Joseph-Marie AMIOT (1718-1793)
PORTRAITS DES CHINOIS CÉLÈBRES
Tomes III, pp. 5-386, V, pp. 69-466, VIII, pp. 1-111, X, pp. 1-131.
Table des matières - Avertissement — Extrait : Les sept articles de Pan-hoei-pan
Feuilleter
Télécharger
Table des matières
- Des origines à la Dynastie des Hia : I. TAI-HAO-FOU-HI-CHÉ, Fondateur de la Monarchie — II. YEN-TI, CHEN NOUNG-CHÉ, Empereur — III. HOANG-TI, YEOU-HIOUNG-CHÉ, Empereur Législateur — IV. TSANG-KIÉ, Ministre — V. CHAO-HAO, KIN-TIEN-CHÉ, Empereur — VI. TCHOAN-HIU, KAO-YANG-CHÉ, Empereur — VII. TI-KOU, KAO-SIN-CHÉ, Empereur — VIII. TI-YAO, TAO-TANG-CHÉ, Empereur — IX . TI-CHUN, YEOU-YU-CHÉ, Empereur — X. KAO-TAO, Ministre — XI. HEOU-TSI, Ministre — XII. TA-YU, Empereur.
- Dynastie des Chang : XIII. TCHENG-TANG, Empereur — XIV. Y-YN, Ministre — XV. FOU-YUÉ, Ministre — XVI. TCHEOU, OUEN-OUANG, Roi — XVII. TAY-KOUNG, Ministre.
- Dynastie des Tcheou : XVIII. TCHEOU, OU-OUANG, Empereur — XIX. TCHEOU-KOUNG, Ministre — XX. LAO-TSÉE, Philosophe — XXI. KOUNG-TSÉE, Philosophe — XXII. KIU-PING, Ministre — XXIII. MONG-TSÉE, Philosophe. XXIV. HAN-KAO-TSOU, Empereur.
- Dynastie des Tsin : XLIX. Histoire de TSIN-CHÉ-HOANG-TI, Empereur, Incendiaire des Livres.
- Dynastie des Han : XXV. SIANG-OUANG, Empereur — XXVI. TCHANG-LEANG, Ministre — XXVII. HAN-OUEN-TI, Empereur — XXVIII. HAN-KING-TI, Empereur — XXIX. TOUNG-FANG-CHOUO, Ministre — XXX. TOUNG-TCHOUNG-CHOU, Savant & Ministre — XXXI. SÉE-MA-TSIEN, Pere de l’Histoire chez les Chinois — XXXII. HAN-KOANG-OU-TI, Empereur — XXXIII. YEN-TSÉE-LING, Philosophe — XXXIV. HEOU-HAN-TCHO, TCHAO-LIÉ-HOANG-TI, Empereur. Et : L. FOU-CHENG, Lettré — LI. SOU-TSÉE-KING, Homme d’État — LII. PAN-HOEI-PAN, Savante.
- Les Trois Royaumes : XXXV. TCHOU-KO, OU-HEOU, Ministre — XXXVI. OUEI, OU-TI [Tsao-tsao], Ministre — XXXVII. SÉE-MA, HIUEN-OUANG, Général d’Armée.
- De la dynastie des Tsin à la celle des Soui : XXXVIII. TOUNG-TSIN, YUEN-TI, Empereur — XXXIX. SONG-OU-TI, Empereur — XL. TAO-YUEN-MING, Poëte — XLI. SOUNG-FEI-TI, Empereur — XLII. SIÉ-LING-YUN, Homme de Lettres — XLIII. TSI-KAO-TI, Empereur — XLIV. LEANG-OU-TI, Empereur — XLV. TCHAO-MING, TAY-TSÉE, Lettré — XLVI. TCHEN-OU-TI, Empereur — XLVII. SOUI-OUEN-TI, Empereur — XLVIII. OUEN-TCHOUNG-TSÉE, Philosophe — LIII. TAN-TAO-TSI, Ministre & Guerrier.
- Dynastie des Tang : LIV. TANG-KAO-TSOU, Empereur — LV. TANG-TAY-TSOUNG, Empereur — LVI. YU-TCHÉ-KOUNG, Guerrier — LVII. FANG-HIUEN-LING, Ministre — LVIII. TOU-JOU-HOEI, Ministre — LIX. LY-TSING, Guerrier — LX. LY-TSI, Guerrier — LXI. TSÊ-TIEN-HOANG-HEOU, Impératrice — LXII. TY-JIN-KIÉ, Ministre — LXIII. TANG-HIUEN-TSOUNG, Empereur — LXIV. YAO-TSOUNG, Ministre — LXV. SOUNG-KING, Savant — LXVI. YEN-TCHEN-TSING, Savant — LXVII. TOU-FOU, Poëte — LXVIII. LY-PE, Poëte — LXIX. KOUO-TSEE-Y, Guerrier — LXX. TANG-SIEN-TSOUNG, Empereur — LXXI. PÊ-KIU-Y, Savant — LXXII. LIEOU-TSOUNG-YUEN, Poëte — LXXIII. HAN-YU, Savant — LXXIV. MONG-KIAO, Poëte — LXXV. KIA-TAO, Poëte — LXXVI. TANG-SIUEN-TSOUNG, Empereur — LXXVII. MIN-OUANG, Guerrier — LXXVIII. NAN-TANG-LY-HEOU-TCHOU, Empereur.
- Dynastie des Soung : LXXIX. SOUNG-TAY-TSOU, Empereur — LXXX. SOUNG-JEN-TSOUNG, Empereur — LXXXI. PAO-TCHENG, [Magistrat] — LXXXII. KAO-KIOUNG, [Guerrier] — LXXXIII. CHAO-YOUNG, [Savant] — LXXXIV. TCHANG-TSAI, [Guerrier] — LXXXV. TCHEOU-TCHUN-Y, [Sage] — LXXXVI. TCHENG-HO, [Philosophe] — LXXXVII. TCHENG-Y, [Lettré] — LXXXVIII. SÉE-MA-KOANG, [Lettré] — LXXXIX. SOU-CHÉ, [Lettré] — XC. HOANG-TING-KIEN, [Lettré] — XCI. YANG-CHÉ, [Lettré].
