les jeux des Chinois sont, à peu de chose près, ceux des Européens. Les enfants chinois jouent aux billes, à la balle, à la marelle, font voler d’immenses cerfs–volants et partir des pétards.
Dans le Nord, quand la neige est abondante, ils en façonnent des maisons ou des dieux dont ils s’amusent à peindre les yeux et les lèvres. Comme les hommes font combattre des coqs et des cailles,
ils font combattre des grillons.
Le jeu de la morra, qui consiste à deviner le nombre de doigts rapidement présentés à la vue, jeu connu des Romains, qui l’appelaient micatio, existe en Chine sous les noms de tшai-mey, kwei-tшuen, tsei-tшuen, etc. En Chine, comme en Italie, des cultivateurs, des ouvriers ou de petits commerçants s’y livrent après dîner, et celui qui perd est condamné à boire une tasse d’eau-de-vie. Plus on perd, et plus, la vue se troublant, on devient incapable de gagner. L’ivresse, qui n’est pas inconnue en Chine, est donc le résultat le plus habituel de ce jeu, non moins coupable que la plupart des jeux innocents. Les Chinois ont aussi les dés (maé-tsö), les dominos (kɤ-pey), des cartes (tшu-pey) servant à jouer aux dominos et en portant les nombres, et d’autres cartes. Ces jeux ne sont pas absolument les nôtres, mais ils les rappellent beaucoup. Les dés sont par jeux desix ; les dominos, par jeux de trente-deux : les points y sont les uns rouges, les autres noirs. Les cartes portent diverses figures et quelques caractères ; elles sont oblongues et mesurent environ neuf centimètressur deux, soit trois pouces sur huit lignes ; leur revers ressemble à celui des nôtres. Le jeu de cartes-dominos dont je donne un spécimen compte cent trente-cinq cartes, dont soixante-six à figures divisées en trois classes dites céleste, terrestre et humaine (tyen, ti, jen), de vingt-deux cartes chacune ; soixante-six sans figures, divisées de même, et trois portant les caractères wen, wɤ et tsɤñ. Il y a des cartes rouges, d’autres noires, d’autres encore qui sont rouges et noires.
Le jeu de cartes proprement dites, dont je donne également un spécimen, est fort compliqué. Les cartes diffèrent par la couleur rouge ou noire des ornements qui les terminent et par les figures qui les couvrent. Il y en a parmi les noires vingt sans figures, vingt à figures géométriques, vingt portant des insectes ; parmi les rouges, vingt à personnages, vingt à figures géométriques et vingt portant des insectes. Toutes ces cartes sont, par les ornements qui les terminent, ramenées à quatre types. Parmi les noires, on trouve encore, avec des extrémités différentes qui permettent de les ramener à sept types, vingt et une cartes sans figures, vingt et une à figures géométriques, vingt et une portant des insectes, des caractères ou des armes ; et parmi les rouges, réductibles de même à sept types, quatorze cartes à personnages, quatorze à figures géométriques, et quatorze portant des insectes, des caractères ou des armes ; ce qui donne pour tout le jeu deux cent vingt–cinq cartes. Il y a, en Chine, bien d’autres espèces de cartes et bien d’autres jeux, mais je ne les connais point ou n’en ai qu’une idée très vague ; je ne saurais même expliquer l’emploi des cartes que je viens de décrire, par la raison que je n’entends rien aux cartes en général.