Avertissement
Tome 3
L’Auteur Chinois, qui s’est donné la peine de copier les Portraits de quelques-uns des Personnages célebres de sa Nation, a mis à la tête de ses peintures les paroles suivantes :
« Au commencement de la onzieme lune de la vingt-quatrieme année de Kang-hi (c’est-à-dire sur la fin de l’an 1685), moi Po-kié, surnommé Tchang-sieou, ayant achevé de copier les Portraits de plus de cent Personnages célebres dont on conserve les originaux, dans le temple où on apprécie sans partialité le mérite de ceux qui ont pratiqué la vertu (Hing-té-sée, Tao-ki-houng-koung), j’ai cru devoir dire quelque chose de chacun, pour qu’on pût au moins s’en former une légere idée ou s’en rappeller le souvenir.
« Grand Être qui êtes le principe des trois principes actifs San-tsai (c’est-à-dire le Ciel, la Terre & l’Homme), ayez pour agréable un ouvrage que je n’ai entrepris que pour la satisfaction
& l’instruction de la postérité.
L’Auteur ne donne exactement que ce qu’il a promis. Deux ou trois mots sont souvent tout ce qu’il dit d’essentiel sur les Personnages qu’il représente. Cela peut suffire pour des Chinois qui
peuvent se procurer des connoissances plus exactes, en consultant leur histoire & les autres livres qui entrent dans le détail de tout ce qui concerne leurs hommes célebres.
Mais ce que peuvent faire des Chinois qui sont dans leur patrie, pour se mettre au fait de ce qui concerne d’autres Chinois, ne sauroit être pratiqué par des Européens qui font leur séjour dans
la Cour de Pé-kin, où tous les secours leur manquent. C’est ce qui m’a engagé à ajouter quelques traits aux crayons un peu trop succints de Po-kié-tchang-sieou.
En rassemblant quelques-uns des principaux traits qui caractérisent ceux des Chinois qui, depuis l’etablissement de leur monarchie, se sont rendus célebres dans le gouvernement, les lettres &
les armes, je tracerai insensiblement le caractere de la nation elle-même dans ses différens âges. Les Portraits des Personnages particuliers deviendront des Portraits généraux. Les traditions
populaires, les contes puériles qu’on y rencontrera quelquefois, y figureront & tourneront en preuve comme le reste. Ce morceau manquoit, je pense, à la littérature françoise, & je suis
bien aise de l’en enrichir. Du reste, je ne prétends donner ici qu’une légere esquisse ; d’autres, après moi, pourront achever ce tableau. Parmi les grands hommes qu’on verra paroître
successivement sur la scene, il en est dont le mérite ne peut être apprécié que par ceux du pays ; parce que ce n’est que dans le pays qu’on en connoît le genre, & qu’on y fait cas de ceux
qui l’ont possédé dans un certain degré. Le lecteur doit donc se transporter en esprit à la Chine pour y voir ce qui se pratique, & le voir, s’il se peut, en véritable Chinois. Ce ne sera que
de cette maniere qu’il pourra porter un jugement equitable, & sans préjugé national.
Il s’en trouve aussi que les Abrégés de l’histoire Chinoise, imprimés en Europe, ont déjà, ce semble, suffisamment fait connoître. J’ai cru néanmoins pouvoir y revenir, & les présenter à ma
façon, parce que les coups de pinceau que j’ajouterai à leurs Portraits, leur donneront la ressemblance, & les feront rentrer dans le costume dont on les avoir fait sortir.
Il en est quelques-uns, enfin, dont je ne dirai guere ici que les noms ; parce que la postérité leur ayant déféré une place dans la salle de Confucius, je me réserve de les faire connoître, à
leur tour, à la suite de l’histoire de ce Philosophe, lorsque je parlerai des Sages qui, en différens temps, ont illustré son ecole.
Pour ce qui est de l’arrangement que j’ai donné à ces Portraits, je m’en suis tenu à l’ordre chronologique, comme etant le plus naturel. On pourra, si l’on veut, leur en substituer un autre,
& placer les Empereurs avec les Empereurs, les Ministres d’Etat & les Magistrats avec ceux qui ont couru la même carriere, les Lettrés avec les Lettrés, & les Guerriers avec les
Guerriers. J’avoue que j’ai cherché ma commodité en m’attachant à l’ordre que j’ai choisi ; on peut chercher la sienne, en le dérangeant pour en suivre un autre.
*
Tome 5
Voici dix nouveaux Portraits de Chinois célebres. On trouvera dans ce que j’ai ecrit sur ces différens Personnages, une maniere, des détails, un ton qui ne ressemblent probablement point à ce qu’on a pu lire ailleurs dans le même genre. Pour garder le costume, je devois parler des Chinois en Chinois, & conserver, dans ceux dont je parle, l’empreinte du caractere national.
Celui par qui je commence etoit tout à la fois grand Capitaine & Ministre habile. Il eut pendant long-tems toute la confiance de ses Maîtres ; mais ayant eté injustement soupçonné de vouloir
envahir l’autorité suprême, il reçut la mort pour prix de ses services & de sa fidélité. Par le court exposé que j’ai fait de ses principales actions & de sa conduite, on reconnoîtra sans
doute qu’il etoit digne d’un meilleur sort.
Viennent ensuite les illustres Princes qui ont fondé la grande Dynastie des Tang, je veux dire Li-yuen, à qui l’Histoire donne le nom de Kao-tsou, pour désigner qu’il est le Chef de la race,
& Ly-ché-min son fils, que la même Histoire appelle Tay-tsoung, c’est-à-dire le grand ancêtre, pour donner à entendre que c’est par lui sur-tout que sa race a commencé à briller & à
s’etendre. Quand j’ai lu avec attention l’Histoire de ces deux grands Princes, il m’a paru que des Personnages qui ont joué le plus brillant rôle dans la scène du monde, méritoient d’être connus
particuliérement, & je me flatte qu’on ne me saura pas mauvais gré des détails dans lesquels je n’ai pas craint d’entrer.
Yu-tché-koung, qui par sa valeur, sa fidélité envers son Souverain, & son attachement particulier à la personne du grand Ly-ché-min, a mérité que la postérité Chinoise le mît au rang des
Esprits tutelaires de l’Empire, n’a pas dû être séparé après sa mort du Prince qu’il a si bien servi pendant sa vie. Il veilla continuellement sur ses jours, il fut son bouclier contre les traits
de l’envie, il l’empêcha de succomber sous les artifices de la trahison.
Après lui on trouvera l’Histoire de Fang-iuen-ling & de Tou-jou-hoei ; de Ly-tsing & de Ly-tsi ; tous quatre ont concouru à la gloire immortelle dont jouit Tay-tsoung ; les deux premiers
en l’eclairant de leurs lumieres, en partageant avec lui le pesant fardeau du Gouvernement ; & les deux autres en lui gagnant des batailles, en etendant les barrieres de son Empire jusque
chez les nations reculées de l’Occident & du Nord.
Je regrette de n’avoir pu completter les 24 Portraits qui, dans la Salle des grands Hommes, font cortege, si je puis m’exprimer ainsi, à ceux des deux premiers Empereurs des Tang. En les faisant
connoître l’un après l’autre, j’aurois fait insensiblement l’Histoire presque entière de Li-yuen & de Ly-ché-min, & j’aurois eu occasion de décrire bien des vertus avant que d’en venir au
simple enoncé des crimes qui placerent la trop célebre Ou-ché sur le même trône après eux.
Cette femme, qu’on peut regarder comme l’Athalie des Chinois, remplit la Maison Impériale de carnage & d’horreurs, lui ravit la couronne, & faillit à la lui faire perdre pour toujours.
Coupable des forfaits les plus affreux, teinte du sang des plus illustres têtes, elle eut l’impudence de se qualifier du plus auguste des titres, en se disant la déléguée du Ciel, pour gouverner
les hommes. Elle se fit appeler Tsé-tien-hoang-heou.
Le dernier des dix Chinois dont je donne aujourd’hui les Portraits, est un Philosophe qui sut s’accommoder au tems, sans manquer à son devoir ; qui parvint aux premiers Emplois sans brigues comme
sans ambition ; qui mit à profit toutes les circonstances, pour faire le bien qu’il avoit pour objet ; & qui réussit, sans paroître presque en avoir envie, à faire lui seul ce dont des armées
n’auroient pu venir à bout, sans inonder les campagnes de sang.
Ce Sage s’appelloit Ty-jin-kié, & fut Ministre sous la cruelle Tsé-tien. Il prouva, par sa conduite & par ses succès, que la vertu eclairée dans un homme en place, lorsqu’elle a la
modération & la douceur pour compagnes, triomphe tôt ou tard de tous les obstacles, & se fait respecter même des tyrans.
Ty-jin-kié par ses avis, donnés sans amertume & toujours à propos ; par ses représentations qu’il avoit l’art d’adoucir, & par l’intérêt qu’il savoit mettre dans tout ce qu’il disoit,
retint l’Empire dans la maison des Tang, lorsque la barbare Tsé-tien etoit sur le point de l’en arracher pour le faire entrer dans sa propre maison.
*
Tome 8
Après deux années d’interruption, je me suis remis à mes Chinois célebres, & j’ai ébauché les portraits de quelques-uns de ceux qui ont brillé sous la grande Dynastie des Soung. On pourra les placer à côté de ceux qui ont brillé sous les autres Dynasties, & qui les ont précédés. On trouvera dans les uns & dans les autres de quoi se former une idée générale de la nation Chinoise dans les différens âges.
Ces portraits, qui sont au nombre de treize , feront voir en particulier, que la Chine n’a jamais été plus féconde en Philosophes & en Gens de Lettres que lorsque notre Europe étoit,
généralement parlant, plongée dans l’ignorance la plus crasse & la plus profonde.
A l’exception de l’illustre Tchao-koang-yng, & de quelques autres Empereurs, tous ceux qui se présenteront successivement sont des Lettrés du plus haut rang ; mais ces Lettrés n’ont pas
seulement eclairé leurs compatriotes par de savans ecrits, ils ont encore, servi la Patrie en y exerçant, d’une maniere peu commune, les emplois les plus importans. On en jugera par le court
exposé que je fais de ce qui les a rendus recommandables, & de ce qui a le plus contribué à immortaliser leurs noms. Sée-ma-koang, Tcheou-tchun-y, Tcheng-hao, Sou-che, quels hommes ! Rome
& la Grèce leur eussent également dressé des autels ; & nous lirions depuis long-tems en des langues que nous connoissons, l’éloge de leurs vertus encore plus que de leur science, s’ils
avoient été Grecs ou Romains.
J’ai tâché de lier l’histoire particuliere de ces hommes célebres, avec l’histoire générale de leurs tems, afin de présenter aux yeux, une sorte de perspective où chaque objet parût à sa
véritable place, & qui pût intéresser le Lecteur à des evénemens fastidieux peut-être, par la maniere dont ils sont enoncés.
Extrait : Les sept articles de Pan-hoei-pan
Pan-hoei-pan, fille de Pan-piao, sœur de l’historien Pan-kou, & epouse de Tsao-ché-chou, mérite sans contredit un des premiers rangs parmi les personnes du sexe qui ont honoré leur patrie & leur siecle.... Elle ne dédaigna pas cependant de donner sous son nom un ouvrage particulier pour l’instruction des personnes de son sexe, où elle n’eut en vue que l’utilité publique & nullement sa propre gloire.
*
Quoique je sois d’un esprit borné, & que mes connoissances ne soient pas fort etendues, dit-elle dans son humble Préface, cependant, comme mon pere n’a rien oublié pour me faire instruire dans les lettres & dans les sciences, & que ma mere m’a inspiré de bonne heure l’amour de mes devoirs, je ne me crois pas tout-à-fait hors d’etat de dire quelque chose d’utile pour les personnes de mon sexe. A l’âge de quatorze ans je passai de la maison paternelle dans celle de Tsao-ché-chou, que mes parens m’avoient choisi pour epoux. Il y a de cette epoque environ quarante ans. Je ne suis pas parvenue à l’âge où je suis, sans avoir acquis l’expérience de bien des choses, & sans avoir vu en quoi consistent les principales obligations de cette moitié du genre humain qui doit être soumise à l’autre.
Lorsque j’etois chez mon pere, docile à tous les avis que je recevois, de quelque part qu’ils me vinssent, je n’avois rien plus à cœur que de mettre à profit les instructions de ceux à qui je
devois la vie, parce que j’etois convaincue qu’elles n’avoient que mon avantage particulier pour but. Devenue femme, je me sus un gré infini d’avoir rempli avec exactitude jusqu’aux moindres de
mes devoirs, & je compris que pour trouver son propre bonheur, en faisant le bonheur de celui auquel on s’unit par les liens du mariage, il falloit avoir exercé, dans l’etat de fille,
l’obéissance, la docilité, la retenue, l’amour de la retraite, la modestie & cette foule de vertus que les hommes sont en droit d’exiger de celles qui doivent leur donner des enfans &
partager les soins domestiques. Que les jeunes filles ne s’y trompent point : elles ne sauroient devenir dans la suite de bonnes meres de famille ; elles ne sauroient plaire long-temps à des
epoux, qui ne trouvent que trop souvent des prétextes pour s’autoriser à les priver de leurs droits, si, lorsqu’elles sont encore dans la maison paternelle, elles ne mettent tous leurs soins à
s’instruire de leurs devoirs & à les pratiquer avec exactitude. C’est pour les y engager, que j’ai composé le petit ouvrage que je leur offre. Je l’ai intitulé Niu-kié-tsi-pien, les sept
articles sous lesquels sont compris les principaux devoirs des personnes du sexe.
Comme cet ouvrage n’est pas bien long, & qu’il renferme des maximes qui peuvent être utiles, je crois qu’on ne sera pas fâché de le trouver ici.
LES SEPT ARTICLES
Article I. L’etat d’une personne du sexe est un etat d’abjection & de foiblesse.
Nous tenons le dernier rang dans l’espece humaine ; nous sommes la partie foible du genre humain : les fonctions les moins relevées doivent être & sont en effet notre partage. C’est une
vérité dont il nous importe d’être pénétrées, parce qu’elle doit influer sur toute notre conduite, & devenir la source de notre bonheur, si nous agissons en conséquence. N’attendons pas
qu’une funeste expérience nous apprenne, malgré nous, ce que nous sommes. Tâchons de nous en convaincre le plutôt qu’il sera possible, afin de nous régler en tout sur ce qu’elle nous prescrira.
Anciennement, lorsqu’une fille venoit au monde, on etoit trois jours entiers sans daigner presque penser à elle. On la couchoit à terre sur quelques vieux lambeaux, près du lit de la mere, &
on continuoit à agir dans l’intérieur de la famille, de la même maniere que s’il n’y etoit rien arrivé de nouveau, & que le nombre de ceux qui la composoient n’en fût point augmenté. Le
troisieme jour, on s’appercevoit que le pere & la mere avoient un enfant de plus. On commençoit à se donner quelques mouvemens ; on visitoit l’accouchée, on prenoit soin de la petite fille ;
on se transportoit à la salle destinée au culte des ancêtres. Le pere tenant sa fille entre ses bras, ceux de sa suite, ayant en main quelques briques ou quelques tuiles, restoient debout pendant
quelque temps devant la représentation des aïeux, auxquels ils offroient en silence, celui-là la nouvelle née, ceux-ci les tuiles & les briques dont ils etoient chargés.
Tout etoit expressif dans un pareil usage, tout y etoit leçon pour les personnes du sexe. Cette différence dans la maniere de recevoir un garçon & une fille, au moment de leur naissance : la
joie que l’on faisoit eclater en voyant le garçon, le mépris qu’on affectoit en voyant la fille, signifioient combien celle-ci etoit censée inférieure à celui-là. La fille qui venoit de naître,
mise à terre, sur de simples lambeaux, donnoit à entendre que le lieu le plus bas etoit celui qu’elle devoit occuper dans la maison paternelle ; cette espece de dédain avec lequel elle etoit
reçue, & qu’on continuoit pendant trois jours, etoit le symbole du mépris auquel elle devoit s’attendre, à moins que par ses belles qualités, & la pratique constante de toutes les vertus
propres à son sexe, elle ne forçat ceux qui auroient à vivre avec elle à l’honorer de leur estime ; les briques & les tuiles qu’on offroit avec elle aux ancêtres, signifioient que l’abjection
& les souffrances devoient être ses compagnes & son partage dans la maison. Les briques sont faites pour enfermer un espace & être foulées aux pieds ; les tuiles n’ont d’usage que
lorsqu’elles sont exposées aux injures de l’air.
Je conjure les jeunes filles de faire quelques réflexions sur ce que je viens de dire, de tâcher de pénétrer le sens de l’ancien usage dont je leur ai rappellé le souvenir, & de régler leur
conduite sur ce qu’il leur enseigne. Si elles viennent à bout de se croire telles qu’elles sont en effet, elles n’auront garde de s’enorgueillir ; elles se tiendront humblement dans la place qui
leur a eté assignée par la nature ; elles sauront que leur etat etant un etat de foiblesse, elles ne peuvent rien sans le secours d’autrui. Dans cette persuasion, elles rempliront avec exactitude
jusqu’au moindre de leurs devoirs ; elles ne trouveront rien de pénible dans ce qu’on exigera d’elles. J’ose les assurer qu’alors elle goûteront au-dedans d’elles-mêmes, une satisfaction dont
aucun mélange d’amertume n’empoisonnera la douceur, & qu’au-dehors, elles jouiront de cette réputation sans tache que tout le monde est forcé de respecter, & que la médisance & la
noire calomnie n’oseront jamais entamer.
Article II. Devoirs généraux des personnes du sexe, quand elles sont sous la puissance d’un mari.
Une fille n’est pas pour être toujours fille. Quand elle a atteint l’âge compétent, on la livre à une famille etrangere, pour continuer la race de celui à qui on la donne pour epouse. Dans ce
nouvel etat, elle a de nouveaux devoirs à remplir ; & ces devoirs ne consistent pas tant à faire tout ce qu’on exige d’elle, qu’à prévenir tout ce qu’on seroit en droit d’en exiger. Les maris
sages paroissent contens, quand leurs femmes, dociles à leurs ordres, reconnoissent, en les exécutant, qu’elles leur sont soumises ; quand elles ne cherchent point à s’ingérer dans les affaires
etrangeres à leur ménage ; quand elles conservent toujours, en leur présence, cet air de politesse & de réserve que la trop grande familiarité ne fait que trop souvent disparoître ; quand,
enfin, toujours equitables & sans aucune partialité tant à l’egard de leurs propres enfans, que des autres enfans de la maison, dont elles ne seroient pas les meres, elles ne donnent jamais
de marques de jalousie envers celles qui pourroient leur faire quelque ombrage.
Je comprends fort bien comment des maris qui ne sont guere dans l’enceinte de leurs familles que pour y prendre la nourriture & le repos, ou s’y délasser des fatigues de leurs emplois,
peuvent être satisfaits de leurs femmes, s’ils leur trouvent en gros ces qualités les plus essentielles de leur etat.
Mais je ne comprends pas comment des femmes qui n’auroient que ces qualités, peuvent être contentes d’elles-mêmes, & ne pas se démentir bientôt, par une conduite entiérement opposée à celles
qu’elles tenoient d’abord. Fieres du suffrage de leurs epoux, auxquels elles en imposeront par un extérieur tel qu’ils le souhaitent, elles se croiront bientôt en droit de mépriser tout le reste.
Elles feront murmurer contre elles ; elles donneront sujet à des plaintes ; plaintes qui feront infailliblement suivies de petites dissentions domestiques & occasionneront bientôt des haines
personnelles qui peuvent avoir les plus funestes effets.
Pour obvier à des inconvéniens qui ne sont que trop ordinaires, & auxquels néanmoins on semble ne pas faire attention aujourd’hui, il faut attaquer le mal dans sa source ; il faut l’empêcher
de naître ; il faut commencer par etouffer un préjugé qui est presque universel : Il suffit, dit-on, qu’une fille soit docile aux avis qu’elle reçoit dans la maison paternelle, & qu’elle
regle sa conduite sur ce qui lui sera prescrit. Je dis moi, que cela ne suffit pas. Les peres & meres n’ont, ce semble, des yeux que pour leurs fils. Ils s’empressent à leur donner des
maîtres, dès qu’ils les croient en etat de recevoir des leçons. Leurs fils, leurs chers fils, sont l’objet de toute leur tendresse, de tous leurs soins ; à peine daignent-ils penser à leurs
filles. Pourquoi refuser à celles-ci ce qu’ils prodiguent à ceux-là, puisque les uns & les autres ont également des passions à vaincre, des devoirs à remplir, des défauts à corriger, des
vertus à acquérir, des regles de bienséance & de mœurs à apprendre & à garder ? Il semble que tout se ligue pour concourir à l’imperfection d’un sexe, qui, de sa nature, n’est déjà que
trop imparfait. Faute d’autre secours, ce petit ecrit que je lui consacre, lui tiendra lieu de plus longues instructions.
Article III. Du respect sans bornes que la femme doit à son mari, & de l’attention continuelle qu’elle doit avoir sur elle-même.
Il vous naît un garçon, dit le proverbe, vous croyez voir en lui un loup que rien ne sera capable d’effrayer ; il ne sera peut être qu’un vil insecte, qui se laissera ecraser par le premier venu
; il vous nuit une fille, vous ne voyez en elle qu’une timide souris ; peut-être fera-t-elle une horrible tigresse, répandant par-tout la terreur. Des deux membres de ce proverbe, je ne m’attache
ici qu’au second.
Une timide souris peut devenir une horrible tigresse. Peres, meres, maris, c’est vous que regarde en partie le soin d’empêcher une pareille métamorphose. Faites tous vos efforts pour contenir la
souris dans son etat de souris ; mais comme tous vos efforts, s’ils etoient seuls, ne sauroient en venir à bout, il faut que la souris travaille elle-même, & vous seconde de tout son pouvoir.
Mon objet n’etant ici que d’instruire les personnes de mon sexe, c’est à elles seules que j’adresse ce que je dois dire.
Vous qu’on est en droit de regarder comme une souris, voulez-vous ne point devenir tigresse ? conservez constamment la timidité qui vous est naturelle. Si de la maison paternelle vous avez passé
dans celle d’un epoux, quoi que ce soit qui puisse vous arriver, dans quelque situation que vous puissiez être, ne vous relâchez jamais sur la pratique des deux vertus, que je regarde comme le
fondement de toutes les autres, & qui doivent être votre plus brillante parure : ces deux vertus principales sont un respect sans bornes pour celui dont vous portez le nom, & une
attention continuelle sur vous-même.
Le respect attire le respect ; un respect sans bornes fait naître l’estime, & de l’estime il se forme une affection durable, à l’epreuve de tous les evénemens. L’attention sur soi-même fait
eviter les fautes ; une attention continuelle est comme le correctif des défauts auxquels nous ne sommes que trop sujettes.
Voulez-vous que votre mari vous respecte ? ayez pour lui un respect sans bornes. Voulez-vous qu’il vous honore de son estime, & qu’il ait pour vous une affection constante ? veillez
continuellement sur vous-même, pour ne pas lui laisser appercevoir vos défauts, & pour tâcher de vous en corriger. Une femme qui ne fait pas cas de ces deux vertus, ou qui n’en fait pas la
base sur laquelle doit appuyer toute la tranquillité de ses jours, tombera bientôt dans les vices opposés, & sera la plus malheureuse des femmes.
Son epoux, dépouillant dans le sein de sa famille cet extérieur grave dont il s’enveloppe par-tout ailleurs, en usera avec cette franchise & cette cordialité qui n’exigent aucune prééminence.
Flattée d’une familiarité à laquelle elle n’avoit peut-être pas lieu de s’attendre, elle ne manquera pas d’en abuser, ou pour se répandre en paroles tout-au-moins superflues, ou pour faire ce
qu’il ne seroit nullement à propos qu’elle fît. Ce seroit bien pis encore, si, à la familiarité, son epoux joignoit une trop grande complaisance : elle ne tarderoit sûrement pas à avoir des
fantaisies & des caprices : elle voudroit tantôt une chose, & tantôt une autre : elle auroit envie de travailler quand il faudroit se reposer, & de se reposer quand elle devroit
travailler : elle prendroit indifféremment des affections ou des haines, sans savoir pourquoi ; & elle témoigneroit inconsidérément les unes & les autres, sans rien prévoir ni
s’embarrasser des suites. Comme il seroit impossible qu’on la satisfît toujours sur ce qu’elle pourroit souhaiter, elle prendroit les refus pour des affronts ; son orgueil s’en irriteroit ; elle
ne verroit qu’injustice dans ce qu’il y a de plus equitable, elle prendroit de l’humeur, elle murmureroit, elle se plaindroit, elle s’emanciperoit en des paroles peu décentes, auxquelles le mari
répondroit sur le même ton ; des paroles on en passeroit aux injures réciproques ; & si les mêmes scenes reviennent souvent, comme il est très-difficile que cela n’arrive, ce mari, fût-il des
plus doux, ne voudra plus exposer son autorité au hasard d’être méprisée. Honteux de ses complaisances passées, envers une epouse qui en a abusé, il voudra changer de ton avec elle, & au lieu
de celui de compagnon & d’ami qu’il prenoit ci-devant, il ne prendra plus que celui de maître : la froideur, l’indifférence, le dédain, & un mépris marqué le vengeront d’une etourdie,
qui, par ses mauvaises manieres, l’a rebuté pour toujours.
C’est alors que tout va changer de face dans le ménage. L’orgueil de la femme sera révolté d’un changement où elle trouve si peu son compte. Elle fera de vains efforts pour se relever & se
soutenir encore, & achevera de tout perdre. Peu accoutumée à régner sur soi, elle ne sauroit se mettre au-dessus d’une humiliation qu’elle s’est attirée ; elle ne sauroit souffrir patiemment
les déboires & les dégoûts dont on la rassasiera malgré elle. Son humeur s’en aigrira chaque jour davantage. elle fera tout de mauvaise grace : elle deviendra pointilleuse, querelleuse &
acariâtre pour tous ceux qui l’approcheront ; impérieuse & dure pour les enfans & les domestiques ; insupportable à son mari, lequel ne voyant plus dans celle qu’on lui avoit donné pour
epouse, que la souris changée en tigresse, cherchera à s’en débarrasser le plus promptement qu’il lui sera possible. Après bien des avertissemens, des menaces & des corrections inutiles, il
en viendra au dernier des remedes que lui permet la loi ; il la répudiera dans les formes. Si elle a encore des parens, il la leur renverra, pour en disposer comme ils jugeront à propos ; &
si elle n’en a plus, il la confinera dans quelqu’un des froids appartemens de l’endroit le plus reculé de sa maison, où, pour les vêtemens & la nourriture, il ne lui accordera que ce qu’il
n’oseroit refuser au plus vil des esclaves. Pour ne pas vous exposer à subir un sort si affreux, soyez toujours respectueuses, veillez continuellement sur vous-mêmes.
Article IV. Des qualités qui rendent une femme aimable.
Ces qualités se réduisent à quatre ; à savoir la vertu, la parole, la figure & les actions.
La vertu d’une femme doit être solide, entiere, constante, à l’abri de tout soupçon. Elle ne doit avoir rien de farouche, rien de rude ni de rebutant, rien de puérile ni de trop minutieux. Ses
paroles doivent être toujours honnêtes, douces, mesurées, & jamais hors de propos. Elle ne doit pas être taciturne ; mais elle ne doit pas non plus etourdir toute une compagnie par un babil
sans fin. Elle ne doit rien dire de trivial ni de bas ; mais elle ne doit pas pour cela chercher ses expressions, ni n’en employer que de peu communes, & vouloir paroître bel-esprit. Si elle
est assez instruite dans les lettres pour en parler pertinemment, elle ne doit point faire parade de son erudition. En général, on n’aime point qu’une femme cite à tout moment l’Histoire ou les
King, les Poëtes ou le Kou-ouen ; mais on sera pénétré d’estime pour elle, si, sachant qu’elle est savante, on ne lui entend tenir que des propos ordinaires ; si on ne l’entend jamais parler de
sciences ou de littérature, qu’en très-peu de mots, & par pure condescendance pour ceux qui l’en prieroient.
La vanité est, je crois, la passion la plus commune au deux sexes ; c’est celle du moins qui a le plus d’empire sur le nôtre. Rien par conséquent ne nous déplaît tant dans les autres qu’une
vanité qui blesse la nôtre. Une femme se rendroit haïssable, si par les discours, par son ton, & toute la maniere dont elle s’exprime, elle donnoit à entendre qu’elle exige pour ce qu’elle
dit, une déférence trop grande ; si elle cherchoit toujours à l’emporter sur les autres ; si elle s’echappoit en paroles piquantes ou en railleries indiscrettes, ou qui pis est encore, si elle
témoignoit de la colere, du dépit ou de l’emportement. Tous ces défauts, & une foule d’autres qui en dérivent, doivent être soigneusement evités ; & ils le seront, à coup sûr, par une
femme qui parlera peu, & qui sera convaincue qu’elle ne doit jamais ouvrir la bouche pour déplaire ou pour offenser.
Aux agrémens de la parole elle doit joindre ceux de la figure. La régularité des traits, la finesse du teint, la justesse de la taille, la proportion des membres, & tout ce qui, dans
l’opinion commune, constitue ce qu’on appelle la beauté, contribuent sans doute à rendre une femme aimable ; mais ce n’est pas ce que j’entends par les agrémens de la figure dont elle doit tirer
parti pour se faire aimer. Il ne dépend pas de nous d’être belles, & je demande d’une femme une qualité qu’elle puisse acquérir, & des agrémens qu’elle puisse se donner, si elle ne les a
pas. Une femme est toujours assez belle aux yeux de son mari, quand elle a constamment de la douceur dans le regard & dans le son de voix, de la propreté sur sa personne & dans ses
habits, du choix & de l’arrangement dans sa parure, de la modestie dans ses discours & dans tout son maintien.
Pour ce qui est de ses actions, elle n’en doit jamais faire aucune qui ne soit dans l’ordre & dans la décence pour l’honnête satisfaction d’un mari sage, & le bon exemple des enfans &
des domestiques. Elle n’en doit faire aucune qui n’ait directement le soin de sa maison pour objet : elle doit les faire toutes dans des temps réglés ; de telle sorte néanmoins qu’elle ne soit
point esclave du moment précis ; elle doit les faire sans empressement comme sans lenteur ; avec application, mais sans inquiétude ; avec grace, mais sans affectation.
Article V. De l’attachement inviolable que la femme doit avoir pour son mari.
Quand une fille passe de la maison paternelle dans celle de son mari, elle perd tout, jusqu’à son nom : elle n’a plus rien en propre ; ce qu’elle porte, ce qu’elle est, sa personne, tout
appartient à celui qu’on lui donne pour epoux. C’est vers son epoux que désormais doivent tendre toutes ses vues ; c’est uniquement à son epoux qu’elle doit chercher à plaire ; vif ou mort, c’est
à son epoux qu’elle doit son cœur.
Par les statuts consacrés dans notre cérémonial, un homme, après la mort de sa femme, a le pouvoir de se remarier ; il a le même pouvoir du vivant même de sa femme, pour des raisons qui sont
très-bien détaillées ailleurs ; mais une femme, pour quelque raison que ce puisse être, ni du vivant, ni après la mort de son mari, ne peut passer à de secondes noces, sans enfreindre les regles
du cérémonial, & sans se déshonorer. L’epoux est le ciel de l’epouse, dit une Sentence contre laquelle on n’a jamais réclamé : y a-t-il quelque endroit sur la terre où l’on puisse ne pas être
sous le ciel ? c’est donc pour tout le temps qu’elle sera sur la terre, c’est-à-dire, pendant toute sa vie, qu’une femme est sous le ciel de son mari. C’est pour cette raison que le Livre des
loix pour le sexe (Niu-hien-chou) s’exprime en ces termes : Si une femme a un mari selon son cœur, c’est pour toute sa vie ; si elle a un mari contre son cœur, c’est pour toute sa vie. Dans le
premier cas, une femme est heureuse, & l’est pour toujours ; dans le second cas, elle est malheureuse, & son malheur ne finira que lorsqu’elle cessera de vivre.
Tant que par une répudiation dans les formes, un mari n’aura pas rejetté loin de lui une femme dont les défauts n’auront pu être corrigés, il conserve tous ses droits sur elle ; il peut & il
doit en exiger l’attachement le plus inviolable : tant qu’une femme sera sous l’autorité du mari, son cœur n’est pas un bien dont elle puisse disposer, puisqu’il appartient tout entier à l’homme
dont elle porte le nom. Que cet homme ait des qualités qui le rendent aimable, ou des défauts difficiles à supporter, il est egalement son mari, c’est-à-dire, son chef, son maître, son compagnon,
son unique, son tout, hors de la sphere duquel elle n’est rien, loin duquel elle ne peut rencontrer que miseres, peines, angoisses & toutes les especes de chagrins. Quelle est la femme
assez peu raisonnable, assez ennemie d’elle-même, pour ne pas s’attacher de tout son cœur à celui-là seul qui peut la mettre à couvert de la misere, lui donner du soulagement dans ses peines, des
remedes à ses maux, qui peut lui adoucir ses chagrins & lui procurer tous les avantages de sa condition ? Si la raison, la loi, la justice & la nature elle-même n’obtiennent pas de vous
cet attachement affectueux que vous devez à celui dont vous êtes l’epouse ; que votre intérêt propre vous arrache au moins des efforts pour tâcher de devenir telle que vous devez être.
Article VI. De l’obéissance que doit une femme à son mari, au pere & à la mere de son mari.
Une obéissance qui, sans exception de temps, de circonstances, sans egard aux difficultés, ni aux aversions que l’on pourroit avoir, s’etend à tout & s’exerce sur tout, dans l’enceinte d’une
famille, pour les affaires purement domestiques, est l’obéissance dont je veux parler ici. C’est cette sorte d’obéissance qu’un mari a droit d’exiger de sa femme, qu’un beau-pere & une
belle-mere ont droit d’exiger de leur bru. Une femme qui n’auroit pas cette vertu dans sa totalité, seroit indigne du beau nom d’epouse ; une femme qui ne l’auroit qu’en partie, n’auroit point à
se plaindre, si l’on agissoit envers elle dans toute la rigueur de la loi.
Il n’est aucune chose sur la terre qui ne puisse être unie à une autre ; il n’en est point de si fortement unies qu’on ne puisse diviser. Il y en a qui s’unissent facilement, & comme
d’elles-mêmes ; il y en a d’autres qu’on unit ensemble par artifice, pour se procurer quelque avantage, ou à raison de quelque convenance. Celles qui s’unissent facilement & qui se joignent
comme d’elles-mêmes, se désunissent avec la même facilité, & se séparent quelquefois d’elles-mêmes aussi. Celles qu’on unit ensemble par artifice, pour se procurer quelques avantages ou à
raison de quelques convenances, on les sépare aussi quelquefois, lorsque ces avantages qu’on s’etoit promis manquent, ou que les convenances ne sont pas telles qu’on les croyoit.
Une femme qui aime son mari, & qui en est aimée, lui obéit sans peine, tant parce qu’elle suit en cela son inclination, que parce qu’elle est comme sûre qu’elle ne sera après tout, que ce
qu’elle voudra, & que, quoi qu’elle fasse, elle saura bien extorquer l’approbation de celui à qui elle plaît. Une femme ainsi obéissante n’a pas même fait la moitié de sa tâche : son
obéissance aisée ne durera qu’autant de tems qu’elle sera parfaitement d’accord avec son époux : mais que cet accord tient à peu de choses ! Un rien peut le rompre & le faire evanouir pour
toujours. Fût-il d’éternelle durée, il s’ensuivroit seulement qu’une femme feroit toujours sa propre volonté, sous le spécieux prétexte de faire celle de son epoux. Par une pareille conduite,
elle pourra bien en imposer à son mari ; mais son beau-pere & sa belle-mere verront-ils les choses du même œil que leur fils ? Elle ne doit pas s’en flatter. Si elle ne leur est pas
parfaitement soumise, si elle n’exécute pas avec exactitude ce qu’ils exigeront d’elle, ils donneront des avertissemens, ils emploieront les menaces, ils feront des corrections, ils ordonneront à
son mari de la corriger lui-même ; & si, après tout cela, ils ne voient aucun amendement, s’ils ne sont ni obéis, ni écoutés, ils feront ce que leur permet la loi : ils ôteront à leur fils
une femme désobéissante, qui est pour lui d’un très-mauvais exemple, & un obstacle à ce qu’il exerce la piété filiale dans les points les plus essentiels. Quoique ce ne soit là
que ce qu on appelle séparation par justice, elle n’est ni moins réelle, ni moins odieuse qu’une répudiation proprement dite. Une obéissance absolue, tant envers son mari, qu’envers son beau-pere
& sa belle-mere, peut seule mettre à couvert de tout reproche une femme qui remplira d’ailleurs toutes ses autres obligations. Une femme, dit le Niu-hien-chou, doit être dans la maison comme
une pure ombre & un simple echo. L’ombre n’a de forme apparente que celle que lui donne le corps : l’echo ne dit précisément que ce qu’on veut qu’il dise.
Article VII. De la bonne intelligence qu’une femme doit toujours entretenir avec ses beaux-freres & belles-sœurs.
Je finis les courtes instructions que j’ai cru devoir donner aux personnes de mon sexe par un article qui ne paroît pas, au premier coup d’œil, fort essentiel, & qui est pourtant de la
derniere importance. Le mari n’est pas toujours à la maison : il en sort pour vaquer à ses affaires, & n’y rentre le plus souvent que pour prendre ses repas & du repos. Mais à la maison
(quand le mari n’est pas fils unique) il y a toujours quelque beau-frere ou quelque belle-sœur ; par conséquent il y a toujours quelqu’un avec qui une femme peut avoir quelques petites
altercations, quelques disputes ; quelqu’un qui la peut contrarier, ou l’irriter par des actions ou des paroles ; quelqu’un pour qui elle ait de l’aversion, ou qui ait de l’aversion pour elle ;
quelqu’un en un mot, dont l’humeur ne sympathisant pas avec la sienne, lui fournira plusieurs fois chaque jour l’occasion d’exercer sa patience. Une femme qui a du bon sens, & veut vivre
tranquille, doit commencer par se mettre au-dessus de toutes les petites peines inséparables de sa condition ; elle doit tâcher de se convaincre que, quoi qu’elle puisse faire, elle aura toujours
quelque chose à souffrir de la part de ceux avec qui elle a à vivre ; elle doit se convaincre que sa tranquillité au dedans & sa réputation au dehors dépendent uniquement de l’estime qu’elle
aura su se concilier de la part de son beau-pere & de sa belle-mere, de ses beaux-freres & de ses belles-sœurs. Or le moyen de se concilier cette estime est tout-à-fait simple : qu’elle
ne contrarie jamais les autres ; qu’elle souffre en paix d’être contrariée ; qu’elle ne réponde jamais aux paroles dures ou piquantes qu’on pourroit lui dire ; qu’elle ne s’en plaigne jamais à
son mari ; qu’elle ne désapprouve jamais ce qu’elle voit, ni ce qu’elle entend, à moins que ce ne soient des choses evidemment mauvaises ; qu’elle soit pleine de déférence pour les volontés
d’autrui dans tout ce qui ne sera pas contraire à l’honnêteté, ou à son devoir. Son beau pere & sa belle mere, ses beaux-freres & ses belles-sœurs, fussent-ils des tigres & des
tigresses, ne pourront pas n’être pas pénétrés d’estime pour une femme qui se conduira si bien à l’égard d’eux tous. Ils feront en tout temps & en tous lieux l’éloge de sa vertu & de son
bon caractere. Un tel eloge, souvent répété, ne sauroit manquer de lui gagner le cœur de son mari, de la faire respecter de toute la parenté, & d’établir si bien sa réputation dans toute la
ville, qu’elle deviendra l’objet de l’estime universelle, on la citera pour exemple aux autres femmes, & on la leur proposera sans cesse comme le modele sur lequel elles doivent se former.
Jeunes filles, qui coulez encore vos jours sous les yeux d’un pere & d’une mere, mettez à profit le tems qui vous reste pour vous instruire à fond de vos devoirs présens & à venir ;
Jeunes femmes, qui de la maison paternelle avez déjà passé dans celle d’un epoux, si vous aviez négligé ci-devant d’acquérir les connoissances nécessaires pour remplir les obligations de votre
etat présent, tâchez de réparer une faute dont les suites seroient très-funestes pour vous. La lecture de ces sept articles, si elle est réfléchie & faite avec soin, suffira pour vous mettre
au fait de ce que vous devez faire & de ce que vous devez eviter : la pratique de ce qu’ils enseignent, si elle est exacte & constamment suivie, suffira pour assurer votre tranquillité de
chaque jour, & pour vous disposer à être dans la suite de bonnes meres de famille. Vous aurez des enfans auxquels le bon exemple que vous leur donnerez, plus efficace, sans comparaison, que
tous les préceptes qu’ils pourront recevoir d’ailleurs, inspirera de bonne heure l’amour du devoir & de la vertu ; & la Piété filiale, qui entrera dans leurs cœurs, en même tems que
l’amour du devoir & de la vertu, ne vous laissera rien à desirer, le reste de vos jours, pour le dédommagement de toutes les peines que vous aurez prises, de toutes les humiliations que vous
aurez essuyées, de tous les chagrins que vous aurez eu à dévorer, & de toutes les victoires que vous aurez eu à remporter sur vous-mêmes, pour vous être rendues telles que vous deviez être.